La vue du voyeur Alain Robbe-Grillet: Le Voyeur
Resumé
Partant du débat sur le titre, nous avons opté pour un sens «brut»: voyeur = homme qui voit, ce qui nous a amené à la question primordiale de cette analyse: que voit le voyeur? La réalité offerte au regard du personnage principal consiste en objets autonomes qui rejettent invariablement toute tentative d'interprétation humaine de telle sorte que Mathias, sujet voyant, cherche en vain, dans le monde vu, le témoignage de son regard. L'aspect impénétrable, absurde, de la réalité perçue oblige le voyeur à substituer au sens caché des objets une cohérence et une signification imaginaires qui confèrent au regard l'objet recherché, mais qui se feront renverser dès que le sens réel apparaîtra. La manifestation principale de la réalité cachée est une page blanche, dissimulant probablement un assassinat commis par Mathias. Pour imposer une signification aux événements rendus incompréhensibles par le vide, Mathias est obligé de substituer à celui-ci une version imaginaire de ses propres actes, le crime, et une autre version, également imaginaire, qui l'innocentera vis-à-vis des autres, l'alibi. Devant l'imminence de la réalité cachée, Mathias ne peut que modifier sans cesse les versions imaginaires qui resteront pourtant incontestées - bien qu'elles s'excluent mutuellement. Comme la page blanche est aussi impénétrable pour le lecteur que pour le voyeur, nous en sommes à un voyeur qui ne voit rien et à un récit qui ne raconte rien. Vers la fin du roman, le récit et le voyeur retrouvent leur objet. Le roman se projette, en abyme, dans une scène qui en résume tous les détails antérieurs, y compris le vide. Confronté à ses propres visions, provenant toutes d'un ailleurs dans l'espace-temps, le voyeur prend conscience du caractère autonome de son univers imaginaire qui ne reflète que lui-même et qui n'engage en rien la réalité préalable. Confronté à son propre contenu, le roman se situe en fiction autonome, ne racontant rien d'autre que l'histoire de son propre fonctionnement. Au niveau du récit ainsi qu'au niveau du voyeur, le problème primordial du roman est celui de la référence extérieure: le monde préalable au regard, les événements préalables au roman. La référence indiscutable dont témoigne le début du roman s'effondre petit à petit pour dérober au récit et au regard leur pendant réel. La solution réside dans le dédoublement à l'intérieur de la fiction: Ne voyant aucune réalité préalable, le voyeur se voit qui voit; ne racontant aucune réalité préalable, le roman se raconte qui raconte.Downloads
Publiceret
1973-01-01
Citation/Eksport
Soelberg, N. (1973). La vue du voyeur Alain Robbe-Grillet: Le Voyeur. Revue Romane, 1. Hentet fra https://tidsskrift.dk/revue_romane/article/view/29025
Nummer
Sektion
Artikler