Revue Romane, Bind 23 (1988) 1

Réponse à Michael Herslund

Hanne Korzen

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Je remercie Michael Herslund pour la présentation à la fois si claire et si intéressante qu'il a faite de mon travail, ainsi que pour ses remarques pertinentes. Commençons par la terminologie et le classement des formes de l'inversion. On ne saurait traiter ces problèmes sans parler de l'article qu'a publié Ebbe Spang-Hanssen sur l'inversion du sujet dans la Revue Romane VI, 1 1971 (article auquel MH renvoie d'ailleurs). Dès sa parution, ce travail révolutionnaire, où l'auteur remplace "les formes de l'inversion" de la grammaire traditionnelle par des types de construction abstraits, a incité ses collègues à débattre du classement des formes de l'inversion (voir par exemple Togeby 1971, Skârup 1977 et 1987, Korzen 1977, 1983, 1985 et 1987). Les principes préconisés dans l'article en question, qui sont appliqués dans les manuels Fransk Syntaks et Fransk Grammatik (Pedersen et alii 1970 et 1980), ont, en outre, joué un rôle très important pour l'enseignement supérieur du français en Scandinavie.

Là où Spang-Hanssen s'écarte le plus de la tradition, c'est, sans doute, dans sa conception de la construction "inversion complexe", qu'il décrit de la manière suivante: "Le sujet est obligatoirement représenté par un pronom conjoint postposé au verbe, et il peut l'être en même temps par un substantif placé avant le verbe." (1971: p. 67; c'est moi qui souligne). Selon cette définition, il ya inversion complexe aussi bien dans ( I.a) que dans(l.b), puisqu'il est possible, dans (l.a), de mettre avant le verbe le substantif auquel renvoie le pronom il:

(l)a. Viendra-t-il?
b. Gaston viendra-t-il?

Spang-Hanssen est conscient du fait qu'une telle définition peut soulever des objections, et dans son article, il donne des réponses à certaines de ces objections (voir notamment p. 67-69, l'on trouve une discussion des problèmes créés par des constructions telles que Le saviez-vousl et Quand viendra-t-WÌ). A mon avis, l'auteur réussit très bien à défendre son point de vue, et je suis tout à fait d'accord quand il dit: "Cette nouvelle manière de formuler les notions de base permet de donner des règles simples telles que: "Dans les interrogations totales, on utilise l'inversion complexe", (p. 69, cf. les exemples (l.a) et (l.b) ci-dessus).

Dans mon travail, je me suis basée sur la description de Spang-Hanssen, mais j'ai essayé d'aller encore plus loin dans la direction qu'il a indiquée lui-même, en établissant une typologie des inversions qui correspond un peu mieux à la classification des propositions et au contenu fonctionnel de celles-ci. Ainsi, je postule que la règle "inversion complexe" peut opérer dans toutes les interrogatives directes (que celles-ci marquent l'interrogation totale ou l'interrogation partielle). Pour Spang-Hanssen, des interrogatives comme (2.a) et (3.a) sont à considérer comme des cas d'inversion simple, parce que des constructions comme (2.b) et (3.b) sont généralement évitées:

(2) a. Que fait-il?
b. ? Que cet homme fait-il?

(3) a. Qui est-il?
b. ? Qui cet homme est-il?

Spang-Hanssen analyse donc (2.a) et(3.a) de la même manière que l'incise représentée par (4.a)

(4) a. Non, dit-il.
b. *Non, Gaston dit-il.

Pour ma part, je considère les constructions en question comme des cas d'inversion complexe,
ce qui revient à dire queje les analyse de la même manière que les interrogatives de (1). Que
(2.b) et (3.b) ne soient pas pleinement acceptables, n'a rien à faire avec les mécanismes de

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l'inversion proprement dits. La quasi-inacceptabilité de ces exemples est due au comportementspécial des unités lexicales que et être. (2.b) est mal formé parce queque est un pronomconjoint qui ne peut pas, normalement, être séparé du verbe par un élément non conjoint,que cet élément non conjoint soit le sujet ou non. Ainsi, (5) est inacceptable pour la même raison que (2.b):

(5) ? Que, d'ailleurs, fera-t-il?

(3.b) est mal formé parce qu'il ne respecte pas ce qu'on pourrait appeler "le principe de l'équilibre" et qui veut que la copule être, sémantiquement "faible", se place entre le sujet et l'attribut. Si l'attribut est antéposé, le sujet non conjoint se place donc obligatoirement après le verbe:

(6)a. Tels sont mes ordres!
b. Qui est cet homme?

Comme c'est le cas de (3.b), (7) est inacceptable parce que le sujet et l'attribut non conjoints
sont tous les deux placés à gauche de être:

(7) ? Tels mes ordres sont !

11 est, cependant, évident que les règles concernant le pronom conjoint que et la copule être sont secondaires par rapport aux règles principales qui régissent les mécanismes de l'inversion en général, et j'ai proposé comme explication que ce genre de règles fonctionnent comme un "filtre" qui intervient après que les règles principales ont opéré. En ce qui concerne le terme "inversion complexe", je ne le trouve pas tellement "malheureux" quand il s'agit de décrire l'inversion dans les interrogatives directes. En se servant de cette expression, on souligne la différence de statut (fondamentale, à mon avis) qu'il y a entre les interrogatives (2.b) et (3.b) d'un côté, et l'incise (4.b) de l'autre côté. Contrairement à ce qui est le cas des interrogatives en question, le sujet de l'incise ne peut jamais être doublement exprimé: (4.b) est à considérer comme vraiment agrammatical, tandis que (2.b) et (3.b) sont seulement maladroits. En effet, il n'est pas tout à fait rare de trouver des constructions où une des règles "secondaires" est transgressée:

(8) Que Bulot faisait-il là? (Danoên, Renchon 1967: p. 51)

(Renchon donne toute une série de constructions du même genre). Il me semble donc légitime de dire que l'inversion complexe (ou, si l'on veut: l'interrogation complexe) est caractéristique de l'interrogative directe. Or, il s'avère que la désignation prête à confusion: MH n'est pas le seul à la désapprouver. Povl Skârup (1987) et Ebbe Spang-Hanssen (ci-dessous) partagent plus ou moins son opinion (quoiqu'ils ne soient pas d'accord entre eux sur la façon dont il faut classer les constructions). Maintenant que Ebbe Spang-Hanssen lui-même trouve mon emploi du terme exagéré, je suis probablement la seule personne au monde à aimer encore cet emploi. Il sera donc plus pratique de changer de terminologie et d'exprimer l'opposition entre l'interrogative directe et l'incise d'une autre manière. Pour ce qui est des deux autres termes: "inversion mixte" et "inversion finale", j'y tiens beaucoup moins. MH a raison de dire que celui-ci (emprunté à Pedersen et alii 1980) réfère à la position occupée par le membre inverti, tandis que celui-là réfère aux catégories inverties. Ce qui, réflexion faite, ne paraît pas très joli.

Comme le fait remarquer MH, ma description de la place du sujet dans les constructions inversées est à interpréter comme un modèle tran^formationnel imi plutôt comme un fragmentd'un tel modèle), et ma règle de l'inversion du sujet est formulée comme un déplacementdu sujet. Cependant, je n'ai pas été tout à fait conséquente. Ainsi, dans 4.1.1. (1987: p. 98), le sujet "change de place" avec l'unité predicative minimale (après quoi l'élément qu

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est antéposé). Il est évident qu'il faut préciser cette description. Aujourd'hui, je suis persuadéeque la solution la plus simple consiste à déplacer l'unité predicative, comme le propose MH, au lieu de déplacer le sujet. A l'aide de (6') et de (6"), MH exprime la même chose que ce que j'ai exprimé avec (280") et (280"') (op. cit.: p. 98-99); mais il le fait de façon beaucoupplus claire que moi.

Dans les exemples (6) et (7), que MH discute explicitement, les compléments contenus dans le VP sont des objets directs et indirects, compléments qui font partie des actants. Or, s'il faut rendre compte de cas comme Où était garée la belle voiture de votre père avant-hierl} et A quelle heure ferment les magasins en France! en se servant de la règle (10) de MH, il est nécessaire d'inclure également les adverbiaux de lieu et de temps dans le VP, quoique ces membres de phrase soient à considérer comme des circonstants. Cependant, la description que j'ai faite des constructions en question semble montrer que l'opposition entre actants et circonstants ne joue pas un rôle décisif pour les mécanismes de l'inversion. Les adverbiaux scéniques peuvent se lier avec le verbe de la même manière que l'objet direct et l'objet indirect pour former des unités prédicatives. Le "nouveau" VP contiendra alors les mêmes types de compléments qu'un syntagme infinitif ou un syntagme participial.

La règle (10) de MH est une règle très élégante, dont je me servirai avec plaisir dans la nouvelle édition de mon uvre. J'y apporterai une toute petite modification: l'expression '"renverser l'ordre des termes" laisse supposer que le constituant à déplacer ne contient que deux éléments, comme c'est le cas dans (6) et (7). Or ce constituant peut contenir plus de deux éléments. Prenons à titre d'exemple l'interrogative (27) (1987: p. 24): Où a rangé la tondeuse le jardinier qui est venu travailler cet après-midi? On peut proposer, pour cette construction, une structure sous-jacente telle que (9):

(9)


DIVL2354

Dans ce cas, il faut déplacer le VP entier, qui contient trois éléments, après quoi il faut antéposer le mot qu. Il devrait également ressortir de la description de l'exemple en question qu'il n'est pas tout à fait exact de dire, comme le fait MH, que c'est toujours l'arborescence la plus basse qui est antéposée avec V. Il est vrai qu'on ne peut pas sauter des constituants; mais il est, en effet, possible d'antéposer un objet indirect avec le verbe, même s'il y a un objet direct en même temps. A condition de déplacer l'unité predicative entière, de sorte que l'objet direct, c'est-à-dire le membre le plus lié au verbe, se trouve aussi avant le sujet.

Copenhague