Revue Romane, Bind 23 (1988) 1

Réponse à Palle Spore

Hanne Korzen

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Je remercie Palle Spore de ses remarques intéressantes et des conseils utiles qu'il m'a donnés
en vue d'une nouvelle édition de mon livre.

En ce qui concerne la notation à employer pour indiquer qu'une construction donnée est "grammaticale", "agrammaticale" ou "discutable", je préférerais, aujourd'hui, considérer comme "agrammaticales" (marquées par " * ") uniquement les constructions qui transgressent une règle syntaxique. Si une construction est bizarre d'un point de vue pragmatique, mais non pas d'un point de vue syntaxique, je la considérerai comme "grammaticale" quoique inacceptable (marquée par "P?" cf. 1985: p. 10-12).

Il est vrai qu'on peut se servir d'une structure linéaire pour formuler les règles qui régissent l'inversion du sujet. A condition de spécifier, comme le fait PS, que le schéma ne représente pas l'ordre des mots, mais la cohérence par rapport au verbe des différents membres qui en dépendent. Cependant, une telle structure illustre moins bien qu'un arbre la relation qu'entretiennent les différents membres du prédicat entre eux: que l'objet indirect s'attache à l'unité constituée par le verbe + l'objet direct, que l'adverbial scénique^ s'attache à l'unité constituée par le verbe + l'objet direct + l'objet indirect et ainsi de suite. Comme je le dis aussi dans ma réponse à Ebbe Spang-Hanssen (ci-dessous), une spécification explicite de la structure du prédicat est nécessaire pour une bonne illustration du sens du prédicat et de la construction inversée.

Pour ce qui est de l'attribut du sujet (symbolisé par A dans le schéma de PS), je le place sur le même plan que l'objet indirect d'un verbe divalent (cf. Herslund et Sorensen 1985). Mais puisque l'attribut du sujet est incompatible avec l'objet direct, ainsi que le fait remarquer PS, la différence entre l'analyse de PS et la mienne n'aura pas de conséquences pratiques pour les règles qu'il faut donner concernant l'inversion du sujet.

Regardons maintenant les deux exemples (285) et (286), qui contiennent tous les deux
des compléments prépositionnels, et que je reprends ici comme (1) et (2):

(1) Les problèmes dont avait parlé Pierre à son frère

(2) *le garçon à qui avait parlé Pierre de ses problèmes

Comme le dit PS, il découle de mes propres règles que le complément de ses problèmes doit être considéré comme plus proche du verbe que le complément à son frère. Le problème est de savoir, alors, comment il faut analyser ce cas (très spécial, en somme), où il y a à la fois un objet indirect introduit par de et un datif attachés au même verbe. Dans ma description, j'ai opté pour la solution de Herslund et Sorensen 1982, qui consiste à considérer le datif qui s'attache au verbe parler comme un datif "libre" (c'est-à-dire un datif qui ne fait pas partie des "actants"). Mais encore une fois, le schéma de PS donnera les mêmes règles sur le déplacement du sujet que les miennes.

Pour ce qui est de la construction (61), queje reprends ici comme (3):

(3) *Quand était garée la belle voiture de votre père devant la gare ?

elle est traitée au chapitre 4. (p. 93-94) en même temps que les autres constructions ayant cette structure (mais je reconnais que j'aurais dû renvoyer à ce chapitre dès le début). Dans le chapitre mentionné, je fais remarquer que les structures en question deviennent grammaticales si l'on place le sujet après le complément, mais seulement acceptables si le sujet est rendu plus lourd:

(4) ? Quand était placée devant la gare la belle voiture de votre père?

(5) Quand était placée devant la gare la belle voiture que votre père avait achetée l'année
dernière à Paris?

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PS a raison d'attirer l'attention sur l'influence du contexte quand il s'agit de décider si la
structure en "thème" et en "rhème" d'une construction donnée est acceptable. La construction
(556), reprise ici comme (6), paraît un peu bizarre hors d'un contexte très spécial:

(6) P? Dans leurs tombeaux sculptés, Inès de Castro et Don Pedro reposent dans ce
monastère.

(7) paraît beaucoup plus naturel:

(7) Dans ce monastère, Inès de Castro et Don Pedro reposent dans leurs tombeaux sculptés.

Selon l'analyse que j'ai proposée tout au long de mon livre, l'adverbial dans leurs tombeaux sculptés devrait être plus attaché au verbe que dans ce monastère. C'est-à-dire que cet adverbial-ci devrait pouvoir suivre le sujet dans une construction où cet adverbial-là (ou un représentant pronominal de l'adverbial en question) fonctionne comme élément antéposé. C'est, en effet, le cas dans l'exemple fourni par PS, construction qui est, à mon avis, tout à fait acceptable d'un point de vue pragmatique, et qui est en même temps conforme à mes règles. Or, malheureusement pour moi, c'est la construction suivante que j'ai trouvée:

(8) Visite du monastère (...) où reposent Inès de Castro et Don Pedro dans leurs tombeaux
sculptés (Bastide, cit. Wall 1980: p. 107)

Construction qui enfreint la règle générale que j'ai donnée dans Korzen 1987, etqui s'oppose
au type représenté par (9):

(9) *Je ne connais pas ce pays où travaillent les femmes aux champs. (= (63.b) dans
mon livre)

Une analyse plus fine des expressions de lieu semble donc s'imposer. Dans la nouvelle édition, j'essaierai de résoudre ce problème (esquissé vaguement dans 5.3.1. de la présente édition). En ce qui concerne l'exemple (144), je suis entièrement d'accord avec PS: tout dépend du contexte. Aussi ai-je simplement voulu montrer que dans certaines situations, il y a un ordre des mots qui est plus naturel qu'un autre.

Il est vrai que l'objet direct forme un "nexus" avec l'attribut de l'objet, et que ce nexus peut être considéré comme objet direct à un certain niveau de l'analyse. Cependant, c'est l'objet seul, et non pas le nexus entier, qui peut être pronominalisé (propriété considérée comme typique pour un objet direct):

(10) Cette femme, mon beau-frère /'a rendue malheureuse.

(11) *Mon beau-frère /'a rendu (où le pronom le représente le nexus cette femme (est)
malheureuse).

Quoi qu'il en soit, PS a raison de dire que les constructions "circonposées" méritent un examen
renouvelé. (Moi aussi, je regrette que ce verbe n'existe pas). Comme le signale PS, le sujet
"coupe", en quelque sorte, un complément en deux dans certains cas:

(12) Elle songea à cette façon les décors de se métamorphoser (= (428) dans
mon livre)

cf. (12'):

(1 2') Les décors avaient une façon de se métamorphoser

Dans (12), le syntagme prépositionnel qui suit le sujet doit être considéré comme une partie
de l'objet direct. Or, une telle "coupure" n'est pas possible dans un cas comme:

(13) *Que veut votre femme que vous fassiez? (= (49) dans mon livre)

Construction enchevêtrée typique (cf. Korzen 1977 b.), où le pronom que, qui introduit la
construction, doit être considéré comme une partie de la complétive qui fonctionne comme
objet direct de veut. Il est évident que la différence de statut entre ces deux types de constructionsdoit

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tionsdoitêtre traitée explicitement dans la nouvelle édition.

Copenhague