Revue Romane, Bind 23 (1988) 1

Marc Eigeldinger: Mythologie etintertextualité. Éditions Slatkine, Genève, 1987. 278 p. Baudelaire par Gautier. Présentation et notes critiques par Claude-Marie Senninger. Avec la collaboration de Loin Cassandra Hamrick. Bibliothèque du dix-neu-

Hans Peter Lund

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Dans son nouveau livre, si riche de nouvelles inspirations, Marc Eigeldinger (ME) a rassemblé seize articles parus de 1976 à 1986, tous écrits sous le dénominateur commun de l'intertextualité. En même temps, l'auteur a poursuivi ses recherches portant sur les éléments mythiques dans la littérature depuis le Romantisme (cf. notre compte rendu de Lumières du mythe, du même auteur, Revue Romane 19,2, 1984). Dans une introduction succincte et utile pour son propos, ME résume et éclaire le concept d'intertextualité, très distinct de l'établissement des sources et renvoyant plutôt à une pratique de l'écriture. L'intertextualité "établit des corrélations entre un texte et d'autres textes antérieurs ou contemporains, auxquels il se réfère" (p. 10). L'auteur distingue quatre formes principales d'intertextualité (la citation, l'allusion, le pastiche et la parodie, la mise en abyme où un récit second est enchâssé dans un récit premier), et cinq champs de matériau différents (champ littéraire, p. ex. la présence de Comme il vous plaira dans Mademoiselle de Maupin; champ artistique, p. ex. leMosè de Rossini dans Massimilla Doni de Balzac; champ mythique, p. ex. les allusions mythologiques dans les Illuminations; champ biblique (à intégrer, à mon avis, au champ mythique), p. ex. dans Une saison en enfer; enfin le champ philosophique qui n'est pas traité dans cet ouvrage). Enfin, les fonctions de l'intertextualité qui sont au nombre de trois: référentielle et stratégique (la référence renvoie à un modèle ou à un domaine culturel en jouant "le rôle d'embrayeur"); transformatrice et sémantique (aucun matériau d'emprunt ne sort indemne, quant à son sens, du transfert au nouveau texte); enfin descriptive et esthétique (l'intertextualité servant d'ornement ou véhiculant un sens figuré).

Le premier terme du titre de l'ouvrage de ME, la mythologie, appartient aussi au domaine de l'intertextualité - c'est ce qui ressort de la première section intitulée "Aspects de la mythologie romantique" avec des articles sur le mythe de Don Juan chez Musset {Namouna), transformation d'un mythe écrit depuis Tirso de Molina jusqu'à E. T. A. Hoffmann; surla dimension mythologique de "La Maison du berger" de Vigny; sur Baudelaire et la mythologie du progrès où sont démontrés les heurts du progrès et de l'idée de la faute originelle.

Le champ artistique est au centre des études suivantes sur Gautier et la présence du théâtre et des arts plastiques dans ses textes de fiction. L'accent est mis sur Mademoiselle de Maupin et la mise en abyme, dan* ce r<">man de la pièce de Shakespeare, ce "miroir interne" (p. 80). ainsi que sur la fonction de la toile de Rubens dans La Toison d'or. L'investigation de ME culmine dans Arria Marcella, dans cette "vaste intertextualité mythique" (p. 111) qui devient une "réalité onirique" pour le personnage principal.

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Dans les "lectures intertextuelles" qui suivent, sur Baudelaire, Rimbaud et Breton, il me semble qu'on s'éloigne un peu de l'intertextualité proprement dite, à moins qu'il ne faille voir des exemples de la fonction référentielle et stratégique dans les ressemblances thématiques (Rimbaud/ Rousseau) ou dans les points d'inspiration communs relevés par l'auteur (Baudelaire/ Rousseau - en dépit de tout ce qui les sépare, et que MF. éclaire finement).

C'est à propos de ces rapprochements que nous voudrions attirer l'attention du lecteur sur l'édition des écrits de Gautier sur Baudelaire, par Cl.-M. Senninger. En effet, bien qu'il ne soit pas question d'intertextualité, il me semble pertinent de souligner la présence chez les deux écrivains des mêmes thèmes tournant, bien sûr, autour de l'Art, qu'il soit littéraire ou plastique. L'introduction minutieuse et savante de Cl.-M. Senninger ainsi que l'étude complémentaire de L. C. Hamrick, en relevant nombre de points essentiels de la longue parenté entre les deux poètes, pourraient facilement servir de fondement à des lectures "intertextuelles". Il faut savoir gré à l'éditeur de ces textes de Gautier de les avoir rendus accessibles, et compréhensibles jusque dans les moindres détails grâce à ses notes critiques.

Revenons à l'ouvrage de ME, et à la très bonne section sur "l'intertextualité mythique dans le poème en prose", à savoir "Le Thyrse", puis tout le Spleen de Paris de Baudelaire, enfin les Illuminations de Rimbaud. C'est à propos de Baudelaire surtout qu'on voit à quel point ME travaille ici dans le sens de l'auteur lui-même: la présence du symbole du Thyrse, de l'ordre et de l'imagination, c'est bien le signe d'une nouvelle poétique chez Baudelaire. Le travail dans le champ intertextuel mythique n'exclut donc pas qu'on considère le sens tout particulier de l'œuvre et le sujet créateur lui-même, au contraire il semble bien ouvrir à de telles considérations (l'exemple le plus frappant, ici, est l'article sur Yves Bonnefoy).

Une dernière section, "Demeures mythiques", analyse les symboles de la maison, du château et de l'auberge chez Rimbaud, du "paysage lointain" ou du "sol du paradis perdu" chez Breton, de la "demeure du feu" chez Bonnefoy. Autant de demeures mythiques qui relèvent à la fois de la mythologie littéraire et du domaine de l'intertextualité, démontrant ainsi combien est juste le titre de l'ouvrage entier de ME: l'intertextualité, c'est très souvent dans le matériau mythique qu'il faut la chercher, matériau commun aux écrivains du dix-neuvième siècle et même à ceux qui sont plus proches de nous.

ME convainc par sa méthode de grande envergure qui dévoile d'une manière passionnante la trame, en effet très vaste, des images récurrentes, des figures mythiques, des manières de penser communes. Si ¡"auteur éiend sa méthode jusqu'à embrasser aussi les études comparatives, ne nous plaignons pas des résultats de ces travaux! Là se voit aussi le grand spécialiste qu'est Marc Eigeldinger.

Copenhague