Revue Romane, Bind 23 (1988) 1

Palle Spore

Palle Spore

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La présente intervention aura pour sujet principal le livre le plus récent de Hanne Korzen (HK), "Final inversion og elementaersaetningens struktur" (1987), lequel, à mon avis, est d'une valeur telle qu'il aurait pu servir à lui seul de thèse de doctorat. L'ouvrage de 1985, "Pourquoi et l'inversion finale en français", excellent lui aussi, peut être considéré comme l'exemplification du problème central de l'inversion du sujet, exposé sous une forme globale et théorique dans le nouveau livre.

Celui-ci est d'une structure exemplaire: hypothèse, antithèse, synthèse se succèdent dans une progression qui enserre de plus en plus le problème étudié: est-il possible d'invertir le sujet nominal d'une proposition donnée et, si oui, quelle sera la place de ce sujet? Ce qui manque, à mon avis, est une conclusion digne de ce nom (cai le chapitre 6, ainsi nommé, n'est en fait qu'un résumé), où les règles établies se trouveraient exposées d'une façon plus ou moins schématique, susceptible d'entrer dans une grammaire générale du français moderne. Si la structure du livre est parfaite du point de vue scientifique, elle est loin de plaire à l'usager, que ce soit l'enseignant ou l'étudiant.

Méthodologiquement, le livre est surtout structuraliste, mais empreint de bonnes inspirations tirées de la grammaire transformationnelle. HK va même plus loin que les transformationalistes, en ce sens qu'elle distingue non seulement ce qui est grammatical et ce qui ne l'est pas, mais aussi ce qui est discutable sur le plan grammatical et sur le plan pragmatique. Elle aurait pu aller encore plus loin, en distinguant ce qui est impossible pour des motifs grammaticaux et pour des raisons pragmatiques.

La structure de la proposition, présentée p. 57, est exposée sous la forme d'un "arbre",
mais aurait aussi bien pu revêtir un caractère linéaire. A partir de la règle formulée p. 109, je
propose:


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x est l'introducteur de la proposition interrogative ou relative, immédiatement suivi de V, qui est le membre verbal, y compris le participe passé des temps composés et les adverbiaux du verbe. Viennent ensuite l'objet direct (Od) et l'attribut du sujet (A), placés sur le même plan, parce qu'ils sont incompatibles, puis les deux objets prépositionnels, que HK met à tort sur le même plan: les exemples 285 et 286 montrent que l'objet indirect (Oi, type penser à) doit précéder l'objet d'attribution (Oa, type donner à). A la dernière place vient l'adverbial de phrase.

Soulignons que ce schéma ne représente pas l'ordre des mots, mais la cohérence, par rapport
au verbe, des différents membres qui en dépendent.

La thèse de HK dit que le sujet nominal se place alors immédiatement à droite du membre que représente x (pourquoi pas: à sa place? ), par ex. (52) Que dira ce type à la police ?, où x est Od: le sujet se place alors devant Oa, à la police. Si le sujet est très long, il se place cependant à la dernière place pour des raisons d'eurythmie (ex. 68). Mais l'exemple 61 est impossible: *Quand était garée la belle voiture de votre père devant la gare!, parce que x est un adverbial, si bien que le sujet ne peut pas précéder la place réservée à ce membre.

Un examen minutieux de tous les exemples du livre montre que la formule tient, en ce sens qu'elle répond parfaitement à la question: "Peut-on s'exprimer ainsi ou non?" Mais on aurait aimé y trouver aussi la réponse à la question subséquente: "Si on ne peut pas s'exprimerainsi, comment faut-il s'exprimer?"', autrement dit: les différentes phrases agrammaticales,comment peut-on les rendre grammaticales? En plaçant le sujet ailleurs, en répétant

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le sujet par un pronom conjoint, ou en se servant de l'ordre sujet - verbe? En outre, la descriptiondevrait nous dire si l'inversion est possible, impossible ou obligatoire. Bref, en reprenantl'ex. 61, nous n'apprenons pas si l'on peut placer le sujet après devant la gare, ou s'il faut le mettre devant le verbe, avec ou sans pronom conjoint après celui-ci.

Quelques-uns des exemples méritent un bref commentaire.

L'exemple 556 est à juste titre présenté comme douteux, mais, à mon avis, tout dépend du contexte, et je n'hésiterais pas à accepter une phrase - un peu recherchée, il est vrai - ainsi conçue: 5/ vous allez au Portugal, ne manquez pas d'admirer les tombeaux sculptés où reposent Inès de Castro et Don Pedro dans le célèbre monastère d'Alcobaca. Mais je reconnais que le dernier adverbial serait mieux placé juste après où.

Une remarque correspondante peut se faire à propos de l'exemple 144, pragmatiquement douteux. Mais il suffit de choisir un autre adverbial de lieu pour rendre l'expression parfaitement acceptable, par ex.: Travailler au Congo, c'est dur. Il vaut mieux travailler dans un pays moins chaud.

L'exemple 72, *Quelle femme avait rendue votre beau-frère tellement malheureuse qu'elle a failli se suicider'], est - contrairement à l'ex. 71 - agrammatical, car quelle femme n'est pas l'objet, mais seulement une partie de l'objet, à savoir le sujet du nexus qui sert d'objet, et dont l'attribut est tellement malheureuse que... L'objet de avait rendue n'est donc pas préposé, mais à la fois préposé et postposé. Malheureusement, le terme "circonposé" n'existe pas. Mais, dans d'autres cas, le sujet peut couper une telle construction, comme on le voit dans les exemples 429 à 443, si bien que le problème mérite un examen renouvelé.

Une "coupure" analogue se constate dans l'ex. 49, *Que veut votre femme que vous fassiez?,
où l'objet de veut est Que ... que vous fassiez. Il s'agit en effet d'une proposition enchevêtrée,
où le premier que est l'objet défassiez.

Ces remarques doivent uniquement servir à souligner qu'il suffit parfois d'un point de
vue (ou d'un contexte) différent pour rendre acceptable telle phrase, qui ne l'est pas sous sa
forme citée. Il en va d'ailleurs de même des exemples 95, 280 et 281 du livre sur "Pourquoi".

Mais étant donné le nombre impressionnant d'exemples, on ne peut s'étonner d'en trouver où une analyse supplémentaire est possible. Le contraire aurait été étonnant, et il faut reconnaître que, dans la très grande majorité des cas, HK a su tirer le maximum de ses exemples, tout en les analysant avec beaucoup de brio.

Mais le plus grand mérite de HK est incontestablement celui de nous avoir fourni un excellent appareil de travail pour juger des possibilités de l'inversion. Je sais qu'elle prépare une édition française de son livre - et il le mérite ! - et, à cet effet, j'aimerais, pour conclure, émettre quelques vœux au sujet des modifications souhaitables:

1) Supprimer le chapitre 7 (appendice diachronique et comparatif), qui est fort intéressant,
mais un peu en marge du sujet (et moins approfondi que le reste du livre).

2) Déplacer les "Commentaires supplémentaires" (pp. 226-234), pour les mettre à leur
place naturelle dans le texte.

3) Modifier le chapitre 6 (la conclusion) pour en faire une vraie conclusion, suivant les
principes que je viens d'esquisser; cela ferait grandement plaisir non seulement aux enseignants
que nous sommes tous, mais aussi à nos étudiants.

Avec ces trois modifications, un livre déjà excellent deviendra un livre parfait.

Odense