Revue Romane, Bind 23 (1988) 1

Les Villes de Rimbaud Poésie et thématique des descriptions urbaines dans les Illuminations de Rimbaud Villes: L'acropole officielle...; Villes: Ce sont des villes! ; Ville 1

par

Per Buvik

Rimbaud illisible?

Dans l'épilogue de l'édition de 1869 des Petits poèmes en prose, Baudelaire précise son image de la ville: "Hôpital, lupanar, purgatoire, enfer, bagne". Paris est une "énorme catin", dit-il, mais une catin dont "le charme infernal [le] rajeunit sans cesse". La ville est le lieu par excellence de la modernité, un topos privilégié mais ambigu de la littérature moderne, inaugurée par le poète des Fleurs du mal.

Or, il y a une différence notable entre la ville baudelairienne et celle, par excellence, de Rimbaud: bien que fragmentée, bien que saisie dans des images métaphoriques, voire allégoriques, la ville de Baudelaire se définit par rapport à une ville supposée extérieure à la poésie, une ville censée exister réellement. Non que les descriptions urbaines de Rimbaud soient sans référents, comme on le prétend de temps en temps, mais elles sont marquées par une telle prolifération, une telle profusion de référents divers qu'une lecture réaliste s'avère vite impossible.

Le fait qu'elle ne respecte pas, subvertisse même les règles de la communication
conventionnelle, fût-elle poétique, a amené plusieurs critiques, tels Atle Kittang2
et, notamment, Tzvetan Todorov3, à qualifier la poésie rimbaldienne d' "illisible".

D'autres spécialistes, tel André Guyaux, s'en sont pris à des approches privilégiant excessivement la polysémie et par là, souvent, "la permessivité des lectures", comme le dit Guyaux dans un article intitulé "Hermétisme du sens et sens de l'hermétisme dans les Illuminations'''4. Réfutant surtout la lecture de Todorov, Guyaux pense que la théorie qui la sous-tend est "en elle-même une interprétation, et (...) a le travers de toutes les interprétations systématiques: l'uniformité "s. Accusant Todorov d' "une certaine confusion entre sens et réfèrent", Guyaux éclaire ainsi sa position:

Le réfèrent renvoie au monde. Il est paradigmatique, vertical. Il est bien possible que le
discours poétique en général ne renvoie pas au monde, qu'il soit autarcique.

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On comprend que dans cette optique, il faille tenir compte d'une intention poétique qui aille au-delà de la négation du sens, et au-delà d'une démonstration de la chute fatale du Poète: sans revenir au mythe du sujet créateur souverain, il ne faut pas méconnaître l'exploitation délibérée, ludique, parfois parodique, de toutes les richesses, de toutes les possibilités du langage; il faut prendre en considération, aussi, le jeu avec les stéréotypes à la fois linguistiques et culturels.

L'absence d'un Sens n'équivaut pas au non-sens. Au contraire, il y a peu d'œuvres littéraires aussi riches de sens que les Illuminations de Rimbaud;j'espère pouvoir le montrer, même en me limitant à trois textes: Villes I et // et Ville, et en concentrant mon analyse sur l'emploi de références et allusions culturelles, sur l'aspect ludique et sur le dépassement de la logique conventionnelle et de la pensée psychologique.

Avant de commencer, un petit éclaircissement s'impose pourtant.

Des manuscrits au texte — une remarque.

En effet, l'établissement du texte des Illuminations pose des problèmes qu'a traités à fond André Guyaux dans sa thèse publiée en 1985 sous le titre Poétique du fragment'l. A partir d'une étude minutieuse des manuscrits, dont certains sont de la main de Germain Nouveau, ami du poète, Guyaux a aussi établi une nouvelle édition critique des Illuminations. C'est à cette édition que les rimbaldiens devront désormais se reporter.

Sans pouvoir entrer dans les détails, je me bornerai, ici, à faire observer que les recherches de Guyaux ne permettent aucun doute sur la nécessité de modifier l'ordre habituel des trois Villes: L'acropole officielle... doit précéder Ce sont des villes!, et ces textes doivent tous deux précéder Ville.

Villes I et // aussi bien que Ville datent du printemps 1874 et furent toutes
publiées pour la première fois dans La Vogue, en mai-juin 1886.

Quant au titre des Illuminations, qui n'est pas de Rimbaud, on ne peut plus l'interpréter comme synonyme d' "enluminures", c'est-à-dire des lettres peintes ornant d'anciens manuscrits. Il faut donc se méfier des sous-titres donnés par Verlaine: "painted plates" et "coloured plates". C'est plutôt de "révélations" ou de "visions" qu'il s'agit dans ces textes.

Les textes établis par André Guyaux.

I Villes

[1.1

L'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie
moderne les plus colossales. Impossible d'exprimer
5 le jour mat produit par le ciel immuablement gris.

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l'éclat impérial des bâtisses, et la neige étemelle/
du sol. On a reproduit dans un goût d'énormité singulier
toutes les merveilles classiques de l'architecture.
J'assiste à des expositions de peinture dans des
10 locaux vingt fois plus vastes qu'Hampton-Court.
Quelle peinture! Un Nabuchodonosor norwégien a
fait construire les escaliers des ministères; les subalternes
que j'ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brahmas
et j'ai tremblé à l'aspect de colosses des gardiens et
15 officiers de constructions. Par le groupement des
bâtiments en squares, cours et terrasses fermées,
on a évincé les cochers. Les parcs représentent la
nature primitive travaillée par un art superbe.
Le haut quartier a des parties inexplicables: un
20 bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de
grésil bleu entre des quais chargés de candélabres
géants. Un pont court conduit à une poterne
immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle.
Ce dôme est une armature d'acier artistique de
25 quinze mille pieds de diamètre environ.
Sur quelques points des passerelles de cuivre,
des plates-formes, des escaliers qui contournent les
halles et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la
profondeur de la ville. C'est le prodige dont je
30 n'ai pu me rendre compte: quels sont les niveaux
des autres quartiers sur ou sous l'acropole?
Pour l'étranger de notre temps la reconnaissance
est impossible. Le quartier commerçant est un
circus d'un seul style, avec galeries à arcades.
35 On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de
la chaussée est écrasée; quelques nababs aussi rares
que les promeneurs d'un matin de dimanche à
Londres, se dirigent vers une diligence de diamants.
Quelques divans de velours rouge: on sert des boissons
40 polaires dont le prix varie de huit cents à huit
mille roupies. A l'idée de chercher des théâtres sur
ce circus, je me réponds que les boutiques doivent
contenir des drames assez-sombres. Je pense
qu'il y a une police; mais la loi doit être
45 tellement étrange, que je renonce àme faire une
idée des aventuriers d'ici.
Le faubourg aussi élégant qu'une belle rue
de Paris est favorisé d'un air Je lumière. L'
élément démocratique compte quelque cent
50 âmes. Là encore les maisons ne se suivent pas; le
faubourg se perd bizarrement dans la campagne,

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le "Comté" qui remplit l'occident éternel des
forêts et des plantations prodigieuses où les
gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques
55 sous la lumière qu'on a créée.

1 [11.1

Ce sont des villes! C'est un peuple pour qui se sont
montés ces Alleghanys et ces Libans de rêve!
Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur
5 des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratères
ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent
mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses
sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets.
La chasse des carillons crie dans les gorges. Des
10 corporations de chanteurs géants accourent dans des
vêtements et des oriflammes éclatants comme la
lumière des cimes. Sur les plates formes au milieu
des gouffres les Rolands sonnent leur bravoure.
Sur les passerelles de l'abîme et les toits des auberges
15 l'ardeur du ciel pavoise les mâts. L'écroulement
des apothéoses rejoint les champs des hauteurs où
les centauresses séraphiques évoluent parmi les
avalanches. Au dessus du niveau des plus hautes
crêtes une mer troublée par la naissance éternelle
20 de Vénus, chargée de flottes orphéoniques et de la
rumeur des perles et des conques précieuses, - la mer
s'assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur
les versants des moissons de fleurs grandes comme
nos armes et nos coupes, mugissent. Des cortèges
25 de Mabs en robes rousses, opalines, montent des
ravines. Là haut, les pieds dans la cascade et les
ronces, les cerfs tettent Diane. Les Bacchantes
des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle.
Vénus entre dans les cavernes des forgerons et des
30 ermites. Des groupes de beffrois chantent les idées
des peuples. Des châteaux bâtis en os sort la
musique inconnue. Toutes les légendes évoluent et
les élans se ruent dans les bourgs. Le paradis des
orages s'effondre. Les sauvages dansent sans cesse
35 la fête de la nuit. Et une heure je suis descendu
dans le mouvement d'un boulevard de Bagdad où des/
compagnies ont chanté la joie du travail nouveau,
sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir

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éluder les fabuleux fantômes des monts où l'on a dû
40 se retrouver.
Quels bons bras, quelle belle heure me rendront
cette région d'où viennent mes sommeils et mes
moindres mouvements?

1 Ville.

Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen
d'une métropole crue moderne parce que tout goût
connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur
5 des maisons aussi bien que dans le plan de la ville.
Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de
superstition. La morale et la langue sont réduites à
leur plus simple expression, enfin! Ces millions de
gens qui n'ont pas besoin de se connaître amènent si
10 pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse,
que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long
que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples
du continent. Aussi comme, de ma fenêtre, je vois
des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse
15 et éternelle fumée de charbon, — notre ombre des bois,
notre nuit d'été! - des Erinnyes nouvelles, devant
mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque
tout ici ressemble à ceci, - la Mort sans pleurs, notre
active fille et servante, et un Amour désespéré,
20 et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue.

L'autonomie textuelle.

Les titres Villes et Ville n'ont rien d'extraordinaire. Ils semblent annoncer des textes sur des villes semblables à beaucoup d'autres dans notre monde, ou ils semblent annoncer, éventuellement, des impressions personnelles sur la réalité urbaine telles qu'on peut en trouver chez Baudelaire. Très vite, le lecteur comprend pourtant que ces textes sont d'un autre genre. Le deuxième s'ouvre bien par cette exclamation: "Ce sont des villes!" Or, déjà la phrase suivante en sape le caractère réaliste: "C'est un peuple pour qui se sont montés ces Alleghanys et ces Libans de rêve!" Le début abrupt, in médias res, où est sous-entendu un antécédent du premier mot Ce, accentue d'ailleurs, d'emblée, l'autonomie textuelle, en supposant un contexte passé sous silence. Si le verbe monter surprend, signalons tout de suite, pour donner une première idée du jeu poétique de Rimbaud, que son radical est homonyme du nom "mont", employé à la ligne 39 et présent à travers "ces Alleghanys".

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Dans Villes I, la phrase initiale semble aussi, à première vue, renvoyer à une ville existante. Mais le nom "acropole" détonne un peu dans cette atmosphère de "la barbarie moderne". Qu'il ne s'agisse pas d'une ville réelle est clairement attesté par la suite, malgré la mention de la Sainte-Chapelle de Paris et d'autres indices réalistes: "Le haut quartier a des parties inexplicables (...)". Des images juxtaposées, de plus en plus insolites, mais néanmoins objectives, descriptives, s'accumulent, souvent sans liaison apparente entre elles.

La "métropole crue moderne" de Ville n'a pas un statut moins fictif que les autres espaces urbains, puisque "tout goût connu a été éludé (...)". En outre, la vision du moi poétique, ici expressément subjective, se réfère autant, sinon plus, à la mythologie grecque qu'à une réalité extérieure.

Si la fonction poétique d'un texte se manifeste, comme le veut Roman Jakobson, en ceci "que le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l'objet nommé ni comme explosion d'émotion", si la "poetiate" se révèle en ceci "que les mots et leur syntaxe, leur signification, leur forme externe et interne ne sont pas des indices indifférents de la réalité, mais possèdent leur propre poids et leur propre valeur"B, alors la poésie rimbaldienne apparaît comme une poésie au plus haut degré.

Références et allusions culturelles et liberté du poète.

Rimbaud se sert fréquemment d'allusions et de références culturelles, jusque dans ses titres. Le mot d'acropole, dans Villes I, contient déjà une allusion, puisqu'il nous fait penser à la Grèce, à l'Antiquité, bien qu'il soit lié à "la barbarie moderne". "L'acropole officielle" ne serait-elle pas une sorte de reproduction de Yakropolis, de la "ville haute" d'Athènes, tout comme on "a reproduit toutes les merveilles classiques de l'architecture"? Les idées d' "acropole" et de "merveilles classiques" seraient susceptibles de se rejoindre. Même le terme de "barbarie" n'est pas sans justifier une telle lecture, puisque les barbares étaient les non-grecs, les étrangers. Dès lors, il est pour le moins curieux de constater que la seconde (et dernière) fois que Rimbaud emploie l'expression "acropole", elle est suivie par une phrase où le moi poétique et le lecteur implicite semblent tous deux inclus dans le nom "étranger": "Pour l'étranger de notre temps la reconnaissance est impossible".

Le poète ne se borne pas, cependant, à des allusions à l'antiquité grecque. A titre d'exemple, "Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères". On sait que le règne de Nabuchodonosor 11, au Xe siècle avant notre ère, marqua l'apogée de l'empire néo-babylonien. Le nom est donc, aussi, lié à l'idée de Babel. L'article indéfini indique bien qu'il s'agit d'une image. Quoiquel'épithète

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quel'épithètedonne au personnage nommé une origine scandinave, il y a lieu de
s'étonner des efforts d'Antoine Adam en vue d'identifier la ville décrite au Stockholmde
Bernadotte, roi de Suéde et de Norvège^.

C'est dans Villes II que se trouvent le plus grand nombre d'allusions et de références culturelles. Même Bagdad, mentionnée vers la fin, en est peut-être une: Atle Kittang rappelle que "Bagdad est bien le lieu magique des contes orientaux"^. II ne faut en aucun cas y lire une référence réaliste, mais une évocation ayant à peu près la même fonction que "les Rolands", "Vénus", "Mabs" "Diane", "les Bacchantes", pour citer les noms littéraires et mythologiques queje commenterai par la suite.

Prenons d'abord Vénus. Son apparition, à la vingtième ligne, semble sans motivation aucune. A la septième ligne, il est pourtant question de "fêtes amoureuses". Et entre la première et la seconde mention de la déesse de l'amour, sont cités des "cortèges de Mabs", Diane et les Bacchantes. Ces références ont toutes quelque rapport thématique avec Vénus. Plusieurs commentateurs ont relevé que "Mabs", malgré le pluriel, renvoie au théâtre de Shakespeare. Mais il faut préciser: au premier acte de Roméo et Juliette, ce drame, par excellence, de l'amour tragique, Mercutio parle de "la reine Mab" (Queen Mab), en la présentant comme "l'accoucheuse des féeries" (the faines' midwife), et l'associant au rêve et à l'amour.

Les Bacchantes, quant à elles, étaient, on le sait, les compagnes de Dionysos, le dieu de la vigne, du vin, de l'extase et, au sens large, de l'érotisme. Les Bacchantes aussi bien que Vénus forment un contraste significatif avec Diane, la déesse de la Lune et de la chasse, qui est vierge et chaste.

Si les références à la mythologie sont, certes, tant arbitraires qu'hétéroclites, et si elles ne réduisent en rien l'autonomie du texte poétique qui les exploite librement, tout au moins faut-il admettre qu'il existe un certain lien entre elles. Elles motivent aussi d'autres notations. Donc, s'il est important que la phrase: "les cerfs tètent Diane" renverse des rapports tels qu'ils sont couramment représentés, on peut dire, puisque Diane est la déesse de la Lune, qu'elle n'est pas sans annoncer la dernière partie de la phrase suivante: "(•••) la lune brûle et hurle". Mais certes, cette phrase a également d'autres motivations, de nature phonique, par exemple, ou ludique (c'est en effet le soleil qui brûle, non la lune). Peut-être Rimbaud jouerait-il même, non pas sur l'expression "hurler à la lune", car elle n'existe pas, à ma connaissance, mais sur la locution "aboyer à la lune"?

Par ailleurs, c'est sans doute l'hostilité entre Diane et Vénus, bien connue des récits mythologiques, qui provoque la réapparition de cette dernière juste après l'évocation de la déesse de la chasse. Notonsen outre que l'idée de l'incandescence de la lune n'est pas sans liaison avec celle des "forgerons", mis en rapport avec

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Vénus. En même temps, on sait que l'époux de la déesse de l'amour, Vulcain, était justement forgeron. Et ce n'est pas tout, puisque le nom de Vulcain, subtilementsuggéré, a une parenté phonique avec "vulcan", ce qui est loin d'être insignifiantdans une atmosphère à vrai dire plutôt montagneuse qu'urbaine: dès la cinquième ligne, il est question de "vieux cratères", et "Vénus entre dans les cavernesdes forgerons et des ermites".

Dans cette dernière phrase, Suzanne Bernard voit un clin d'oeil à Siegfried, la troisième partie des Niebelungen de Wagner; de même, les "corporations de chanteurs" de la dixième ligne relèveraient, pour elle, d'un souvenir des Meistersinger du même compositeurll. Du reste, plusieurs commentateurs ont souligné des impressions de théâtre et d'opéra dans Villes 11, des "chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles" jusqu'aux "sauvages Iqui] dansent sans cesse la fête de la nuit", en passant par les "cortèges de Mabs" et les "flottes orphéoniques".

Parmi les références culturelles explicites, notons encore "les Rolands". Roland, célèbre pour avoir sonné non pas la bravoure mais l'olifant, est un héros mythique, défenseur vaillant et fier de la France et des valeurs chrétiennes. A ce titre, il est digne de figurer à côté de Vénus, de Diane et d'autres divinités, dans un texte où le monde païen et le monde chrétien se confondent. De plus, La Chanson de Roland est un des trésors littéraires universels. Depuis son édition princeps de 1837, cette œuvre a presque la même renommée que les Mille et une nuits ("Bagdad"), Shakespeare ("Mabs") ou Botticelli ("la naissance éternelle de Vénus").

Or, les mythes et les grandes créations de l'histoire de l'art et de la littérature sont très librement interprétés et exploités par Rimbaud, qui va jusqu'à les dénaturercomplètement. "Toutes les légendes évoluent (...)", dit-il d'ailleurs. Et le verbe évoluer, lorsqu'il est employé pour la première fois, a comme sujet "les centauresses séraphiques". D'habitude, il n'y a que des centaures mâles, et les séraphins appartiennent à la culture chrétienne. Cet amalgame hétéroclite est, tout au moins syntaxiquement, lié à l'idée de I'"écroulement des apothéoses": on ne déifie plus les empereurs, ni aucune autre figure historique ou culturelle. C'est la fête, suggérée à bien des reprises, par exemple à travers l'image des "flottesorphéoniques", image qui contient également une allusion à Orphée; mais c'est la fête moderne, permettant qu'on s'empare de n'importe quels éléments du passé pour s'en servir à sa guise. C'est tout d'abord une fête poétique d'où rien n'est exclu a priori: le texte est une auto-célébration, et notamment une célébrationde sa liberté par rapport aux conventions linguistiques établies et par rapport à toute tradition culturelle. Dans sa lettre tant commentée à Paul Demeny, du 15 mai 1871, Rimbaud conçoit, on le sait, le poète comme un voyant, un Prométhéemoderne:

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(...) le poète est vraiment voleur de feu. Il est chargé de l'humanité, des animaux même;
il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme,
il donne forme: si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue; (...)

Si on passe maintenant au texte intitulé Ville, l'évocation des Erinnyes nous retient. Virgile situe les Erinnyes, identifiées aux Furies des Romains, aux Enfers, où elles punissent les coupables. Plusieurs auteurs grecs, au contraire, les représentent pourchassant les méchants sur la terre. Etant donné l'exclamation: "notre ombre des bois, notre nuit d'été!" il faut peut-être savoir qu'elles étaient aussi appelées "celles qui marchent dans l'ombre"l3.

Je signale, en outre, les liens de parenté entre elles et les Titans, ces enfants fabuleux de la Terre et du Ciel. En effet, elles naquirent du sang du Ciel (nommé Ouranos) qui était déjà le père des Titans. C'est un petit détail, certes, mais il est tout de même curieux de noter que la reine des elfes, dans Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, s'appelle précisément Titania. Pourquoi le mentionner? Parce qu'il n'est pas improbable que Rimbaud ait pensé à cette pièce en écrivant "notre nuit d'été!". De surcroît,l'action s'y déroule dans les bois, près d'Athènes.

Pierre Brunel a montré l'importance des Erynnies chez Leconte de Lisie que, bien sûr, Rimbaud connaissait et qui avait déjà, dans sa traduction d'Eschyle, appelé ces Furies des "spectres"l4. De plus, Brunel rapproche directement l'allusion rimbaldienne de 1' Orestie où sont justement associés mort, amour et crime: Oreste commet le crime en donnant à celle qu'il aimait, sa propre mère, la mort. C'est pour cela qu'il est poursuivi par les Erinnyes.

L'allusion n'en est pas moins ambiguë. En effet, dans Œdipe à Colone de Sophocle, le héros, qui, loin de l'avoir tuée, s'était marié avec sa mère, est au contraire protégé par les Erinnyes n'apparaissant plus comme "les Terribles, mais (comme! les Bienfaisantes, les Euménides"ls.

Marie-Claire Banquard, qui penche vers une interprétation plus négative, pense pour sa part que la qualification de la Mort, "notre active fille et servante", joue sur la formule chrétienne "votre pieuse fille et servante", dont elle modifierait "le sens tout entier"l6.

Dans tous les cas, il s'agit donc à la fois d'une exploitation de la tradition culturelle et d'une libération par rapport à la même tradition; il s'agit d'une déconstruction, si l'on veut, d'un déplacement, d'une ouverture à un langage poétique inouï.

Toutefois, l'aspect ludique n'est pas limité aux allusions et références. Il est
caractéristique de la poésie rimbaldienne tout entière: aussi paradoxal que cela
puisse paraître, il est, dans une large mesure, systématique.

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Jeu et système.

La phrase initiale de Villes /est essentielle à cet égard. On y relève les mots-clés: "acropole", "barbarie", "moderne" et "colossales". Ce dernier adjectif prend, en outre, la forme superlative, si fréquente dans ce texte, avec d'autres variantes de l'hyperbole.

Le mot d' "acropole" suggère qu'il s'agit de la partie supérieure de la ville, et, effectivement, l'idée de hauteur se retrouve souvent: "le haut quartier"; "sous le dôme de la Sainte-Chapelle"; "la profondeur de la ville"; "les niveaux des autres quartiers"... Elle est associée aux idées de "colosses" et d"'énormité", idées exprimées soit directement soit par des comparaisons du type "des locaux vingt fois plus vastes qu'Hampton-Court".

En tant qu'il contribue au caractère non-réaliste du texte, le thème de l'énormité n'est pas sans affinités avec celui de l'art, de l'artificiel, de l'artifice, aisément perceptible, des reproductions de "toutes les merveilles classiques de l'architecture" à 1' "armature d'acier artistique". André Guyaux met le thème de l'artificiel et du créé, très répandu à l'époque, en rapport avec l'impression générale d'un certain modernisme, d'un certain futurisme même. Aujourd'hui, on risquerait peut-être la caractéristique vague de "post-modernisme". De toute manière, l'amalgame des anciens styles est tel que toute notion traditionnelle de beauté est dépassée. Mais Baudelaire ne disait-il pas déjà dans son étude sur l'Exposition universelle de 1855: "Le beau est toujours bizarre"ll?

Pour le moi poétique aussi, cependant, "la reconnaissance est impossible": il
n'est pas sûr que certains quartiers soient situés "sur ou sous l'acropole", et il va
jusqu'à renoncer à se faire "une idée des aventuriers d'ici".

Selon Marc Eli Blanchard, la ville entière apparaît comme un objet d'art: la séparation du poète (le sujet) et de la réalité dans laquelle il vit (l'objet) n'a plus d'actualité chez Rimbaud. La poésie rimbaldienne se situerait ailleurs, au-delà de cette problématiquel^. André Guyaux ne semble pas contredire cette lecture lorsqu'il écrit: "La ville a (...) un espace prioritaire: le texte, avec son va-et-vient rhétorique entre l'auteur, promeneur fictif, et le lecteur, guidé par quelqu'un qui l'égaré ou s'égare avec lui; (...)"19. Marie-Claire Banquard, concevant la ville rimbaldienne comme étant de forme carrée, l'appelle, avec une référence à XApocalypse, "une anti-Jérusalem céleste"2o.

J'ai déjà cité des exemples de ce que l'on pourrait, avec un clin d'oeil à Julia Kristeva, appeler la productivité poétique du texte, c'est-à-dire, pour simplifier, de ses élans vers la polysémie, ses élans aussi vers le jeu: Atle Kittang avait de bonnes raisons d'intituler sa thèse Discours et jeu.

En général, c'est sur les plans phonique et thématique que l'aspect ludique est

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le plus évident. Considérons, par exemple, la fonction musicale des s et des c: "officielle" - "conceptions" - "colossales" - "Impossible" - "ciel" - "bâtisses" - "sol" — "singulier" — "classiques" - "J'assiste" — "vastes", etc. Les allitérations foisonnent un peu partout: "Un Nabuchodonosor norwégien"; "exposition de peinture"; "pu" - "plus"; "parcs"-"représentent"; "pont"- "poterne"; "trop mécontent" — "métropole", etc. La répétition de voyelles identiques ou similaires appartient également au registre ludique: "armature d'acier artistique"; "neige"— "chaussée" — "écrasée"; "diligence de diamants"; "Aussi" — "Erinnyes" — "patrie" - "ici" - "ceci" ...

Pour illustrer le jeu thématique, qu'il vaut mieux appeler, parfois, jeu sémantique, je choisis un premier exemple tiré de Villes I: "un bras de mer roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres géants" (lignes 20-22). Il y a de quoi s'étonner! Or, l'image de ces candélabres, pour ne relever que cellelà, n'est pas si insolite dès lors qu'on la considère en rapport avec celle de la nappe. En outre, les candélabres suggèrent une idée de culte religieux, ce qui n'est pas sans motiver l'évocation du "dôme de la Sainte-Chapelle". La couleur du grésil est celle de la mer, et l'allitération relie les "quais" et les "candélabres".

Dans le deuxième paragraphe du même texte, pour prendre un autre exemple, le poète joue sur la polysémie du mot "drame", en écrivant: "A l'idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques [expressément nonexistantes un peu plus haut! P. 8.l doivent contenir des drames assez sombres". Et que dire de 1' "élément démocratique" du dernier paragraphe? André Guyaux propose de lire le signifié "démographique" sous le signifiant "démocratique". Mais "démocratique" n'est-ce pas également une épithète que l'on associe couramment à l'Antiquité grecque, de même que le terme d' "acropole"? De plus, il n'est pas impossible d'y voir une manière ironique de caractériser la "barbarie moderne", où les "les subalternes (...) sont déjà plus fiers que les Brahmas".

Les références historiques hétéroclites, et les références pour ainsi dire géographiques,doivent aussi, dans une large mesure, être considérées dans une perspectiveludique. A titre d'exemple, le dôme de la Sainte-Chapelle, contrairement à Hampton-Court, qui n'est mentionné que pour une comparaison, est situé dans l'acropole même, associée de la sorte à la capitale française. Mais la comparaison qui ouvre le dernier paragraphe démontre bien que l'on n'est pas à Paris: on est partout et nulle part, dans l'intemporalité utopique. C'est ainsi que dans cette ville imaginaire, les boissons fraîches, qualifiées de "polaires", sont payées en "roupies", unité monétaire de l'lnde. Ce détail est surtout motivé, je crois, par l'évocation des "Brahmas" et des "nababs", mots liés à l'lnde justement. Et si le terme de "Comté" rappelle le "County" anglais, l'essentiel du paragraphe final réside plutôt dans le thème de la nature domptée, ce qui est contrasté, ironiquementpar

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mentparle syntagme oxymorique "les gentilshommes sauvages". Du reste, il est
rare que les gentilshommes chassent leurs chroniques; mais ils sont couramment
mentionnés dans les chroniques de chasse.

Il me semble que Rimbaud, à sa manière à la fois ludique et systématique, tend à situer son texte au-delà de l'opposition traditionnelle de la ville et de la campagne, et au-delà de l'antithèse du pessimisme et de l'optimisme. Son propos est d'ordre poétique: décrire un univers purement imaginaire comme s'il était réel. Cette conclusion vaut aussi pour les deux autres textes.

Dépassement de la logique conventionnelle et de la pensée psychologique.

Il n'empêche que dans Villes II aussi bien que dans Ville, la fin pose quelques problèmes herméneutiques. Dans Villes 11, le changement de temps grammatical est assez frappant, puisque le texte est, comme la poésie en général, dominé par le présent. "Et une heure je suis descendu (...)'\ lit-on à la ligne 35. Le passé composé marque une rupture avec la période descriptive qui couvre presque tout le texte. Et il est notable qu'il n'est plus question d'une juxtaposition, comme ailleurs dans ce texte caractérisé par l'asyndète, ainsi que la majorité des textes rimbaldiens. Il faut donc souligner le mot "Et". Mais si cette conjonction introduit une séquence plus narrative que descriptive, les "compagnies [qui] ont chanté la joie du travail nouveau" n'en rappellent pas moins les "corporations de chanteurs géants" du début. Le moi poétique ne quitte donc pas la région décrite, qu'on la perçoive comme des villes ou comme des montagnes, ou comme les deux à la fois. Il descend plutôt dans l'une de "ces Alleghanys" évoquées au début du texte. Dans la dernière phrase de ce paragraphe,le terme de "fantômes" résume en quelque sorte le spectacle tout entier du moi poétique, spectacle plein non seulement de figures fabuleuses, mais aussi de fête et de musique ("/a musique inconnue"), suggérées par une série de verbes, de noms et d'adjectifs mélangeant Yanimal et Yhumain, Yabstrait et le concret, le végétal et le minéral, la montagne et la mer, la campagne et la ville, la mythologie et la littérature ... En général, les oxymores nous frappent.

Jean-Pierre Giusto, quant à lui, pense que "Rimbaud livre en final le sens de la fête saisie dans la vision: pour qu'elle puisse naître il faut que l'homme sache se retrouver dans les régions des désirs", retrouvailles qui seraient facilitées, suggère le même critique, par "les lentes conquêtes scientifiques et techniques"2l.

Atle Kittang, pourtant, insiste sur "l'attitude de regret chez le Moi, c'est-àdiresa distance (regrettée) par rapport à un espace générateur de rêves et de dynamisme "22. Kittang infirme lui-même quelque peu sa lecture, en soulignant "le mouvement ludique de l'écriture" qui, dit-il, effacerait "en partie les effets de

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lisibilité pour permettre au signifiant de déployer librement son énergie ('Bon Bras'/'quELLE BELLE'/'MEs soMMEILs Et MEs Moindres MouveMents')"23. Mais cette observation très pertinente reste sans conséquence pour l'interprétation thématique.

Pour Marc Eli Blanchard, en revanche, la phrase interrogative terminant le texte n'est qu'un regret vide de sens, un geste purement rhétorique qui ne fait que mimer un cliché romantique. Comme toutes les réminiscences culturelles du passé sont constamment dénaturées, l'idée d'un moi poétique séparé de son univers, l'idée d'une plénitude du sujet l'est donc aussi. Ni le moi ni la thématique rimbaldiens ne sont psychologiques, dans le sens, par exemple, du Baudelaire de L'lnvitation au voyage ou du Rêve parisien.

Il faut en outre noter, avec Nathaniel Wing,quele dernier paragraphe de Villes II indique une causalité renversée: la région décrite apparaît comme l'origine, non pas comme la création du rêve ("mes sommeils"). Des explications faisant de l'univers fantastique un résultat de l'activité onirique ne sont pas valables ici. Le texte tout entier dépasse, et subvertit, la logique conventionnelle 24.

Ce même phénomène se retrouve en quelque sorte dans Ville: de prime abord, la logique aussi bien que la psychologie y semblent restituées, et la plupart des interprétations vont en effet dans ce sens. Néanmoins, ce texte n'est pas sans équivoque.

Il n'est donc pas évident que l'univers décrit soit conçu par le poète comme un univers purement négatif, même avec sa pollution généralisée ("l'épaisse et éternelle fumée de charbon"), même avec la misère et la violence. "Que meure la vieille culture ne peut que satisfaire Rimbaud", avance Jean-Pierre Giusto2s.Une constatation d'André Guyaux, plus proche du texte, va dans le même sens:

La première partie du texte révèle (...) une disposition d'esprit qui déprécie le second terme de la comparaison, les peuples du continent, dont la statistique est folle, et valorise le premier terme, la ville, comme on le lit dans cet adverbe exclamatif détaché en fin de phrase: enfin !..

Le même critique relève la logique douteuse permettant au moi poétique d'établir
une relation intrinsèque entre "l'uniformité des vies et leur longeur"27.

La fin de ce texte a posé des problèmes surtout à cause de la conjonction "comme", censée introduire une subordonnée causale qui restera en suspens. Certains, tel Jean-Pierre Giusto, optent pour une erreur de copie; d'autres, tel Atle Kittang, omettent de relever ce détail singulier; d'autres encore, tel André Guyaux, penchent pour une espèce d' "oubli littéraire", si l'on peut dire. Accentuant la rupture marquée par le mot Aussi qui divise le texte en deux parties nettement opposées, ce critique soutient que ce n'est pas la ville, mais la phrase qui "se déconstruit („.)"28.

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On peut, avec Kittang, souligner les thèmes de la clôture et de la A/or/. Mais on peut aussi mettre l'accent, d'une part, sur les allusions et sur l'allégorie et, d'autre part, sur la déconstruction de la syntaxe et de la logique. Dans cette perspective, une lecture thématique centrée sur l'attitude psychologique du moi poétique devant la ville, s'avère problématique.

Silence poétique, silence critique.

Je pense que Marie-Joséphine Whitaker a raison de relever une évolution dans les trois textes étudiés: Villes I est placé "sous le signe de l'architecture et de la peinture", Villes II sous le signe de "la musique et de la danse", tandis que Ville est marqué par l'absence de toute structure définie2^.

Mais si "Rimbaud sacrifie l'architecture aux structures mobiles, l'univers dur aux douceurs de la musique", comme le prétend ce critique, en simplifiant sans doute, si le poète en arrive, enfin, à la suppression du monde extérieur, serait-il, pour autant, justifié de conclure à l'antithèse insurmontable du masculin et du féminin, et même au "dilemme entre le père et la mère", dilemme "ouvrant des percées sur la psychanalyse ijungienne]"3^? Je n'en suis pas tout à fait convaincu, à moins de pouvoir mettre les trois Villes des Illuminations en rapport avec bien d'autres descriptions urbaines; ce qui fonderait mieux l'hypothèse.

Toujours est-il que lorsqu'il atteint une limite au-delà de celle où le poème en prose devient fragment, "tout en images, en répétitions, en fractures", comme l'a montré André Guyaux3l, et lorsqu'il atteint une limite au-delà de celle où la poésie se détache de la psychologie, de la logique et du monde, pour commencer à s'anéantir elle-même, le poète choisit de se taire. Ce silence, affirme Hugo Friedrich, est symptomatique de la radicalité de sa quête32. Peut-être pourrait-on parler d'un silence poétique. C'est un silence à la fois paradoxal et critique, et qui a fait date dans l'histoire de la littérature.

Per Bu vik

Bergen



Notes

1. Ce titre est identique à celui choisi par mon jury de thèse, à Bergen, Norvège, en septembre 1987. A l'occasion d'une soutenance de thèse d'F.tat, il faut, dans les universités norvégiennes, donner deux cours publics, l'un sur un sujet librement choisi, l'autre imposé par le jury. La présente étude correspond à mon deuxième cours, prononcé la veille de la soutenance de ma thèse sur J.-K. Huysmans: La Luxure et la Pureté.

2. Voir Discours et jeu. Essai d'analyse des textes d'Arthur Rimbaud, Bergen/Grenoble, 1975, p. 13-52 et p. 333-344.

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3. Voir "Une complication de texte: les Illuminations", Poétique, n° 34, avril 1978.

4. Article publié dans Minute d'éveil. Rimbaud maintenant, CDU-Sedes "Société des études romantiques", 1984.

5. Ibid.,p. 206.

6. Ibid.

7. La thèse porte en sous-titre Essai sur les Illuminations de Rimbaud (A la Baconnière, coll. "Langages", Neuchâtel; la même maison d'éditions a publié le texte des Illuminations, établi et commenté par André Guyaux, 1985).

8. Roman Jakobson, "Qu'est-ce que la poésie? " (1933-34), Questions de poétique. Paris, 1973, p. 124.

9. Voir les Œuvres complètes de Rimbaud. Édition établie, présentée et annotée par Antoine Adam, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1972, p. 996.

10. Op. cit., p. 243.

11. Voir Le Poème en prose de Baudelaire à nos jours, Paris, 1959, p. 193, note.

12. Cité d'après Lettres du voyant (13 et 15 mai 1871}, éditées et commentées par Gérald Schaeffer//.û Voyance avant Rimbaud, par Marc Eigeldinger, Genève/Paris, 1975.

13. Voir Edith Hamilton, La Mythologie, ses dieux, ses héros, ses légendes (1942), coll. "Marabout Université", Verviers (Belgique), 1962, p. 72.

14. Voir Pierre Brunel, "Mythocritique de 'Ville' ", La Revue des Lettres modernes. Arthur Rimbaud 4. Autour de "Ville(s)"et de "Génie". Textes réunis par Louis Forestier, Paris, 1980, p. 16.

15. Ibid., p. 22.

16. Marie-Claire Banquard, "Une lecture des 'Ville(s)' d'llluminations", ibid., p. 27.

17. Curiosités esthétiques, L'Art romantique et autres Œuvres critiques, éd. Henri Lemaitre, Paris, 1962, p. 215.

18. Voir Marc Eli Blanchard, In Search ofthe City. Engels, Baudelaire, Rimbaud, Stanford French and Italian Studies 37, 1985, p. 142-144.

19. Illuminations, édition d'André Guyaux, p. 134.

20. Marie-Claire Banquard, art. cit., p. 32.

21. Jean-Pierre Giusto, Rimbaud créateur, Paris, 1980, p. 302.

22. Kittang, op. cit., p. 244.

23. Ibid.

24. Voir Nathaniel Wing, Présent Appearances: Aspects of Poetic Structure in Rimbaud's Illuminations, Romance Monogiaphs, number 9, Mississippi, 1974, p. 109.

25. Op. cit., p. 299.

26. Illuminations, édition d'André Guyaux, p. 178.

27. Ibid.

28. Ibid., p. 180.

29. Marie Joséphine Whitaker, "Le problème de l'architecture dans les villes rimbaldiennes". La Revue des Lettres modernes. Arthur Rimbaud 4. Autour de "Ville (s) "et de "Génie ". Textes réunis par Louis Forestier, Paris, 1980, p. 36.

30. Ibid., p. 42-43.

31. Poétique du fragment, p. 190.

32. Voir le chapitre consacré à Rimbaud dans Hugo Friedrich, Structure de la poésie moderne, Paris, 1976.

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Résumé

Certains critiques ont qualifié les textes de Rimbaud d'"illisibles". Ils entendent parla que
la poésie rimbaldienne "ne donne pas de sens".

La présente analyse des trois "Ville(s)" des Illuminations n'en est pas moins une lecture. Tout en admettant qu'une approche de Rimbaud doit se fonder sur une herméneutique autre que celle de l'expressivité, on essaie de faire apparaître, plus clairement que la grande majorité des critiques, la cohérence et le caractère systématique de la poésie rimbaldienne.

L'analyse privilégie l'exploitation ludique, parfois parodique, de références et d'allusions culturelles, ainsi que le jeu sur les possibilités phoniques et sémantiques du langage. Si, comme le veut Roman Jakobson, la "poéticité" se manifeste en ceci "que les mots et leur syntaxe, leur signification, leur forme externe et interne ne sont pas indifférents de la réalité, mais possèdent leur propre poids et leur propre valeur", on a affaire, chez Rimbaud, à la poésie au plus haut degré.