Revue Romane, Bind 23 (1988) 1Les verbes de contrôle métaphoriquespar Johan Rooryck Dans les notes de plusieurs articles récents sur le problème des verbes de montée, (1) a. Cet attentat a empêché la linguistique d'être discutée au dernier congrès (cf. Ces constructions n'ont toutefois jamais reçu une analyse adéquate. Elles ne sont (2) a. "Aussi Jukichi (...) ne pouvait-il que soupçonner ses nerfs d'être malades" (Akutagawa Dans ce qui suit, nous essaierons de présenter une analyse de ces constructions A première vue, les constructions citées ne diffèrent des exemples suivants (3) a. Cet attentat a empêché Eléonore de finir son repas. Dans les phrases de (3), le complément d'objet est de type animé, dans les phrases du type (1), il est inanimé. A cette différence formelle correspond une différence sémantique. On peut observer que les significations des trois verbes dans l'emploi que nous étudions ici diffèrent sensiblement du sens premier de ces verbes qui est exemplifié dans (3). Le verbe empêcher avec un complément d'objet direct inanimé ne signifie plus "interdire", mais "ne pas laisser". De même, soupçonner
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signifie plutôt "croire, penser" que "suspecter". Le verbe permettre se rapproche de "laisser" s'il sélectionne un complément d'objet de type inanimé. On peut parler dans ce cas d'un emploi "figuré" ou "métaphorique" au sens large. Ce changement du sens du verbe principal en fonction des restrictions de sélection d'un complément est un phénomène analogue au changement de sens qui s'observe pour les verbes du type frapper ou amener, pousser. Selon que le sujet de ces verbes est animé ou inanimé, un sens "physique" s'oppose à un sens "psychologique "l : (4) a. Ce goujat a frappé mon client, (5) a. La bonne a amené les enfants promener. Une analyse plus approfondie des deux constructions des verbes du type soupçonner, empêcher, permettre montre qu'il s'agit de deux emplois syntaxiques différents. Dans les phrases de (3), la construction infinitive peut être pronominalisée et focalisée2 : (6) a. Cet attentat en a empêché Eléonore. (7) a. Ce n'est pas de finir son repas que cet attentat a empêché Eléonore, mais de Dans Rooryck (1987), nous avons montré que seules les constructions infinitives des verbes de contrôle possèdent les caractéristiques illustrées ci-dessus: la construction infinitive a une fonction syntaxique auprès du verbe constructeur. Les emplois exemplifiés dans (3) doivent donc être assimilés aux verbes de contrôle. Par contre, les constructions de (1), avec un complément d'objet de type inanimé, (8) a. *Cet attentat en a empêché la linguistique. (9) a. *Ce n'est pas d'être discutée que cet attentat a empêché la linguistique.
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(10) a. Gaston laisse / voit / entend son épouse faire la vaisselle. Les verbes de perception et laisser ne permettent pas de reformuler le complément d'objet direct comme le sujet d'une phrase passive si une construction infinitive est sélectionnée (Blanche-Benveniste et alii (1984:186)). Ruwet (1983: 23 n. 18) a observé que cette contrainte vaut également pour les constructions d'empêcher et soupçonner que nous étudions ici: (11) a. *Elle a été laissée / vue / entendue faire la vaisselle. Malgré ce parallélisme frappant, les emplois des verbes empêcher, soupçonner, permettre avec un complément d'objet inanimé ne peuvent être assimilés aux verbes de perception et laisser. Contrairement au complément d'objet des verbes de perception et laisser, le complément d'objet des emplois verbaux étudiés ici ne peut être extraposé ou pronominalisé: (12) a. Gaston la laisse / voit / entend faire la vaisselle. (13) a. *Cet attentat l'a empêchée d'être discutée. (V —la linguistique) (14) a. *C'est la linguistique que cet attentat a empêché d'être discutée. Le bilan des opérations syntaxiques qui peuvent être appliquées au complément d'objet inanimé et à la construction infinitive des verbes empêcher, soupçonner, permettre semble donc négatif: la passivation, la focalisation et la pronominalisation ne peuvent être appliquées à aucun de ces deux compléments. Il convient pourtant de noter que l'extraposition du complément d'objet à gauche est possible pour les verbes empêcher, soupçonner: (15) a. La linguistique, cet attentat l'a empêchée d'être discutée. Quelle est l'analyse qui peut être proposée pour ces emplois? Pour mieux les comprendre, il faut examiner des constructions qui présentent des contraintes semblables. Dans cette optique, les expressions figées constituent un cas analogue intéressant. Ainsi, le complément nominal des expressions avoir peur, foutre le
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camp, être d'accord ne peut jamais être reformulé par la passivation, la pronominalisationou ( 16) a. Romain a peur./ *Romain l'a./ *C'est peur que Romain a. On peut accepter que seuls les compléments qui peuvent être reformulés dans la phrase exercent une fonction syntaxique auprès du verbe constructeur. Cela nous donne un critère formel pour distinguer les compléments sélectionnés par le verbe constructeur avec une fonction syntaxique des expressions verbales où ce complément n'a pas de fonction, mais fait partie d'un groupe verbal complexe (par exemple [y avoir peurj). Certaines expressions permettent encore une reformulation déterminée, mais il suffit d'y appliquer les autres opérations syntaxiques pour constater que la reformulation en question est toute marginale. Ainsi, rendre justice peut être mis au passif, mais il suffit de focaliser ou de pronominaliser cette phrase passive pour constater que cette passivation est marginale: (17) a. Le roi a rendu justice aux pauvres, (18) a. *C'est justice qui a été rendue aux pauvres. Pour un complément nominal qui exerce une fonction auprès du verbe constructeur, ( 19) a. L'argent a été rendu aux pauvres. D'après le critère que nous venons d'appliquer, les emplois des verbes empêcher, soupçonner, permettre avec un complément d'objet inanimé et une construction infinitive peuvent également être décrits comme des expressions figées. En effet, à l'exception de l'extraposition, toute reformulation du complément d'objet et de la construction infinitive est impossible. En plus, l'absence de pronominalisationdu complément d'objet inanimé montre que l'extraposition à gauche est une possibilité marginale, tout comme la passivation de rendre justice. Les emploisexemplifiés dans (1) doivent être analysés comme des unités verbales complexes.Ces unités verbales diffèrent des expressions figées citées ci-dessus dans la mesure où la réalisation lexicale du complément d'objet inanimé ou de l'infinitif n'est pas figée. Pourtant, nous pouvons analyser les constructions en question
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comme un "moule" syntaxique figé et inanalysable. Ce moule syntaxique prend (20) Cette solution ne doit pas étonner: parmi les expressions figées, il y a des exemples où le choix d'un élément particulier est libre. Ainsi, dans trouver l'air Adj, l'adjectif peut être lexicalisé par un très grand nombre d'adjectifs qualificatifs. Gross (1975: 132, 193) cite des verbes où un complément nominal qui fait partie du verbe peut être lexicalisé comme une partie du corps: battre des Npc, mettre, (21) a. Je lui trouve l'air poétique / fatigué / sévère, etc. Il sera donc clair que les verbes empêcher, soupçonner et permettre ont deux emplois radicalement différents. Le premier emploi sélectionne un complément d'objet animé et une construction infinitive comme des fonctions syntaxiques indépendantes. Le second emploi sélectionne un complément [N ("-An") -V jn f ] qui fait partie d'un verbe figé complexe auprès duquel il joue le rôle de moule syntaxique.
Johan Rooryck F.N.R.S. (Belgique) Notes 1. Pour les constructions du type (4), voir Ruwet (1972: V); pour les deux constructions des causatifs de mouvement exemplifiés dans (5), voir Melis (1983). 2. Contrairement à ce qu'affirme Huot (1981:138), les constructions infinitives des verbes de contrôle peuvent être focalisées. Il est vrai que cette focalisation est influencée par des facteurs discursifs comme la longueur de la phrase principale, la négation dans c 'est ... que ..., ou une phrase contrastive qu'on ajoute. Les exemples suivants peuvent suffire pour montrer ce point: a. ? C'est travailler qu'il désire / veut depuis deux mois maintenant. b. "C'est à élargir au plus vite la masse de ces classes moyennes que Mme Thatcher s'est attachée en permettant d'abord aux locataires de logements sociaux de racheter à bas prix leur maison ou appartement" (La Libre Belgique, 11 juin 1987, p. 2)
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RésuméDans cet article, nous avons voulu étudier la construction des verbes empêcher, soupçonner, permettre avec une construction infinitive et un complément d'objet de type inanimé. Il apparaît que cette construction doit être considérée comme un moule syntaxique figé où le complément d'objet et la construction infinitive ne possèdent pas de fonction syntaxique, tout comme peur dans avoir peur. A côté des expressions figées à élément lexical unique, il faudrait donc distinguer des constructions figées possédant un moule syntaxique figé. Cette analyse montre la complexité des "locutions verbales" en français. BibliographieBlanche-Benveniste, Claire, J. Deulofeu, J. Stéfanini et K. Van den Eynde (1984) Pronom Gross, Maurice (1975) Méthodes en syntaxe. Paris: Hermann. Huot, Hélène (1981) Constructions infïnitives du français: le subordonnant de. Genève-Paris: Kayne, Richard (1981) "On Certain Différences between French and English". Linguistic Kayne, Richard et J.-Y. Pollock (1978) "Stylistic Inversion, Successive Cyclicity, and Move- Melis, Ludo (1983) "The construction of thè infinitive with causative movement-verbs in Rooryck, Johan (1987) Les verbes de contrôle: une analyse de l'interprétation du sujet non Ruwet, Nicolas (1972) Théorie syntaxique et syntaxe du français. Paris: Le Seuil. Ruwet, Nicolas (1983) "Montée et contrôle: une question à revoir". In: Herslund, M. et alii |