Revue Romane, Bind 33 (1998) 2

Povi Skârup : Morphologie élémentaire de Vancien occitan. Muséum Tusculanum Press, Copenhague, 1997. 146 p.

Frede Jensen

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Les études diachroniques étant passées de mode, les chercheurs qui examinent la structure d'une langue parlée autrefois s'empressent d'affirmer que la leur est une étude synchronique d'une langue figée arbitrairement à un certain moment de son évolution. Skârup est lui-même l'auteur d'une Morphologie synchronique de l'ancien français (Munksgaard, Copenhague, 1994). Peu de lecteurs mettraient en doute l'idée que l'ancien occitan (ou l'ancien français) est une entité autonome qui mérite d'être examinée en tant que telle, mais alors pourquoi le mot synchronique a-t-il disparu du titre de l'ouvrage qui nous intéresse ? Le terme choisi pour le remplacer est le mot élémentaire, adjectif qui apparaît souvent dans les manuels avec la valeur pédagogique fondamentale de «qui contient ou concerne les premiers éléments d'une science ou d'un art», comme dans la Grammaire élémentaire de l'ancien français de Joseph Anglade (Armand Colin, Paris, 1965). Allant au-delà de cet usage standard, Skârup donne au mot élémentaire la fonction descriptive de marquer «l'essentiel d'une description synchronique de la langue» (p. 5), mais la distinction entre deux emplois différents du mot, l'un pédagogique et l'autre purement descriptif ne se justifie guère. Une solution évidente aurait été de choisir comme titre L'essentiel de la morphologie de l'ancien occitan, ou encore mieux, L'essentiel de la morphologie synchronique de l'ancien occitan. L'on peut regretter que Skârup puise la plupart de ses exemples dans la compilation de Hamlin, Ricketts & Hathaway, L'introduction à

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l'étude de l'ancien provençal (Droz, Genève, 1985), mais du moins a-t-il utilisé la deuxième édition de cet ouvrage, d'où ont été éliminées la plupart des flagrantes erreurs de la première. Dans l'ensemble, des éditions critiques des textes des troubadours lui auraient fourni des données plus solides pour son travail. Il n'est pas tout à fait clair pourquoi le langage archaïque de la Sainte Foy mérite l'attention qui lui est accordée. D'une part, ce texte bref ne nous fournit que des données incomplètes et, qui plus est, l'idiome dans lequel il est écrit est caractéristique d'une période qui précède la plus grande partie des textes des troubadours de presque deux cents ans. Ainsi, cette étude ne demeure pas rigoureusement à l'intérieur des limites de la synchronie.

Le nombre impressionnant de tables contenues dans ce livre en dit long sur le désir de clarté éprouvé par l'auteur, et pourtant ce n'est nullement un livre qui invite à une lecture rapide. De nombreuses abréviations sont utilisées, les renvois constants peuvent parfois fatiguer le lecteur, et les approches théoriques nouvelles n'éliminent pas toujours le besoin de recourir à des explications plus traditionnelles. Ce qui me semble faire défaut dans cette recherche stimulante, c'est une discussion méthodologique détaillée. Sous sa forme actuelle, je ne suis même pas sûr de savoir ce que veulent dire lia et Ilb.

Sous I, nous trouvons è + palatale (p. 10), mais ceci s'applique au latin plutôt qu'à la langue de la Sainte Foy; cf. lig (v.30) < lëgit. De la même manière, I nous propose ad (+ r) pour Ha et Ilb ai (p. 11), et pourtant la Sainte Foy donne pair' (v.57) < pâtre. Je ne suis pas persuadé que la graphie e puisse parfois représenter ie et o parfois uo (pp. 10,47,54); le temps n'est pas encore venu d'abandonner la théorie traditionnelle selon laquelle la diphtongaison occitane est seulement facultative, ou bien peutêtre géographiquement déterminée. Des mots corne fuoc ou luoc (p. 10) contiennent-ils un k palatal ? A la p. 15, il manque des données pour le i prétonique, ainsi que pour les a et au toniques, de telles données ayant pu être facilement fournies. Le changement de / en / palatal, comme dans nüllu > nulh (p. 19), est un phénomène totalement isolé, qui n'a rien à voir avec la nature de la voyelle précédente, et qui n'est pas non plus géographiquement déterminé. Une telle évolution présuppose la présence d'un yod, comme dans l'étymologie hypothétique *nüllia proposée par Appel (§49). La tentative de faire entrer un exemple de subordination temporelle introduite par can, comme dans iratz e gauzens m'en patirai qan vetrai cest amor de loing (p. 35), dans le cadre des interrogatives mène à des complications excessives. Il y a des exemples extrêmement rares de que dans la fonction de complément d'objet indirect (p. 38); ceci semble limité à des constructions contenant le verbe impersonnel caler : mas selh que d'amor non cal, no pot tant valer (Jensen, §320). Contrairement à ce qui est affirmé à la p. 59, le nominatif masculin am ou ambi (du latin ambo) est bien attesté. Des exemples sont cités par Jensen (§125) : Tro que °tn dolon am mei flanc (G. de Bornelh 18.27); nos ambi es-sems, donam.Jo nostro ort (Chartes 204.1). Le changement de è + -i en -iei comme dans portié, vendiei n'est pas un cas de métaphonie, mais de diphtongaison conditionnée (p. 108).

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La Morphologie élémentaire n'offre pas à ses lecteurs une introduction globale et détaillée à la morphologie occitane, comme l'auteur lui-même l'a souligné ailleurs : «en grammatik, forstâet som en samlet fremstilling af et sprogs morfologi og syntaks, har jeg ikke skrevet» (Hermès 19,1997, p. 69). En fait, le lecteur ne profitera pleinement de cet ouvrage théorique et hautement complexe que s'il l'aborde équipé de connaissances solides en morphologie historique traditionnelle de l'ancien occitan.

Université de Colorado

Travaux cités

Anglade, Joseph (1965): Grammaire élémentaire de l'ancien français. Armand Colin,
Paris.

Appel, Cari (1918): Provenzalische Lautlehre. Reisland, Leipzig.

Jensen, Frede (1994): Syntaxe de l'ancien occitan, Beihefte zur Zeitschrift fur
romanische Philologie 257. Niemeyer, Tiibingen.

Skârup, Povl (1997): En oldfransk ogen oldoccitansk morfologi. Hermès 19, p. 69-74.

Thomas, Antoine (éd.) (1925): La chanson de Sainte Foyd'Agen. Champion, Paris.