Revue Romane, Bind 33 (1998) 2

Marc Wilmet: Grammaire critique du Francais. Duculot/Hachette, Paris, 1997.670 p.

Lene Schøsler

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A la première page de sa grammaire, l'auteur a choisi comme devise cette citation d'Erasme : «On n'a pas à écrire de façon que tous comprennent tout, mais d'une façon qui invite chacun à chercher.» Et c'est en effet là le but de notre collègue belge, de mettre à la disposition de l'étudiant et du professeur une collection de citations provenant d'études grammaticales de date, d'origine et d'orientation très différentes. Cette anthologie grammaticale est accompagnée de réflexions linguistiques mûries par trente années de recherche personnelle. La recherche de première main s'est surtout portée sur le verbe et les déterminants nominaux : déjà par leur ampleur, les deux chapitres y consacrés sont d'une importance toute particulière. Le lecteur appréciera également les prises de position originales ailleurs, par exemple dans le très riche chapitre neuf.

Le livre a été conçu dans un but pédagogique : l'invitation à la discussion grammaticale, et déjà sa présentation reflète bien l'ambition de son auteur : les citations sont clairement séparées du corps des textes, les prises de positions formulées par exemple par la linguistique américaine sont citées dans leurs adaptations françaises (par exemple par Ruwet, p. 49) ou bien résumées par l'auteur, par exemple p. 101). Les universitaires Scandinaves apprécieront la place accordée à notre tradition grammaticale ainsi qu'aux orientations actuelles. Le public en dehors de la France profitera non seulement de la présentation parallèle de la grammaire normative de Grévisse et de la version modernisée du Bon Usage de Goosse, mais aussi de la lecture de grammairiens plus rarement consultés et parfois d'un abord difficile, tel Georges et Robert Le Bidois, Damourette et Pichón et surtout Gustave Guillaume. Chaque chapitre est suivi d'une bibliographie sélective.

Le livre se compose d'une introduction (p. 11-31), neuf chapitres (p. 34-582), une
ample bibliographie (p. 585-613) et un très utile index raisonné des termes et des
notions (p. 615-656).

Le premier chapitre discute ce que c'est que «le mot» : l'auteur nous offre par
exemple des définitions graphique, phonétique, sémantique, lexicographique...

Le second chapitre est consacré au nom : à sa définition, son extension et son intention ainsi que ses sous-catégorisations. Ce chapitre se distingue notamment par sa discussion très perspicace et très spirituelle concernant la distinction entre noms communs et noms propres.

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Deux chapitres très courts présentent l'article et l'adjectif, préparant ainsi l'important chapitre cinq sur le syntagme nominal, un des sujets favoris de l'auteur et qui a le format d'une étude indépendante. C'est une promenade guidée et commentée parmi les nombreux travaux dans ce domaine et où non seulement l'étudiant débutant risquerait de se perdre sans le soutien d'un spécialiste ayant le souci pédagogique. C'est ainsi que, à propos de la place de l'adjectif épithète, l'auteur nous offre, soigneusement séparés, des exemples d'arguments sémantiques, stylistiques, psychophilosophique, historiques et culturels (p. 202-203), suivis de l'interprétation personnelle de l'auteur. Dorénavant, si l'on désire se renseigner sur une question grammaticale, telle la postion de l'adjectif - au lieu de glaner dans diverses études consultées avec plus ou moins de bonheur - on pourra, grâce à cette grammaire critique, consulter l'éventail des positions et en plus, les commentaires judicieuses de MarcWUmet.

Le chapitre six est consacré au pronom. On y trouve une présentation très originale et qui reflète la position de l'auteur dans le débat classique sur la nature du pronom : faut-il prendre comme point de départ le nom ou le pronom? Et, par conséquent, doit-on parler de la pronominalisation des noms ou bien de la lexicalisation des pronoms? L'auteur opte pour la dernière position (p. 278) qui est celle de l'Approche Pronominale.

Avec le chapitre sept nous abordons le verbe, autre sujet cher à notre auteur, comme en témoigne l'ampleur : 135 pages. Sont traités successivement le mode, le temps et l'aspect et, ensuite, l'auteur présente ses propres vues sur les effets de sens qui résultent de l'agencement combiné du mode, du temps et de l'aspect.

Mentionnons encore l'originalité de l'étude aspectuelle dans laquelle on trouvera combinés les éléments aspectuels lexicaux, dérivatifs, paraphrastiques comme dans cet énoncé, cité p. 327-328 : «Allait-il enfin arrêter de se remettre sans cesse à pleuviner pendant des heures?» qui, selon l'auteur, combine treize aspects : allait (aspect sécant), enfin (aspect situatif), allait... arrêter (aspect perspectif), remettre (aspect duplicatif), sans cesse (aspect fréquentatif), pleuviner (aspect multiplicatif), pendant des heures (aspect duratif) ...etc., voir la table de la page 328. Traitement qui incitera le lecteur à se demander si - sur ce point de la grammaire - le français se développe dans la direction d'une langue agglutinante ou polysynthétique comme le proposait déjà Hjelmslev.

Le chapitre huit traite, assez brièvement, de l'adverbe, alors que le chapitre neuf, sur la phrase, couvre 148 pages. Ce chapitre, très complexe, discute en détail les problèmes liés à la structure sémantique, syntaxique, thématique et pragmatique de la phrase (voir par exemple les pages consacrées à la topicalisation active, passive, moyenne, impersonnelle, et factitive). Les questions concernant la valence verbale occupent une grande partie de ce chapitre. Le point de vue de référence est celui de Tesnière, et l'auteur distingue trois classes verbales : (1) les verbes copules, (2) les verbes intransitifs et (3) les verbes transitifs directs ou indirects (p. 471). Néanmoins, l'auteur souligne avec justesse les difficultés à définir avec exactitude ce que c'est qu'un complément d'objet et quels seraient les critères pour distinguer un complémentd'objet indirect d'un complément circonstanciel. A ceci s'ajoute les fluctuationsd'usage

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tionsd'usage: les verbes intransitifs employés avec complément d'objet direct («suer l'ennui», p. 478), les transitifs directs avec variante indirecte («applaudir la pièce» - «applaudir à la pièce»), etc. Autant de questions pénibles, à propos desquelles la fameuse citation de Maurice Gross (1969, p. 72-73) reprise à la page 480, nous invite à trancher en abandonnant les notions de transitivité et d'objet direct. Tout de même, Marc Wilmet tente une synthèse (p. 488 ss) où il distingue (1) complément, (2) complément adverbial, (3) complément adverbial circonstanciel (p. 490). Malgré le choix de la priorité des pronoms sur le lexique confessé à la page 278, c'est avant tout la pronominalisation qui est utilisée comme critère de valence. Sur ces questions difficiles, comme sur tant d'autres, il faut respecter le refus de l'auteur à proposer des solutions là où il n'en voit pas, témoin cette citation de la p. 489 : «Un épais brouillardcontinue à noyer la ligne de faîte des objets seconds et des circonstanciels obligatoires.»

Les lignes qui précèdent sont le fruit d'une lecture, pas d'une utilisation pratique dans l'enseignement de la Grammaire critique du français. Sans doute, la valeur d'un tel ouvrage ne se laisse vraiment apprécier qu'au cours de l'usage auquel il est destiné. Le but exprimé de son auteur est de nous convier à «une promenade intellectuelle» - et l'on se réjouit déjà à l'idée de suivre Marc Wilmet dans cette promenade linguistique en compagnie d'étudiants «fatigués des inconséquences de la grammaire scolaire».

Université de Copenhague