Revue Romane, Bind 33 (1998) 2

Genèses des fins. De Balzac à Beckett, de Michelet à Ponge. Textes réunis par Claude Duchet et Isabelle Tournier. Presses Universitaires de Vincennes, coll. «Manuscrits modernes», Saint Denis, 1996.228 p. + Bibliographie.

Juliette Frølich

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Après des études génétiques consacrées entre autres à Diderot, Hugo, Stendhal, Sand et Perec, voici un autre important ouvrage dans la collection des Manuscrits modernes du P.U.F. dirigée par Béatrice Didier et Jacques Neefs, une série d'études portant sur ce phénomème en matière littéraire du «comment faire une fin». L'étude des fins, comme celle des incipit, relève de la génétique autant que de la poétique et de la sociocritique, ce postulat est à l'origine des diverses explorations d'une «écriture des fins». Aussi la plupart des analyses se font-elles à base des divers «avant-textes» de la séquence finale repérés dans les manuscrits, dans les scénarios, dans les brouillons. En effet, envisagé dans son processus génétique, le texte final s'ouvrant comme en abyme sur son «avant-texte» rend sensible l'espace de ses possibles, de ses sens virtuels, l'écriture de ses essais, voire la lecture de ses variables et s'offre ainsi comme un fascinant champ d'investigation à la critique littéraire. L'étude remarquable que Guy Sagnes (auquel je désire rendre hommage post mortem) consacre à la séquence

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finale de Madame Bovary est un exemple particulièrement riche des possibles
qu'offre le dossier des avant-textes à un lecteur à la fois savant, attentif et sensible.

Par ailleurs, l'écriture des fins est sujet d'analyse dans le poème de Ponge (Bernard Beugnot), dans Les Mots de Sartre (Philippe Lejeune); elle est étudiée dans Y Histoire de France de Michelet (Paule Petitier), dans L'Assommoir de Zola (Jean-Pierre Leduc-Adine); elle explore sur les manuscrits l'espace de la fameuse «fin» qui ne peut pas en finir dans le théâtre de Beckett (Bruno Clément); enfin, «génétique de l'imprimé» elle s'aventure en quête d'une possible typologie dans les innombrables «fins» que lui propose le roman balzacien (Isabelle Tournier).

L'ouvrage s'ouvre sur un exposé à la fois «réfiexif» et «pensif» de Claude Duchet intitulé «Fins, finition, finalité, infinititude». Tâchant de circonscrire le phénomène «fin» dans tous ses aspects d'écriture, de production, de réception, Duchet en vient à souligner son caractère proprement pluriel exigeant une approche critique, elle aussi, plurielle. Son investigation sera textuelle, thématique et narratologique, rhétorique et socio-littéraire, voire socio-historique, tant il est vrai que «la fin la plus simple qui soit est toujours la résultante d'interférences multiples qui proviennent des règles de l'art, des lois du genre, des topoi de la fin, de l'horizon d'attente, des manœuvres editoriales, de l'anticipation des effets sur le lecteur ou le public, de la mise en perspective de la morale et de la société». Il s'ensuit que l'étude des avanttextes, à partir d'une analyse du manuscrit écrit ou imprimé, doit ce prolonger vers «tout ce qui conditionne la pratique sociale et culturelle des textes». Autrement dit, l'examen des traitements des fins dans la pratique littéraire ouvre la voie d'une recherche nouvelle pour les études textuelles, où «la génétique trouverait à s'articuler avec l'histoire ou la sociologie littéraires comme avec l'esthétique de la réception», une recherche, par conséquent, qui prendrait en compte «aussi bien le co-texte, le contexte et le paratexte que le texte». Et sans aucun doute la recherche collective de Genèses des fins présente un parfait exemple de ce programme et propose ainsi un apport décisif à l'élaboration d'une génétique textuelle à venir. Or, savant, le recueil est aussi amusant par la compétition en fin de volume d'un Télorama de A en Z, exercice ludique en formules de clôture romanesques.

Université d'Oslo