Revue Romane, Bind 33 (1998) 2

Claudia Le Clerc : Die verbale Erfassungvon Lichteindrücken im Französischen. Bine Betrachtung aus lexematischer und prototypensemantischer Sicht Kölner Romanistische Arbeiten, Neue Folge, Heft 76. Librairie Droz, Genève, 1996.299 p.

Bo Laursen

Depuis les travaux d'Eleanor Rosch sur la catégorisation, le vent de la prototypologie souffle dans le domaine lexical. Proposant de nouvelles perspectives sur les aspects du sens lexical qui, dans une optique structuraliste traditionnelle, résiste à la description, la sémantique du prototype a trouvé un écho considérable parmi les lexicologues. Or, la sémantique du prototype n'est pas la pierre philosophale. Comme c'est le cas pour toute théorie, elle permet de résoudre certains problèmes mais en fait apparaître d'autres. Le travail de Claudia Le Clerc est une étude détaillée d'un domaine du vocabulaire français reflétant, de par sa méthodologie, la situation actuelle de la sémantique lexicale qui traverse une période où le structuralisme et la sémantique du prototype se confrontent et s'inspirent mutuellement. Comme l'indique le titre de son ouvrage, Le Clerc propose une vision du sens lexical qui combine ces deux approches. Cette vision lui sert d'outil d'analyse et de description du champ sémantique constitué par 25 verbes de lumière en français {briller, luire, étinceler, scintiller, miroiter, pétiller etc.).

La tentative d'entrecroiser deux approches n'est pas sans poser de problèmes mais elle est intéressante et donne lieu à des discussions méthodologiques nombreuses et très riches. Une des questions en sémantique lexicale qui a fait couler beaucoup d'encre concerne la distinction, si chère aux structuralistes, entre langue et encyclopédie. Inspirée de la sémantique d'orientation cognitive, Le Clerc opte pour une conception du sens qu'elle caractérise comme 'holistique' (holistisch, p. 33), et qui englobe tant les éléments de sens qui sont dus à l'appartenance des mots à des systèmes paradigmatiques et syntagmatiques, que les éléments de sens qui proviennent de l'usage que nous faisons des mots à référer au monde extra-linguistique. Le Clerc défend cette conception large du sens lexical en disant que, contrairement à d'autres domaines du lexique, les verbes de lumière, en raison de leur appartenance au monde immédiat de la perception sensorielle et du vécu pragmatico-affectif, sont inséparables des connaissances dites extra-linguistiques.

Le travail d'analyse se déroule en gros dans deux grandes dimensions. Le Clerc
cherche soit à décrire - en termes de centre et de périphérie - la structure de la

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catégorie 'expressions verbales d'impression de lumière' (Lichteindruck), soit à décrire - sur le modèle de l'analyse sémantique structurale componentielle - les lexèmes appartenant à cette catégorie (parfois nommée 'champ sémantique'). Ces deux démarches parallèles donnent lieu à des discussions tant sur la délimitation de la catégorie (des verbes tels que poindre, vernir et lustrer ne sont pas inclus dans la catégorie) que sur les procédés utilisés pour différencier les lexèmes (en vue de déceler les traits distinctifs du verbe étinceler, Le Clerc choisit d'opposer ce verbe à scintiller et non pas à p. ex. rayonner). Les analyses montrent entre autre que briller, rayonner et luire constituent le centre prototypique de la categorie, et des verbes comme par exemple scintiller, papilloter et brasiller se trouvent dans la périphérie.

Les résultats s'appuient sur des sources empiriques de trois types : dictionnaires, concordances (établies par I'INaLF) analysées par l'auteur, et questionnaires remplis par des locuteurs natifs. Il est évident que des critiques méthodologiques peuvent être adressées à chacun des trois types de sources empiriques, mais le fait que l'auteur se soit servie d'une combinaison des trois renforce considérablement la solidité des résultats. Pour chaque groupe de lexèmes considérés comme étant en opposition immédiate (par exemple briller et luire) l'auteur compare les verbes considérés dans des contextes identiques en vue de déceler des différences sémantiques. A ces analyses viennent s'ajouter les résultats des tests de commutation remplis des locuteurs

Il va sans dire qu'une étude si riche et détaillée d'un groupe de lexèmes représente un intérêt indiscutable pour le travail lexicographique, et il est très intéressant de lire le chapitre que Le Clerc consacre à une comparaison entre ses résultats, et les descriptions sémantiques des mêmes lexèmes trouvées dans un certain nombre de dictionnaires dont Trésor de la Langue Française.

Sans sous-estimer l'intérêt que ce travail représente pour la lexicographie, c'est peut-être sur le plan méthodologique qu'il est le plus intéressant. S'appuyant sur une importante base empirique, le travail de Le Clerc apparaît comme une contribution sérieuse au débat entre le structuralisme et la sémantique du prototype en ce qui concerne leurs différences, leurs points forts et leurs lacunes. Toutefois si Le Clerc avait l'ambition d'intégrer deux approches en une nouvelle approche cohérente, son objectif n'est pas atteint complètement, car ce qui résulte de ses délibérations méthodologiques se présente davantage comme un certain nombre de descriptions parallèles que comme une seule approche véritablement intégrée.

Ecole des Hautes Etudes Commerciales d'Ârhus