Revue Romane, Bind 33 (1998) 2

Causalite et explication: vers une nouvelle approche1

par

Alexandra Kratschmer

1. Notre propos

A l'aide d'une analyse propositionnelle («proposition» entendue ici comme unité de contenu sémantique) cherchant à expliciter les relations sémanticologiques centrales implicites aux concepts linguistiques complexes causal, concessif, consécutif, corrélatif, hypothétique, final et «occasionnel», on se propose de démontrer qu'il existe une différence sémantico-logique nette entre la causalité et les concepts restants.

Le terme «causalité» (en tant que concept extra-linguistique) dénote une relation déterminée (à statut discuté) entre des phénomènes du monde. Le terme «causalité» (en tant que concept linguistique) dénote, pour nous, une stratégie explicative parmi d'autres, construite sur une structure référentielle particulière : en se servant de la stratégie de l'explication causale, le producteur d'un texte (écrit ou oral) stipule qu'il existe un lien (causal) entre deux ou plusieurs phénomènes du monde auxquels il se réfère ainsi «directement». Selon nous, la «causalité en tant que concept linguistique» ne doit pas être définie à travers des critères extra-linguistiques (voir le point 7 de nos arguments à ce propos).

Une autre stratégie explicative consiste en la référence non aux phénomènesdu monde, mais à l'univers logico-cognitif, plus exactement à la structure ordonnée que l'on attribue à cet univers. Selon nous, lés concepts linguistiques concessif, consécutif, corrélatif, hypothétique, final et «occasionnel»sont à analyser comme faisant partie des relations logiques (= relationsentre des jugements, des «propositions», «proposition» entendue ici comme unité dans une déduction logique). On les classe parmi les relations parallèles au syllogisme, construction logique avec laquelle ces relations

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partagent, d'ailleurs, des traits logiques centraux; notamment, leur constructionsur une série de propositions interprétables comme prémisses majeures, mineures et conclusions formant des déductions logiques avec aussi le fait qu'ils demandent un travail d'inférence de la part de l'interlocuteur/lecteur. Le producteur d'un texte qui se sert d'une telle stratégie explicative se réfère ainsi à une description logiquement structurée du monde phénoménologique (auquel il ne se réfère qu' «indirectement») dont la structure sert de base pour l'explication à donner.

En contraste avec la causalité (linguistique), les concepts linguistiques concessif, consécutif, corrélatif, hypothétique, final et «occasionnel» n'ont aucune contrepartie dans le monde extra-linguistique : ils sont par définition des concepts logico-abstraits qui nous aident à structurer notre univers cognitif et par là linguistique.

2. Pour situer notre champ de recherche

Notre champ de recherche est constitué par les stratégies d'explication, cela veut dire les mécanismes linguistiques dont nous nous servons pour donner des causes, des raisons et des motifs de «quelque chose» (on reste volontairement très vague pour le moment).

Notre description se situe au niveau des structures sémantico-logicocognitives, cela veut dire que ce n'est pas le fonctionnement discursif ou pragmatique des explications qui nous intéresse en priorité (pour une telle approche pragmatique de la causalité en français voir Torck 1996). Soulignons tout de suite, que pour nous, l'«explication» et l'«argumentation» sont des concepts nettement distincts : par «explication» on entend des structures sémantiques particulières, alors que l'«argumentation», pour nous, dénote les effets pragmatiques de certaines structures linguistiques (déclenchés par leur sémantique ou leur forme de surface). L'«explication»pe«f donc avoir comme effet pragmatique l'«argumentation», cela veut dire la manipulation plus ou moins réussie de l'univers de croyances de l'interlocuteur. Il est à noter qu'en littérature, on trouve souvent une autre distinction : l'«explication» entendue comme le fait de donner des «causes extralinguistiques» et comme celui de donner des «raisons de dire» (voir plus loin les points 5 et 8). D'un point de vue heuristique, nous considérons comme fondamental de distinguer le côté sémantique du côté pragmatique dans la description des faits linguistiques en question et pour cela, de chercher à élucider l'ambiguïté terminologique.

Soulignons enfin que notre approche descriptive est une approche globalisante: on s'intéresse à sémantique» globale du texte comme produit final et non pas à la dynamique «énoncé par énoncé» des étapes de la (re)construction interprétative entreprise par l'interlocuteur ou le lecteur

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(comme la décrit, par exemple, l'approche de la pertinence de Sperber/Wilson
1986).

3. Notre corpus

Notre modèle descriptif des explications a été développé et testé au cours d'une analyse propositionnelle détaillée des «Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence» de Montesquieu (1734). Notre but ayant été d'analyser le rôle des explications causales dans un texte entier, le choix du texte est tombé sur les Considérations parce qu'il s'agit d'un texte fortement explicatif (ce qui, d'ailleurs, ressort déjà de son titre programmatique) et d'un texte d'une longueur suffisante (140 pages dans l'édition de la Pléiade), mais en même temps gérable. Partant des explications «causales», on s'est vite rendu compte de la variété des stratégies explicatives et surtout de cette bipartition référentielle entre phénoménologie et logique.

Notre corpus définitif comporte environ 1160 contextes explicatifs (mais
nos conclusions théoriques se basent sur un nombre encore plus élevé de
contextes analysés dans des études préliminaires).

En ce qui concerne la pertinence d'un texte du XVIIIe siècle comme corpus d'une étude moderne, il faut noter que les phénomènes observés sont les mêmes que ceux observés par des études sur un matériau français contemporain (on renvoie encore à Torck 1996).

4. La base théorique de notre appareil descriptif

4.1. Causes vs raisons.

Dans le langage de la philosophie et de la théorie de la science, on rencontre
une terminologie exacte qui fait des distinctions très précises quant à la
nature de l'explication (EPW 1, p. 654) :


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La colonne de gauche se réfère aux liens entre des phénomènes du monde : un phénomène 1 (par exemple la pluie) cause un phénomène 2 (par exemple l'inondation de la ville X) qui en est l'effet. La colonne de droite se réfère aux liens entre des jugements ou des propositions à l'intérieur d'une déduction logique. Le modèle prototypique (remontant à Aristote) en est le syllogisme, où une prémisse majeure (une loi) est combinée avec une prémisse mineure (un cas) pour en déduire une conclusion (un résultat, les notions entre parenthèsesreprésentent la terminologie usuelle de la théorie de la science; EPW 1, p. 581s). Le lien entre les prémisses (majeure ou mineure) et la conclusion

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est un lien au niveau du raisonnement logique (il est indépendant du monde). Ainsi Tous les hommes sont mortels (prémisse majeure) se combine avec Socrate est un homme (prémisse mineure) pour nous permettre d'en déduire que Socrate est mortel (conclusion). Une autre notation (plus «moderne»)du même contexte dans sa forme générale peut être la combinaison de la constatation d'une loi en forme d'implication2 :p^q(p = «antécédent» ou «condition», q = «conséquent», «p -*¦ q» = «implication») avec la constatation d'un cas p qui permet la constatation d'un résultat q.

Il faut néanmoins noter que, selon une version (parmi d'autres) de la théorie de la science (Hempel, Popper), les liens causaux dans le monde suivent des lois fixes et sont décrits à travers une référence à une loi générale («covering law model», modèle explicatif qui correspond plus ou moins à un syllogisme (EPW 1, p. 581s)). Mais il s'agit là d'un modèle heuristique qui ne remet pas en question la distinction entre phénoménologie et logique. Pour un panorama historique de la discussion sur le statut ontologique et épistémologique de cause, causalité dans les diverses disciplines scientifiques, voir Kratschmer, en préparation.

En ce qui concerne notre propos, nous considérons comme extrêmement important de garder, sur le plan méthodologique, cette séparation «cause vs raison», tout en soulignant la frontière floue et imprécise qui existe dans l'usage linguistique (quotidien et scientifique) concret : les termes cause, raison et autres sont, par exemple, souvent considérés et appliqués comme synonymes.3 En ce qui nous concerne, nous appelons «causes» les unités sémantiques explicatives données dans une explication causale et «raisons» les unités sémantiques explicatives données dans une explication logique (voir le point 7 pour notre classification de dates linguistiques en «explications causales» et «explications logiques»). Soulignons aussi qu'une «relation causale (linguistique)» ainsi qu'une «relation logique», pour nous, ne se définissent pas à travers des critères extra-linguistiques, mais à travers des mécanismes de référence aux unités explicatives : référence «directe» au monde des phénomènes pour la première vs référence à l'univers logique pour la seconde et, par ce biais, référence «indirecte».

Pour pouvoir rendre compréhensible notre appareil descriptif de base, il
faudra d'abord présenter d'autres distinctions provenant de la philosophie
du langage, ce que l'on fera ci-dessous.

4.2. Etats de choses vs événements.

La distinction entre «état de choses» et «événement» provient de certains courants de la philosophie du langage.4 Il faut néanmoins souligner tout de suite que la discussion à propos des statuts ontologique et sémantique (descriptif), soit de la notion d'événement (voir Casati/Varzi 1996), soit de la

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notion d'état de choses (voir HWP 8, p. 1102ss), est loin detre terminée. Pour cette raison, il n'en existe pas (encore) de notation «standardisée». Un événement (ail. Ereignis) est souvent défini comme unité de base ontologique(au même niveau de l'état : ail. Zustand), laquelle peut être quantifiée et prédiquée. La notation sémantique de Davidson (1967, p. 14) serait par exemple «x (Kicked(Shem, Shaún, x)» où x représente un événement «Shem kicked Shaun»). Comme réalisations linguistiques typiques de cette catégorie, Kevin Mulligan (communication personnelle) compte par exemple les syntagmes dépendant de verbes de perception : [Jean voit) Marie traverser la rue. L'événement serait la seule catégorie ontologique capable de «causer» quelque chose (ce quelque chose étant encore un événement). D'un autre côté, un état de choses (ail. Sachverhalt) serait une unité ontologique supérieure à l'événement, dont la description sémantique se réaliserait à travers une proposition (correspondant à «Satzsinn» selon Frege). Comme réalisations linguistiques typiques de cette catégorie, Kevin Mulligan (communicationpersonnelle) compte par exemple des phrases objectives comme (Jean voit) que Marie traverse la rue ou des noms déverbaux comme le «traversement» de la rue par Marie. Un état de choses ne peut pas être une cause, étant donné qu'il s'agit d'une unité qui se trouve à un niveau supérieur au niveau des relations cause-effet.

Loin d'être une distinction claire, acceptée et indiscutable, cette distinction entre événement et état de chose pourrait néanmoins étayer davantage notre distinction entre explications causales et explications logiques : les explications causales seraient construites sur des descriptions d'événements et les explications logiques seraient construites sur des descriptions d'états de choses (sous forme de propositions).

4.3. La logique monotone vs la logique non-monotone.

A l'intérieur des explications logiques, nous nous servons d'une autre distinctionprovenant de l'univers de la logique : la distinction entre logique monotone et logique non-monotone.5 On en donnera seulement une idée très sommaire en soulignant que l'on n'a pas l'intention de contribuer à la discussion théorique du sujet et que l'on exploitera d'ailleurs d'une manière assez peu orthodoxe l'idée centrale derrière la notion de non-monotonicité. Notre application choquera peut-être des adeptes plus orthodoxes, mais elle nous semble néanmoins tout à fait capable de rendre compte, sur le plan descriptif, de certains faits linguistiques (voir point 9.2.2.3). La logique nonmonotones'est développée en quête de modèles du raisonnement du sens commun plus appropriés (par opposition aux raisonnements de la logique formelle). Dans la logique formelle, monotone, un élargissement de l'ensembledes prémisses conduit à celui de l'ensemble des conclusions. Ce qui

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n'est pas le cas pour le raisonnement non-monotone. Pour les raisonnementsquotidiens, on se base, faute de mieux, sur un ensemble incomplet de prémisses («raisonnements à défaut»6), ce qui peut amener, au cas où nous pouvons élargir notre savoir par une nouvelle prémisse jusqu'alors inconnue, à ce qu'une conclusion antérieure doive être annulée (ceci étant impossible dans la logique monotone; voir van der Hoek/Witteveen 1996, p. iii). Une prémisse (majeure) «tous les oiseaux volent» combinée avec une prémisse mineure «Tweety est un oiseau» nous amènera traditionnellement à la conclusion «Tweety vole». Si nous prenons, dans un deuxième mouvement, connaissance d'une prémisse ultérieure «Tweety est un pingouin», nous sommes forcés d'annuler notre première conclusion pour y substituer la conclusion «Tweety ne vole pas» (exemple pris de Moeschler 1996-97).

4.4. Actions vs événements.7

Toujours à l'intérieur des explications, il faut tenir compte d'une différence qui vient cette fois du monde de la psychologie et de la philosophie de l'esprit. C'est la distinction entre les actions humaines (rationnelles, intentionnées, préméditées, motivées, etc.) et les événements «physiques» qui se produisent dans le monde sans que l'on puisse en confier la responsabilité8 à un agent humain. Il est à noter qu'il ne s'agit pas là de l'événement selon Davidson, bien que ces deux sortes d'événements puissent naturellement coïncider dans un cas concret. Etroitement lié à ce concept d'action est le concept d'«intention» (voir M.E.G. Anscombe pour une analyse de ce concept; elle définit «intentional action» comme «subclass of trie events in a man's history»; elle a aussi un concept «unintentional action» : Anscombe 1957, p. 84 - sa terminologie diffère donc de la nôtre).

Alors que, selon notre analyse, on serait dans le monde des explications logiques aussitôt que nous avons à faire à des contextes impliquant des explications motivationnelles des actions rationnelles humaines (contextes finaux, motifs, buts, occasions, etc., voir point 9.2.2.5), les événements «physiques» peuvent figurer dans des contextes explicatifs causaux ainsi que logiques suivant le choix du producteur du texte de présenter son lien explicatif comme lien entre phénomènes ou comme lien entre prémisses et conclusion. Les actions humaines, bien entendu, peuvent aussi faire partie d'une explication causale ou logique non-motivationnelle : les actions sont alors comme vues de l'extérieur, comme des événements quelconques, abstraction faite des raisonnements intérieurs à l'esprit de l'agent. Avec les explications motivationnelles, on se trouve dans le domaine de la logique actionnelle qui suit, elle aussi, les structures syllogistiques des explications logiques selon notre analyse (voir point 9.2.2.5 ).

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5. Quelques distinctions comparables (mais non identiques) dans la literature

Dans les nombreux ouvrages consacrés à la causalité, à l'explication et à l'argumentation, on trouve souvent des distinctions similaires aux nôtres, mais non identiques. On en donnera une liste non-exhaustive ci-dessous, et, après la présentation de notre propre système (les points 6 et 7), on se limitera (au point 8) à la discussion du système descriptif de Van Dijk 1977, qui semble particulièrement adéquat pour relever les particularités de notre système.

• Davidson 1967 : expression de cause vs explication (relation entre «statements»
et non pas entre événements).

• Vendler 1967 : cause/état de choses («imperfect nomináis») vs effet/événement
(«perfect nomináis»).

• Dakin 1970 : explications causales vs explications de contraintes (règles
sociales).

• Anscombre 1984 : cause («externe») vs argument («créé par le discours»).
• Schiffrin 1985 : causalité externe («facts») vs causalité interne («speaker's
inferences»).

• Lowe 1987 : causes vs raisons (pour actes de langage et pour actions).
• Plantin 1990 : cause logique (basee sur loi «naturelle») vs argumentation
(basee sur conventions sociales argumentatives).9

• De Beaugrande/Dressler 1981 : cause («Ursache» : «condition nécessaire d'un phénomène») vs facilitation («Ermòglichung» : «condition suffisante d'un phénomène») vs raison («Grund» : «relation où une action humaine est une réaction raisonnée à un fait précédent»).

• Previtera 1996 : cause physique vs motif de faire vs motif de dire. Les différences les plus fréquentes entre les systèmes cités et le nôtre sont dues 1) au fait qu'ils se basent souvent sur des critères définitoires extralinguistiques : par exemple Plantin, De Beaugrande/Dressler, Previtera (nos critères concernent les stratégies référentielles) et 2) aux positions divergentes de certaines frontières classificatrices (chez Anscombre par exemple, «argumentation»10 correspond à notre «explication logique»; chez Schiffrin, De Beaugrande/Dressler et Previtera, «causalité» correspond à notre concept superordonné d'«explication»).

6. Notre modèle descriptif

6.1. La proposition.

On se sert d'un modèle propositionnel inspiré par Metzeltin/Jaksche 1983
ainsi que par Metzeltin 1997, avec des simplifications (pour des raisons
d'économie et de pertinence) mais aussi des distinctions ultérieures (pour

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des raisons de nécessité descriptive) venant du domaine de la polyphonie
selon Ducrot (1984, 1990).

Notre modèle est assez peu formel, c'est-à-dire assez proche du langage naturel. On représente une structure superficielle (énoncé par Jean) Je trouve que les vacances sont normalement extrêmement courtes de la manière suivante :

Jean-dire : Jean-juger : vacances-être courtes, degré élevé, 90%

«Jean-dire» indique l'entité discursive qui fait savoir et son acte de faire savoir; nous l'appelons locuteur suivant Ducrot 1984 et 1989; mais tandis que Ducrot attribue également à son locuteur les actes illocutoires («demander», «commander», «avertir» etc.), nous jugeons nécessaire de faire une distinction ultérieure entre un locuteur, qui fait savoir, et un «illocuteur», qui fait les actes illocutoires, mais duquel nous faisons abstraction ici.

«Jean-juger» indique l'énonciateurde Ducrot 1984 et 1989 (= entité discursive qui assume la responsabilité du jugement, de l'attitude épistémique quant à l'énoncé) et son acte énonciatif. D'autres concepts énonciatifs seraient «croire», «penser», «savoir», «vouloir», «craindre», «espérer», etc.

«vacances-être courtes» indique la partie díctale de la proposition (dans la
terminologie de Bally 1965 duquel s'inspirent Metzeltin/Jaksche aussi bien
que Ducrot) avec le sujet logique ainsi que le prédicat logique.
«degré élevé» indique (et on est ici très informel) le degré dans lequel l'énonciateur
juge que le prédicat est vrai pour le sujet logique (ici : «extrêmement»
à la surface). D'autres possibilités seraient «degré minimal», «degré maximal»,
«degré limité», «degré a», «degré > a», «degré < a», etc.

«90%» indique (et ici, on est également très informel) le degré de probabilité avec lequel l'énonciateur juge que le prédicat est vrai pour le sujet logique. Chez Metzeltin/Jaksche, «100%» exprime une constatation, «0%» exprime une négation, «30%» par exemple un «peut-être», «90%» un «normalement» .11 Nous utilisons une notation «vacances -> (être courtes)» pour la négation et l'omission d'une telle indication pour les constatations, en nous limitant à des indications dans les cas restants.

La distinction que fait Ducrot entre locuteur et énonciateur est extrêmementutile pour signaler l'identité de la personne qui raisonne. Dans notre texte, on a un locuteur standard (notamment Montesquieu dans sa fonction d'auteur) qui, pour cette raison, n'est pas signalé chaque fois dans nos formalisations. On signale, par ailleurs, les énonciateurs au cas où ils ne sont pas coréférentiels avec le locuteur. Cela vaut surtout pour les raisonnements finaux. Ces derniers décrivent une manière d'agir réfléchie, «préméditée». C'est toujours le locuteur qui nous fait savoir le raisonnement d'un énonciateur ou, plus exactement, une version du raisonnement imaginée par

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le locuteur. Dans le cas du discours rapporté, on assisterait évidemment à un témoignage plus direct. Dans le cas standard de témoignage «indirect», le locuteur pourrait être décrit comme se dédoublant en un locuteur (qui fait savoir) et en un second énonciateur (qui juge du raisonnement du personnage décrit12).

6.2. Les liens entre les propositions.

Pour exprimer des liens explicatifs en général, nous combinons plusieurs
propositions de la manière suivante (on regarde, évidemment, les explications
comme des relations mterpropositionelles) :

explications logiques :

prémisse majeure
prémisse mineure
conclusion

explications causales:

phenom&ne 1
CAUS
phenomene 2

On souligne qu'on se sert, pour formaliser la référence aux phénomènes du monde, d'une description en termes de sujet et prédicat pareille à celle utilisée pour les états de choses («propositions»), étant donné que 1) on juge suffisant de souligner la distinction par un indice notationnel («CAUS») et que 2) notre propos n'est pas de contribuer à la discussion philosophique (nullement terminée) autour de la problématique des événements.

Les explications logiques sont des structures implicatives. A ce point de la discussion, il nous faut faire une remarque quant à la différence entre l'implication matérielle de la logique formelle et l'implication en langage naturel (voir par exemple aussi la discussion de cette différence chez Ducrot 1991, p. 179ss). On illustre cette différence au moyen d'un exemple ainsi que des tables de vérité. On choisit un exemple volontairement absurde selon une lecture «naturelle» pour souligner le caractère peu utile pour l'analyse du langage naturel des mécanismes de l'implication matérielle. Une implication matérielle «p -> q» comme «s'il pleut tout l'été (= p), le blé se dessèche (= q)» donne une table de vérité comme la suivante où la colonne la plus à droite indique la valeur de vérité que prend l'implication entière («p ->¦ q») selon les combinaisons respectives des valeurs de vérité de p et q isolés :

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De telles conditions de vérité contredisent l'usage que nous faisons des implications en langage naturel. Ce fait prend son origine dans deux principes définitoires de l'implication matérielle : 1) cette dernière se limite à prescrire des régularités inscrites dans la syntaxe et ne prend pas en considération le contenu sémantique des propositions p et q; 2) ces régularités inscrites dans la syntaxe contredisent déjà en elles-mêmes nos intuitions «naturelles» (voir la règle selon laquelle chaque implication a la valeur «vrai», si l'antécédent p a la valeur «faux»).

L'usage naturel exige de la même implication «s'il pleut tout l'été, le blé se
dessèche» une table de vérité comme la suivante :


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Une offre de solution serait une inspiration par la «relevant implication» de la logique connexive (voir Anderson/Belnap 1975, cité selon Van Dijk 1977, p. 55) que Van Dijk note «p > q». Cette implication pertinente prend en considération les contenus sémantiques des propositions en jeu, ce que ne fait pas l'implication matérielle, on vient de le dire.

Nous nous servons d'une notation «p >> q» pour l'implication en langage
naturel (aussi pour nous distinguer par exemple du système d'analyse des
contextes causaux et logiques de Van Dijk que l'on comparera avec le nôtre

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en point 8). Notre notation pour les cas concrets de raisonnements est la
suivante :

[i] (personne X : être homme) » (personne X : être mortelle)
[ii] Socrate : être homme

[iii] Socrate : être mortel

La nature des lois qui sont en jeu est, selon nous, cognitive. Ces lois tirent leur validité de la confiance que l'esprit raisonnant accorde à ces mêmes lois. C'est la tâche de la philosophie (métaphysique) de chercher à savoir si ces lois ont une base extra-linguistique ou ontologique. C'est la tâche de la philosophie de l'esprit et de la psychologie cognitive de chercher à savoir comment ces lois se forment dans la conscience de l'esprit raisonnant. En linguistique, on étudie leurs expressions : les structures linguistiques qui expriment, explicitement ou implicitement, ces lois.

L'auteur de notre corpus utilise, dans ses raisonnements, des lois explicatives présentées comme absolues et d'autres lois présentées soit comme «moins rigoureuses», soit comme des lois qu'il annule lui-même au cours du raisonnement. Pour cette raison, on formalise les lois «dures» au moyen du connecteur «»» et les lois «faibles» par le connecteur «¿». Les lois «dures» sont linguistiquement signalées par des termes généralisants {tous les

..., toujours, en général, chaque fois, etc.) et des termes de nécessité {nécessairement, infailliblement, devoir, etc. : voir car un peuple fier, entreprenant, hardi, et renfermé dans des murailles, doit nécessairement secouer le joug, ou adoucir ses mœurs, par. 13/I13).

Les réalisations linguistiques suivantes signalent une loi «faible» : adverbes {souvent, peut-être), verbes modaux {pouvoir, devoir) etc. (voir par exemple «et peut-être est-ce une règle assez générale» pris de notre contexte (4) plus bas). En plus, toute une sous-classe de nos explications logiques est justement caractérisée par le fait de se baser sur des lois défaisables et défaites : il s'agit des contextes concessifs qu'on analyse comme des contextes où des conclusions invalident des lois, lesquelles, par conséquent, sont marquées par le connecteur «¿» (voir le point 9.2.2.3).

7. Les «pistes» de surface

Les relations d'explication dont les réalisations de surface dans les langues naturelles se présentent assez souvent comme étant relativement homogènes (par exemple à travers des subordonnées introduites par des conjonctions déterminées) ont grosso modo connu un traitement scientifique en tant que variations d'un seul thème (par exemple finalité comme «causalité dans le futur»14 ou consécutivité comme «causalité quantifiée» 15 ). Nous voudrions néanmoins montrer que ces catégorisations sont, d'abord, sémantiquement

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trop imprécises et qu'en plus, elles ne correspondent pas au modèle proposé plus haut. Pour pouvoir éviter des jugements purement «intuitifs», on a besoin de points d'ancrages de surface qui nous aident à classifier les contextes selon les catégories proposées (pour les exemples illustratifs de notre corpus, voir le point 9).

Commençons par la distinction entre les explications causales et les explications logiques/syllogistiques. Nous partons de la prémisse qu'il s'agit d'explications causales dans les cas où le texte présente des verbes causatifs (tuer, augmenter), des constructions causatives (faire faire, laisser faire), des verbes causaux (causer, produire, créer, engendrer, faire (que)), des noms causaux (cause, origine, effet) et des contextes avec le connecteur à cause de. Toutes ces expressions répondent à un schéma sémantique fondamental qui décrit un changement (voir nos exemples (1) et (2) en 9.1. pour les détails).

Puis, nous établissons un choix méthodologique opposé aux analyses classiques : dans celles-ci, on analyse comme contextes causaux aussi des contextes avec par exemple d'autres connecteurs (le vase tomba parce que la porte claqua; la porte claqua et le vase tomba; etc.), avec ordre temporel «renversé» (Moeschler 1996 : Max tomba. Jean l'avait poussé.) ou des contextes caractérisés par l'absence d'indications linguistiques (La porte claqua. Le vase tomba.) où l'interlocuteur (re)construit le lien causal. Selon nous, ces derniers contextes partagent des traits sémantiques avec les contextes logiques/syllogistiques en ce qu'ils demandent un travail d'inférence à partir de l'interlocuteur/lecteur. D'un autre côté, l'inférence n'est rien d'autre qu'un raisonnement logique à base de syllogisme(s) : le producteur d'un texte raisonne et l'interlocuteur/lecteur reconstruit ce raisonnement. Nous avons donc décidé de classifier tous les contextes qui ne sont pas causaux dans le sens qu'on vient de définir parmi les contextes logiques. Et cela vaut aussi pour un connecteur comme parce que, que l'on considère normalement comme le connecteur causal par excellence (ou comme «polysémique» entre une lecture «causale» et une lecture «logique»). De manière plus générale, nous proposons de considérer comme des contextes logiques tous les contextes explicatifs caractérisés par des connecteurs phrastiques16 : ces connecteurs créent des liens caractéristiques entre des propositions, ce qui nous porte, selon notre définition, dans le monde de la logique.

En plus, nous avons classé parmi nos contextes explicatifs logiques beaucoupde contextes avec connecteur «temporel» (quand, lorsque, aussitôt que, etc.) où on pouvait observer une structure dans laquelle une loi est d'abord nommée ou suggérée par le contexte et ensuite démontrée par un cas (introduit, à la surface par une conjonction «temporelle») ainsi que par un résultat.17 De même, il faut compter parmi les explications logiques les contextes superficiels à juxtaposition de phrases (voir ex. (8)) ou avec appositionnominale,

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sitionnominale,verbale etc. (voir ex. (25) pour une apposition avec participe
présent et parfait respectivement), s'il s'agit de contextes que l'on veut classifiercomme

A part ces contextes que l'on vient de nommer, on trouve les phénomènes suivants plus «classiques» de surface textuelle qui indiquent des contextes logiques : formulation explicite de lois par l'usage de termes généralisants et de termes de nécessité (voir plus haut en point 6.2. pour des exemples); des connecteurs logiques : donc, or, car. En ce qui concerne le statut de quelquesuns de ces derniers connecteurs, on peut s'appuyer sur des travaux genevois (Rossari/Jayez 1996-1997; Rossari/Jayez 1997). Les auteurs rangent des connecteurs comme donc, alors, de ce fait et du coup parmi les connecteurs appelés inférentiels (Rossari/Jayez 1997, p. 2s). Dans leur modèle, un énoncé comprend un contenu propositionnel (CP = la structure predicative), une attitude propositionnelle (ATT; «penser», «vouloir», ...) et une force illocutoire (FI; «constater», «demander», etc.). L'attitude propositionnelle est entendue comme la représentation formelle du raisonnement. Rossari/Jayez font voir que le connecteur donc porte justement sur l'attitude propositionnelle de l'énoncé de son côté droit (Rossary/Jayez 1977, p. 22) et ils classent ce connecteur parmi les marqueurs d'implication enthymémique (Rossari/ Jayez 1996/1997).

La majeure partie des contextes logiques ne représentent pas de syllogismes complets, mais justement des enthymèmes (c'est très souvent la prémisse majeure qui reste implicite, mais on trouve aussi des conclusions et des prémisses mineures implicites; voir point 9.2.1. pour des exemples) : c'est ici, que le travail inférentiel de l1l1 interlocuteur/lecteur est nécessaire pour compléter l'explication. A part les déductions (où le producteur part d'un cas et d'une loi, souvent implicite, pour en tirer une conclusion), on trouve aussi des inductions (le producteur part d'un résultat et d'un cas et en construit une loi) et des abductions (le producteur part d'un résultat et d'une loi et en construit un cas; on suit ici les définitions de déduction, induction et abduction proposées par C.S. Pierce : voir Hookway 1985, p. 30-31). Nous proposons d'appeler les trois dernières formes de stratégie explicative raisonnements non-particuliers. On les distingue ainsi des raisonnements particuliers que seraient les raisonnements consécutifs, corrélatifs, concessifs, hypothétiques, finaux et «occasionnels». Ceux-ci se distinguent des premiers par une structure sémantico-logique plus spécialisée ou élaborée et normalement par des marqueurs superficiels bien déterminés qui les rendent plus faciles à décoder dans un texte (voir point 9.2.2).

En analysant les contextes explicatifs de notre corpus, nous nous sommes
rendu compte que les réalisations linguistiques des explications causales se
passent de toute référence à une loi générale, ce qui est tout à fait contraire à

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ce que laisserait supposer le covering law model de Hempel. Il suffit que le locuteur constate ou mieux, stipule (à travers les moyens linguistiques appropriés, voir en haut) un lien causal entre deux phénomènes de la réalité extra-linguistique. D'un autre côté, une explication logique demande toujours une loi générale (implicite ou explicite) d'où on peut (avec un cas actuel) tirer une conclusion. Une explication causale impose ainsi au locuteur de moindres restrictions pragmatiques ou référentielles : i) il n'a pas besoin de s'engager en proclamant l'existence d'une loi qui pourrait être démontrée falsifiable, ii) il peut se référer à des phénomènes uniques (qui, par définition, ne peuvent pas être soumis à des lois générales).

En plus, le producteur d'un texte peut présenter l'explication d'un même contexte soit comme lien causal soit comme lien logique : dans notre corpus, il y a de nombreux cas, où l'auteur Montesquieu présente successivement le même contexte au moyen des deux stratégies (voir point 9.3.2. pour des exemples). Ce choix peut être déterminé par des facteurs purement stylistiques (variatio rhétorique entre par exemple des expressions causales et des expressions avec connecteurs phrastiques), mais aussi par les facteurs pragmatiques ou référentiels dont nous avons déjà parlé. Ce choix a des limites : dans les cas particuliers où trop de prémisses resteraient implicites ou devraient se reconstruire, le choix tomberait plutôt alors sur une stratégie causale. Comparez par exemple La fondation d'Alexandrie avait beaucoup diminué le commerce de Carthage (par. 22/IV) avec le commerce de Carthage diminua, car Alexandrie avait été fondée qui créerait une espèce d'attente d'explications ultérieures (qui seraient, d'ailleurs, fort complexes : avec des lois comme si une ville X aun commerce florissant et si une autre ville Y est fondée, et si celle-ci développe un commerce florissant, et si ce commerce florissant devient plus important, le commerce de la ville X diminuera; avec des prémisses mineures comme étant donné que Carthage avait un commerce florissant et qu'Alexandrie fut fondée etc. etc., et finalement avec une conclusion : donc ....). Dans d'autres cas, on préférera des présentations inductives ou abductives (voir nos points 9.2.1.2. et 9.2.1.3. pour une définition et une illustration des raisonnements inductifs et abductifs) : par exemple, notre raisonnement abductif de la note 16 il est à la maison parce qu 'il y a de la lumière dans le salon, reformulé en tant que lien causal la lumière dans le salon l'a fait être à la maison, contredit la loi implicite au raisonnement antérieur «(personne X : être à la maison Y) » (lumière : être dans le salon de maison Y)».

Ce choix normalement libre entre des stratégies explicatives causales et logiques pour un même contexte constitue notre argument principal contre une définition extra-linguistique et en faveur d'une définition référentielle des concepts «cause (linguistique)» et «raison» (voir point 4.1). Ce n'est pas

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la nature du contexte à décrire qui déclenche une stratégie linguistique déterminée, du moins jamais directement : on trouve des contextes de causalité «dans la nature» («pluie-inondation») exprimés par des stratégies logiques (par exemple par donc) et on trouve des contextes «raisonnes» («loi juridique-comportement humain») exprimés par des stratégies causales (par exemple par faire faire).

Cette facultativité de choix rend les deux stratégies fonctionnellement équivalentes au niveau discursif/interactionnel (argumentatif) du texte; fait, dont par exemple Torck (1996) rend compte en subsumant les deux stratégies (tout en soulignant leur caractère sémantico-logique différent) sous le terme de causalité discursive. Notre intérêt étant cependant d'analyser ces structures d'un point de vue sémantico-logique, nous considérons comme important d'en faire une distinction théorico-descriptive claire.

8. Comparaison de notre système descriptif avec celui de Van Dijk 1977

A titre d'exemple, nous comparons notre systeme classificatoire avec celui de
Van Dijk 1977.

Le systeme descriptif de Van Dijk des contextes causaux et logiques se
distingue du notre sur bien des points :

1) Van Dijk analyse les contextes causaux et rationnels comme liés à des lois extra-linguistiques (p. 74), alors que nous considérons les contextes causaux comme indépendants de lois, et les contextes rationnels comme liés à des lois «cognitives»

2) Van Dijk définit «une cause» comme «condition suffisante» de son effet
(p. 60); pour nous, «condition» est un terme logique.

3) Van Dijk classine dans la même catégorie descriptive des causes et des
raisons (p. 46); pour nous, les causes sont des descriptions «directes» de
phénomènes et les raisons des unités à l'intérieur d'un raisonnement.

4) Van Dijk catégorise les liens causaux et rationnels (raisons) comme des liens entre des phénomènes et les liens inférentiels comme des liens entre propositions, tout en considérant les liens causaux et rationnels comme faisant partie du domaine de la description sémantique, alors que les liens inférentiels font, selon lui, partie du domaine de la description pragmatique; les liens inférentiels seraient ainsi des liens entre actes illocutoires (p. 86); pour nous, tout cela fait partie de la sémantique.

5) Van Dijk classine entre autres les contextes à connecteurs comme
because parmi les contextes causaux (p. 46), alors qu'il s'agit dans ces caslà,
selon nous, de liens logiques.

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9. Schemas descriptifs et exemples concrets des diverses strategies explicatives

9.1. Explications phénoménologiques : les liens causaux.

Nous avons choisi une notation comme celle montrée en (1) (avec comme effet un événement du type «création», «action humaine», etc.) et (2) (avec comme effet un changement d'état, avec une éventuelle indication de degré - intensité du phénomène exprimé par le prédicat).18 Nous mettons aussi des indications temporelles («tl», «t2» avec tl < t2) pour signaler l'ancrage des phénomènes sur l'axe temporel,19 mais cela sans vouloir prendre position dans la discussion philosophique et épistémologique sur la possible ou nécessaire simultanéité de la cause et de l'effet.

(1)


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(2)


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Voici un exemple concret, avec la construction causative rendre + syntagme
adjectival (3) :

(3) La vue continuelle des combats des gladiateurs rendoit les Romains
extrêmement féroces (...) (par. 6/XV).
[la] Romains : être féroces, degré limité, tl
[2] Romains : voir combats des gladiateurs, t2-tn
CAUS
[2b] Romains : être féroces, degré élevé, t2-tn

On continue avec un exemple qui combine un verbe causal (produire) avec
un terme méta-explicatif causal (effet) (4) :

(4) Ces levées, faites dans les provinces, produisirent un autre effet : les
empereurs (...) furent presque tous étrangers et quelquefois barbares (...)
(par. 14/XVI)
[1] Romains : faire levées dans les provinces, tl - tn-1
CAUS
[2a] empereurs : être étrangers, 90%, t2 - tn (presque tous)
[2b] empereurs : être barbares, 30%, t2 - tn (quelquefois)

Notre dernier exemple se caractérise par une autre expression méta-explicative
très fréquente (faire) (5) :

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(5) Les proscriptions de Sévère firent que plusieurs soldats de Niger se
retirèrent chez les Parthes (...) (par. 11/XVI)
[1] Sévère : proscrire soldats romains A, B, C,.... tl
CAUS
[2] soldats romains A, B, C,... :se retirer chez les Parthes, t2

Pour un exemple avec un verbe causatif (anéantir) voir exemple (26) en
point 9.3.2.

9.2. Explications logiques.

9.2.1. Les raisonnements non-particuliers.

9.2.1.1. Le raisonnement déductif.

Pour le schéma général (syllogisme) voir le point 2, ci-dessus. Comme exemples illustratifs de notre corpus, nous avons choisi un exemple (6) avec le connecteur car (qui, comme le connecteur parce que introduit, selon nous, une prémisse mineure), un exemple (7) avec le connecteur et (qui comme le connecteur donc, introduit une conclusion) ainsi qu'un exemple (8) avec juxtaposition d'une conclusion aux prémisses majeure et mineure :

(6) Les maisons [de la ville de Rome] étoient (...) très petites; car les hommes
(...) ne se tenoientguère dans les maisons, (par. 1/1)
[1] [personne X : -i(se tenir dans la maison)] » [personne X : avoir maison
petite] (prémisse majeure implicite)
[2] les hommes/les Romains : -<(se tenir dans les maisons), dans les commencements
(prémisse mineure explicite)
[3] (la ville de) Rome : avoir maisons petites, degré élevé, dans les commencements
(conclusion explicite)

II faut souligner ici, que les lois reconstruites ne sont pas nécessairement convaincantes pour tout le monde quant à leur validité générale, mais c'est le producteur du texte qui les implique telles quelles dans les contextes, et c'est cela qui nous intéresse, et non pas le statut extra-linguistique ou épistémologique de ces lois.

(7) (...) les Romains (...) furent encore forcés de se soumettre à un tribut [chez
les Avares]; et la majesté de l'empire fut flétrie chez toutes les nations, (par.
4/XXI)


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(8) Enfin, cette affabilité des premiers empereurs, qui seule pouvoit leur donner
le moyen de connoître leurs affaires, fut entièrement bannie. Le prince ne sut
plus rien (...). (par. 7/XVII)


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On a ici un exemple où toutes les parties constituantes sont explicitées.

9.2.1.2. Le raisonnement inductif.

Selon la définition de C.S. Pierce, un esprit raisonnant qui, partant d'un résultat et d'un cas, construit une loi entreprend un raisonnement inductif (voir Hookway 1985, p. 30-31). C'est ce que fait notre auteur dans l'exemple suivant (9) tout en exprimant une certaine réserve (voir peut-être ainsi qu'une règle assez générale) vis-à-vis de la validité de cette loi (on aurait donc une loi «faible», schématisable selon la logique non-monotone : voir notre connecteur logique «¿», ainsi que les indications «80%» exprimant la probabilité élevée (mais non maximale) que l'énonciateur attribue à sa proposition). Le connecteur et signale que la loi est présentée comme «conclusion» à partir du cas et du résultat.

(9) Ce qu'on appeloit I'empire romain dans ce siede-la etoit une espece de republique irreguliere (...); et peut-etre est-ce une regie assez generate que le gouvernement militaire est a certains egards plutot republicain que monarchique. (par. 41/XVI)


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9.2.1.2. Le raisonnement abductif.

C.S. Pierce appelle abduction le mouvement raisonnant consistant en la
construction d'un cas à partir d'un résultat et d'une loi ( Hookway 1985, p.
30-31). Voici un exemple (10) de notre corpus :

(10) D'ailleurs, le Nord s'épuisa lui-même, et l'on n'en vit plus sortir ces
armées innombrables qui parurent d'abord; car (...) ceux-ci [les Huns et
les Goths] (...) attaquèrent avec moins de forces, (par. 2/XX)

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[1] Huns et Goths : attaquer avec moins de force, apres la mort d'Attila
(resultat)


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Car introduit une partie de phrase dont le contenu [ 1] ne peut pas être une explication du contenu de la partie précédente [3a]/[3b]20 («attaques avec moins de forces comme raison d'épuisement»), alors qu'un mouvement inverse est raisonnable («épuisement comme raison des attaques avec moins de forces»). Montesquieu reconstruit donc un cas à partir d'un résultat (et d'une loi implicite [2]). D'un point de vue plus inspiré de l'analyse du discours, on appellerait ce mouvement «étayage, non du contenu d'une proposition, mais de l'acte de son énonciation».

9.2.2. Les raisonnements particuliers.

Les raisonnements particuliers sont normalement caractérisés par des signaux de surface qui les rendent relativement faciles à traiter,21 tout en supposant des mouvements inférentiels comparables à ceux des raisonnements non-particuliers. Ces mouvements inférentiels sont néanmoins plus «spécialisés» (par exemple liés au concept de degré) et souvent plus élaborés (avec un nombre plus élevé de propositions constitutives) que ceux des raisonnements

9.2.2.1. Les raisonnements consécutifs.

Le raisonnement consécutif se signale par des connecteurs exprimant l'idée de degré : si... que; tant... que; tellement... que; etc. On a souvent appelé ce lien «causalité quantifiée». Nous voulons néanmoins montrer qu'on a affaire ici à des mouvements déductifs similaires à ceux présentés en 9.2.1.1. L'énonciateur d'une explication consécutive juge qu'un état de choses est caractérisé par un certain degré d'une de ses composantes et qu'un autre état de choses est caractérisable comme vrai parce que le premier état de choses est justement caractérisé par le degré en question. Cela veut aussi dire que - sous condition d'un degré mineur - le second état de choses ne devrait pas être caractérisé comme vrai (notre terminologie montre qu'on parle de liens logiques). Pour pouvoir faire une telle constatation, on est forcé de se baser sur des lois en relation avec certains degrés : on part d'une loi (qui est ici une loi double, voir ci-dessous) on constate un cas et on en déduit une conclusion.Voici notre schéma général (11) ainsi que notre exemple tiré du corpus (12), où nous avons aussi affaire à un exemple où le locuteur Montesquieuauteurprésente

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auteurprésentele raisonnement d'un autre énonciateur (collectif) que luimême:

(11)


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(12) (...) on [les moines] I'assura [Andronic Paleologue] que Dieu etoit si
content de son zelepour lapaix de VEglise que ses ennemis n'oseroient
Vattaquer. (par. 29/XXII)


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9.2.2.2. Les raisonnements corrélatifs.

Les raisonnements corrélatifs sont des cas spéciaux consécutifs (les équivalents mathématiques s'appellent fonctions) : le degré d'un état de choses dépend du degré d'un autre état de choses. Ils sont linguistiquement signalés par : plus... plus; à mesure que; etc. Le schéma logique respectif (13) contient aussi deux lois, ainsi que (au moins) deux cas avec respectivement autant de conclusions. Les cas illustrent des états de choses à degré différent (qui donnent des descriptions d'états de choses valables à des points temporels différents) et mènent, par conséquent, à des conclusions qui, à leur tour, sont des descriptions d'états de choses valables à des points temporels différents et qui se distinguent aussi entre elles à travers leur indication de degré. On a au moins besoin de deux cas/résultats pour pouvoir noter schématiquement le fait que le résultat diffère selon le cas. Voici notre schéma (13) :

(13)


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Les indications «tl» et «t2» sont à lire comme deux points différents dans le
temps. En voici un exemple chez Montesquieu (14) :

(14) (9) Lepoison22 de la cour augmenta sa force a mesure qu 'ilfutplus separe
(...) (par. 6/XVII)


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9.2.2.3. Les raisonnements concessifs.

Les raisonnements concessifs (15) sont typiquement signalés par des connecteurs comme bien que, quoique, quel(le) que + subjonctif et expriment des conclusions surprenantes. Etant donné un cas déterminé, nous nous attendons à un résultat déterminé, mais nous devons constater que nous nous trouvons confrontés à un résultat différent [iii]. Cela veut dire qu'ici aussi, on part d'une loi [i] sous laquelle le cas présent [ii] devrait tomber en permettant une conclusion déterminée (voir Van Dijk 1977, p. 81 : «the exception to normal courses of events consists in the fact that the antécédent expresses a sufficient condition for the négation of the proposition expressed by the conséquent»; Adam 1992, p. 113 : «(...) MÊME SI laisse entendre que l'on pourrait normalement tirer de la donnée p une conclusion contraire à la valeur (...) de la proposition q. Ce schéma concessif repose sur [Si p alors q] et sur son corollaire [Si non p alors non q]»; Mazzoleni 1996, p. 48 : «causa frustrata»;23 Foolen 1997, p. 7ss : «frustrated expectation»). Dans la majeure partie des cas, le producteur d'un raisonnement concessif explique cette «exception àla règle»24 par une nouvelle condition inattendue [iv] («condition extra» chez nous) qui se joint au cas en question et qui «empêche» le fonctionnement de la loi, en la réformulant et/ou en la précisant. On est ici dans le domaine typique de la logique non-monotone : une nouvelle condition inattendue interdit une déduction déterminée jusqu'ici regardée comme valable. Pour cela, on schématise ces contextes avec le connecteur «¿».


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(15)


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On peut intégrer [iv] dans une nouvelle implication «r » q» ou dans
l'implication originale : «(p A r) » -iq». Le dernier cas donne la nouvelle
déduction «ajournée» (16) :

(16)


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On trouve dans notre corpus, entre autres exemples, celui (17) où la condition extra enrichit la déduction originale par un mouvement consécutif (pour d'autres contextes avec combinaison de plusieurs stratégies explicatives, voir point 9.3). On note le connecteur car qui introduit la phrase exprimant la condition extra :

(17) Cependant, quelle que fut la corruption de Rome, tous les malheurs ne s'y étoientpas introduits; car la force de son institution avoit été telle qu 'elle avait conservé une valeur héroïque, et toute son application à la guerre, au milieu des richesses, de la mollesse et de la volupté (...). (par. 5/X)


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On a souvent souligné (Ducrot 1980, p. 93-130; Foolen 1991 et 1997) que des relations exprimées par mais (relations de contraste) peuvent impliquer ou impliquent toujours l'opposition à une attente. Cela les approche de nos explications concessives. En fait, nous avons classifié dans notre corpus, en tant que contextes concessifs, un nombre élevé de contextes explicatifs signalés à la surface par mais, la phrase introduite par mais exprimant souvent la conclusion surprenante ou la condition extra.26 Alors que Foolen 1997 parle d'un «concessive-adversative complex», on peut très bien, selon

Side 193

nous, considérer ces contextes avec mais comme une sous-catégorie de la
concessivité. De la même manière, nous considérons certains contextes
signalés à la surface par sans comme des contextes concessifs.27

9.2.2.4. Les raisonnements hypothétiques.

Au cours de nos analyses, nous nous sommes rendu compte que les raisonnements hypothétiques (au moins ceux du passé : dans notre corpus, il n'y en a presque pas d'autres28) sont aussi des stratégies explicatives. L'énonciateur offre une description de notre monde «réel» dans le passé opposée à la description valable, tout en signalant que cette description concurrente est déduite d'un ensemble de prémisses qui sont - en partie - celles de la description valable, avec la seule différence qu'au moins une des prémisses mineures (une condition nécessaire) n'a pas la même valeur de vérité que dans cette description. La description valable de notre monde «réel» dans le passé, ainsi que l'ensemble de prémisses d'où est déduite la description, restent implicites, mais peuvent être inférés (voir Ducrot 1991, p. 18829). C'est ici que se trouve l'explication : en disant ce qui aurait été vrai sous la condition C, on explique que ceci n'est pas vrai parce que cette condition C n'est pas valable. Nous appelons anti-mineure et anti-conclusion les propositions (explicites) qui décrivent le monde hypothétique. Les signaux de surface sont la conjonction si, introduisant une phrase subordonnée, ainsi que le mode verbal conditionnel (au passé) dans la phrase principale. On schématise les contextes hypothétiques de la manière suivante (18) :

(18)


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Ducrot 1991 offre une autre analyse plus «discursive» des contextes hypothétiques: «si ... que» est vu comme l'instruction pragmatique «de se placer imaginativement dans la situation «p», et une fois dans cette situation, d'y affirmer «q» » (p. 184). Ducrot propose, pour la formalisation de l'irréel, un opérateur prédicatif SI qui se combine avec l'opérateur copulatif IRR (p. 189). Une analyse similaire se trouve d'ailleurs déjà dans Van Dijk (1977, p. 77) qui voit «if... then» comme «not a connective, but a (monadic) operator together with an 'underlying' conditional, because z/merely indicates that the facts are not to be interpretated in the actual known world» et ajoute uniquement le symbole IF à sa représentation de contextes causaux et rationnels. Mais Van Dijk n'exclut pas une interprétation selon la ligne que nous suivons : «Instead of taking if... then as hypothetically modalized causal

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or implicative connective, we may also take it to represent this implicit
inference, where the ¿/-clause indicates thè assumed premise and the thenclausethe
asserted conclusion, as in thè modus ponens schema (...)».

Notre analyse est illustrée par l'exemple suivant (19), où on a une prémisse mineure ([2]) valable dans le monde actuel ainsi que dans le monde hypothétique (en plus, il faut suppléer les indications linguistiques par notre savoir historique30) :

(19) Bajazet ayant soumis tous les autres sultans, les Turcs auroient fait pour
lors ce qu'ils firent depuis sous Mahomet 11, s'ils n'avoient pas été euxmêmes
sur le point d'être exterminés par les Tartares. (par. 34/XXIII)


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9.2.2.5. Les raisonnements finaux et «occasionnels».

Les contextes finaux se distinguent à la surface par les marqueurs standard comme pour + infinitif, afin que + subjonctif; dans l'idée de + inf; motivé par; dans l'espérance de, vouloir, etc. Mais ils se cachent, selon nous, aussi dans certains contextes avec devoir, falloir, nécessairement, etc. : quand le locuteur/ énonciateur 2 note une telle modalité, on se pose automatiquement des questions comme «nécessaire pour atteindre/éviter quoi ?» ou «sinon ... qu'est-ce qu'il peut attendre ?». De telles modalités n'expriment donc rien d'autre que des raisonnements autour des buts qu'on veut atteindre ou des conséquences qu'on veut éviter par une manière d'agir, donc des raisonnements finaux. On attribue à ces contextes le schéma descriptif suivant (20) qui représente, bien entendu, dans un contexte comme «acteur X fait P pour Q» seulement la partie «pour Q» (la partie «acteur X fait P» est une référence «directe» au monde des événements phénoménologiques; dans le raisonnement, X devient notre énonciateur e) :

(20)


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L'énonciateur e part d'une prémisse majeure qui représente la foi dans sa capacité d'entraîner q par une réalisation de p.31 Il existe, comme prémisse mineure, sa volonté consciente d'obtenir q (cette volonté, on l'appelle motif de baser, elle est éventuellement comparable au terme «purpose» de Van Dijk 1977, p. 174). L'énonciateur combine ses deux prémisses et en déduit la conclusion de vouloir p. Cette volonté, on l'appelle motif direct d'action (éventuellement comparable au terme «intention» de Van Dijk 1977, p. 174) : car, c'est le motif qui le fait agir. Anscombe (1957, p. 78) définit le concept de «raisonnement pratique» (inspiré par le concept aristotélicien de syllogisme pratiqué) par «that the thing wanted is at a distance frorn the immediate action, and thè immediate action is calculated as the way of getting or securing the thing wanted». «Wanting» serait caractérisé par «some kind of action or movement which (the agent at least supposes) is of use towards something, and thè idea of that thing» (1957, p. 69). A propos du terme «moti6> on lit : «I cali a motive forward-looking if it is an intention» (1957, p. 21; elle distingue, d'ailleurs, «forward-looking motives», «backwardlooking motives», «motives-in-general» et «mixed motives»).

Après la présentation du raisonnement, il ne reste au locuteur qu'à constater - la référence au monde externe - que l'énonciateur (= l'agent) a réalisé son plan (qui serait la réalisation de la partie dictale du motif direct d'action). Avec notre motif direct d'action nous avons aussi pu donner une définition logique du concept de moyen ou d'instrument (au sens large). Les contextes avec vouloir faire/chercher à faire peuvent se limiter à impliquer un tel raisonnement, sans indiquer les actions concrètes réalisées dans le but. Il est à souligner qu'un contexte final en soi ne contient aucune information sur le fait que l'agent soit vraiment arrivé à son but en suivant le plan que son raisonnement lui a suggéré. Il existe néanmoins de tels contextes élargis par le locuteur au moyen d'une telle information. On appelle ces contextes calculs réussis. On décrit aussi un calcul réussi au moyen d'une déduction. Cette déduction contient le seul dictum de la prémisse majeure originale formé par l'implication comme sa prémisse majeure («p » q»), l'état de choses autour de l'action concrète comme prémisse mineure ainsi que l'état de choses autour de l'éventualité du but réalisé comme conclusion (il y a aussi des cas d'échec qui sont entre autres descriptibles par des contextes concessifs où une condition extra imprévue fait échouer le calcul). Nous en donnons un exemple avec l'indication que le but a été réalisé (21) (qu'on lise «Grec A» pour «n'importe quel Grec d'une espèce déterminée») :

(21) Toutes les votes furent bonnes pour parvenir aI 'empire: on y alia par les
soldats, par le clerge, par le senat, par lespaysans, par lepeuple de Constantinople,
par celui des autres villes. (par. 9/XXI)

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II y a aussi des contextes finaux plus complexes où l'énonciateur est forcé de faire plusieurs pas de raisonnement (et d'action dans la suite) et qui l'approchent, peu à peu, de son but. De tels contextes sont formellement caractérisés par ce que chaque motif direct d'action devient motif de base, dans un raisonnement ultérieur qui résulte en un nouveau motif direct d'action (voir en bas).

Une fois établi ce schéma général, on peut formaliser un autre concept de la logique actionnelle, notamment l'occasion d'agir. On analyse l'occasion comme double raisonnement final, dont l'un est un raisonnement standard et dont l'autre est un raisonnement plus particulier et où les deux raisonnements se chevauchent de la manière que l'on vient de voir pour les contextes finaux complexes : le motif direct d'action du premier devient motif de base dans le second raisonnement. Voici notre schéma (22) :

(22) A :


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B:


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La partie B du contexte occasionnelle a comme prémisse majeure la foi de l'énonciateur dans sa capacité d'entraîner p par différentes voies [iv] : ces différentes voies sont schématisées par un antécédent à prémisses suffisantes disjonctives (avec «ou» inclusif) (qu'on peut imaginer comme ensemble ouvert). Il existe, comme une des prémisses mineures, la conscience de l'énonciateur d'une volonté d'obtenir p [v] qui est d'ailleurs le résultat d'un raisonnement indépendant (A : [iii]). Une autre prémisse mineure est constituée par la reconnaissance de la part de l'énonciateur d'un état de choses r' qui peut être vu comme suggérant à l'énonciateur de remplir une condition déterminée parmi les conditions suffisantes, notamment (r), plutôt que d'en remplir d'autres pour entraîner p. Cet état de choses représente l'occasion [vi] de l'action [viii] qui suivra la conclusion du raisonnement B [vii] qui, à son tour est constituée par la volonté de l'énonciateur de réaliser r. L'exemple (23) de notre corpus comporte un énonciateur collectif:

(23) [par la destruction des Samaritains la Palestine devint deserte (...) on
affoiblit Vempire, par zele pour la religion] du cote par ou, quelques
regnes apres, les Arabes penetrerent pour la detruire. (par. 41/XX)


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calcul reussi33:


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9.3. La combinaison de liens explicatifs.

Notre corpus contient un grand nombre de contextes où l'auteur combine plusieurs stratégies explicatives pour étayer la même référence historique. Ce qui corrobore, selon nous, essentiellement deux de nos suggestions théoriques et que nous chercherons à démontrer dans les deux paragraphes suivants.

9.3.1. La combinaison de plusieurs liens logiques.

Notre observation selon laquelle l'auteur combine fréquemment plusieurs types de stratégies explicatives logiques (l'un après l'autre ou amalgamés à l'intérieur d'une même déduction) pour étayer le même contexte historique corrobore, selon nous, l'analyse de ces contextes comme étant logiquement et structurellement apparentés, c'est-à-dire construits en exploitant le même mécanisme logico-cognitif qui serait la déduction (au sens large). Nous illustrerons cette proposition à travers deux exemples, le premier (24) montrant un contexte où la conclusion d'un contexte final (plus exactement la proposition exprimant l'état de choses autour de l'action qui suit cette conclusion) sert comme prémisse mineure d'un contexte logique nonparticulier (déductif), le second (25) faisant voir un contexte à éléments finaux et concessifs amalgamés (de plus, nous renvoyons à notre exemple (17) pour un amalgame concessif et consécutif) :

(24) La malheureuse coutume deproscrire, introduite par Sylla, continua sous les empereurs; et il falloit meme qu 'un prince eut quelque vertu pour ne la pas suivre; car, comme ses ministres et ses favoris jetoient d'abord les yeux sur tant de confiscations, Us ne lui parloient que de la necessite de punir, et des perils de la clemence. (par. 10/XVI)

On peut d'abord isoler un contexte final (on prend «jeter les yeux sur»
comme «vouloir jouir de»), où le motif de base [2] est signalé par comme à la
surface :

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Ensuite, [3'j sert de prémisse mineure dans une déduction, ce qui est marqué à la surface par la conjonction car. La prémisse majeure de cette déduction [4] est explicitée (et il falloit même qu 'un prince eût quelque vertu pour ne la pas suivre; le caractère nécessaire de sa condition est marqué par falloir). Cette déduction contient aussi une deuxième prémisse mineure [5] qui est implicite. A la surface, notre dernière conclusion est présentée comme premier élément pour n'être expliquée que par la suite.


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(25) (...) Dioclétien (...) régla qu'ily auroit toujours deux empereurs et deux Césars, //jugea que (...) la dignité de César étant toujours subordonnée, la puissance, partagée entre quatre pour la sûreté du gouvernement, ne seroit pourtant dans toute son étendue qu 'entre les mains de deux. (par. 1/XVII)


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On s'est limité ici à montrer le sous-contexte amalgamé et on se référera,
pour le contexte entier (très complexe), à Kratschmer (en préparation).

9.3.2. La combinaison de liens logiques et de liens causaux.

On a observé que l'auteur de notre corpus combine fréquemment les deux stratégies explicatives causale et logique pour étayer le même contexte historique, combinaison qui nous semble corroborer le fait que le producteur d'un texte peut présenter l'explication d'un contexte déterminé, soit comme lien causal, soit comme lien logique, ce qui confirme à son tour notre position théorique selon laquelle la distinction entre «cause (linguistique)» et «raison» doit se baser non sur des critères extra-linguistiques, mais sur des critères référentiels (voir les points 1 et 7).

Tel est précisément le cas dans l'exemple (26) où Montesquieu utilise
d'abord un terme causal pour expliquer un fait historique déterminé pour
ensuite approfondir cette explication à travers une stratégie logique :

(26) [Justinien, qui favorisa les bleus, et refusa toute justice aux verts, aigrit les deux factions, et par conséquent les fortifia.]™ Elles allèrent jusqu'à anéantir l'autorité des magistrats. \ Les bleus ne craignoientpoint les lois, parce que l'empereur les protégeoit contre elles; \ les verts cessèrent de les respecter, parce qu'elles nepouvoientplus les défendre, (par. 28-29/XX)

[ la] magistrats : avoir autorité, tl

[2] bleus et verts :se fortifier, t2
CAUS (voir anéantir)

[ lb] magistrats : (avoir autorité), t3

D'abord, le verbe anéantir signale une explication causale. L'état de choses autour du résultat du changement (décrit par la proposition [lb]) est par la suite encore expliqué par deux propositions ([4] et [s]) qui jouent le rôle de prémisses mineures dans une déduction dont [ lb] représente la conclusion (la loi [3] est implicite). À la surface, [4] et [5] sont exprimées par des phrases juxtaposées à la phrase exprimant (entre autres) [ lb] (on a marqué ces juxtapositions par «|» dans le texte). Le lecteur est appelé à inférer le lien explicatif (ce qui, pour nous, suffit pour classifier [4] et [5] comme prémisses mineures et non pas comme causes) :


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[4] et [5] sont chacune expliquées logiquement à travers d'autres prémisses ([7] et [9]) respectivement) dont elles représentent les conclusions (on reconstruit les prémisses majeures [6] ainsi que [8]). [7] et [9] sont marquées chacune à la surface par la conjonction parce que (qui, selon nous, marque, comme toutes les autres conjonctions, des liens logiques, étant donné qu'elles marquent des relations entre des propositions qui à leur tour sont les éléments constitutifs des explications logiques) :


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9.4. La négation de liens explicatifs.

Dans notre corpus, il y a un certain nombre de contextes où l'auteur nie qu'un fait historique déterminé en ait causé un autre ou en ait été l'effet (dans le premier cas, il parle d'un fait concret et nie l'existence d'un effet présenté comme possible ou prévisible; dans le deuxième cas, il parle d'un fait concret et nie qu'un autre fait concret en ait été la cause, ce qui revient à dire que les deux faits sont présentés comme causalement indépendants). Quand l'auteur fournit des explications de ce genre, il continue invariablement son explication par des stratégies logiques : soit qu'il donne des raisons à ce qu'un effet prévu ne soit pas arrivé, soit qu'il nous fournisse la/les «vraie(s)» explication (s). Le fait de nier un tel lien implique que l'auteur s'attend à ce qu'il y ait au moins quelqu'un qui s'y attende. Pour pouvoir s'y attendre, il faut qu'on se réfère à une loi générale. L'auteur déclare, par la suite, cette loi implicite comme «désactivée» pour le contexte concret. Ce n'est rien d'autre qu'un mouvement logique concessif dont on trouve la/les condition (s) extra, effectivement, aussitôt nommée(s) à la surface dans le voisinage d'un tel contexte. Tout ceci nous amène à proposer la thèse que toute négation d'un lien explicatif est intrinsèquement un mouvement logique, ceci valant aussi pour les liens causaux niés. On peut, à part l'évidence qu'en donne notre corpus, mettre cette thèse en relation avec des propos tenus indépendamment par d'autres linguistes. D'abord, on renvoie à l'observation, par l'analyse du discours, que la réfutation par l'interlocuteur de contenus propositionnels, d'actes illocutoires ou d'actes énonciatifs entraînent normalement des explications ultérieures de la part de l'interlocuteur (voir par exemple Héritage 1988 à propos du refus d'invitations ou de demandes, ou Kerbrat-Orecchioni 1992 pour une synthèse sur ces «dispreferred acts»; tous les deux cités selon Torck 1996, p. 79).

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Pendant que l'analyse du discours explique ce phénomène en termes de management de la face/atténuation de conflit potentiel, on est tenté de se demander si ce phénomène ne pourrait pas, à part cela, s'expliquer aussi par la structure logique inhérente à la négation de certains liens, structure logique concessive qui «préparerait» la piste à des explications ultérieures en mettant déjà à disposition la structure logique à suivre (il ne semble pas illogique qu'on puisse se servir exclusivement d'autres stratégies que les explicatives pour atténuer un conflit potentiel). Avec cette référence à l'analyse du discours, nous nous sommes déjà assez rapprochés des prises de position de Ducrot (1984, p. 2175.) à propos de sa négation polémique : celle-ci impliquerait un énonciateur qui énoncerait un avis opposé (positif) à celui que l'énonciateur de l'énoncé explicite donnerait et auquel l'énonciateur explicite répondrait en le contredisant (on trouve d'ailleurs le même propos déjà dans Van Dijk 1977, p. 5735). Nos observations corroboreraient cette thèse, si l'on accepte de suivre notre position selon laquelle l'argumentation serait un effet discursif/pragmatique de phénomènes logico-textuels comme, entre autres, l'explication. Ainsi, la thèse soutenue par l'énonciateur implicite opposé serait, dans le cas des explications, la loi que l'énonciateur explicite défait. On illustre notre thèse par l'exemple suivant (27) de notre corpus :

(27) La prise de Rome par les Gaulois ne lui ôta rien de ses forces : l'armée, plus dissipée que vaincue, se retira presque entière à Véïes; le peuple se sauva dans les villes voisines; et l'incendie de la ville ne fut que l'incendie de quelques cabanes de pasteurs, (par. 41/1)

On schématise d'abord ce contexte par un contexte causal nié :


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Ensuite, on le schématise, selon nous plus correctement, comme contexte concessif avec un certain nombre de conditions extra ([4]-[7]), qui sont signalées à la surface par des phrases juxtaposées, mais étroitement liées à la phrase à expliquer par la ponctuation (double point) :


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10. Conclusions

Nous avons essayé de montrer, à l'aide d'exemples concrets provenant du texte hautement explicatif des Considérations de Montesquieu, la différence sémantico-logique entre les explications causales d'un côté et les explications logiques de l'autre. Cette différence est, selon nous, de nature référentielle et non de nature extra-linguistique. Le choix normalement libre d'un producteur de texte entre des stratégies explicatives causales et logiques pour un même contexte constitue notre argument principal contre une définition extra-linguistique et pour notre définition référentielle des concepts «cause (linguistique)» et «raison».

Les explications logiques, qui donnent des raisons de quelque chose, sont construites autour de prémisses majeures et mineures (des lois et des cas) et de conclusions (des résultats). Elles se réfèrent à l'univers des propositions ou des jugements dont elles décrivent les liens respectifs. Parmi les explications logiques, on compte les explications non-particulières (déductives, inductives, abductives) ainsi que les explications particulières (concessives, consécutives, corrélatives, hypothétiques, finales et«occasionelles»).

Les explications causales, qui donnent les causes de quelque chose, réfèrent directement au monde phénoménologique et stipulent des liens entre des éventualités. La référence linguistique à des liens causaux est indépendante de la référence à des lois.

Par un choix théorique fondé sur l'argument que tous les contextes qui demandent un travail inférentiel du récepteur (par exemple les contextes sans signaux explicatifs de surface), ainsi que tous les contextes exprimant des liens entre propositions à travers des connecteurs phrastiques sont des contextes par définition logiques, on réserve le terme de «causalité (linguistique)» exclusivement aux contextes qui sont signalés à la surface par des expressions causatives (tuer, augmenter, faire faire, etc.) et causales (cause, effet, produire, engendrer, à cause de, etc.).

Alexandra Kratschmer

Université de Vienne



Notes

1. Nous présentons ici une partie des résultats d'un travail de recherche postdoctorale financé par l'Académie Autrichienne des Sciences au moyen d'une bourse de trois ans «APART» («Austrian programme for advanced research and technology») commencé en 1994 et terminé en 1997.

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1. Nous présentons ici une partie des résultats d'un travail de recherche postdoctorale financé par l'Académie Autrichienne des Sciences au moyen d'une bourse de trois ans «APART» («Austrian programme for advanced research and technology») commencé en 1994 et terminé en 1997.

2. N.B. Il ne s'agit pas de l'implication matérielle de la logique formelle; voir le point 6, ci-dessous.

3. Cette confusion, quineine vaut pas seulement pour le français, peut même être trouvée dans les grands dictionnaires : pour le français voir GLE, pour l'allemand voir MEL, pour l'espagnol voir EUI, pour l'anglais voir WID, pour le danois voir GL; seule l'encyclopédie italienne UTET en fait une distinction nette.

4. Cet aspect philosophique nous a été signalé par Kevin Mulligan, Genève.

5. C'est à Jacques Jayes, E.H.E.S.S. (Paris) et Genève que l'on doit cette référence.

6. Reiter 1980, cité par Kleiber 1990, p. 110.

7. On doit cette référence à Jean-Paul Bronckard, Genève.

8. Avec responsabilité on a affaire à une notion centrale de la philosophie, de la psychologie et de la jurisprudence, notion étroitement liée à la question de l'intention ainsi qu'à toute éthique actionnelle.

9. Références de Davidson à Plantin citées toutes selon Torck 1996, p. 21-48.

10. On répète que pour nous, «argumentation» dénote des effets pragmatiques dérivant entre autres de l'explication (à son tour fait sémantique).

11. Metzeltin a été critiqué pour cet usage «nonchalant» et «ad hoc» des indications à pourcentages (voir Meyer-Hermann 1995, p. 323 : «même pas discutable», «il est simplement impossible d'objectiver les quantifications proposées par Metzeltin»; notre traduction). On suit néanmoins l'argument de Metzeltin qu'une telle attribution intuitive et ad hoc (suivant le contexte, bien entendu) est suffisante pour remplir d'une manière satisfaisante la majeure partie des tâches qu'une description formelle de langage peut assumer. Certes, si l'on vise à un traitement automatique du langage naturel, il faudra se fonder sur des critères bien plus «palpables» (éventuellement sur la base d'expérimentations psycholinguistiques qui apporteraient des dates en direction de cette «objectivation» mise en doute par Meyer-Hermann). Mais ceci n'est pas notre propos ici.

12. Dans le cas d'un narrateur etc. àla première personne, le locuteur et l'énonciateur sont bien entendu coréférentiels et le deuxième énonciateur devient, pour les cas standard, superflu. Ce dédoublement du locuteur en un second énonciateur devrait être regardé comme le cas standard pour les contextes où un locuteur fait savoir l'opinion d'un énonciateur qu'il a inférée au lieu de l'avoir entendue ou lue.

13. La référence est à lire de la manière suivante : phrase extraite du paragraphe 13 du chapitre I des Considérations de Montesquieu.

14. Voir par exemple Gruppo di Padova 1979, p. 341 (cité selon Prandi 1996, p. 71) : «le finali, esattamente come le causali, stabiliscono une relazione causale» (Prandi classine cette position comme «déconcertante» à moins qu'on n'accepte la distinction kantienne entre causalité «selon la nature» et causalité «en base de la liberté»).

15. Voir par exemple Cuzzolin 1996, p. 104 : «causa intensificata».

16. Cela ne vaut pas pour le connecteur à cause de (qui n'est pas phrastique, d'ailleurs, régissant un syntagme nominal) : à cause de est incompatible avec une lecture inférentielle : *il est à la maison à cause de la lumière dans le salon - comparez avec l'acceptable il est à la maison parce qu 'il y a de la lumière dans le salon. Evidemment, à cause de réalise une référence directe à des liens entre phénomènes (des formes comme on est venu en retard à cause de mon frère sont à prendre comme des ellipses pour à cause de l'action X de mon frère).

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16. Cela ne vaut pas pour le connecteur à cause de (qui n'est pas phrastique, d'ailleurs, régissant un syntagme nominal) : à cause de est incompatible avec une lecture inférentielle : *il est à la maison à cause de la lumière dans le salon - comparez avec l'acceptable il est à la maison parce qu 'il y a de la lumière dans le salon. Evidemment, à cause de réalise une référence directe à des liens entre phénomènes (des formes comme on est venu en retard à cause de mon frère sont à prendre comme des ellipses pour à cause de l'action X de mon frère).

17. La cavalerie carthaginoise valoit mieux que la romaine (...). Dans la première guerre punique, Régulusfut battu dès que les Carthaginois choisirent les plaines pour faire combattre leur cavalerie (...) (par. 24-25/IV).

18. En fait, tous les événements peuvent être décrits comme une forme de changement d'état : la «création» comme le «changement de la non-existence à l'existence», une action humaine «causée» comme «changement de l'état de la nonaction à l'action»; notre distinction notationnelle relève donc plutôt de notre souci de garder nos formalisations proches des réalisations linguistiques «naturelles».

19. Dans nos analyses, on a aussi formalisé des lois avec des indications temporelles comme éléments constitutifs, mais cela est dû au fait que des raisonnements successifs décrivent souvent des étapes successives de l'histoire romaine qu'on veut distinguer de cette manière : voir exemple (17) qui est en contraste avec la période de la grandeur (tl) des Romains.

20. [3b] est, dans notre analyse, même une conclusion de la mineure [3a], relation signalée à la surface par le connecteur et.

21. Voir par exemple Foolen (1997, p. 8) à propos de la concessivité : «The figure of frustrated expectation is cognitively important (...) Such situations thus hâve a high communicative value. It is, therefore, not surprising, that ail languages seem to hâve at least one marker that indicates this relation of frustrated expectation.»

22. On peut reformuler le syntagme nominal le poison de la cour dans une proposition «cour romaine : être corrompue», ainsi qu'il fut plus séparé (= le poison, bien entendu séparé parce que la cour même est séparée) dans une proposition «cour romaine : être séparée».

23. Comme l'indique déjà la terminologie de «causa frustrata», l'auteur regarde la concessivité comme un cas spécial de la causalité, bien qu'il en discute les mécanismes qu'on appellerait logico-déductifs : «l'opinione maggiormente diffusa nella letteratura specialista si può riassumere con le parole di Martin (1987, p. 81) : «dans tout énoncé concessif, on perçoit, sous-jacente (...), une relation hypothétique dont l'antécédent est vrai et dont le conséquent est faux» :» (Mazzolerà 1996, p. 48). Nous prenons cette citation de Martin comme un étayage ultérieur de notre analyse des raisonnements concessifs et hypothétiques (entre autres) en tant que déductions logiques.

24. A propos de la négation de liens explicatifs voir notre discussion point 9.4.

25. [3a] et [3b] sont des explicitations de [3]; [6a], [6b] et [6c] sont des explicitations de [2] : cela veut dire, selon nous, qu'ils ont un statut équivalent dans la déduction en question.

26. Voir l'exemple suivant de notre corpus : Les Romains eurent bien des guerres avec les Gaulois. L'amour de la gloire, le mépris de la mort, l'obstination pour vaincre, étaient les mêmes dans les deux peuples, mais les armes étoient différentes. Le bouclier des Gaulois étoitpetit, et leur épée mauvaise : aussi furent-ils traités à peu près comme dans les derniers siècles les Mexicains l'ont été par les Espagnols, (par. 1/IV). Ici, mais signale la condition extra qui explique la conclusion surprenante «défaite», signalée à la surface par aussi.

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27. Car ils avoient porté les choses au point que les peuples et les rois étoient leurs sujets, sans savoir précisément par quel titre; étant établi que c'était assez d'avoir ouï parler d'eux pour devoir leur être soumis, (par. 27 /VI). Dans ce contexte, sans signale le cas qui, normalement, permettrait la déduction d'une conclusion déterminée (on aurait ici une loi implicite selon laquelle «quine sait pas par quel titre il est sujet, n'est pas sujet»). La structure étant établi (...) exprime la condition extra qui permet la déduction de la conclusion les peuples et les rois étoient leurs sujets.

28. On peut imaginer que les contextes exprimés au présent ou futur grammatical disposent d'une «force argumentative» (interactionnelle-discursive) plus importante que les contextes au passé, par exemple comme instructions d'action (cf. 5Í tu étudies bien, tu vas passer ton examen - je te conseille d'étudier ou même avec une force illocutoire exhortative). On ne peut pas en donner d'indications plus précises à partir de notre corpus qui est, on vient de le dire, presque entièrement limité à des contextes du passé. On répète aussi que l'effet pragmatique des structures explicatives ne constitue pas notre souci central ici.

29. Dans un contexte «si p, q» Ducrot regarde «p» comme présupposé (= «implicite immédiat» du constituant linguistique et non défaisable : voir p. 133) et «q» comme sous-entendu (= «implicite discursif» du constituant rhétorique et ainsi défaisable : voir p. 133); pour rester dans la terminologie de Ducrot, on pourrait donc dire que le «q» «sous-entendu» est justement activé et non pas annulé dans les contextes explicatifs.

30. «faire ce qu'ils firent sous Mahomet II» veut dire «conquérir Constantinople».

31. Comparez Anscombe (1957, p. 35) : «the future state of affairs mentioned must be such that we can understand the agent's thinking it will or may be brought about by the action about which he is being questioned.» N.B. la «question» ici en jeu est la question «pourquoi» dont I'«applicabilité» à des contextes d'action suscitant une réponse quant aux raisons d'agir serait le trait définitoire d'intention pour Anscombe.

32. Selon nos analyses, les structures de surface par + syntagme nominal dans le contexte présent sont des structures exprimant des propositions entières. Ceci nous paraît important à souligner. Le prédicat qu'on choisit à la fin comme substitut est moins important dans ce contexte-ci et peut être discuté.

33. Le contexte permet d'inférer la réussite du calcul.

34. La phrase entre parenthèses qui indique le contexte précédent montre ellemême une structure explicative complexe - on renvoie à Kratschmer (en préparation) pour les détails - ici, on infère un prédicat «se fortifier» du contexte précédent valable pour les factions («les bleus et les verts»); ce prédicat décrit l'événement qui cause l'anéantissement des magistrats.

35. Alors que la contribution de Van Dijk est antérieure à celle du Ducrot, celui-ci insère cette idée de manière systématique dans son système polyphonique (Van Dijk, pour des raisons d'espace et de pertinence - «require separate discussion» -, n'approfondit pas cette idée qu'il lance à côté de deux autres questions regardant la négation).

36. [5] peut être interprété comme conclusion de [4a et b] qui assumeraient ainsi un statut de prémisses mineures.

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Résumé

A l'aide d'une analyse propositionnelle («proposition» entendue ici comme unité de contenu sémantique) cherchant à expliciter les relations sémantico-logiques centrales implicites aux concepts linguistiques complexes causal, consécutif, corrélatif, concessif, hypothétique, final et «occasionnel», nous cherchons à démontrer qu'il existe une différence sémantico-logique nette entre la causalité et les concepts restants. Cette différence est, selon nous, de nature référentielle et non de nature extra-linguistique. Les explications logiques, qui donnent des raisons de quelque chose, sont construites autour de prémisses majeures et mineures (des lois et des cas) et de conclusions (des résultats) et réfèrent à l'univers des propositions ou des jugements dont elles décrivent les liens respectifs. Parmi les explications logiques, on compte les explications nonparticulières (déductives, inductives, abductives) ainsi que les explications particulières (consécutives, corrélatives, concessives, hypothétiques, finales et occasionnelles).

Les explications causales, qui donnent les causes de quelque chose, réfèrent directement
au monde phénoménologique et stipulent des liens entre des éventualités. La
référence linguistique à des liens causaux est indépendante de la référence à des lois.

Par un choix théorique fondé sur l'argument que tous les contextes qui demandent un travail inférentiel au récepteur, ainsi que tous les contextes exprimant des liens entre propositions à travers des connecteurs phrastiques sont des contextes par définition logiques, on reserve le terme de «causalité (linguistique)» exclusivement aux contextes qui sont signalés à la surface par des expressions causatives et causales.

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