Revue Romane, Bind 33 (1998) 1

Maj-Britt Mosegaard Hansen et Gunver Skytte (éds): Le discours : cohérence et connexion. Actes du colloque international, Copenhague, le7 avril 1995. Présentation du colloque par John Pedersen. Etudes Romanes, no 35. Muséum Tusculanum Press, 1996. 149 p.

Anne Ellerup Nielsen

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Les mécanismes de cohérence ont fait l'objet de nombreuses études sémantiques, pragmatiques et cognitives. Etant un noyau d'intérêt pour plusieurs écoles et courants théoriques qui travaillent dans le cadre de la linguistique textuelle et de l'analyse du discours, la cohérence recouvre un large spectre d'éléments dont les connecteurs et les opérateurs argumentatifs ont joué un rôle particulièrement important pour la tradition francophone. Le volume 35 des Etudes Romanes, qui est issu d'un colloque international, prolonge la tradition francophone en l'appliquant sur le champs du discours et l'analyse conversationnelle. C'est un volume qui s'inspire pour une grande partie des méthodes et instruments d'analyse fondés par l'Ecole genevoise. Le colloque auquel se réfère le volume est présenté par John Pedersen. Y sont étudiés une série d'éléments de cohérence tels que les connecteurs pragmatiques, les opérateurs métalinguistiques, les locutions adverbiales, les éléments de reformulation et les particles discursifs.

Le volume ouvre deux perspectives de l'étude des éléments de cohérence. La première est constituée par l'étude monolinguistique et compte les contributions de Jacques Moeschler, T. Nyan, Caria Bazzanella et Maj-Britt Mosegaard Hansen. La deuxième perspective est centrée sur les études contrastives où la production du discours et l'utilisation de marqueurs discursifs spécifiques font l'objet d'analyses appliquées à deux langues. Cette perspective est présentée dans deux contributions, celle de Corinne Rossari et celle de Pierre Bange et de Sophie Kern.

La longueur des contributions est très diverse, l'article le plus long étant de plus de quarante pages et le plus court d'une dizaine de pages, ce qui établit une certaine hétérogénéité de profondeur au niveau des analyses présentées. La plupart des contributions sont rédigées en français, ce qui semble d'autant plus naturel que pratiquement toutes les approches théoriques ainsi que l'empirie étudiée sont d'origine française. C'est pourquoi on peut s'étonner un peu que deux des contribuants, T. Nyan et M.-B. Mosegaard Hansen aient rédigé leurs articles en anglais.

Du côté monolinguistique, les deux premiers articles du volume introduisent le thème du volume en présentant le cadre théorique et méthodologique des travaux. Dans son article Les connecteurs pragmatiques et la cohérence conversationnelle (p. 15-32)Jacques étudie le problème de la cohérence en prenant son point de départ dans l'organisation conversationnelle. Qu'on opte pour une définition formelle,interprétative ou discursive de la notion de cohérence, Moeschler préfère traiter la cohérence en analysant les mécanismes dont le fonctionnement relève d'un niveau d'organisation supérieur à la phrase, à savoir le discours. Plutôt que d'avoir recours aux définitions circulaires qui définissent le discours en termes de cohérence et la cohérence en termes de discours, il prend son point de départ dans les connecteurspragmatiques qu'il considère comme des opérateurs reliant, non pas des unités de discours, mais des unités de type propositionnel, c'est-à-dire un ensemble de

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propositions formant un contexte. Son analyse des propriétés structurelles et fonctionnelles des connecteurs pragmatiques se base sur le modèle genevois de la conversation ainsi que sur la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson. Un des points essentiels de sa contribution est donc de souligner la distinction indispensable entre les critères de définition et les notions de cohérence et de discours. Il insiste ainsi sur la distinction claire et nette entre les éléments constituant un discours (unités de discours) et leurs fonctions pragmatiques et dicursives (actes de langage). Ce faisant, J. Moeschler établit un modèle opératoire pour un type de discours fort complexe qui est celui de la conversation, en ajoutant à la dimension structurelle de l'instrument d'analyse une dimension d'interprétation pragmatique.

T. Nyan, Metalinguistic operators : why they matter to linguistic theory (p. 33-42), base la théorie linguistique sur l'étude des opérateurs linguistiques qu'elle définit avec O. Ducrot comme des connecteurs et des opérateurs argumentatifs. En optant pour une approche anti-objectiviste, et donc anti-référentialiste, elle plaide pour une méthode d'analyse qui permet à la fois de fournir une description interne et externe du point de vue articulé par l'énonciateur. Pour cet appui, elle renvoie à deux approches théoriques : la théorie de l'argumentation dans la langue et la théorie de la pertinence.

La troisième contribution monolinguistique est l'article de Caria Bazzanella Répétition dialogale et conversation (p. 43-54). L'auteur discute les problèmes liés à la classification d'un phénomème plurifonctionelle comme la répétition, phénomène pour lequel elle propose une description scalaire qui s'établit sur une échelle accord/ désaccord. Les répétitions dialogales d'un lexème, d'une partie d'un énoncé, ou d'un énoncé entier, sont donc à la fois des produits linguistiques et interprétatifs qui assurent conjointement la gestion de l'interaction grâce à des mécanismes d'ajustements

Maj-Britt Mosegaard Hansen clôt la perspective monolinguistique par son article Somecommon discourseparticles in spoken French (p. 105-149). En nous présentant des analyses fonctionnelles des particles comme bon, ben, et bien, puis donc et alors, utilisés fréquemment dans le discours conversationnel, elle réussit à mettre un peu d'ordre dans les marqueurs discursifs. A cause de leurs propriétés multifonctionnelles, ils ont souvent été relégués dans les catégories bric-à-brac. L'auteur définit les particles ci-dessus comme des donneurs d'instruction permettant à l'interlocuteur d'interpréter le discours comme une représentation mentale cohérente. A titre d'exemple, bon est analysé comme un marqueur d'acceptation d'un phénomène indésirable. Son emploi est soit interjectif, comme dans l'exemple suivant dont la fonction est interactionnelle :

A. Est-ce que :

B. alors attendez si vous permettez Rene/ si vous permettez Henri Amouroux euh :
j'aimerais que Claude Estier d'abord reponde et ensuite vous interviendrez

A. bon, d'accord, très bien (p. 114)

soit marquant le discours (discourse marking use) :

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... alors au niveau d'Armarna actuellement y a plus rien bon avec les b/ les/ je

crois qu'y a des circuits qui y vont mais nou :s bon on n'y est pas allés... (p. 114) L'étude de Maj-Britt Mosegaard Hasen illustre clairement la grande diversité d'emplois discursifs pour les particles susmentionnés. Néanmoins, cette diversité ne l'empêche pas de montrer, avec Lakoff, qu'il s'agit de marqueurs polysémiques qui sont liés à des noyaux, c'est-à-dire à des prototypes desquels ils se rapprochent plus au moins.

Deux articles dessinent la perspective contrastive de l'étude de la cohérence. Le premier est celui de Corinne Rossari : Considérations sur la méthodologie contrastive français-italien à propos de locutions adverbiales fonctionnant comme connecteurs (p. 55-68). Il s'agit d'une étude empirique sur les connecteurs reformulatifs : 'en effet', 'défait' et 'en réalité". Pour mieux décrire la fonction et l'emploi de ces connecteurs, l'auteur les compare aux connecteurs correspondants de l'italien. La perspective diachronique adoptée lui permet de suivre le passage de telle locution depuis son fonctionnement jusqu'à son emploi figé. Cette approche semble très prometteuse dans la mesure où elle permet d'utiliser les divergences de fonctionnement entre les locutions de deux langues à titre d'explication de leur potentiel de signification à travers différentes étapes historiques.

La dernière contribution aux études contrastives est celle de Pierre Bange et Sophie Kern, La régulation du discours en Ll et en L2 (p. 69-105). Les deux auteurs ont observé les stratégies d'autorégulation (les lapsus, les recherches d'expressions correctes, les erreurs morphologiques et syntaxiques, les marqueurs de cohésion etc.) et d'hétérorégulation, c'est-à-dire interactionnelles (les appels implicites ou explicites au partenaire, les retours à la langue source, les pauses et soupirs, etc.) dans des narrations produites en français et en allemand par des groupes de francophones sur la base d'un livret d'images sans textes.

Il ressort de cette étude quantitative que sur un nombre moyen de clauses plus ou moins identiques en Ll et L2, le nombre total d'autoreformulations et d'hétéroreformulations est respectivement plus de cinq fois et plus de trois fois plus élevé en L2 qu'en Ll. C'est une contribution qui apporte de nombreux détails sur la catégorisation et la fréquence d'éléments de reformulation au point qu'on a du mal à s'y retrouver. Le résultat de l'analyse est en lui-même fort intéressant, mais on peut regretter qu'il n'y ait aucune tentative pour expliquer les grandes variétés dans l'utilisation des éléments de régulation d'une langue à une autre, ce qui aurait pu parfaire l'étude.

La théorie conversationnelle est en plein essor, et son utilité est plus ou moins évidente. Il s'agit d'une théorie qui commence peu à peu à trouver son point de repère théorique et méthodologique au sein des écoles de linguistique et d'interprétation.La cohérence et la connexion du discours conversationnel étant souvent basées sur des éléments non explicités au niveau linguistique, il n'est pas sans difficultés d'expliquer les relations discursives à l'intérieur des théories purement linguistiques, ce qui explique le recours général des linguistes conversationnels à la théorie de la pertinence. Les auteurs du volume présenté ont dans une large mesure

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contribué à proposer des solutions raisonnables à ce genre de problèmes théoriques
tout en relevant les aspects multifonctionnels recouverts par les marqueurs de
cohérence du discours conversationnel.

Ecole de Hautes Etudes Commerciales d'Ârhus