Revue Romane, Bind 33 (1998) 1

Textes & Sens : Etudes publiées par François Rastier. Didier Erudition, 1996.276 p.

Michel Olsen

Side 153

La mode est à l'interdisciplinarité, à la «modularité», à la polyphonie. Non sans
raison, d'ailleurs, puisque c'est probablement la seule réplique aux tendances atomisantesapportées
par un postmodernisme mal compris. Exit donc la Texttheorie,

Side 154

théorie du texte unique, pour laisser la place - selon François Rastier - à un champ où entrent la linguistique, la stylistique, la poétique, la rhétorique et la sémiotique (discursive ! on remarquera l'absence de la sémiotique tout court) avec comme limites la philologie et l'herméneutique.

A mon humble avis, la difficulté majeure est d'assurer une unité, si provisoire soitelle, entre les disciplines appelées à agir en synergie, à créer des passages entre des approches fort différentes.1 Or, voilà justement la relation qui fait défaut. Dans l'introduction, le souci majeur de Rastier est celui de désontologiser l'étude des textes. Ainsi, passant en revue de nombreuses théories et auteurs, fort de ses vastes connaissances et de son acuité critique, il oublie quelque peu, me semble-t-il, de bien définir son nouveau projet. Prenons la définition du texte «un texte est une suite linguistique empirique attestée, produite dans une pratique sociale déterminé, et fixée sur un support quelconque» (p. 19s). Cette définition ne saurait choquer personne, mais a-t-on vraiment besoin d'une telle définition pour commencer un travail? Rastier veut chasser l'ontologie des sciences textuelles. Or, je me demande si elle n'est pas constituante de toute pratique (on se fait toujours une idée du champ qu'on aborde) et si le refus - théorique - de l'idéalisme n'en est pas un nouvel avatar.

Les neuf essais dont se compose l'ouvrage présentent des approches fort différentes, auxquelles l'espace réduit de ce compte rendu et mes compétences limitées ne permettent pas de rendre justice : stylistique (G. Molinié), institution littéraire (J.-M. Schaeffer), stylistique thématique (T. Mézaille : la blondeur chez Proust), (G. Philippe : remarques sur le discours intérieur basées sur une analyse des romans de Sartre), recherches cognitives (P. Perron & M. Danesi : relecture de Greimas; J.-M. Fortis : « Sémantique cognitive et espace»; J.-M. Salanskis : «Continu cognition, linguistique»), enfin - «présence du passé » - une relecture de Quintilien focalisant sur l'oralité (J. Dangel) et une traduction de F. Schlegel : «Philosophie de la philologie» par D. Thouard.

Si je choisis de commenter l'essai de Jean-Marie Schaeffer, c'est qu'il traite un sujet qui m'occupe en ce moment, mais également parce que, se plaçant d'emblée sur le terrain de l'institution littéraire, il offre un centre possible à cette nouvelle discipline pluridisciplinaire. L'auteur arrive en peu de pages à rendre compte de quelques différences fondamentales entre la poésie occidentale et celle, extrême-orientale, de la Chine et du Japon. Une tradition entrecoupée de ruptures, donc temporellement orientée vs une tradition accumulante; une importance donnée à l'occasion vs l'insertion dans le corpus des œuvres canoniques.

D'autre part, examinant la différence entre la tragédie classique française et le drame élisabéthain, J.-M. Schaeffer fait jouer deux oppositions très opératoires : l'une concerne surtout le public; c'est celle entre réseau ouvert et réseau fermée; l'autre s'applique surtout à l'écrivain : c'est celle entre système littéraire et interaction (avec le public). Un Racine se rapporterait surtout à un système littéraire s'adressant à un public fermé. Une telle affirmation - dont j'assume la responsabilité - se devra d'être nuancée; n'empêche que le point de départ est fructueux. Je note en passant

Side 155

combien une telle approche invite a une prise en considération des traits spécifiques
qui distinguent les sociétés concernées.

Je signale enfin, pour les même raisons, l'étude du discours intérieur par G. Philippe qui en isole utilement deux formes : une, fictive, relevant d'une mise en scène, d'une rhétorique intérieure ( je précise que c'est la plus ancienne, celle qu'on trouve depuis Homère) et une autre : «mise en mots de l'ordre de l'intellection».

L'injustice envers les autres essais, souvent excellents et stimulants, est flagrante,
mais que faire ?

Université de Roskilde