Revue Romane, Bind 32 (1997) 2

Claude Muller : La subordination en français, le schème corrélatif. Armand Colin, Paris, 1996,256 p.

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La notion de subordination propositionnelle n'est pas parmi les plus simples de la grammaire. Selon les classements les plus courants, on oppose souvent propositions relatives, conjonctives, complétives et circonstantielles, mais si c'est là un classement accessible, ce n'est pas pour autant un classement satisfaisant à tous les points. Dans cet ouvrage très savant et minutieusement élaboré, Claude Muller tente d'explorer les propositions subordonnées les plus compliquées de la langue française; à partir de l'opposition entre complétives et relatives, l'auteur analyse successivement propositions comparatives, consécutives, consessives et interrogatives, toutes illustrant un schème corrélatif et toutes pouvant être interprétées par les marques de la corrélation tel, si et quel. Ce sont ces différents types de propositions qui structurent le livre. Ainsi, le premier chapitre est consacré à la formation des complétives, comparée à celle des relatives, le deuxième aux propositions comparatives, également comparées aux relatives; les troisième et quatrième chapitres analysent les propositions consécutives et les propositions concessives extensionnelles, alors que le cinquième et dernier chapitre traite des relatives indépendantes et des interrogatives indirectes.

La subordination est un «mode d'intégration dans un rôle d'argument créé par un prédicat dominant» (p. 10). Il existe plusieurs modes de subordination, dont deux fondamentaux (p. 239) : Le premier est défini comme étant l'expression grammaticale de la dépendance d'un verbe fini, comportant une interprétation enunciative qui consiste dans l'indication du fait que le verbe de la subordonnée ne comporte pas de modalité enunciative et ne constitue pas une assertion indépendante. Le second processus fondamental de subordination construit des subordonnées dépendant d'un nom (les relatives), d'un adjectif ou d'une indication adverbiale de degré (les comparatives et les consécutives).

L'argumentation repose sur de nombreux exemples authentiques parmi lesquels
un grand nombre d'exemples de français non standard, ce qui ne fait que renforcer sa

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valeur, et aussi sur des exemples inventés (pour lesquels il est souvent difficile de juger de la correction, même pour l'auteur). De même, il faut souligner l'importance des schématisations des constructions de phrase, des paraphrases schématiques qui ont pour but de placer une partie très importante de l'argumentation au niveau de la syntaxe, tout en la liant à la sémantique et à l'énoncé. Muller se place dans la tradition de la grammaire transformationnelle de Harris, élaborée pour le français par Maurice Gross. Or, chez Muller, la production de l'énoncé est le point de départ d'une analyse à plusieurs niveaux : il s'agit à la fois de la fonction enunciative, de la structure predicative,et de la mise en évidence de certains schèmes syntaxiques. De même, l'aspect diachronique est intégré dans les analyses de manière très convaincante.

Les notions de complémentation et de relativation étant essentielles pour la méthodologie présentée, j'ai choisi, devant la multiplicité des thèmes traités, de m'occuper ici spécialement du premier chapitre, qui présente les complétives comparées aux relatives. Les complétives sont une innovation romane, dérivées des relatives, la corrélation type. En français, la dérivation a été faite du corrélateur inférieur latin {quod dans la séquence eo quod), et la conjonction que est analysée synchroniquement comme la cataphore pronominale du temps fini; son rôle fonctionnel est de marquer la dépendance du verbe conjugué alors que sa fonction syntagmatique est de permettre au verbe tensé argument d'avoir une fonction syntagmatique. Ainsi, la conjonction a la fonction de déterminant (par analogie à l'article) du verbe tensé, son rôle fonctionnel étant ainsi de faire de la construction verbale un «terme» marquant sa dépendance. Finalement, la fonction énonciative de que est de marquer le verbe dépendant comme dénué de valeur énonciative indépendante.

La conjonction que étant empruntée en latin au système des relatifs, la similitude formelle avec les relatifs est restée. Or, une autre similitude apparaît où il faut une morphologie nominale à la complétive et où il y a occurrence d'un «antécédent» également vide de sens, le démonstratif ce. La complétive est analysée comme l'entrée en position arguméntale d'un temps fini, alors que les relatives sont toujours des constructions à tête non verbale et que le verbe conjugué des relatives dépend toujours d'un terme lexical non verbal. Ainsi, étant donné que le terme introducteur de la complétive est une cataphore du verbe enchâssé à temps fini, la complétive n'est pas définie par l'absence de fonction de son terme introducteur, ce qui crée une analogie fonctionnelle entre la complétive et la relative. On peut dire que cette analyse de que est tout de même assez proche de l'analyse courante, mais qu'elle rend explicite la signification de ce que nous appelons la fonction d'introducteur par rapport à d'autres fonctions syntaxiques.

Les complétives introduites par le fait que et ce que sont analysées sous l'angle d'une comparaison des relatives et des complétives à partir de constructions à antécédent (p. 32). Les complétives introduites par le fait que comme des complétives à antécédent sont analysées comme une structure d'apposition. Par rapport aux complétives à statut prédicatif, telles que J'ai la certitude qu 'il viendra, les complétives ayant pour antécédent le fait ne passent pas les mêmes tests (pronominalisation, complémentation indirecte), ce qui montre que le fait est en fait une cataphore de l'action verbale. Le fait ne comporte aucune information en soi.

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Le «complémenteur» est ensuite analysé non comme une catégorie, mais comme une position d'occurrence. Pour ce faire, Claude Muller adopte l'analyse de la grammaire generative, élaborée sur le modèle de la théorie «X-barre», selon laquelle il y a deux positions, l'une celle de «spécifieur de COMP» (contenant des termes de type QU-), l'autre celle de COMP (complémenteur proprement dit, donc la conjonction), ce qui explique le dédoublement de la conjonction dans les interrogatives et relatives «populaires» : Quoi qu 'il y a? Comment que tu vas?, mais qui autrement ne rend pas les choses moins compliquées, puisque partout ailleurs l'une seulement est utilisée. Les termes QU-, à la première position, peuvent avoir une fonction externe aussi, ce qui contribue à expliquer l'impossibilité de *J'ai rencontré à qui tu asparle hier (p. 38), alors que que conjonction pure n'est pas fonctionnellement dépendante du verbe principal et ne peut avoir qu'une fonction interne. Une conclusion intéressante de l'hypothèse des deux positions distinctes du complémenteur, c'est que «que n'est pas une tête catégorielle imposant la catégorie de syntagme nominal à la subordonnée» (p. 39), ce qui contredit l'idée du caractère nominal des complétives.

La relative et la comparative sont deux applications de la relativation, la première ayant un antécédent nominal, la deuxième un antécédent adverbial ou adjectival. Pour analyser les relatives indépendantes, Muller distingue entre deux types de subordination du verbe de la subordonnée : une subordination externe, qui désigne le rapport à l'antécédent, et une subordination interne, qui désigne le rapport au pronom relatif. Une autre notion importante pour l'analyse des relatives est celle, sémantique, de caractérisation par un verbe. Il est possible de distinguer deux interprétations de l'exemple suivant : C'est la cravate que je préfère (p. 23). Selon l'interprétation relative, la subordonnée est une caractérisation de l'antécédent, ce qui n'est pas le cas dans l'interprétation clivée, où l'antécédent est déjà caractérisé indépendemment de la subordonnée. La relative devient alors, sur le plan de la référence, une adjonction facultative, à la manière d'une apposition.

Afin de mettre en évidence le rôle de caractérisation du verbe de la relative, Claude
Muller se sert d'un métalangage qu'il dit ordinaire :

prédicat (vide de sens propre) (être) tel (que)

C'est en même temps la relation de base de la corrélation qui suppose une coréférence
explicite. Or, par rapport à la consécutive, la prédication de tel dans les relatives
ordinaires, restrictives ou appositives, est présupposée.

Sur un plan plus général, la subordination est expliquée par l'interprétation du
verbe tensé comme un prédicat de caractérisation, ce qui peut se faire par la seule
marque de la conjonction.

Muller fait remarquer que, contrairement aux autres relatives, les relatives prédicativesne présentent pas l'information comme présupposée (p. 28). Dans le mode attributif : je l'ai vu qui sortait, il n'y a pas présupposition de la caractérisation, de même qu'il ne s'agit pas d'une caractérisation inhérente (donc présupposée, ainsi que c'est le cas pour les relatives épithétiques), car celle-ci est liée au procès décrit par la principale. Ainsi peut-on imaginer une succession des deux types de relatives : J'entends le garçon qui bégaye qui bégaye. C'est important de souligner, comme le fait Muller, que la relative predicative réalise un accroissement valenciel, possible avec

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certains verbes qui permettent un dédoublement du rôle actantiel, comme par
exemple les verbes de perception qui ont la possibilité de saisir simultanément une
action et un participant de celle-ci.

Finalement, les relatives populaires introduites par que «universel» sont analysées comme un cas limite entre complémentation par un verbe et relativation. Selon Muller, il faut les analyser comme des expressions d'un prédicat de caractérisation sous-jacent (l'homme que je lui ai parlé = l'homme tel que je lui ai parlé).

Au chapitre II sont étudiées les comparatives d'égalité (si, aussi, ...), d'identité (tel), d'inégalité (plus), d'infériorité (moins), mais aussi les comparatives temporelles (avant que, après que, alors que). L'analyse de que dans ces constructions est assez complexe et fait référence à l'analyse double du complémenteur et à l'analyse des négations explétives dans Muller 1991 puisque que dans les constructions d'inégalité est lié à ne explétif et qu'il est analysé comme un quantifieur comportant la double interprétation de la construction à négation explétive. Comme, par contre, est suivi d'une négation pleine, ce qui le rend conforme à la relativation. Ainsi, Muller arrive à une interprétation de que comme un «négatif inverse».

Les rôles de la syntaxe et de la sémantique dans une méthodologie comme celle exposée ici sont quelquefois difficiles à séparer. Ainsi, quand il est dit (p. 135) pour Pierre est plus riche que Paul, que cette phrase «se construit d'une part sur la relation de relativation : Pierre est riche à un degré où Paul ne l'est pas», je ne doute pas de la valeur sémantique de la paraphrase (et l'analyse sémantique qui suit est très convaincante) mais il m'est difficile d'admettre qu'elle puisse faire partie d'une argumentation syntaxique ou que l'on puisse parler de relativation, même quand il s'agit de paraphrases schématiques.

Le processus fondamental de subordination partagé par les comparatives et les consécutives (chap. III) est celui qui construit des subordonnées dépendant d'un adjectif ou d'une indication adverbiale de degré. La fonction sémantique particulière de ces propositions les rapproche des relatives puisque c'est celle de la «caractérisation». Toutes ces constructions sont pour Muller des développements de tel que V + Tps [temps].

Les concessives extensionnelles (chap. IV), qui présentent un schéma antithétique aux consécutives, partagent le même schème énonciatif général : une hypothèse «accordée» à l'interlocuteur formant le cadre d'une assertion, et sont réparties en sous-classes selon un ensemble de mécanismes syntagmatiques et prédicatifs. L'interprétation sémantique (prédicatif-lexical) se fait comme partout dans l'ouvrage avant tout par tel : Dans la proposition si grand qu 'il soit, si égale à un degré qui est tel. L'emploi concessif de si, qui est le vestige en français moderne de construction concessives de la famille de tel, est selon Muller en train de supplanter les autres introducteurs de concessives adjectivales tels que quelque et combien, ce qui est dû au fait qu'il n'y a pas de confusion possible avec une valeur unique et définie du degré, comme c'est le cas avec tel (p. 178).

L'étude des relatives indépendantes et les interogatives indirectes partielles (chapitreV)
reprend l'excellent article de Muller (1989) en insistant davantage sur la
méthodologie, mais ajoute une étude des différents emplois de si qui n'est pas si loin

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de celle de Stage (1991), intégrant une discussion des frontières et interférences avec
les conditionnelles et les complétives (p. 226).

Le livre de Claude Muller est d'une certaine épaisseur méthodologique, et l'approche transformationnelle en syntaxe et en sémantique me semble quelquefois un peu spéculative, ce qui rend la présentation assez difficilement accessible. Cependant, cet ouvrage extrêmement riche en exemples et en informations constitue une mine de références sur la subordination propositionnelle, indispensable pour qui s'intéresse à la subordination tout court.

Références :

Muller, Claude (1989) : «Sur la syntaxe et la sémantique des relatives indépendantes
et des interrogatives indirectes partielles», Revue Romane, 24,1, p. 13-48.

Muller, Claude (1991) : La négation en français. Droz, Genève.

Stage, Lilian (1991) : «Analyse syntaxique et sémantique de la conjonction si dans les
propositions factuelles», Revue Romane 26-2, p. 163-205.

Hanne Leth Andersen

Université d'Ârhus