Revue Romane, Bind 32 (1997) 2

Françoise Trageser-Rebetez : Die Symbolik von Licht und Schatten bei Albert Camus. Paradigmenanalyseim Spannungsfeld der Polarität Natur-Geschichte. Kôlner Romanistische Arbeiten, Neue Folge, Heft 74. Droz, Genève, 1995. 319 p.

Hans Peter Lund

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Cet ouvrage est une «Inaugural-Dissertation», l'équivalent à peu près d'une thèse de 3e3e cycle ou de Ph.D., un genre particulier qui doit respecter certaines règles telles que la rigueur méthodologique, la mise en rapport d'une théorie et d'une analyse, et la formulation claire d'hypothèses et de résultats; la thèse présente est parfaitement

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conforme à ces exigences. On attend, en outre, d'une dissertation allemande qu'elle prenne position par rapport à la recherche actuelle ou à celle touchant au domaine concerné; cela n'est guère le cas pour cette étude sur Camus qui n'entame pas de véritables discussions avec d'autres chercheurs. En revanche, l'auteur a creusé à fond un sujet bien délimité - celui du titre - selon une méthode consciencieusement suivie - l'analyse paradigmatique - et dans une perspective importante - celle du sous-titre. Elle prend en considération L'Envers et l'Endroit, Noces, L'Etranger, Caligula, Le Malentendu, L'Homme révolté, Actuelles (ces dernières très peu, à vrai dire), L'Etat de siège, La Peste, Les Justes, L'Eté, La Chute, et L'Exil et le royaume, sans oublier le diplôme d'études supérieures de Camus, Entre Plotin et saint Augustin, mais en excluant, à tort nous semble-t-il, Le Premier Homme et les Carnets.

Se référant à la phrase bien connue sur le soleil et l'Histoire dans la préface à L'Envers et l'Endroit, ce petit texte qui livre la clef de l'œuvre entière de Camus, l'auteur part de l'hypothèse d'un dualisme fondamental entre lumière et ombre, dualisme accompagné de deux autres paradigmes, celui des Grecs, en particulier des Présocratiques, renvoyant à un ordre cyclique de la Nature, et celui, évolutionniste, de la tradition judéochrétienne. Cette dichotomie paradigmatique permet à l'auteur d'analyser d'abord la conception camusienne de l'ordre de la Nature, largement cyclique et correspondant au modèle d'Heraclite, ensuite sa conception de l'Histoire, en partie cyclique elle aussi, dans l'optique de Camus (on peut le constater dans Noces à Tipasa, Retour à Tipassa, Le Vent à Djémila, et Le Minotaure, mais également dans La Peste, soigneusement analysée ici), alors que l'Histoire telle qu'elle est présentée dans L'Homme révolté semble suivre une évolution linéaire dominée par le principe de l'autorité masculine, mais néanmoins entrecoupée par des moments attestant la présence de forces «féminines» (Kaliayev dans Les Justes). Elle peut donc, selon l'auteur, être définie comme une évolution à plusieurs étapes ou degrés («stufenfòrmige Eskalation», p. 302).

Alors que les pages 21-22 annonçant la mise en ordre des différents éléments constitutifs des paradigmes risquent d'effaroucher plus d'un lecteur avide de nuances, l'auteur, lorsqu'elle entre dans les détails, donne le meilleur de ses résultats. Il en est ainsi du jeu entre la nuit noire et les étoiles interprétées comme source de régénération (masculine) {La Femme adultère), comme l'est, inversement, la source dans l'ombre, symbole féminin (L'Etranger). La persévérance de la Nature face à l'évolution destructrice de l'Histoire est attestée dans Le Minotaure (p. 106-108), de même que le rythme de la Nature dictant celui de la peste dans le roman de 1947 (p. 118), alors qu'au niveau de l'Histoire, l'auteur peut dégager, chez Camus (cf. p. 195), l'idée d'une évolution linéaire dans l'ère technique, tout particulièrement le XIXe siècle.

C'est dans ces données des analyses entreprises par Françoise Trageser-Rebetez qu'on trouve la force de son livre, analyses rigoureuses, bien appuyées par un certain nombre de théories (entre autres celles d'Ernst Topitsch et de Karl Lôvith, d'Elisabeth Badinter et de Margarete Mitscherlich). Mais en même temps, on regrette de ne pas retrouver dans cette étude le personnage d'Albert Camus (sauf exception, v. p. 53), obscurci par le système paradigmatique dressé par l'auteur. Les Carnets, le Discours de Stockholm, d'autres textes aussi auraient pu apporter aux analyses le vivant et le réel qui leur manquent.

Université de Copenhague