Revue Romane, Bind 32 (1997) 2

A. Corbellari et Chr. Lucken (dir.) : Lire le Moyen Age? Numéro spécial de la revue Equinoxe, n° 16, 1996, Association Arches, Lausanne.

John Pedersen

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La «modernité» du Moyen Age (..), c'est son obscurité. Cette formule n'a peut-être rien de très surprenant, mais, dans le Prologue par lequel Christopher Lucken ouvre le recueil, elle introduit admirablement au noyau des problèmes qu'abordent les auteurs de ce projet. Il s'agit en effet d'une série de réflexions sur la réception des textes médiévaux, allant de la philologie la plus traditionnelle aux romans historiques et recouvrant notamment le dix-neuvième et le vingtième siècle.

Le point de départ de ces réflexions est une interview de Michel Zink, qui approfondit certains points de vue formulés dans sa leçon inaugurale lors de son accession à la chaire de Littératures de la France médiévale au Collège de France. Y est évoqué et prudemment commenté l'engouement du grand public pour les œuvres modernes qui touchent à la chose médiévale.

C'est surtout à travers des historiens 'narrativistes' comme Augustin Thierry et Prosper de Barante que Carinne Fluckiger aborde les problèmes de la sensibilité romantique face aux «antiquités» nationales. Ursula Bàhler, de son côté, prenant son essor au moment crucial des années 1870 et 1871 étudie le poids 'nationaliste' dans les travaux de célèbres philologues et littéraires comme Charles-Félix Lenient, Léon Gautier et, bien entendu, Gaston Paris. On a hâte de voir paraître le travail plus étayé que Mme Bàhler nous promet sur ce chapitre passionnant de l'histoire de de la romanistique et des études médiévales. Yasmina Foehr-Janssens examine avec perspicacité le sort d'un thème médiéval riche en séquelles, celui de Geneviève de Brabant, et comme pour l'article précédent, on est frappé par la nécessité quasi-permanentedans ces matières d'appliquer une perspective franco-allemande : l'Europe culturelle, on le sait, a de très longues racines, et les rapports passionnés, à travers les

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âges, entre les fils des Tudesques et ceux des Gaulois ne cessent d'intervenir comme un facteur important dans ce recueil. Ce n'est certainement pas l'article d'Alain Corbellari sur le symbolisme médiéval qui nous contredit sur ce point avec ses analyses des techniques de Wagner d'un côté, de Massenet et de Debussy de l'autre.

Bien plus proches de nos jours sont des articles qui étudient des expériences théâtrales de Gustave Cohen (Helen Solterer) ou bien, petite surprise agréable, de Joë Bousquet (Adrien Giir). Maria Tortajada analyse finement Perceval le Gallois d'Eric Rohmer ouvrant ainsi à des domaines très importants pour la réception actuelle du Moyen Age.

Un Envoi de Robert Dragonetti, dédié à Christopher Lucken, reprend son idée
initiale de la modernité, et c'est ainsi que se clôt harmonieusement ce petit recueil très
stimulant, qui ouvre sur de vastes terrains de recherche.

Université de Copenhague