Revue Romane, Bind 32 (1997) 1

Denis Diderot : Salons III et IV, Ruines et paysages, et Héros et martyrs. Textes établis et présentés par E. M. Bukdahl, Michel Delon, Annette Lorenceau, Dider Kahn et Gita May. 563 + 457 pages. Hermann, Paris, 1995.

John Pedersen

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La modernité, thème récurrent dans l'immense littérature sur Diderot, prend toute son importance aussi bien que sa pertinence quand on aborde le domaine fascinant des Salons ou des Pensées sur la peinture. Depuis la très belle thèse de Else Marie Bukdahl, il est établi, avec toute la compétence de l'historien de l'art, combien Diderot se distingue des critiques qui le précèdent par sa subtile distinction entre des catégories comme description, interprétation et évaluation esthétique.

Il était donc logique que l'édition Dieckmann-Varloot des œuvres de Diderot fit appel justement à Madame Bukdahl pour la présentation des volumes comportant les Salons. Fort heureusement, la maison Hermann a fait accompagner l'édition monumentale de quelques volumes, abordables au grand public, qui permettent à tout amateur de s'initier à ce trésor en profitant, dans un format commode, de l'iconographie et de l'appareil critique de la grande édition. Cette heureuse initiative a valu au grand public deux volumes parus en 1984 (voir Revue Romane 20,2, 1985) et, en complément, les deux volumes dont il est question ici.

Le volume intitulé Ruines et paysages comporte avant tout le célèbre Salon 1767. Dans l'lntroduction de ce volume, Mme Bukdahl insiste sur l'originalité de Diderot dans le domaine esthétique par rapport à ses contemporains, alors que Michel Delon voit dans le Salon 1767 un 'carrefour philosophique' : «Les beaux-arts sont désormais solidaires de la réflexion politique et philosophique de Diderot.» En outre, Delon retrouve, dans les renvois que pratique Diderot entre les toiles commentées, la technique qui assure à l'Encyclopédie la multiplicité des entrées et des parcours de lecture.

Rappelons, pour mémoire, que c'est dans ce Salon que l'on trouve, intercalé dans une réflexion sur la valeur des esquisses («Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu'un tableau?»), le récit truculent d'une soirée animée, dans une taverne, où il est question des mérites du président de Brosses. Rien que pour rappeler à qui l'aurait oublié que chez Diderot, tout se tient.

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Dans I'Avant-propos du second volume, Michel Delon insiste, avec bonheur, sur l'importance des derniers Salons de 1771, 1775 et 1781. Ces textes sont souvent considérés comme des ajouts sans grande valeur aux chefs d'oeuvre des années précédentes. Or, Delon y discerne de nouvelles formes de dialogue et un emploi nouveau de la discontinuité dans l'écriture de Diderot. Il en résulte ce rythme «particulier, rapide, désinvolte, laconique» qui désigne au lecteur d'aujourd'hui un aspect si important de la modernité de Diderot.

«Je voudrais bien savoir où est l'école où l'on apprend à sentir,» lit-on dans les Pensées détachées sur la peinture. Grâce à Diderot, nous sommes plus fortunés que lui, car ses œuvres esthétiques constituent, à qui veut le suivre, une véritable 'école sentimentale'. Grâce à ces deux derniers volumes, cette école est désormais à la portée de tous, lecteurs avertis comme amateurs désireux de s'initier à une partie fondamentale de l'œuvre si complexe du père de l'Encyclopédie.

Université de Copenhague