Revue Romane, Bind 32 (1997) 1

Anders Bengtsson : La Vie de sainte Bathilde. Quatre versions en prose des XIIIe et XVe siècles, publiées avec introduction, notes et glossaire. Etudes romanes de Lund, 54. Lund University Press, Lund, 1996. 164 p.

Povl Skårup

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Sainte Bathilde fut l'épouse du roi Clovis 11. Elle fonda le monastère de Corbie et agrandit celui de Chelles, où elle mourut en 680 ou en 681. Il existe en latin deux Vies de la sainte, dites A et B, plus un résumé de B, un récit du transfert de ses reliques et enfin un texte qui raconte la révolte et la punition des enfants royaux, publié en 1916 sous le titre de La Légende des Enervés de Jumièges. En prose française, il existe quatre Vies de la sainte, dont Anders Bengtsson a le grand mérite de donner ici Yeditio princeps.

La version I est une traduction, faite au XIIIe siècle, de la Vie latine dite B, mais avec une interpolation traduite de la légende des Enervés de Jumièges. L'éditeur pense qu'une même personne a traduit les deux textes et interpolé le second dans le premier. Il signale pourtant des différences linguistiques entre l'épisode interpolé et le reste, mais ajoute que «Si ce n'est pas une coïncidence, cela peut être dû à un effet voulu par l'auteur ou le copiste du manuscrit» (p. XXIII). On aurait aimé une discussion plus approfondie de ce point de vue.

La version II est une révision ou modernisation de la version I, faite au XVe siècle. Je serais tenté de dire que c'est une traduction libre de l'ancien français en moyen français. Outre la version I, le réviseur connaissait la même Vie latine que son prédécesseur; l'éditeur ne dit pas s'il connaissait également la source latine de l'épisode interpolé. Cette version ajoute une traduction du récit latin du transfert des reliques.

Les versions 111 et IV, toutes deux brèves, datent du XVe siècle et semblent avoir comme source une Vie latine qui résume celle que traduisent les versions I et 11. L'éditeur s'exprime vaguement sur l'identité possible de cette source avec le résumé latin conservé. Des deux manuscrits de 111, l'un donne successivement deux versions brèves de la vie de la sainte. Il ne semble pas y avoir de rapport direct entre 111 et IV.

L'éditeur décrit succinctement les manuscrits de chaque version afin de motiver le choix de celui qu'il a édité (avec un bon apparat critique qui donne les variantes des autres). La filiation des manuscrits l'intéresse moins. Il n'y a pas de description paléographique.

Sans avoir pu comparer les textes imprimés avec les manuscrits, j'ai l'impression que l'éditeur a fait son travail avec beaucoup de soin, et j'ai très peu de remarques à faire. Dans la version I, il y a deux occurrences de l'imparfait vaoit + a + infinitif : 3.11 et 32.6. L'éditeur (pp. 105 et 154) les attribue au verbe veoir, qui signifierait ici 'veiller à'. Mais au sens de 'voir', ce verbe a partout dans ce texte ve- à l'inf., au pr.ind. 4 et 5 et à l'impf.ind., où le thème est prétonique. A cela s'ajoute que dans d'autres textes, veoir ne semble pas connaître la construction qu'on observe ici avec le sens qui convient, qui est d'ailleurs plutôt 'aspirer à, désirer'. Je suppose que vaoit

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est une faute (commise par le copiste ou par l'éditeur?) pour baoit. - A la p. 35, on lit : «... mist grant paine a chiax qu'ele avoit norris a traire a religieusement vivre ...», et le glossaire traduit traire par 'endurer' (je vois mal comment l'éditeur comprend le passage). Mais il vaut mieux lire atraire en un seul mot, sans répétition de la préposition de même que dans la construction semblable 34.11, et traduire ce verbe par 'amener'. - A la p. 45, on lit : «si fist a sen sepulchre tant de miracles que nus malades n'i venoit qu'il, c'onques maladie il eust, qu'il n'i recouvrast se santé»; le premier il est commenté à la p. XXXIX («z7 fait parfois fonction de pronom tonique», erreur pour : «il est parfois séparé de la zone verbale»), les deux que sont commentés à la p. XLVI, et onques serait selon le glossaire, p. 147, un adjectif indéfini signifiant 'n'importe quel'. Mais il vaut mieux lire «...venoit, quelconques maladie il eust, qu'il...» (il suffit de remplacer i par e). -Au lieu de ensuit pr.ind.3, je suppose qu'il faut lire ensiut, au moins dans la version I. - Dans les autres versions, on lit povoir, povoit, povoient pour pouoir, pouoit, pouoient.

Le glossaire est très riche. Il n'est pas exempt d'erreurs. Pour les verbes dont l'infinitif n'est pas attesté dans les textes publiés, l'éditeur en ajoute un entre crochets. Mais il y met souvent -er pour -ier : abaisser, abréger, etc., et il se trompe parfois de suffixe, en mettant assouagir pour assouagier, blandir pour blandïer (la forme du texte est le part. prés, blandiant), doler pour doloir, espanoir 'expier, racheter' pour espanir (= espenir). Certaines formes verbales sont mal identifiées : avint 5.16, 8.1 n'est pas du pr. ind. mais du parf.; dissent 81.8 n'est pas de l'impf.ind. mais de l'impf.sbj.; esjouyssoient n'est pas du sing.; sous [laissier], on lit «v. réfi. pr. ind. 3 se laist 41.8», mais se y dépend de l'infinitif qui suit laist, et laist est du pr. sbj. (à ranger p. XLIII parmi les verbes qui ont -t au pr. sbj. 3); metons 18.5 n'est pas du pr. ind. mais du pr. sbj. (même forme dans les deux modes); puissent n'est pas du pr.ind. mais du pr.sbj.; puissiez n'est pas de l'impf.sbj. mais du pr.sbj.; servit 51.1 n'est pas du parf. mais de l'impf. sbj. (= servist). D'autres remarques : se seoient 20.2, 64.2 ne signifie pas 's'asseyaient' mais 'restaient assis'; diviser l'article fenir en deux : fenir etfiner ; obtempérer n'est pas transitif; dont [= donc] (+ ne) introduisant une principale interrogative qui invite à une réponse affirmative (à laquelle elle équivaut en tant que question rhétorique) est traduit par 'alors'; encore introduisant une principale au subjonctif qui équivaut à une subordonnée hypothétique concessive (par exemple encore fust li cors en seculer habit, si... ) est appelé conjonction.

Un chapitre est dédié à la langue des manuscrits de base. Il contient des observationspertinentes, sans qu'on voie toujours la raison du choix. Certaines observations sont inexactes. L'infinitif veir n'est pas née de veeir par réduction phonétique de la diphtongue (p. XXXIII) mais par une substitution du suffixe. Ce n'est pas ei pour ai qu'on trouve dans traveillez (p. XLVIII) mais e pour a (suivi de la latérale palatale écrite -ili-). «La conjonction que est exprimée avec redondance cinq fois dans le texte» (la version I) : oui, en supprimant 45.6 (voir ci-dessus) mais en ajoutant 31.15. Le -p- ne serait pas étymologique dans sollempnellement (p. L); cette graphie n'en est pas moins un latinisme, puisque fréquente dans les textes latins (de même dans datnpnerons 18.2). Ce n'est pas une phrase clivée mais un membre en extraposition

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qu'on voit dans un exemple comme celui-ci : «car les biens que le sainct esperit
donne a la personne, on les doibt celler» (p. LVI).

Mais ces quelques faiblesses signalées ne sont que des détails. Elles ne sont d'ailleurs pas dues à un manque de soin. Bien au contraire, l'éditeur a travaillé avec un soin extraordinaire et nous a donné une édition à la fois utile et intéressante, surtout peut-être en offrant deux versions à la fois, en ancien et moyen français, de la même Vie.

Université d'Ârhus