Revue Romane, Bind 32 (1997) 1

La transposition des actants dans le syntagme nominal Etude sur la nominalisation nucléaire et l'emploi des prépositions1

par

Lilian Stage

1. Introduction

L'examen rapide d'un texte appartenant à un des domaines de ce qu'il est convenu d'appeler les langues de spécialité suffira pour nous convaincre que les syntagmes nominaux, notamment ceux dont le noyau est un nom déverbal, y sont particulièrement fréquents. C'est, en effet, un des traits qui distinguent la langue de spécialité à la fois de la langue littéraire et de la langue parlée. Dans les syntagmes nominaux des langues de spécialité (la langue juridique, économique et technique), le complément du noyau, d'un nom d'action, par exemple, est souvent exprimé par un syntagme prépositionnel dont le régime est une deuxième nominalisation dont le complément est un autre syntagme prépositionnel dont le régime est une nouvelle nominalisation et ainsi de suite. Les syntagmes nominaux s'emboîtent les uns dans les autres :

(1) II s'agit de conventions entre les communes et les entreprises, par lesquelles ces dernières s'engagent à attribuer sur leur parc un quota pour des cas d'urgence déterminés ou des gens à problèmes, quota proportionnel à leur part dans l'ensemble du parc locatif social; en retour, les communes s'engagent à prendre des mesures de traitement social des «locataires à problèmes», ainsi qu'à garantir la couverture des risques de cessation de paiement du loyer et des frais supplémentaires de remise en état. {Problèmes politiques et sociaux 751, p. 55)

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(2) La disparition des contrôles des personnes aux frontières de la communauté
exige une surveillance plus rigoureuse des frontières externes de la C.E.E. (Le
Guide de l'Europe des douze, p. 18)

(3) En même temps, les responsables soulignent qu'il n'est pas question pour
l'Ukraine d'aller au delà à'une participation à une mission de maintien de la
paix, mission considérée ici comme satisfaisante. (Le Monde 02-02-1993)

(4) Lors de l'adoption de la révision de la loi Falloux, le ministre de l'éducation avait rappelé que 8 milliards de francs avaient été débloqués en juillet, sous formes de prêts bonifiés pour couvrir des dépenses de sécurité dans les collèges et les lycées. (Le Monde 06-01-94)

Pourrait-on continuer à l'infini? En théorie oui, dans la pratique sinon
infiniment du moins très longtemps. Le dessinateur humoristique danois qui
a écrit la phrase suivante a bien su mettre à profit la récursivité :

(5) Undersogelse af undersogelsen af undersogelsen af skudepisoden pâ Norrebro
skal nu formentlig underkastes en undersogelse, som sa igen kan blive
undersogt o.s.v. o.s.v. (Politiken 03-07-95)

(sa) «L'enquête sur l'enquête sur l'enquête sur les incidents de Norrebro va
probablement être soumise à encore une enquête, qui fera à son tour l'objet
d'une enquête».

C'est ce côté «russe» des nominalisations qui fait que les phrases qui contiennent beaucoup de nominalisations emboîtées sont parfois difficiles à comprendre ou à retenir. Raison pour laquelle l'on ne trouve pas beaucoup de nominalisations emboîtées dans la langue parlée. Pour bien construire les syntagmes nominaux ou pour bien les décoder, il est important de savoir quelle préposition utiliser dans une fonction déterminée, c'est-à-dire pour un actant déterminé. Il est également important de bien comprendre la structure sous-jacente des syntagmes nominaux, surtout ceux qui contiennent des séquences en de puisque la préposition de est la plus «incolore» de toutes les prépositions, trait qui la rend apte à exprimer toutes sortes de relations entre le noyau nominal et ses expansions. A titre d'illustration, nous nous contenterons de citer les nombreux génitifs.

Notre analyse s'inscrit dans le cadre de la théorie valentielle, développée à Copenhague par Herslund et Sorensen.2 Nous allons utiliser la distinction établie par Ulland (1993) entre nominalisations nucléaires et nominalisationsextra-nucléaires. Les nominalisations nucléaires indiquent l'action verbale et les nominalisations extra-nucléaires désignent un actant (S ou O) ou bien un circonstant (nominalisations instrumentales par exemple). Nous nous occuperons ici avant tout des nominalisations nucléaires, c'est-à-dire les noms déverbaux que la tradition appelle noms d'action et des nominalisationsobjectives

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tionsobjectives(une des nominalisations extra-nucléaires) qui expriment le
résultat ou le produit de l'action verbale (exemples 7-8).

(6) Elle a précédé de quelques heures l'audition - dans un autre dossier -de
Pierre Suard, le PDG du groupe auquel appartient GEC-Alsthom. (Le
Monde 24-93-95)

(7) II répond des dégradations et des pertes qui arrivent pendant sa jouissance.
(CC 1732)

(8) Après avoir adopté un amendement qui vise à interdire l'aide financière des Etats-Unis à toute organisation réalisant des avortements à l'étranger, la Chambre des représentants a néanmoins brutalement décidé mercredi de repousser ses discussions sur l'ensemble du texte à la semaine prochaine, après le long week-end de Mémorial Day (Les Echos 26-05-95).

Pour les nominalisations agentive et instrumentale, nous renvoyons à Ulland
1993.

(9) Au cinéma, quand le film était bon, Jacques faisait la chasse aux voisins
grignoteurs de bonbons. (Yves Navarre : Le cœur qui cogne, p. 108, in:
Ulland 1993, p. 93)

(10) une imprimante, un ouvre-boîtes, une essoreuse, un démarreur. (Ulland
1993, p. 50)

Les nominalisations nucléaires sont susceptibles d'avoir plusieurs expansions actantielles dont le constituant est justement un syntagme prépositionnel. Dans un chapitre consacré aux syntagmes nominaux, Prandi affirme qu' «Avecles compléments nominaux, un contrôle de la part du nom principal se manifeste certainement, mais dans des conditions dont le caractère formel est pour le moins douteux. Pour pouvoir être qualifié de formel, le contrôle exercé par le nom sur ses compléments devrait se manifester - comme c'était le cas, en principe, pour les compléments du verbe - à travers une restriction imposée au choix des prépositions introduisant les compléments. (...) Si l'on observe le comportement du nom vis-à-vis de ses compléments nominaux, on constate que le nombre de prépositions qu'il admet dans son entourage est de fait limité; mais on voit aussi que les restrictions en question se laissent difficilement réduire à une légalité formelle, contrôlable en termes formels» (Prandi, 1987, p. 129). Contrairement à Prandi, nous pensons qu'il est possiblede donner des règles qui expliquent l'occurrence de telle ou telle préposition introduisant le complément d'un nom, à condition toutefois de ne pas mettre tous les noms dans «le même sac». Nous allons donc concentrernotre analyse sur les nominalisations nucléaires dans le but de donner des règles précises et claires au sujet de l'emploi des prépositions à l'intérieur du syntagme nominal dont la tête est un nom d'action, quoi qu'il soit parfois

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difficile. Dans le présent article, nos recherches ne porteront que sur les actants que l'on retrouve auprès du nom. Il est bien connu que l'une des difficultés, la pierre d'achoppement en quelque sorte, de la théorie valentielle,est de tracer une limite nette entre actants et circonstants. Dans le syntagme nominal, la limite semble encore plus floue et elle semble, en plus, susceptible de se déplacer (Stage 1994, p. 106). Nous compterons parmi les actants :S(le sujet intransitif S¡ et le sujet transitif St), O (l'objet), A (l'adjet : Aattr. Aoc, Aieu, Akt)- Au début, l'adjet était appelé objet indirect, mais dans leurs recherches actuelles, Herslund et Sorensen ont opté pour le terme adjet. Le terme adjet est ainsi associé au terme adjectif, le trait commun étant leur nature predicative (Sorensen 1988 et Herslund 1994). Les syntagmes prépositionnels qui fonctionnent comme des circonstants sont les mêmes que ceux que l'on trouve auprès du verbe : Ctem (circonstant de temps), Ccau (circonstant de cause), Ccond (cironstant de condition), Cconc (circonstant de concession), Ccons (circonstant de conséquence). Pour que les circonstants puissent être transposés dans le syntagme nominal, il est souvent nécessaire d'avoir recours à un participe passé. Comme il ne sera pas question des circonstants ici, nous nous contenterons de renvoyer à d'autres articles.3

Pour les besoins de notre analyse, nous distinguerons deux sortes de nominalisations : nominalisations directes et nominalisations indirectes. Par nominalisations directes, nous entendrons les noms nucléaires dérivés directement du verbe.

(11) Le retour de la lire dans le Système monétaire européen avant la fin de
1995,..., a enflammé les esprits hier lors de l'assemblée annuelle des principaux
industriels de la Péninsule à Rome. (Les Echos 26-05-95)

(12) Mercredi, après la passation des pouvoirs à Jacques Chirac, François
Mitterrand estallé déjeuner rue de Bievre dans un petit restaurant à couscous
où il avait gardé ses habitudes. (Libération 22-05-95)

(13) Après l'audition de Françoise Sampermans, le magistrat instructeur poursuit son travail de fourmi sur les différentes pistes des affaires Alcatel : les abus de bien sociaux, les surfacturations, les financements de partis. (EVJ 15-03-95)

Par nominalisations indirectes, nous entendrons, par contre, les syntagmes
nominalisés à partir d'une construction à verbe support :

(14) L'aide européenne aux Palestiniens, elle, est la plus substantielle promise à ces derniers par la communauté internationale depuis la Déclaration de principes, signée entre I'OLP et Israël, le 13 septembre 1993, à Washington... (Le Monde 11-01-95)

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(15) Conformément à la seule déàsion prise une semaine plus tôt au sommet quadripartite du Caire, le premier ministre israélien, Itzhak Rabin, et le chef de l'Autorité palestinienne venaient de se rencontrer à Erez, sans résultat. (Le Monde 11-02-95)

(16) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans
une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute
accusation portée contre elle (CP, p. 390)

2. Nominalisation directe : généralités

Une différence essentielle entre le verbe et le nom, c'est que le verbe admet des syntagmes nominaux liés directement à lui :S-O- Aattr. En général, la fonction d'adjet (Aneu, A^, Aloc),Aloc), s'effectue par contre par l'intermédiaire de syntagmes prépositionnels, et le choix de la préposition est contrôlé par le verbe. Pour les noms, la situation n'est pas la même. Le noyau nominal permet uniquement des syntagmes prépositionnels quand il faut signaler une relation actantielle entre le noyau et un autre membre du syntagme nominal.4 Certains circonstants (les circonstants de temps, par exemple) peuvent faire partie du syntagme nominal avec ou sans préposition de liaison, c'est-à dire que l'on retrouve les mêmes constituants qu'auprès du verbe : syntagme nominal (l'année dernière) ou syntagme prépositionnel {avant la fin de l'année). Il semble pourtant que, souvent, un circonstant de temps exige un participe passé pour pouvoir trouver sa place dans un syntagme

(17) La mise en place, l'année dernière, d'une nouvelle commission a soulevé pas
mal de critiques parmi les députés. (Le Monde 12-05-94)

(18) La présence (des dirigeants) ... elle illustre ouvertement l'inquiétude du
Maroc face à la dégradation de la situation en Algérie. (Le Monde 24-03-95)

(19) Des responsables chiraquiens, dont Jacques Toubon, ministre de la culture, ainsi que Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, ont critiqué la décision d'Edouard Balladur, annoncée vendredi 10 février à Nantes, de suspendre la circulaire sur les instituts universitaires de technologie (lUT) contestée par les étudiants dans plusieurs villes de France. (Le Monde 13-02-95)

(20) Quatre jours après la découverte du corps, à Marignane, de Cédric, quatre
ans et demi, son frère aîné, âgé de quatorze ans, a reconnu avoir poussé
volontairement le garçonnet dans le canal... (Les Echos 26-05-95)

A l'intérieur du groupe nominal dont la tête est un nom d'action, on peut donc distinguer deux catégories d'actants : ceux qui doivent «choisir» une préposition (S -O- Aattr) et ceux qui amènent, en principe, leur préposition dans le microcosme qu'est un syntagme nominal (A^, A,,eu et Â^, ), c'est-à

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dire que la préposition est, normalement, la même que celle que l'on emploie
auprès du verbe.

(21) Si la modification du mode de désignation des membres du collège semble
faire l'unanimité, le débat n'est pas encore tranché sur la répartition des
pouvoirs entre autorités de tutelle et de contrôle. (Le Monde 15-11-95)

(22) Mercredi, après la passation des pouvoirs à Jacques Chirac, François
Mitterrand est allé déjeuner rue de Bievre dans un petit restaurant à couscous
où il avait gardé ses habitudes. (Libération 22-05-95)

Nous avons déjà (Stage, 1994) établi une classification des noms en noms monovalents, bivalents ou trivalents en nous basant sur la classification établie pour les verbes (Herslund et Sorensen 1987). Dans le présent article, nous nous concentrerons sur la transposition des actants et l'emploi des prépositions.

Dans les nominalisations nucléaires, il serait utile de distinguer, comme pour les verbes, entre un S¡ et un St (Herslund 1995). Comme nous l'avons déjà constaté, le sujet d'un verbe intransitif, le S¡ est toujours introduit dans le syntagme nominal par la préposition de (Stage 1994).


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Survenance, avènement, apparition, disparition, émergence, éruption, jaillissement,
débordement, progression, etc.

(23) Un groupe de travail s'est plus spécialement penché sur les problèmes posés
par l'avènement de l'enseignement supérieur de masse. (Bilan politique, p.
117)

(24) Si Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers s'appuient sur des noyaux
électoraux bien distincts, une progression du fondateur du MPF priverait le
chef du FN d'une véritable marge de manœuvre. (Le Monde 11 -02-95)


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arrivée, départ, entrée...

(25) Des mesures restrictives ont été posées depuis quelques années à l'entrée des
étrangers sur le territoire français. (Société française, p. 53)


DIVL1211

Renonciation, intervention, adhésion, participation...

(26) II (le juge) essaie, en premier lieu, d'obtenir l'adhésion de la famille à la
mesure envisagée. (Guide pratique, p. 103)

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(27) Chaque époux a l'administration et la jouissance de ses propres et peut en
disposer librement. (CC 1428)

(28) Les témoins appelés pour être présents aux testaments devront être Français
et majeurs, savoir signer et avoir h jouissance de leurs droits civils. (CC 980)

(29) Le principe même de cette protection en fixe les limites. Elle suppose en
effet:
-d'abord l'intervention d'un tiers dans la réalisation du dommage. (Sécurité
sociale, p. 22)


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Obéissance, désobéissance, appartenance...

(30) Le patron-pêcheur avait été inculpé de pêche illégale, de refus d'obtempérer,
de désobéissance à un officier du ministère canadien des pêches. (Le
Monde 16-03-95)

Nous discuterons, par la suite, du «statut» du sujet transitif (St) et de l'emploi
de la préposition de ou par.

2.1 Discussion

2.1.1 Ejection ou élargissement?

Dans la plupart des grammaires, on trouve, dans les chapitres consacrés aux génitifs subjectif et objectif, des règles qui se basent implicitement sur une hypothèse que l'on pourrait appeler l'hypothèse de l'éjection. L'idée qui est exprimée est la suivante : dans les nominalisations nucléaires, le sujet et l'objet s'expriment les deux à l'aide de la préposition de. S'il faut exprimer les deux simultanément, c'est l'objet qui reste et le sujet qui est éjecté du centre pour céder la place à l'objet. Le sujet est exprimé dans la périphérie à l'aide d'un syntagme introduit par la préposition par, donc en tant que circonstant, selon cette hypothèse. Ainsi, comme S et O s'expriment les deux - c'est du moins ce que l'on a toujours présupposé - par la même préposition, on se trouve, pour employer les mots de Blinkenberg (1960, p. 287), «placé devant la gêne d'avoir à recourir au même outil grammatical pour les deux fonctions différentes». Citons, également, la thèse de Spang-Hanssen, p. 34 : «La rencontrede deux compléments, dont l'un exprime l'appartenance et l'autre un génitif objectif, soulève certaines difficultés (.. ) mais si le régime du de objectif est un substantif, on évite la répétition de la même préposition avec deux valeurs différentes (à moins que l'objet de l'action ne soit marqué par un nom indéterminé fortement uni au terme régissant : la volonté de paix de toutes les nations (36)). Suivant le cas, le de «subjectif» ou le de «objectif» sera remplacé par une autre préposition..» Dans Fransk Grammatik (PSV 1980), les auteurs constatent d'abord que le génitif subjectif peut être introduit soit

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par de soit par la préposition par, que le génitif objectif peut également être exprimé par de, que l'on ne peut pas exprimer les deux génitifs en même temps et finalement que c'est le génitif objectif qui est exprimé par de et le génitif subjectif par la préposition par, s'il est nécessaire d'exprimer les deux simultanément (§ 211.1 et 211.2). La même hypothèse sous-tend les descriptionsque l'on trouve dans d'autres grammaires (Grevisse, Rasmussen et Stage, Boysen, par exemple) Cette hypothèse est-elle justifiée? Certaines grammaires nous donnent même l'impression que l'on a le choix (voir par exemple Boysen, 1994, § 102.2.3 qui dit qu'on «peut (c'est nous qui soulignons)éviter une ambiguïté en utilisant par»). A notre avis, il n'est ni questionde libre choix, ni d'éjection, et s'il est question d'ambiguïté, c'est parce que certains noms se prêtent à deux lectures : une lecture «nucléaire» et une lecture «objective».

Pour mieux expliquer notre pensée, il nous faut examiner le domaine du génitif subjectif et du génitif objectif à partir d'une autre hypothèse. Selon celle-ci, que l'on pourrait appeler l'hypothèse de l'élargissement, un syntagme nominal peut être élargi par le rajout d'un S,. Nous allons tout d'abord essayer de démontrer qu'avec les noms d'action (nominalisations nucléaires), il n'est pas toujours possible d'exprimer le sujet à l'aide de la préposition de, contrairement à ce que l'on a souvent affirmé. Notre hypothèse implique que c'est toujours l'objet (l'actant fondamental) qui est exprimé à l'aide de la préposition de, alors que le sujet d'un nom transitif (St) est exprimé moyennant la préposition par.

(31) Cette chaleur se communique au public, puis gagne le candidat lui-même. Elle se manifeste par des signes inattendus, comme une patiente et détendue tournée des tables et entraîne, même une modification étonnante du comportement, comme l'escalade d'une chaise par M. Balladur, pour mieux saluer ses invités. (Le Monde 24-03-95)

A notre avis, il règne depuis longtemps une certaine confusion dans ce domaine, et ce pour deux raisons. Premièrement, on explique souvent le génitif subjectif et le génitif objectif à partir de l'exemple suivant : l'amour de Dieu.5 Or, il faudrait distinguer entre noms de sentiment et nom d'action. Les noms de sentiments ne s'organisent pas de la même manière que les noms d'activité. Avec les noms de sentiment, on peut parler d'ambiguïté puisque le syntagme prépositionnel en de peut s'interpréter, d'après le contexte,soit comme un génitif subjectif soit comme un génitif objectif. S'il faut exprimer les deux dans le même syntagme, c'est le sujet qui est exprimé par de, l'objet, lui, est introduit par pour.0 Deuxièmement, on a confondu, nous semble-t-il, les nominalisations nucléaires et les nominalisations objectives. Un nom d'action {réduction, revalorisation, élargissement, etc.) dénote l'activitéverbale,

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vitéverbale,sans toutefois ancrer cette activité dans le temps, et exige normalement, pour que le récepteur perçoive son sens dynamique, des actants, notamment les actants fondamentaux : pour les noms intransitifs un S¡ et pour les noms transitifs un O :

(32) Si Jean-Marie Le Pen et Philippe de Villiers s'appuient sur des noyaux
électoraux bien distincts, une progression du fondateur du MPF priverait le
chef du FN d'une véritable marge de manœuvre. (LeMonde 11-02-95)

(33) L'utilisation du disque vert sera généralisée à tousles postes de frontières
routiers des Etats-membres. (Le Guide de l'Europe des 12, p. 17)

Comme c'est le cas pour les verbes, même un actant fondamental - le sujet
intransitif ou l'objet - peut parfois être omis du syntagme nominal, s'il est
exprimé ailleurs dans la phrase ou s'il découle logiquement du contenu :

(34) Oui, le charme du style ajoute au bonheur du récit. (Daniel Pennac, Comme
un roman, p. 130)

(35) La loi du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant permet désormais au mineur «capable de discernement» de donner son avis en cas de séparation de ses parents ou sur la gestion de son héritage si ces derniers viennent à décéder. Il (le mineur) a également son mot à dire sur sa nouvelle adresse en cas d'expulsion du domicile pour loyer impayé, par exemple. (Elle, septembre 1994)

(36) L'entrée dans le post-mitterrandisme. Paradoxalement, la réélection triomphale de François Mitterrand en mai 1988 n'a pas fait du parti socialiste un «parti du président» aussi fidèle qu'il l'avait été sous le premier septennat. (Bilan 1994, p. 96)

Si la nominalisation nucléaire dénote l'action, la nominalisation objective dénote, en revanche, le résultat de l'action et son sens est statique. Dans une nominalisation nucléaire, on ne trouve jamais de génitif subjectif introduit par de. Un génitif en de est, par contre, possible avec une nominalisation objective. Fait qui n'est guère surprenant, puisque ce nom se comporte comme les noms courants (livre, idée, voiture...) qui admettent tous un génitif introduit par de. Le génitif que permet n'importe quel nom (autre donc que les nominalisations nucléaires) est normalement considéré comme un génitif possessif (au sens large de «rapport quelconque entre le nom et le réfèrent du syntagme prépositionnel»). Le génitif que l'on trouve auprès d'une nominalisation objective (production, conquête, invasion, information et autres) est plutôt à considérer comme un tel génitif possessif.7 Pour illustrer notre pensée, nous aurons d'abord recours aux dérivés du verbe produire

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production : nominalisation nucléaire

production : nominalisation objective

produit : nominalisation objective

producteur : nominalisation subjective

Comme on le voit, le nom déverbal production est un nom à double interprétation, il dénote soit l'activité verbale (sens dynamique) soit le résultat de l'activité verbale (sens statique). Dans le dernier sens, il semble légitime d'affirmer qu'il contient ou dénote l'objet de l'activité verbale. Ceci vaut pour toutes les nominalisations objectives. Le verbe produire est un des rares verbes à donner deux nominalisations objectives. La production dénote le résultat global de l'activité verbale (l'ensemble), et le produit une partie ou un résultat «partiel». Les noms à double interprétation ont donc deux structures ou deux schémas valentiels.

a. nominalisation nucléaire (sens dynamique) :

(37) La conquête de la Gaule [par César]
«V» O S,

(38) Pour respecter l'objectif des nouveaux textes - qui est de sauvegarder la rémunération de l'expert - l'idéal serait que, dans l'hypothèse de défaut de consignation de l'une des parties débitrices de la provision, l'autre ou les autres parties débitrices fassent l'avance de la provision non consignée par la partie défaillante. (Sem. jur. n° 48)

(39) Le rachat de Baltica par Tryg Forsikring donne naissance au leader danois.
(Les Echos 27-05-1995)

(40) L'information des femmes Le service information femmes de la Commission européenne (direction générale de l'information) organise des colloques, séminaires, études et campagnes d'information en vue d'informer les femmes sur les actions communautaires et de recueillir leur soutien. (Le Guide de l'Europe des 12, p. 131)

b. nominalisation objective (sens statique)

(41) La conquête de César
«V + O» génitif possessif

(42) Le salaire féminin étant inférieur à celui des hommes, le manque à gagner que représente le chômage des femmes est plus supportable que celui des hommes. Mais à cet effet du revenu s'ajoute celui des représentations sociales. La rémunération de l'épouse est conçue par le couple comme un complément de ressources, celle de l'homme comme une preuve de ses capacités de chef de famille. (Problèmes politiques et sociaux n° 748, p. 67)

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(43) Apprendre à rechercher une information dans une base de données. (Revue
Reflet n° 23, p. 17)

Cette distinction entre nominalisation nucléaire et objective est-elle bien nécessaire pour pouvoir rendre compte de l'emploi des prépositions de et pari Pour tenter de démontrer le bien-fondé de notre hypothèse, ou pour l'infirmer, nous avons construit des exemples avec des noms déverbaux qui ne permettent pas une double lecture, mais qui expriment uniquement l'activité verbale (nom nucléaire, sens dynamique) et nous avons fabriqué des exemples avec des séquences prépositionnelles en de qui devraient ici uniquement pouvoir s'interpréter comme des génitifs subjectifs. Il s'avère que ces exemples sont inacceptables ou très difficilement acceptables :

(44) * la prolongation du ministre
* la transmission de Paul Dupont, directeur commercial...
* le transport du chauffeur
* l'ouverture du directeur
* la perforation du médecin
* l'augmentation du directeur
* La propagation du Front National

II ne semble pas possible de construire des phrases adéquates à partir de ces
syntagmes, sauf à interpréter le syntagme en de comme un génitif objectif, si
le sens du nom le permet :

(45) En raison de son état critique, le transport du chauffeur à l'hôpital a été
effectué en hélicoptère.

Dans les autres exemples, une interprétation «objective» semble exclue, ce qui fait que les exemples ne sont pas interprétables du tout. A notre avis, l'inacceptabilité de ces syntagmes s'explique par le fait qu'avec les nominalisations nucléaires, le S, s'exprime toujours à l'aide de la préposition par et jamais par la préposition de. Pour étayer notre postulat à propos de l'interprétation de ces syntagmes, nous avons remplacé le déterminant défini par un déterminant possessif qui s'interprète, selon le cas, comme S, ou O pour voir si les syntagmes seraient, de ce fait, plus acceptables :

(46) * sa prolongation du ministre
* sa transmission de Paul Dupont, directeur commercial...
* son transport du chauffeur
* son ouverture du directeur
* sa perforation du médecin
* son augmentation du directeur
* sa propagation du Front National

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Dans ces syntagmes à déterminant possessif, les séquences prépositionnelles en de ne se laissent ni interpréter comme des génitifs objectifs (O) ni comme des génitifs subjectifs (St) et les syntagmes restent inacceptables. Pour que le déterminant possessif puisse s'interpréter comme O, il faudrait que le St soit exprimé par la préposition par :

(47) sa perforation par le médecin =
O S,
la perforation du poumon par le médecin

Dans l'exemple cité ci-dessus : * son transport du chauffeur, le déterminant possessif son ne peut s'interpréter que comme sujet et du chauffeur comme objet. Autrement, le syntagme n'est pas interprétable! Il est tout à fait impossible d'interpréter le syntagme prépositionnel comme un Sr Nous nous permettrons donc d'affirmer que le St s'exprime toujours par un syntagme prépositionnel introduit par la préposition par (Stage 1994, p. 112 et Herslund 1995, p. 57).

(48) Beaucoup de leurs projets ont été couronnés de succès. Mais de l'intérieur,
on a une tout autre image. Il y a un abîme entre les ambitions de la politique
de la ville et sa perception par la jeunesse. {Le Monde 7-10-95)

Comme le syntagme prépositionnel introduit par de exprime toujours l'objet après les noms d'action transitifs (après les nominalisations nucléaires), il serait plus logique, à notre avis, de parler d'élargissement du syntagme nominal, quand on trouve exprimés simultanément le S, et l'O.

Pour expliquer la différenciation entre le sujet et l'objet exprimés
simultanément dans le syntagme nominal, la tradition a souvent évoqué le
souci du style et le risque d'ambiguïté. Qu'en est-il vraiment?

2.1.2 L'interdit stylistique.

Comment expliquer que malgré la norme qui nous dicte d'éviter deux séquencesprépositionnels en de en fonction de sujet et d'objet, on puisse les trouver, par exemple, si le deuxième syntagme est un syntagme prépositionnelavec de + l'infinitif dans la fonction d'objet? L'occurrence simultanée de de + sujet et de de + l'infinitif a, déjà, été discutée par Blinkenberg (1960, p. 287) que nous nous permettrons de citer in extenso à ce propos : «Celui qui cherche à donner une forme plus explicite à la détermination du substantifverbal, dans laquelle les deux notions de sujet et d'objet s'expriment tous les deux par des substantifs, se trouve placé devant la gêne d'avoir à recourir au même outil grammatical de pour les deux fonctions différentes. En effet, on constate qu'une telle construction se réalise assez facilement dans les cas où l'objet du substantif verbal est un infinitif; pour cette répartitiondes termes, aucun souci de style ne semble intervenir pour empêcher la

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répétition : le refus de certains pays de respecter les décisions du Conseil de sécurité». Ainsi, d'après Blinkenberg, ce serait uniquement pour une question de style qu'on éviterait d'employer deux syntagmes introduits par de en fonction de sujet et d'objet. Nous avons nous-même essayé d'expliquer ce phénomène en renvoyant au fait que de + l'infinitif ne peut pas s'interpréter comme sujet du nom d'action, ce qui fait qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la préposition par pour différencier l'objet du sujet (Stage 1994, p. 120).

Selon Michèle Prandi (1987, p. 137), «la norme (qui déconseille l'itération de la séquence prépositionnelle en de ) ne serait pas «impositive, en revanche, lorsque la différence ontologique entre les actants élimine toute indétermination fonctionnelle : l'amour de la liberté des anciens Grecs; la retraite de Russie de Napoléon», et il poursuit son idée en constatant qu' «il faut cependant remarquer l'ordre presque figé des deux compléments, qui semble suggérer une différence de rang des deux compléments : (l'amour de la liberté) des anciens Grecs». Ici, Prandi exprime la même idée que Blinkenberg (1960, p. 287) à propos d'une plus forte cohésion, au moins pour le premier exemple. Nous pensons qu'il faudrait également tenir compte de la remarque de Blinkenberg à propos d'exemples comme la volonté de paix de toutes les nations. Il dit en effet : «Par le déséquilibre dans la cohésion des termes engagés, ces constructions sont sur le point de sortir du domaine de la transitivité en tant que syntaxe libre» (p. 287). En d'autres mots, il est plutôt question de mots composés, dans ces exemples. Le deuxième exemple cité par Prandi ne se construit pas avec un objet et un sujet, mais avec un sujet et un adjetloc. L'examen d'un bon nombre d'exemples contenant un nom qui présente une certaine similitude avec le nom cité par Prandi, à savoir le nom retrait, montre que le S, est introduit par la préposition par, l'objet par la préposition de et I'adjet,^ également par la préposition de.

(49) Au cours d'une récente enquête diligentée après le retrait par sa famille des
pensionnaires de l'établissement, la DDas se déclarait cependant satisfaite
de l'organisation des soins. (Le Monde 06-01-94)

(50) Les dirigeants des trois Etats baltes avaient lancé, samedi, un appel à M. Eltsine, demandant que le retrait total des troupes russes de la région s'achève d'ici à la fin de l'année comme promis par Mouscou. (Le Monde 05-01-94)

Quand on se trouve en présence de deux syntagmes prépositionnels introduitspar de après le nom retrait, on peut être sûr qu'il s'agit toujours d'un objet et d'un adjet)oc, jamais d'un génitif subjectif. Le fait que, dans certains cas bien précis, l'on trouve sans difficulté deux séquences prépositionnelles introduites par de nous oblige à constater que ce n'est pas pour une question

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de style que l'on évite d'employer la préposition de deux fois de suite. L'era
ploi de la préposition de dépend, comme nous l'avons affirmé plus hau
uniquement de la fonction syntaxique de l'actant.

2.1.3 Le risque d'ambiguïté.

Le risque d'ambiguïté constituerait-il une explication satisfaisante à 1 différenciation entre le sujet et l'objet dans le cas d'une occurrence simulta née? Comme un syntagme prépositionnel dont le régime est un nom anim peut s'interpréter soit comme sujet soit comme objet, on dit qu'il est le pli souvent nécessaire de différencier le sujet de l'objet en utilisant la prépositio par (ou bien, naturellement, un adjectif relationnel : américain, israëliei présidentiel ou bien le déterminant possessif)- Comme nous venons de 1 voir, il est tout à fait normal de trouver deux séquences prépositionnelle introduites par de quand il s'agit d'exprimer, simultanément, l'objet < l'adjetio,.. Là, toute ambiguïté est impossible. Dans les cas où l'objet est u syntagme infinitival, il n'y a pas non plus d'ambiguïté possible et le sujet < l'objet sont introduits, les deux, par la préposition de.

(51) Mme Thatcher propose la levée des sanctions contre l'Afrique du Sud, pu
les maintient après le refus de Mandela de renoncer à la lutte armée. (Robe
11, p. 862)

(52) Les comités de lutte contre la répression au Maroc viennent de protesti contre la décision du gouvernement français de supprimer les aides qu' avait consenties aux trois frères de nationalité marocaine et française, d( puis leur libération du bagne marocain de Tazmamart, le 30 décembj 1991. (Le Monde 04-01-94)

(53) La décision de M. Chirac de reprendre les expérimentations est défendue p< de nombreuses personnalités de la majorité, dont François Léotard, ancie ministre de la défense, ainsi que par le ministre des DOM-TOM, Jear Jacques de Peretti, qui va entamer une visite dans les territoires français d Pacifique sud. (Le Monde 25-08-1995)

Mais quand un nom comme refus contrôle un autre nom d'action en tar
qu'objet et non plus un syntagme infinitival, le S, est introduit par la prépos
tion par. Et ce bien qu'il n'y ait pas d'ambiguïté possible!

(54) Dans la majorité des cas, le refus de prise en charge par les ASSEDIC résul
d'une durée d'affiliation au régime d'assurance chômage insuffisant
(Problèmes politiques et sociaux n° 748, p. 40)

Ainsi, l'emploi de par ne semble pas non plus s'expliquer par le besoin d'év
ter une ambiguïté latente. Que dire de l'exemple cité ci-dessous?

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(31) Cette chaleur se communique au public, puis gagne le candidat lui-même. Elle se manifeste par des signes inattendus, comme une patiente et détendue tournée des tables et entraîne même une modification étonnante du comportement, comme l'escalade périlleuse d'une chaise par M. Balladur, pour mieux saluer ses invités. (Monde 24-03-95)

Là non plus, il n'y a pas de risque d'ambiguïté. A notre avis, le locuteur n'a jamais le choix entre les prépositions de et par pour éviter l'écueil de l'ambiguïté. Le St s'exprime toujours à l'aide de la préposition par, sauf dans le cas d'un infinitif objet (le cas de refus, reproche, décision., voir les exemples 51-53). exception à la règle n'a pas encore trouvé d'explication.

2.1.4 Les noms d'action sont-ils diathétiquement neutres?

On pourrait supposer que les noms d'action soient neutres quant à la diathèse puisqu'ils n'ont pas de marque passive. Selon Blinkenberg (1960, p. 283), les noms sont bel et bien diathétiquement neutres : «Le problème de la diathèse se pose d'une façon très différente dans les «nomina actionis». Pour ceux-là, on peut poser en principe qu'ils sont de par leur nature même diathétiquement neutres. Le substantif verbal indique la notion abstraite de l'action et reste en dehors des oppositions actif-médium-passif. Notons tout particulièrement que le médium (réfléchi), par la disparition forcée du pronom, perd toute marque caractéristique; abaissement correspond donc à : abaisser - s'abaisser - être abaissé». Blinkenberg précise sa conception à la page 284 : «L'indétermination diathétique du substantif verbal a pour conséquence que dans les cas où le substantif verbal reçoit une détermination axée sur les notions de sujet ou d'objet, l'indétermination foncière se reflète dans une indétermination «transitive» correspondante. A la neutralité du substantif verbal quant à l'opposition actif-passif correspond une neutralité quant à l'opposition objet-sujet.»

Selon Herslund (1995), la détermination sujet - objet d'un nom serait plutôt une question d'organisation ergative, et il ne serait pas nécessaire d'avoir recours à une interprétation passive. C'est ce qui explique que les actants fondamentaux, S¡ et O, soient exprimés de la même façon, à savoir à l'aide d'un syntagme prépositionnel introduit par de. Nous serions plutôt d'accord pour penser que les noms sont diathétiquement neutres, s'il n'y avait pas l'exception des noms tels que refus, décision, reproche qui sont suivis par des séquences prépositionnelles en de lorsque l'objet est un syntagme infinitival. L'interdit grammatical qui pèse sur la suite de deux séquences prépositionnelles introduites par de en fonction de sujet et d'objet ne vaut pas pour les cas où le régime du syntagme prépositionnel en fonction d'objet est un syntagme infinitival. Comment expliquer - sans faire appel à une «explication passive» - que ce soit justement les noms qui permettent un

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infinitif-objet qui soient «frappés d'exception», donc qui permettent la séquenceinterdite? Avec ces mêmes noms, on trouve également le S, exprimé à l'aide de la préposition par à condition que l'objet ne soit pas un syntagme infinitival, mais un autre nom d'action (voir ex. 54 à propos du mot refus). Il est impossible de se tromper : le syntagme prépositionnel dont le régime est un infinitif peut seulement avoir la fonction d'objet, car dans les phrases passives, le sujet n'est jamais un syntagme infinitival. Si le désir d'éviter une ambiguïté éventuelle était un facteur décisif quant à la différenciation entre le sujet et l'objet, on devrait logiquement pouvoir trouver deux séquences prépositionnelles introduites par de même dans le cas où l'objet n'est pas un syntagme infinitival. Car souvent, aucune erreur n'est possible :

(31) Cette chaleur se communique au public, puis gagne le candidat lui-même. Elle se manifeste par des signes inattendus, comme une patiente et détendue tournée des tables et entraîne, même une modification étonnante du comportement, comme Xescalade d'une chaise par M. Balladur, pour mieux saluer ses invités. ( Le Monde 24-03-95)

(55) Outre l'adoption par le Conseil de sécurité d'une résolution qui fixera les enjeux diplomatiques d'un nouveau mandat, ce double engagement suppose, sur le plan militaire, une négociation sur le nombre des «casques bleus» qui seront maintenus en Croatie, leur implantation, la définition de leurs moyens et sur l'organisation du commandement. (Le Monde 24-03-95)

Comme on le voit, dans ces deux exemples, la distribution des fonctions de
sujet (agent) et d'objet (patient) est bien claire, et on devrait donc logiquement
pouvoir exprimer les deux par la préposition de.

(31a) ? l'escalade d'une chaise de Balladur

(55a) ? l'adoption du Conseil de sécurité d'une résolution

Or, il se trouve que c'est une séquence que l'on ne relève pas (que nous n'avons pas relevée en tout cas). Si ce qui était en jeu était uniquement une éventuelle ambiguïté, il nous semble que l'on devrait pouvoir relever de tels exemples ou construire éventuellement des exemples acceptables. Il ne semble pas que ce soit le cas. Le S, (l'agent) est toujours introduit par la préposition par. C'est ce que Blinkenberg 1960, p. 287-8) appelle une orientationpassive : «Normalement, la double détermination du substantif verbal explicitant les deux notions de sujet et d'objet, s'obtient en différenciant la préposition de liaison, ce qui est possible en introduisant le sujet agissant à l'aide de par, donc en donnant une orientation passive au substantif verbal.» Si nous penchons en faveur d'une orientation passive plutôt générale et pas seulement dans le cas d'une double détermination c'est que nous avons trois bonnes raisons pour le faire. Premièrement, l'hypothèse d'une orientation

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passive des noms d'action nous permettra d'expliquer la seule exception à l'interdit qui pèse sur la suite de deux syntagmes en de en fonction de sujet et d'objet. Si la suite est permise dans le cas d'un régime-syntagme infinitival, c'est, en effet, parce que le syntagme infinitival ne peut jamais s'interpréter comme sujet d'une phrase passive. Dans ce cas-là - et seulement dans ce caslà-, on pourrait parler d'orientation active. Deuxièmement, les noms d'action(les nominalisations nucléaires) ne permettent jamais un génitif subjectifen de, même si l'objet n'est pas exprimé ou autrement dit, même dans les syntagmes où il n'y a pas de double détermination (sujet - objet). C'est ce que nous avons tenté de prouver plus haut où nous avons discuté l'acceptabilitéou plutôt l'inacceptablité de certains syntagmes nominaux {^l'ouverture du directeur, par exemple). Auprès des noms d'action, un syntagme prépositionnelen de peut seulement introduire les actants fondamentaux (à part, évidemment, les A^ et les A,eu ende). Troisièmement le parallélisme que l'on peut relever entre les phrases passives et les noms d'action quant à l'emploi de la préposition par pour exprimer le S, (ou l'agent) et le fait que la nominalisation permet - comme la voix passive - l'omission de l'agent de «l'activité verbale» nous font également pencher en faveur d'une orientation «plutôt passiviste» pour les noms d'action.

Si le nom d'action est un nom «réfléchi», le S, et le O se confondent, c'està-dire que le syntagme prépositionnel en de exprime à la fois le sujet et l'objet. Ici, on pourrait vraiment parler de «neutralité quant à l'opposition objet - sujet».

(56) Les autres problèmes de la société française, ceux qui dérivent de h propagation du sida, par exemple, ou encore ceux qui touchent à la justice, sont souvent traités intelligemment avec une prime à l'imagination pour Dominique Voynet et Lionel Jospin ou Jacques Chirac pour le sérieux. {Nouvel Observateur 26 avril 1995)

Dans l'exemple cité, il est évident que «le sida» exprime à la fois le sujet et l'objet. Pour le vérifier, il suffit simplement d'introduire un S, différent à l'aide de par pour voir qu'une telle lecture du nom est inacceptable dans le contexte :

(57) ?la propagation du sida par les hétérosexuels....

(58) La dégradation des rapports avec la France s'est manifestée, de façon aiguë ces dernières heures en Australie; d'où l'ambassadeur a été rappelé mardi ler1er août, «ce pour une période indéterminée», a précisé le Quai d'Orsay. (Le Monde 03-08-95)

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(59) La faiblesse du revenu initial accroît les risques de dissolution du ménage. Mais plus encore qu'au niveau initial du revenu, la dissolution du couple est fortement liée à la façon dont ce revenu va évoluer dans la période. (Problèmes politiques et sociaux n° 748, p. 66)

(60) Le véritable défi est à chercher dans la solution aux problèmes d'intégration des exclus, de réinsertion des populations et des zones en difficulté, menacées par la formation de véritables ghettos ou la désertification. (Le Monde 15-01-94)

Les exemples 58-60 montrent aussi l'importance du contexte pour l'interprétation
de la nominalisation : la dérivation a-t-elle eu lieu à partir du verbe
transitif simple ou du verbe réfléchi?

2.2 La transposition du sujet et de l'objet : résumé.

Pour résumer, nous pouvons donc constater que les deux actants fondamentaux auprès des verbes d'activité : S¡ et O sont à considérer comme les actants fondamentaux du syntagme nominal également. Ces deux actants sont introduits dans le syntagme par la préposition de, qui est la préposition la plus grammaticalisée. S'il est nécessaire d'élargir le syntagme, c'est-à-dire d'exprimer également le St pour les besoins du texte et ce à l'aide d'un syntagme prépositionnel, il faut toujours utiliser la préposition par sauf dans les cas où le «régime-objet» est un syntagme infinitival.


DIVL1395

Information, invitation, annulation, suppression, augmentation, présentation,
contrôle, remise, profanation, adoption, violation, transgression, escalade...

(61) La profanation du cimetière juif de Carpentras, découverte le 10 mai, semble
briser cet élan. (Bilan politique, p. 117)

(62) Ces derniers jours, deux propositions sont venues, l'une du groupe de travail du Plan, dirigé par Alain Mine, préconisant d'accélérer le passage à la monnaie unique; l'autre de Jacques Chirac, disant : on ne pourra pas le faire avant 1999 et, en tous cas, pas sans une nouvelle consultation des Français. (Le Monde 16-11-1994)

(63) La seule exclusion qui intéresse Chirac, c'est celle d'Edouard Balladur. (EVJ
15-03-95)

(64) Dans cet ordre d'idées, il (Robert Badinter) est intervenu à TFI, le 23 avril, à la veille de l'ouverture du débat parlementaire, en marquant son désaccord, notamment, à Xélection du président du Conseil constitutionnel par ses pairs. [Bilan politique de la France 1994, p. 38)


DIVL1407
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Dépôt, envoi, enlèvement, introduction

(65) L'envoi, par l'huissier de justice, au dernier domicile connu du destinataire,
du procès relatant les diligences qu'il a accomplies pour le recherchev...(Sem.jur.
1989 n° 48)

(66) Le dépôt d'une demande à la mairie du lieu de résidence du postulant
(Dupeyroux 1984, Droit de la sécurité sociale, p. 1002)

(67) POLICE :le dépôt à'une liste «Front national de la police» (FNP), vendredi 10 novembre, par un syndicat spécialement créé pour briguer les voix des gardiens de la paix et des gradés aux élections professionnelles de la midécembre, a provoqué les critiques des principales organisations policières. (Le Monde 20-11-95)


DIVL1417

Accusation, inculpation, dispense

(68) Alain Gauzi, arrêté en juin 1992 et toujours sous le coup d'une inculpation
pour attentats àla pudeur sur mineurs de 15 ans, (LeMonde 15-02-94)

(69) En août dernier, les trois principales organisations extrémistes musulmanes égyptiennes avaient menacé de s'en prendre aux intérêts américains si les Etats-Unis maintenaient l'inculpation du Cheikh Oman Abdel Rahman (Le Monde 4-02-94)

Théoriquement, le S, doit pouvoir figurer auprès des noms accusation, inculpation
et dispense, mais, malheureusement, les exemples font défaut.


DIVL1427

Schéma 1. L'emploi des prépositions introduisant le S,, le St etl'O dans le syntagme nomi nal.

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2.3 La transposition de l'Aattr dans le syntagme nominal.

Pour exprimer la fonction d'Aattr (attribut de l'objet) auprès du verbe, la langue dispose de deux constructions : un syntagme nominal ou un syntagme prépositionnel introduit par la préposition à dont le régime est une localisation abstraite (au conseil de, à la tête de, etc) : nommer q. directeur, nommer q. au poste de directeur

(70) Daniel Libard, qui vient d'être nommé à la direction de Félix Potin, a soumis
au conseil d'administration un plan de restauration draconien. (Nouvel
Observateur 19-4-95)

Dans un syntagme nominal, on trouve les trois constructions suivantes : la
nomination deq.à + nom abstrait de localisation, la nomination de q. comme
ou la nomination de q. en tant que :

(71) Cette analyse intervient après d'autres propos analogues tenus par les dirigeants communistes qui ont souligné, depuis Y élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, que sa politique n'était pas comparable à celle de la droite libérale. (Le Monde 25-08-95)

(72) La nomination de Michel Albert au Conseil de politique monétaire de la
Banque de France n'est pas une surprise. (Le Monde 06-01-94)

(73) II s'agit de la neuvième baisse du taux des banques depuis la nomination
comme premier ministre d'Edouard Balladur. (Le Monde 05-01-94)

(74) II a enfin demandé aux actionnaires de ratifier la nomination, en tant qu'administrateurs, de la BNP, d'une part, représentée par son PDG, Michel Pébereau, et d'Antoine Riboud, PDG du groupe Danone, d'autre part. (Les Echos 26-5-95)

(75) La tutelle ne passe point aux héritiers du tuteur. Ceux-ci seront seulement
responsables de la gestion de leur auteur; et s'ils sont majeurs, ils seront
tenus à la continuer jusqu'à la nomination d'un nouveau tuteur. (CC 419)

(76) A défaut, tout associé peut demander au président du tribunal, statuant sur
la requête la désignation d'un mandataire de justice chargé de provoquer la
consultation prévue ci-dessus. (CC 1844-6)

II est significatif qu'avec ces noms, on trouve soit un nom propre soit une «fonction» comme objet (tuteur, directeur etc.). Dans certains textes juridiques (lois, arrêtés..), l'Aattr n'est jamais exprimé, pour la simple raison qu'il ne s'agit pas, dans ces types de textes, de situations «actualisées», mais de situations «modèles». Dans ces cas, c'est, bien sûr, la «fonction» (au sens nonlinguistique), qui prend la place de l'objet (voir les exemples 75-76).

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2.4 La transposition de l'Aloc dans le syntagme nominal.

Comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, l'adjet (que ce soit l'Aloc, rA,,eu ou l'A^,) amène, en principe, sa préposition dans le syntagme nominal. Dans la plupart des cas, on retrouve donc la même préposition qu'auprès du verbe. C'est toujours le cas de l'Aloc. Nous n'avons pas trouvé d'exception à cette règle.

(77) Depuis Y installation de Balladur à Matignon, il avait assisté, aussi tétanisé
qu'agacé, à la danse du ventre à laquelle les intellectuels éclairés se livraient
autour d'Edouard de Smyme. (EVJ 15.03.95)

(78) Depuis 1988 : le programme «jeunesse pour l'Europe». Pour bénéficier du programme il faut préparer son séjour de telle façon qu'il permette une véritable immersion du jeune dans la réalité économique, sociale et culturelle du pays visité. (Le Guide de l'Europe des 12, p. 82)

(79) La presse américaine avait spéculé récemment sur la possibilité pour M. Clinton d'annoncer à Genève, le 16 janvier, un retraitée la Syrie de cette liste, pour encourager Damas à normaliser ses relations avec Israël. {Le Monde, 07-01-94)

(80) Le gouvernement israélien affirme être parvenu, mercredi dernier, dans la capitale égyptienne, à un compromis avec la délégation palestinienne sur les points essentiels en litige au sujet d'un retrait israélien de la bande de Gaza et de Jéricho. (Le Monde 04-01-94)

(81) Dejouany n'a pas été soumis à un contrôle judiciaire et peut envisager de
rester à la tête de son groupe jusqu'à son départ à la retraite, prévu en juin
1996. {Les Echos 26-05-95)

L'Aloc est partout introduit par la même préposition qu'auprès du verbe.

2.5 La transposition de l'Aneu dans le syntagme nominal.

L'An™ peut, comme auprès du verbe, être introduit par un grand nombre de
prépositions : à, en, sur, contre, pour, avec, de....

(82) En tout état de cause, M. Clarke a rappelé que Xadhésion d'un pays à I'UEM
serait source de bienfaits pour les économies, mais elle ne devrait pas répondre
à des considérations purement politiques. (Le Monde 11-02-95)

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(83) La lutte contre le terrorisme. (Le Guide de l'Europe des 12, p. 18)

(84) En contrepartie de la renonciation à ses armes nucléaires, Kiev devrait recevoir
de sérieuses compensations financières. (Le Monde 15-01-94)

(85) Troisième objectif donc : légaliser le pouvoir militaire. Khin Nyunt lorgne,
sur ce plan, en direction de l'lndonésie, où la participation des forces armées
à la vie politique est inscrite dans la loi fondamentale. (Le Monde 05-01-94)

Seule la préposition de semble poser problème lors de la nominalisation d'un verbe régissant un Aneu en de. Il semblerait que cette préposition ne soit pas toujours «bien vue» dans le syntagme nominal en fonction d'Aneu. Ou bien le verbe qui exprime son A,,^ par la préposition de n'a pas de nominalisation nucléaire (c'est le cas de certains verbes de communication tels que convaincre, prévenir), ou bien l'Ancu n'est pas exprimé, ou bien on utilise une autre préposition.

Parmi les noms qui régissent un A,,^ introduit par de, il faudrait distinguer
plusieurs groupes.

IoIo Noms de «profit» [jouissance, bénéfice, profit...)

(86) Le débiteur ne peut, avant l'entier acquittement de la dette réclamer la
jouissance de l'immeuble qu'il a remis en antichrèse. (CC 2087)

(87) L'héritier exclu de la succession pour cause d'indignité est tenu de rendre
tous les fruits et les revenus dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la
succession. (CC 729)

(88) Le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsque par son fait il
a diminué les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier. (CC
1188)

(89) Toutefois, si le locataire demande le bénéfice du paiement mensuel du loyer,
par application de l'article 18, deuxième alinéa, le bailleur peut exiger un
dépôt de garantie. (CC 1203)

(90) L'obligation est solidaire entre plusieurs créanciers lorsque le titre donne expressément à chacun d'eux le droit de demander le paiement du total de la créance, et que le paiement fait à l'un d'eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l'obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers. (CC 1197)

Le nom profit ne s'emploie pas comme une nominalisation nucléaire et ne prend jamais d'Aneu. Il s'emploie soit dans une construction à verbe support tirer profit de qc soit dans des locutions figées telles que au profit de, pour le profit de où le syntagme en de doit s'interpréter comme un génitif possessif.

(91) Mais, si l'acquéreur a tiré profit des dégradations par lui faites, le vendeur a
droit de retenir sur le prix une somme égale à ce profit. (CC 1632)

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(92) Le contrat de mariage doit déterminer les biens sur lesquels portera la
faculté stipulée au profit du survivant. (CC 1391)

Seuls les noms bénéfice et jouissance semblent pouvoir s'interpréter comme
des nominalisations nucléaires avec des A,,eu. Nous n'avons pas trouvé
d'exemples avec un S¡ dans le même syntagme nominal.

2° Noms de communication objective ou subjective : avertissement, information,
conviction, persuasion, prière, supplication.

Parmi les noms cités, seuls les noms information et persuasion peuvent s'interpréter comme des nominalisations nucléaires avec un sens dynamique. Quand l'A^ est exprimé après information, par exemple, c'est toujours la préposition sur qui est employée pour l'introduire.

(93) Des normes maximales de radioactivité dans les aliments ont été définies, de même que les procédures d'assistance mutuelle entre les Etats-membres et d'information des populations sur les mesures de protection à prendre en cas d'urgence radiologique. (Le Guide de l'Europe des 12, p. 69)

(94) Information des associés. Les associés ont le droit d'obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d'un mois. (Code ci vil 1855)

(95) La parution extrêmement tardive du décret n'a guère permis de diffuser une
information sérieuse jusqu'à présent. (Le Monde 01-01-94)

(96) «N'ajoutons pas à leurs contraintes : ce serait perçu comme un obstacle supplémentaire à la création d'entreprises» a-t-il ajouté, en faisant en vain une ultime tentative de persuasion : «Au moins pour les SARL, conservons le seuil actuel.» (Le Monde 09-04-94)

(97) II ne s'agit pas pour nous de demander à l'Eglise d'être complaisante vis-àvis du relativisme moral qui imprègne trop souvent notre société, mais de rappeler qu'on ne peut agir en profondeur sur les consciences que par la persuasion et l'appel à la liberté. (Le Monde 21-01-94)

Comme on l'aura remarqué, il n'y a pas d'objet ni d'A,,^ après le nom persuasion, mais nous pensons quand même que le nom a gardé son sens dynamique dans ces syntagmes. Le seul nom qui puisse aisément s'interpréter des deux manières n'admet apparemment pas un A,,eu introduit par de.

(98) ? l'informations des femmes de leurs droits

(99) ? la persuasion des Européens du bien-fondé de l'attitude française.

Tous les autres noms de communication cités ci-dessus sont des nominalisations
objectives et leur sens est statique.

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3° Noms d'accusation : accusation, blâme, incrimination, inculpation. Le mot blâme s'entend uniquement au sens statique d'une nominalisation objective. Le nom accusation pourrait s'interpréter d'après les deux structures, mais en réalité on ne trouve jamais des exemples comme :

(100) ? l'accusation du banquier de banqueroute frauduleuse

Avec ce nom, on a toujours recours à la nominalisation indirecte dérivée de
porter une accusation ou des accusations contre q. pour qc.

(101) L'accusation ou les accusations portées contre le banquier pour banqueroute

Comme on ne peut pas avoir deux Aneu, il faudrait interpréter le syntagme
introduit par la préposition pour comme un Ccau

L'inculpation s'interprète des deux manières (nominalisation nucléaire et
nominalisation objective) et quand il est pris dans son interprétation dynamique,
l'Aneu est exprimé par la préposition pour.

(102) Le magistrat a demandé, mardi 15 février, àla justice française de notifier
aux deux dirigeants du Crédit Lyonnais leur inculpation pour banqueroute
simple et complicité. (Le Monde 17-02-95)

(103) Après l'inculpation de l'ancien directeur pour attentats à la pudeur Mgr.
Dufois affirme qu'il ne cherche pas à étouffer l'affaire du collège Saint
Jacques de Joigny. {Le Monde 15-03-94)

(104) Par commission rogatoire, il vient d'ailleurs de demander à la justice française de signifier à Jean-Yves Haberer, ancien président, et à François Gille, actuel directeur général, leur inculpation pour banqueroute, le droit suisse ne permettant pas d'accuser des personnes morales. (Le Monde 24-09-94)

Dans le langage juridique actuel, le mot inculpation a été remplacé par le
nom mise en examen qui se construit de la même façon :

(105) Après une courte parenthèse correspondant à l'élection présidentielle, les «affaires» reprennent. Sur le front politique, avec la mise en examen de Georges Pérol, proche de Jacques Chirac, et la condamnation à cinq ans de prison du sénateur socialiste du Gard, Claude Pradille (voir en dernière page). Mais aussi dans le monde des entreprises, avec la mise en examen d'un des grands patrons français : Guy Dejournay, PDG de la Compagnie Générale des Eaux. Ce dernier s'est vu notifier, la veille de l'Ascension, par la gendarmerie nationale, sa mise en examen «pour corruption active», dans le cadre de la passation de contrats de distribution d'eau de Saint- Denis de la Réunion. {Les Echos 27-05-95)

Side 75

On peut donc conclure que si l'An(.u en de que l'on trouve auprès du verbe, n'est pas tout à fait exclu dans le syntagme nominal, il est rarement exprimé par cette préposition. On évite les séquences problématiques soit en laissant un des actants inexprimé (s'il ressort du contexte immédiat) soit en employant l'article possessif pour exprimer le S¡ et le syntagme prépositionnel en de pour exprimer \'hnea. Avec certains noms {inculpation, incrimination) la préposition que l'on emploie auprès du verbe est échangé contre pour. L'A,,eu des noms d1 «accusation» présente une certaine ressemblance avec des C^ comme c'est aussi le cas pour le complément du verbe d'ailleurs.

(106) C'est la première fois qu'un ancien membre du gouvernement portugais
est condamné pour corruption. (Le Monde 19-01-94)

Voir également un exemple dans lequel on trouve un C^,, exprimé par un
syntagme en pour :

(107) La loi du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant permet désormais au mineur «capable de discernement» de donner son avis en cas de séparation de ses parents ou sur la gestion de son héritage si ces derniers viennent à décéder. Il (le mineur) a également son mot à dire sur sa nouvelle adresse en cas d'expulsion du domicile pour loyer impayé, par exemple. (Elle, septembre 1994)

2.6 La transposition de l'adjet dat.

Si l'adjetdat semble un peu «récalcitrant» puisqu'il n'apparaît pas souvent dans le syntagme nominal, c'est en partie parce que parmi les verbes qui se construisent avec un datif, il y en a beaucoup qui n'ont pas de nominalisation nucléaire. Quand il faut transposer l'Ada, dans un syntagme nominal, c'est le plus souvent la préposition à qu'on emploie.


DIVL1572

Obéissance, désobéissance, appartenance

(108) Le patron-pêcheur avait été inculpé de pêche illégale, de refus d'obtempérer,
de désobéissance à un officier du ministère canadien des pêches. (Le
Monde 16-03-95)


DIVL1578

(109) Lorsque la propriété riveraine n'est pas bâtie, ni clôturée de murs, la publication du plan d'alignement entraîne l'attribution immédiate à la collectivité de la propriété des parties de terrains comprises dans le plan d'alignement. (Leparticulier, Septembre 1995)

Side 76

(110) L'objet de la perquisition est tout ce qu'il y a de plus simple : le magistrat cherche à découvrir le motif du versement à Michel Reyt d'une commission de 2,8 millions de francs en octobre par la société GEC-Alsthom. (Le Monde 16-03-95)

(111) Le médiateur, Paul Legatte, a saisi l'occasion que lui donnait la remise de
son rapport au président de la République en avril 1990, pour faire le point
de son activité. (Bilan, p. 42)

(112) II s'agit d'une commission qui lui a été versée par GEC-Alsthom «à l'occasion
d'une vente de matériel ferroviaire à des acheteurs hollandais». (Le
Monde 24-03-95)

(113) - la constitution d'un dossier par les soins du bureau d'aide sociale qui
peut utiliser à cet effet des visiteurs-enquêteurs et la transmission de ce
dossier au préfet. (Dupeyroux, Droit de la sécurité sociale 1984, p. 1003)

II faut noter qu'avec les noms transitifs, le datif se trouve uniquement dans des syntagmes nominaux où l'objet est également exprimé. Avec certains noms dont le sens exige un datif, on trouve, contre toute attente, le datif introduit par la préposition pour. Et il ne semble pas que, dans les exemples cités, on puisse toujours remplacer la préposition pour par la préposition à. Auprès des verbes, il est également possible de trouver des datifs exprimés par des syntagmes prépositionnels en pour. Ces datifs sont appelés des datifs libres et ne comptent pas parmi les actants, mais parmi les circonstants, puisque leur présence n'est jamais exigée par le sens lexical du verbe (Herslund 1988). Dans le syntagme nominal, nous n'avons pas trouvé l'équivalent d'un datif libre. Les exemples d'un datif introduit par pour que nous avons relevés apparaissent tous avec des noms dont le sens exigent un datif: octroi, interdiction.. Avec le nom octroi, il y a apparemment deux manières d'exprimer le datif: à et pour. Une analyse approfondie des exemples montre pourtant qu'il y a une différence de subordination. Dans l'exemple 116, le syntagme prépositionnel en pour est étroitement lié au nom bourse et peut être substitué par un syntagme participial tel que destinées à des élèves de 15 à 25 ans, alors que dans les exemples 114 et 115, les syntagmes prépositionnels se trouvent au même niveau par rapport au noyau nominal (des visas = O et aux juifs = Adat). Par ailleurs, l'A dat reste souvent inexprimé, parce que le récepteur apparaît ailleurs dans le contexte immédiat (voir exemple 117).

(114) En décembre 1993, le président Hafez El Assad avait promis au secrétaire
d'Etat américain, Warren Christopher, d'accélérer l'octroi des visas aux
juifs. (Le Monde 28-01 -94)

Side 77

(115) Ce scrutin s'inscrivait dans le cadre de l'octroi, en 1992 par Kiev, d'une plus
grande autonomie politique à la péninsule. (Le Monde 18-01-94)

(116) A cette fin, le programme Lingua permet Y octroi de bourses pour des
élèves (de 15 à 25 ans) et aussi pour des enseignants dans le cadre de projets
interétablissements. (LeGuidedel'Europedes 12, p. 81)

(117) Même s'il attend de ce «petit tour d'horizon bilatéral» avec le ministre de l'éducation nationale, puis de la réunion du 27 janvier à Matignon, «une vraie réflexion sur le qualitatif», le patron de la FEN, Guy le Néouannic, manifeste également son intention de ne pas céder sur Xoctroi de moyens supplémentaires. (Le Monde 19-01-94)

(118) Affectée à l'Office de protection des réfugiés, dont elle devint en 1956 secrétaire générale, elle suivit «le petit homme» sans hésitation lorsque Xoctroi de l'autodétermination à l'Algérie l'amena à rompre avec de Gaulle, à s'exiler et à prendre la tête, contre lui, de ce qu'il n'hésitait pas à appeler une nouvelle Résistance. (Le Monde 15-11-95)

Dans les exemples que nous avons relevés avec le mot interdiction, la préposition
à ne peut pas se substituer à la préposition pour.

(119) De plus, «la proposition de directive», en autorisant des dérogations à Xinterdiction du travail de nuit pour les enfants de moins de quinze ans, est en contradiction avec la convention 6 sur le travail de nuit des enfants. (Le Monde 01-10-1994)

(120) II [l'objectif politique] entraîne deux conséquences : le refus de la partition
de la Bosnie, et Xinterdiction pour les pays voisins de tenter de bénéficier de
cette partition. (Le Monde 04-02-1994)

Au fait, nous n'avons trouvé le datif exprimé par la préposition à avec le mot interdiction que dans des nominalisations dérivées de constructions à verbe support. Ces expressions s'emploient surtout dans le langage juridique. Il s'agit d'expressions avec la nominalisation + le participe passé de faire (voir plus bas).

(121) Ainsi Xinterdiction faite à certains administrateurs des biens d'autrui
d'acheter les biens dont ils ont la garde est dictée par l'intérêt du propriétaire
des biens. (Weill, Droit civil - les obligations 1986, p. 271)

Ainsi, avec le nom interdiction, il y a deux types de syntagmes nominaux, une nominalisation directe interdire qc. à q. qui devient interdiction pour q. de faire qc. et une nominalisation indirecte dérivée d'une construction à verbe support faire interdiction à q. défaire qc. qui donne : interdiction faite à q. de....

Side 78

2.7 Schéma récapitulatif.


DIVL1618

* Voir schéma 1 ** Voir le paragraphe consacre a la transposition de l'Aneu L'emploi des prépositions introduisant un octant dans le syntagme nominal dont la tête est un nom d'action.

3. Nominalisation indirecte

On peut distinguer deux types de nominalisations indirectes : des nominalisations avec le participe passé d'un verbe support et les nominalisations avec le participe passé du verbe faire, employé lui aussi comme verbe support. Dans le but de montrer la pertinence de la distinction que nous avons établie entre nominalisations directes et nominalisations indirectes et son importance pour l'emploi des prépositions, nous allons étudier quelques cas de nominalisations indirectes particulièrement intéressantes. Beaucoup de constructions à verbe support correspondent à un verbe transitif. Citons, à titre d'exemple, les verbes et constructions suivantes :


DIVL1728

Les verbes simples ne donnent pas toujours de nominalisation nucléaire. C'est le cas par exemple des noms aide et soutien. Ces deux noms sont à considérer comme des nominalisations objectives (donc statiques) puisqu'ils n'acceptent pas de génitif objectif.8

Side 79

Le syntagme nominal L'aide du malade, par exemple, ne peut jamais prendre le sens de : Quelqu'un aide le malade. La situation semble être la même avec le nom soutien : le soutien du malade ne peut pas être compris comme Quelqu 'un soutient le malade. Les nominalisations des noms aide et soutien sont toujours des nominalisations indirectes, dérivées d'une construction à verbe support.

( 122) Le gouvernement japonais admet sa responsabilité dans la lenteur de Y aide
aux victimes du séisme de Kobé. (Le Monde 11-01-95)

(123) L'aide européenne aux Palestiniens, elle, est la plus substantielle promise à ces derniers par la communauté internationale depuis la Déclaration de principes, signée entre I'OLP et Israël, le 13 septembre 1993, à Washington... (Le Monde 11-01-95)

( 124) L'archevêque de Cantorbéry va ainsi apporter son soutien aux centaines de
milliers de chrétiens déplacés dans le sud du Soudan... (Le Monde 01-01-94)

(125) Le ministre belge des affaires étrangères, Willy Claes, a reçu, lundi 3 janvier, une délégation de manifestants kurdes, partis le 23 décembre de Bonn pour une «marche de soutien à la lutte du peuple kurde» (Le Monde 05-01-94)

Dans certains cas, le verbe simple et la construction à verbe support contrôlent
la même sorte d'actants. Mais les deux types de constructions ne donnent
pas toujours lieu à des nominalisations. Citons à titre d'exemples :


DIVL1730

Les deux constructions bénéficier de et tirer bénéfice de permettent des
nominalisations : le bénéfice de et le bénéfice tiré de :

(126) Le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsque par son fait
il a diminué les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier.
(CC1188)

(127) II peut opposer le bénéfice de la discussion aux créanciers de son vendeur.
(CC 1666)

(128) L'idée d'un bénéfice national tiré de l'appartenance à l'Union est aussi en
chute libre et se situe à son niveau le plus bas depuis dix ans (45% de
réponses positives). (Le Monde 08-06-94)

La situation n'est pas la même avec le nom profit qui ne s'emploie apparemment qu'avec le participe passé quand il faut transposer également l'Aneu. Le nom s'emploie surtout dans des expressions toutes faites telles que : au profit de.

Side 80

( 129) Chaque région, chaque ville, souhaite en effet honorer par un timbre «so homme célèbre ou «son site touristique». Derrière la plupart de ces i quêtes, appuyées par les notables locaux, se profilent les clubs philatéliqt qui espèrent en retirer la consacration... et renflouer leurs caisses grâce profit tiré de la vente de souvenirs. (Le Monde 08-06-94)

(130) Le contrat de mariage doit déterminer les biens sur lesquels portera
faculté stipulée au profit du survivant. (CC 1391)

Souvent, pourtant, le verbe simple et la construction à verbe support ne? gent pas les mêmes actants. Tel est le cas du verbe résoudre et de la constru tion à verbe support apporter une solution à qc. Le nom solution entre p conséquent dans deux structures :

a) un syntagme dérivé du verbe simple la solution de qc. (O) :

( 130) En revanche, une nouvelle offre sera ouverte quand la justice aura rendu décision sur le fond «afin de permettre aux actionnaires minoritaii d'exercer leur choix en connaissance de la solution du litige». (Le Mon 06-01-94)

(131) Plateforme pour une solution politique et pacifique de la crise algérienr
(Front des forces socialistes immigration. Infos, janvier 1995)
= la crise algérienne doit être résolue de façon politique et pacifique.

b) un syntagme dérivé d'une construction à verbe support :la solution à<;
(Adat):

(132) ...les premiers ministres, John Major et Albert Reynolds ont signé i
accord visant à trouver une solution au conflit qui déchire la provin
d'Ulster depuis plus de vingt ans. (Le Monde 03-01-94)

La dernière nominalisation (structure b) est souvent employée dans d
propositions où il n'y a pas trace du verbe support.

(133) ...et ceux, majoritaires, qui estiment qu'il n'y a pas de solution politique <
conflit cambodgien. (Le Monde 06-01-94)

( 134) La lutte armée n'est pas la solution aux graves injustices sociales vécues p
les Indiens du Chiapas. (Le Monde 05-01-94)

(135) Le président Pascal Lissouba a préconisé la formation d'un gouverneme:
d'union nationale comme solution aux violences politiques et ethnique
(Le Monde 05-01 -94)

Ce qui différencie les deux nominalisations, c'est la nature des actan
qu'elles permettent :

a) solution est une nominalisation nucléaire qui permet un objet et, s'il e
nécessaire, un S, introduit par la préposition par.

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b) solution est une nominalisation objective qui permet un adjet^,.9 S'il faut
exprimer le St, un participe «béquille» est nécessaire.

Comment savoir laquelle dès deux nominalisations il faut employer? Peut-on les utiliser indifféremment? Il nous semble que ce n'est pas le cas, sans que nous soyons en mesure de bien préciser notre conception pour le moment. Le choix semble dépendre étroitement du contexte, notamment du verbe de la proposition dans laquelle se trouve la nominalisation.

( 136) Dans ses premières déclarations publiques sur ces événements, le président Carlos Salinas de Cortari a estimé que la violence retardait «la solution des problèmes sociaux» du Chiapas et que les différends devaient «être résolus dans le cadre de la loi» et «d'un dialogue pacifique». (Le Monde 05-01-94) = les problèmes sociaux ne seraient pas résolus assez vite à cause de la violence.

(136a) ? Dans ses premières déclarations publiques sur ces événements, le président Carlos Salinas de Cortari a estimé que la violence retardait «la solution aux problèmes sociaux» du Chiapas et que les différends devaient «être résolus dans le cadre de la loi» et «d'un dialogue pacifique». = que la violence retardait l'apport d'une solution aux problèmes sociaux?

(137) Battant la campagne sous la bannière de l'aménagement du territoire et
souvent en campagne du premier ministre, il a imposé l'idée, un peu trop
simple, selon laquelle la solution des problèmes urbains passe par un
rééquilibrage au profit des campagnes. (Le Monde 06-01-94)
= les problèmes urbains doivent être résolus par un rééquilibrage au profit
des campagnes.

( 137a) ? Battant la campagne sous la bannière de l'aménagement du territoire
et souvent en campagne du premier ministre, il a imposé l'idée, un peu
trop simple, selon laquelle la solution aux problèmes urbains passe par
un rééquilibrage au profit des campagnes.
= L'apport d'une solution aux problèmes passe par un rééquilibrage au
profit des campagnes?

Les nominalisations indirectes avec le participe passé de faire sont particulièrement fréquentes dans le langage juridique. Dans ces constructions, on trouve soit des nominalisations nucléaires soit des nominalisations objectives.

a. nominalisations nucléaires dans lesquelles l'O est également exprimé :

Side 82

( 138) Le séquestre conventionnel est le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d'une chose contentieuse, entre les mains d'un tiers qui s'oblige de la rendre après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir. (CC 1956)

(139) Le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du
transport faite au débiteur. (CC 1690)

(140) L'acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte Offre
d'indemnisation faite par le fonds.... (Le Monde 05-05-94)

(141) La simple indication faite, par le débiteur, d'une personne qui doit payer à
sa place, n'opère point novation.

Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d'une personne
qui doit recevoir pour lui. (CC 1277).

b. nominalisations objectives :

(142) Toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne
s'ensuit pas. (CC 1088)

(143) Toute signification faite au majeur en curatelle doit l'être aussi à son curateur,
à peine de nullité. (CC 510-2)

Dans le langage juridique surtout, on voit un grand nombre de collocations
avec une nominalisation + le participe passé défaire dont l'unique fonction
semble être de permettre l'introduction de l'Adat dans le syntagme nominal.

(144) Ainsi Y interdiction faite à certains administrateurs des biens d'autrui
d'acheter les biens dont ils ont la garde est dictée par l'intérêt du propriétaire
des biens. (DC, p. 271)

(145) La France constate «avec regret l'interdiction faite à certains journaux d'être
distribués en Tunisie» a déclaré, lundi 21 mars, le porte-parole du Quai
d'Orsay, Richard Duqué. {Le Monde 23-03-94)

(146) ...ce texte se contente de refuser tout effet à la clause, souvent insérée dans les contrats, par laquelle le mineur affirme qu'il est capable. C'est l'article 1310 qui limite aux cas de faute dolosive ou lourde Y interdiction faite au mineur de plaider la nullité, (frajur 5.059 5 :5)

(147) ...l'avocat de la partie civile brossa un portrait sur mesure de René Bosquet. Un portrait en pied où l'on découvrit un grand administrateur prompt à «dissoudre la police antijuive dès son arrivée» à Vichy, exempt de toute implication dans Y obligation faite au juifs de porter une étoile au revers de leurs vêtements, opposé aux tribunaux d'exception. (Le Monde 15-11-95)

Side 83

Une partie de ces collocations existe seulement sous forme de syntagme
nominal, d'autres sont dérivés d'une construction à verbe support.

(148) M. Amaoui a jugé que l'annonce faite par le pouvoir de rouvrir le dialogue social, le 15 mars prochain, était un «leurre» et «qu'il n'était jamais rien sorti des commissions de travail mises sur pied par le gouvernement». (Le Monde 24-02-94)

(149) Prudents, presque empruntés, ils ont spontanément adopté la recommandation faite par Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé de «légiférer les mains tremblantes» [sur le dossier de l'éthique biomédicale]. {LeMonde 15-01-94)

4. Conclusion

Les actants fondamentaux du verbe (Sj et O), ont un comportement identique dans le syntagme nominal. Nous voulons dire par là qu'ils régissent la même préposition. Comme pour les verbes, la distinction entre S¡ et S, s'avère d'une importance cruciale pour la nominalisation nucléaire, puisqu'elle permet de mieux rendre compte de l'emploi des prépositions. L'interdit qui pèse sur la suite de deux syntagmes en de ne frappe pas uniquement la structure [S, et O], mais également les structures suivantes : [Sj et Aneu] - [St, Oet A^J. Par contre, les séquences qui contiennent àla fois un S¡ et un Aloc sont jamais touchées par cet interdit. Dans le dernier cas, la préposition de a gardé son sens plein, autrement dit son sens locatif. Nous avons choisi de décrire l'emploi des prépositions à partir de la fonction grammaticale du syntagme prépositionnel. L'idéal serait évidemment de décrire le schéma valentiel de chaque nom, donnant en même temps toutes les informations nécessaires sur l'emploi des actants et des circonstants et sur l'emploi des prépositions, mais une telle description dépasserait le cadre d'un simple article.

L'interprétation des syntagmes prépositionnels en de a déjà fait couler beaucoup d'encre. Nous espérons avoir réussi à démontrer que dans les nominalisations nucléaires, le syntagme en de est toujours un génitif objectif et que le S, s'exprime toujours à l'aide de la préposition par.

Nous avons vu qu'il y a lieu de distinguer deux types de nominalisations pour pouvoir rendre compte de l'emploi des prépositions. Quand a-t-on affaire à une nominalisation directe dont les actants peuvent se comparer aux actants que l'on trouve auprès du verbe simple? Quand s'agit-il d'une nominalisation indirecte, dérivée d'une construction à verbe support? C'est un problème que nous avons essayé d'illustrer en commentant le schéma valentiel de certains noms {aide, soutien, solution, interdiction). Autant de difficultés à surmonter pour un apprenant de la langue française, notamment des langues de spécialité.

Side 84

Parfois, on est en présence de trous syntactico-sémantiques, c'est-à-dire que la nominalisation d'un verbe ne donne pas de nominalisation nucléaire. C'est le cas des verbes aider et soutenir, par exemple. Parfois, on trouve, au contraire, tant une nominalisation nucléaire directe que la nominalisation indirecte, c'est le cas du nom solution, par exemple.

Dans le syntagme nominal dont il a surtout été question dans cet article (la nominalisation nucléaire), l'emploi du participe (passé ou présent) pose également problème. Quand faut-il employer un participe? Pour ouvrir des places que l'on ne trouverait pas sans ça, la place du datif ou du S, par exemple? Pour introduire des circonstants dans le syntagme? Ou tout simplement pour des raisons sémantiques ou textuelles? Toutes ces questions resteront sans réponses pour le moment. L'ordre des actants et des circonstants dans le syntagme nominal est un terrain qui reste encore à défricher.

Pour finir, nous voudrions attirer l'attention sur une sorte de nominalisation dont nous n'avons pas tenu compte dans notre article, c'est la nominalisation qui se fait à l'aide de l'expression le fait de {le fait d'avoir trouvé..) ou le fait que (le fait qu'il a trouvé...). Cette pseudo-nominalisation permet au locuteur d'exprimer tous les actants (pratiquement) puisque le verbe reste intact sous forme d'un infinitif ou bien, dans la complétive, employé dans une forme finie. Dans les langues de spécialité, cette nominalisation n'est pas très courante, elle appartient surtout au style journalistique. Il serait intéressant d'étudier la distribution des différentes sortes de nominalisations dans les différents types de textes.

Lilian Stage

Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Copenhague



Notes

1. Une pluie de remerciements à Hanne Korzen pour ses commentaires, conseils et encouragements.

2. VoirTesnière L. (1959), Herslund et Sorensen (1985 et 1987), Lilian Stage (1986 et 1994), Irène Baron (1992 et 1994).

3. Voir Herslund et Sorensen (1985 et 1987,) Lilian Stage (1986 et 1994) et Irène Baron (1992 et 1994).

4. Il est également possible d'exprimer les relations actantielles à l'aide d'un adjectif relationnel {le voyage présidentiel) ou à l'aide de l'article possessif {sa restitution à la Syrie).

5. Dernièrement dans Grammaire méthodique du français, p. 188 : «D'où l'ambiguïté des constructions comme l'amour de Dieu dont le complément du nom peut être interprété comme le sujet actif ou passif du verbe nominalisé (Dieu aime N/No aime Dieu)».

Side 85


6. Pour plus de détails voir Spang-Hanssen (1963), p. 36.

7. Dans un premier travail sur les syntagmes nominaux, nous avions adopté le point de vue opposé, incluant tous les génitifs possessifs dans le groupe des génitifs subjectifs. Mais cette idée s'est avérée infructueuse. Il faudrait restreindre la définition du génitif subjectif de sorte qu'elle n'inclue que le sujet logique du nom déverbal qui dénote une activité verbale.

8. La même restriction frappe les deux noms équivalents en danois.

9. En danois, on a deux possibilités également avec les mêmes noms : lese et problem I bsningen afetproblem et bringe en bsningpâ en konfliktllasningen pâ en konflikt.

Side 86

Résumé

Le syntagme nominal dont le noyau est une nominalisation nucléaire n'admet pas d'actants sous forme d'autres syntagmes nominaux. Pour transposer les actants du verbe dans le syntagme nominal, la langue a recours au syntagme prépositionnel. Dans cet article la discussion portera sur l'emploi des prépositions et sur l'interprétation du syntagme prépositionnel introduit par de, la préposition la plus «vide» de sens, autrement dit la préposition la plus «ambiguë» de toutes.

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Textes cités

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Pennac, D. (1992): Comme un roman. Gallimard, Paris.
Weill A. (1980): Droit civil - les obligations. Dalloz, Paris.

b. Périodiques

Les Echos

L'Evénement du jeudi

Le Nouvel Observateur

Problèmes politiques et sociaux