Revue Romane, Bind 31 (1996) 2

Le roman de Tristan en prose, t. VIII, De la quête de Galaad à la destruction du château de la lépreuse, édité par Bernard Guidot et Jean Subrenat sous la direction de Philippe Ménard. Textes littéraires français 462. Droz, Genève, 1995.407 p.

Jonna Kjær

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Le tome VIII du Tristan en prose est l'avant-dernier de l'édition de ce grand roman dirigée par Philippe Ménard et menée à bien par toute une équipe de spécialistes. Pour ce volume, Bernard Guidot a établi la première partie du texte, l'examen linguistique, les bibliographies, le glossaire et la table des noms propres, tandis que Jean Subrenat est responsable de la deuxième partie du texte, des pages relatives à la tradition manuscrite et de l'étude littéraire. Comme pour les volumes précédents, le manuscrit de base est le ms. A (Vienne, Osterreichische Nationalbibliothek 2542) et le texte édité correspond aux §§ 494-515 de l'analyse de Lòseth (Paris, 1890; Slatkine Reprints, Genève, 1974).

L'intérêt particulier de notre texte est sa reprise très fidèle de la Quête du Graal, déjà commencée au tome VI mais interrompue par la suite. Au tome VIII, le contenurendu de la Quête correspond aux pages 56-14 et 162-246 de l'édition d'Albert Pauphilet (La Queste del Saint Graal, 1967). Ph. Ménard a certainement raison de

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souligner, dans sa préface, le plaisir qu'éprouveront les chercheurs à examiner de près les passages empruntés à la Quête et leur intégration dans le nouveau contexte du Tristan. Pour ce faire, la présentation du volume nous livre plusieurs outils; d'abord, les parties de la Quête sont imprimées en italiques dans le résumé du contenu,ce qui permet un repérage plus rapide; ensuite, des notes textuelles relèvent les déviations par rapport à la Quête, et finalement l'excellente étude littéraire, «Problèmeslittéraires», de Jean Subrenat (p. 43-64), discute les intentions de l'auteur, les modifications de la personnalité de Galaad, qui est le héros central de tout le volume, et enfin celles de Tristan et de Palamède. A vrai dire, Tristan lui-même n'occupe pas beaucoup de place dans ce volume, mais il rencontre Galaad dans une scène qui le rend fou de colère et de «mortel haine» contre Palamède dont il entend, caché avec Galaad, les lamentations amoureuses adressées à la reine Yseut (d'ailleurs absente du volume). Si le passage nous montre l'estime chevaleresque réciproque entre Galaad et Tristan, il fait aussi voir la différence qui les sépare, car quand Tristan insiste à vouloir tuer son rival Palamède, Galaad l'en empêche parce qu'il ne veut pas que Tristan le fasse «pour si povre acoison conme d'amer la roine Yseut»!

Dans l'étude littéraire, Jean Subrenat analyse les intentions qui ont pu amener l'auteur à omettre le chapitre de la Quête où Gauvain et Hector se retrouvent pour s'avouer que leur errance est devenue stérile (éd. Pauphilet, p. 147-162) mais à garder tout l'épisode de la nef de Salomón. L'omission s'expliquerait par l'incongruité d'une disette d'aventures chevaleresques qui serait en porte-à-faux dans le contexte du Tristan où, comme le dit très bien Subrenat, «un chevalier errant doit toujours trouver des aventures». Les méditations religieuses et toute la dimension mystique des visions et apparitions «incompréhensibles aux chevaliers mais toujours longuement explicitées par des ermites» peuvent surprendre dans le contexte d'un récit profane, et on pourrait s'attendre à ce que l'auteur saute l'épisode de la nef de Salomón. Cependant, Subrenat propose de penser au Lancelot en prose où la Quête est structurellement indispensable et de regarder le Tristan en prose comme une «somme» qui veut donner l'histoire totale de la chevalerie et donc être encore plus complète que le Lancelot.

Toujours selon Subrenat, les deux légendes, celle de la quête du Graal et celle de Tristan, se trouvent étroitement lices dans le Tristan en prose, et leur symbiose est assurée par le personnage de Galaad dont le rôle ne se situe plus essentiellement sur le plan spirituel. Dans notre roman, Galaad devient, à deux reprises, l'agent du miracle, le médiateur de la grâce divine, ce qui pourrait s'interpréter comme sa mise en valeur autant sur le plan humain que sur le plan spirituel, comme si l'auteur du Tristan avait trouvé le Galaad de la Quête «trop éthéré, trop distant du commun des mortels». En somme, Subrenat voit dans le personnage de Galaad de notre texte une volonté de la part de l'auteur de l'incarner dans son milieu d'origine, sans rien lui enlever de sa perfection spirituelle.

Dans la dernière partie de son étude littéraire, Subrenat constate que, malgré tout,
Tristan lui-même, l'amant d'Yseut, «ne s'est pas adouci au contact de Galaad, il
perdure d'une manière assez négative dans sa haine, sa brutalité, sa jalousie morbide».Palamède,

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bide».Palamède,par contre, est attachant : il développe de plus en plus la courtoisie
de son caractère (il refuse de haïr Tristan, il se fait le fidèle d'une Yseut divinisée).

Nous terminons ce compte rendu, qui a voulu mettre en relief la riche étude littéraire de Jean Subrenat, en ajoutant que ce tome VIII de l'édition du Tristan en prose doit aussi être apprécié pour ses deux bibliographies, dites «sommaires» mais qui sont importantes, relatives au Tristan en prose et à la Quête du Graal, ainsi que pour ses notes substantielles avec de nombreux renvois à d'autres textes littéraires médiévaux, à des ouvrages critiques et aussi à la Bible.

Université de Copenhague