Revue Romane, Bind 31 (1996) 2

Ralph Sarkonak : Les trajets de l'écriture. Claude Simon. Les Editions Paratexte, Trinity college, Toronto, 1994, 235 p.

Karin Holter

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L'œuvre de Claude Simon, avant comme après le prix Nobel, a été mieux reçue, mieux lue en dehors de la France qu'à l'intérieur de l'Hexagone, pour ne citer que l'Angleterre, la Suisse, la Scandinavie, les Etats Unis - le Canada. Si des chercheurs canadiens (Jean-Pierre Vidal en tête) ont été dès le début des années 70 présents dans la critique simonienne, il semblerait qu'il y ait depuis une dizaine d'années comme une concentration des études simoniennes au Canada. (Voir à ce propos les deux derniers recueils d'articles, résultant de deux «Colloques Simon», Claude Simon. Chemins de la mémoire (Ed. Le Griffon d'argile, Québec/Presses Universitaires de Grenoble, 1993) et Les sites de l'écriture (Queen's University, Kingston, Librairie Nizet, Paris, 1995), tous les deux édités par Mireille Calle-Gruber).

En première ligne de cette critique se place Ralph Sarkonak, de l'Université de Toronto. Par rapport à son premier livre sur Simon, Claude Simon : les carrefours du texte (Paratexte, Toronto, 1986; voir compte rendu dans Revue Romane 24, 2), celuici - Les trajets de l'écriture ... - marque à la fois une continuité et un déplacement d'objectifs. Il y a la même attention aux jeux intra- et intertextuels à l'œuvre dans toute fiction simonienne, mais une plus grande accentuation du rôle de la référence pour l'écriture aussi bien que pour la lecture de ses romans.

D'ailleurs, l'analyse de Sarkonak, dans Les trajets de l'écriture, ne se limite pas aux romans de Claude Simon. Son livre porte sur tous les ouvrages (à part le Discours de Stockholm) publiés par Simon au cours des années quatre-vingt : les deux grands romans - Les Céorgiques ( 1981 )et/. 'Acacia ( 1989) -le «poème en prose» La Chevelure de Bérénice (1983), (réédition, sans les peintures de Miro, de ï-emmes (1966)) - L'lnvitation ( 1987), qualifié par Sarkonak comme «récit de voyage» et, enfin, Album d'un amateur (1988), «photo-texte» où pour la première fois Simon emploie comme stimuli d'écriture des photographies qu'il a prises lui-même. Malgré la diversité générique du corpus, Sarkonak justifie son choix par sa propre préoccupation critique - voir les textes simoniens comme un ensemble d'intertextualité restreinte travaillé par d'autres textes et par le hors-texte - mais aussi par l'emploi que fait Simon «des techniques et des thèmes récurrents /.../ dans ces textes apparemment si divers» (p. 5).

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A la base de l'intérêt accru de Sarkonak pour les questions de la référence, aussi bien textuelle qu'extra-textuelle, se trouve cet effet déplaisir qu'éprouve le lecteur par rapport aux textes simoniens, plaisir provoqué par un sentiment de déjà vu, de déjà lu, ou de déjà vécu. Au centre du «plaisir du texte» simonien se trouve le plaisir de reconnaissance.

L'apport le plus fructueux du livre de Sarkonak à la critique simonienne me semble être son analyse approfondie de la complexité de la notion de réfèrent (il distingue quatre «pôles» référentiels : référence extra/intra/inter et métatextuelle) et son rapport étroit avec l'acte de lecture : «La référentialité s'avère être le lieu d'une tension entre quatre pôles qui l'entourent, pôles entre lesquels se dessinent des rapports qui le traversent au moment de son appropriation lectorale» (p. 96).

Pour concrétiser la notion d'arborescence, notion «qui nous semble la plus appropriée pour décrire non seulement certains procédés micro-structurels mais aussi l'ensemble intertextuel» (p. 7), Sarkonak, dans son analyse de L'Acacia, «Un drôle d'arbre : L'Acacia», fait l'inventaire de «l'arborescence intertextuelle» de l'œuvre simonienne en dressant des listes de références croisées pour chacun de ses livres, commençant par Le Tricheur (1945), mais dans une lecture rétrospective, à partir de L'Acacia. Si on peut douter de l'utilité, pour une analyse du fonctionnement précis de cette «mémoire textuelle» dans tel ou tel livre, il n'en reste pas moins que Sarkonak a fourni avec cet inventaire une démonstration très concrète du volume de cette mémoire, et une preuve tangible du «caractère foncièrement intertextuel de l'œuvre dans son ensemble» (p. 210). Sans parler du gain de temps que représente pour nous autres la constitution de ces listes, nous évitant l'exercice habituel à tout lecteur simonien - «/nous/rappelant l'endroit : environ dans le premier tiers en haut d'une page de droite» {La Bataille de Pharsale, p. 20) et, comme Simon lisant Proust, trouvant ailleurs... Quitte, bien sûr, à trouver aussi autre chose, ailleurs, que Sarkonak.

En conclusion, ce qui est sûr, c'est que le livre de Ralph Sarkonak, par le sérieux de
sa documentation et la subtilité de ses analyses, présente un outil critique précieux
pour tous ceux qui travaillent les textes simoniens.

Université d'Oslo