Revue Romane, Bind 31 (1996) 2

Il n'y a que toi qui puisses le faire! - à propos de l'emploi thématique d'un type de proposition subordonnée

Naoyo Furukawa

1. Introduction

Quel est le statut sémantique de la proposition relative qui puisses le faire dans l'exemple-titre? Il est d'ores et déjà acquis que l'on n'a affaire ici à aucun des deux types de proposition relative communément reconnus : la relative restrictive et la relative appositive. Les linguistes n'ont pas manqué de remarquer le caractère particulier de cette espèce de relative. Ainsi, K. Sandfeld classe celle-ci dans les relatives qu'il qualifie de «relatives indépendantes» et lui consacre une section intitulée «la proposition relative indépendante derrière la négation ne... que». Sa particularité en tant que relative ne signifie pas, bien sûr, la marginalité du problème. Elle constitue, bien au contraire, un problème d'une envergure plus grande qu'il n'y paraît, dans la mesure où, en quittant le simple site de la proposition relative, elle rejoint sur le plan catégoriel la proposition introduite par la conjonction que et les syntagmes prépositionnels {de + adj., pour + inf, à + inf, etc.) -comme l'illustrent les exemples ( l)- - et s'ouvre ainsi sur des études sémantiques de la structure de la phrase :

(1) II n'ya qu'aux riches qu'on se donne la peine déplaire. (J. Renard, Journal, p.
384)1

(2) II n'y ade divin que la pitié. (L. Bloy, Le désespéré, cité dans Le Robert)

(3) II n'y a que les gens malheureux, pour mettre la souffrance des humbles de
plain-pied avec la leur... (O. Mirbeau, Le journal d'une femme de chambre, p.
128)

(4) II n'y a que cela à aimer à Poussay. (M. Barrés, Mes cahiers, t. 7, p. 298)

Pour anticiper sur les conclusions de notre analyse, nous dirons :
fi) la subordonnée qui puisses le faire dans l'exemple-titre fonctionne
comme un thème par rapport àla principale // ny a que toi;

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(ii) ce thème est de nature à être qualifié de thème impliqué, par comparaison
avec le thème constitué par la subordonnée qu-... dans la phrase clivée
C'est... qu-..., thème qu'il conviendrait de qualifier, lui, de thème présupposé;

(iii) c'est l'expression restrictive ne ... que qui implique ou «construit» ce
thème de la phrase;

(iv) sur un autre plan sémantique, la subordonnée en question constitue
un localisateur au sens abstrait du terme.

2. Le pronom relatif ou la conjonction?

On commencera par considérer les exemples suivants : (5) Un riche ne peut jamais être seul, puisqu'il est dans la foule de ceux qui ont leur pain assuré. Il n'y a que la misère qui isole. La pauvreté groupe les hommes, la misère les isole, dit Léon, car la pauvreté est de Jésus, la misère est de l'esprit-saint... (L. Bloy, Journal, t.2, p. 102) (6) jamais je ne t'oublierai / l'air et les paroles également touchantes; / le refrain plein d'une tristesse naïve, il n 'yapas que des cœurs simples que cette chansonlà ait attendris. (L. Hémon, Maria Chapdelaine, p. 130) (7) Mot d'un riche àun pauvre :- tenez, mon ami, voilà un morceau de pain. // n'y a que le pain dont on ne se dégoûte pas. (). Renard, Journal, p. 114)

Le statut catégoriel de qui/que/dont est évident : ils sont tous pronoms relatifs. Ainsi, dans (5) le pronom relatif qui représente la fonction syntaxique du SN la misère par rapport au verbe isole de la subordonnée dans la mesure où celui-ci s'accorde en personne et en nombre avec celui-là. Or, il n'en va pas toujours ainsi. Les exemples suivants montrent l'apparition de syntagmes prépositionnels comme... antécédents :

(8) Et un garçon de l'hôtel, leur voisin, a entendu à travers la cloison un de ces Allemands qui, en se fourrant au lit, disait à son compagnon : - tout de même, il n'y a que dans des lits français qu'on soit bien couché. (M. Barrés, Mes cahiers, t. 2, p. 240)

(9) je le vois avec les yeux de l'enfant, puis, du jeune homme, puis, de l'homme. Sa mort. Ça m'amuserait, d'apprendre qu'il est cocu, que je ne suis pas son fils. Ça m'expliquerait bien des choses, mais il n'y a qu 'à moi que ces choses n arrivent pas. (J. Renard, Journal, p. 639)

(10) Et, s'étant coupée, et ayant sucé le sang de sa blessure, elle s'empoisonna.
- une bonne femme, dit Léon parlant de sa femme. Elle ne houge pas. //
n 'y a qu 'à la fin qu 'elle remue. (Ibid., p. 148)

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(11) -ona joué une pièce de vous, dit-il. /- ah? /ilya trois ou quatre ans, oui. /- dans un petit théâtre, rue Saint-Lazare. /- c'est bien possible. Je ne me souviens pas. Il n'y a qu'avec ces hommes-là qu'on renonce à parler de soi, tant c'est inutile. (Ibid., p. 634)

En fait, il ne s'agit plus ici de pronoms relatifs. Ainsi, dans (8) la particule que joue le rôle de conjonction, étant donné qu'elle sert à relier la proposition on soit bien couché à la proposition il n'y a que dans des lits français. Il faut remarquer ici que la proposition introduite par que n'a pas de lien syntaxicosémantique direct avec le SN des lits français, lien tel qu'on le trouverait dans les relatives restrictive et appositive (ex. ... l'homme(,) qui porte une cravate verte, ...) auquel cas la proposition relative se rapporte directement au SN antécédent et non à la proposition principale. Cette constatation nous amènera à reconnaître une coupure sémantique devant la proposition introduite par que. La constatation ne va pas sans conséquence. Si l'on admet que les exemples (8)- 11) constituent avec les exemples (5)-(7) un type commun de construction, on est conduit à reconnaître également, faut-il le souligner, une même coupure sémantique pour ces derniers. La possibilité de l'insertion de quelque élément accessoire joue en faveur de cette analyse :

(12) II n'y a que toi, ici, qui puisse s'en charger. (Vautel, Curés pauvre, p. 250,
cité dans Sandfeld, p. 136)

(13) II faudra m'excuser. J'avais prévu un buffet froid... poulet, foie gras, salade.
/ II n'y a pas que le poulet, ma chère, qui se mange froid. (Amours célèbres,
scénario de film)

Ce qu'il faut tirer de l'analyse des exemples avec la conjonction que, c'est que les pronoms relatifs qui/que/dont dans les exemples cités plus haut (5)-(7) n'entrent en ligne de compte que dans leur fonction conjonctive; ce qui revient à dire que leur fonction pronominale ne constitue pas un trait pertinent dans l'étude de la construction en cause. Que représente alors la proposition subordonnée introduite par la conjonction que ou les pronoms relatifs {qui, que, dont, etc.)? Nous montrerons à la section suivante que cette proposition subordonnée (désormais, SUB) se comporte comme le thème de la phrase.

3. Le statut thématique de la SUB qui puisses le faire

Notre thèse est que la SUB qui puisses le faire dans II n'y a que toi qui puisses
le faire constitue un thème dans la mesure où la phrase peut être glosée un
peu métaphoriquement comme :

(14) Sur une éventuelle liste de gens qui pourraient le faire, je ne peux inscrire
que ton nom.

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Le locuteur parle en effet d'une éventuelle liste de gens capables de le faire, et
dit que seul son interlocuteur pourrait y figurer.

Pour donner une première justification à cette analyse, il convient de
considérer ici les phrases suivantes :

( 15) II n'y a que toi qui sois intelligent.

(16) II n'y a que toi d'intelligent.

On admettra que ces deux phrases sont sémantiquement équivalentes. Pour mettre en avant la thèse du statut thématique de la SUB qui sois intelligent, on peut alors recourir au syntagme prépositionnel d'intelligent dont le statut thématique sera plus facilement mis en évidence notamment grâce à sa déplaçabilité syntaxique. En effet, le syntagme d'intelligent peut se déplacer en position frontale détachée, position thématique par excellence :

(17) D'intelligent, il n'y a que toi.

L'élément initial détaché D'intelligent est, cela va de soi, le thème de la phrase. Celle-ci signifie : sur une éventuelle liste de gens qui pourraient être étiquetés comme intelligents, il n'y aurait que ton nom. Cela nous conduit à dire que d'intelligent en (16) aussi constitue un thème, implicite sinon explicite. Ce qui a été dit à propos de d'intelligent en (16) s'applique à la SUB qui sois intelligent en (15) dans la mesure où les deux phrases sont sémantiquement équivalentes.2

L'analyse que l'on vient de faire suggère que la SUB qui puisses le faire dans
l'exemple-titre a un statut thématique, mais un statut thématique particulier.
Ce statut demandera donc à être précisé.

4. Thème impliqué et thème présupposé

Comparons maintenant l'exemple-titre avec la phrase clivée sémantiquement
très proche3 :

(18) II n'y a que toi qui puisses le faire.

(19) C'est toi qui peux le faire.

Disons d'emblée que qui puisses le faire en (18) et qui peux le faire en (19) constituent respectivement ce qu'on pourrait appeler un thème impliqué et un thème présupposé. La différence réside en effet en ce que la première séquence représente un thème impliqué ou «construit» par l'expression restrictive ne ... que conjuguée à il y a, alors que la seconde n'est qu'un thème «de rappel» dans la mesure où le pronom Ce, pronom déictique, constitue déjà le thème de l'énoncé. Cette différence de statut, présupposé ou non, entraîne une différence de degré de dépendance de la phrase par rapport au contexte :

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(20) II n'y a que l'amour qui résout tout problème humain.

(21 ) C'est l'amour qui résout tout problème humain.

La phrase (20) constitue une phrase sémantiquement autonome et peut bien
faire figure de maxime, tandis que l'emploi de la phrase (21) demande une
phrase antérieure.

A la section suivante, nous allons voir comment le thème impliqué se
construit «sur place», c'est-à-dire à l'intérieur même de la phrase,
indépendamment du contexte antérieur.

5. L'expression paradigmatisante ne... que

On observera tout d'abord que l'insertion de ne ... que dans une phrase de
forme II y a SN + de + adj. fait disparaître de manière spectaculaire les contraintes
sémantiques que celle-ci comporte.4 En effet, les phrases suivantes :

(22) II ya une chaise de libre.

(23) II yaun étudiant de malade.

connaissent deux restrictions : celle sur le SN et celle sur l'adjectif. Ce type de
phrases n'accepte que difficilement les SN définis :

(24) ?I1 yala chaise de libre.

(25) ?I1 ya l'étudiant de malade.

L'autre contrainte exige que l'adjectif soit un adjectif exprimant un état
passager et non une propriété :

(26) ?I1 ya une chaise de confortable.

(27) ?I1 yaun étudiant d'intelligent.

Il est curieux de constater que, avec l'ajout de l'expression restrictive ne ...
que, ces contraintes disparaissent :

(28) II n'y a que la chaise de libre.

(29) II n'y a que l'étudiant de malade.

(30) II n'y a qu'une chaise de confortable.

(31) II n'y a qu'un étudiant d'intelligent.

Que signifie cela? Cela représente, à notre avis, le changement radical de la structure sémantique thème/propos. Dans (23), par exemple, on asserte qu'un étudiant est malade; bien qu'il ne dispose que d'une faible thématicité en raison de son indéfinitude sémantique,3 le SN un étudiant fonctionne comme un thème - au niveau de la prédication seconde, donc il ne s'agit pas là du thème de la phrase - par rapport à l'adjectif malade qui sert, lui, de propos. Dans (29), la relation thème/propos s'inverse. Le locuteur ne parle

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pas de l'étudiant mais d'une éventuelle liste de gens malades, et dit que seul l'étudiant figurerait sur cette liste; ce qui revient à dire que c'est de malade qui est le thème de la phrase et que le SN l'étudiant fait partie du propos ou du prédicat de la phrase.

L'effet curieux de l'expression restrictive ne ... que observé ci-dessus se remarque également, bien que de manière moins spectaculaire mais tout aussi certaine, dans le cas de notre exemple-titre. Ainsi, la suppression de ne ... que entraîne l'inacceptabilité de la phrase :

(32) ?I1 ya toi qui puisses le faire.'1

La même opération effectuée pour (20) donné plus haut produit la phrase
suivante :

(33) 11 ya l'amour qui résout tout problème humain.

La phrase n'est pas inacceptable, certes, mais le sens diffère; qui résout tout
problème humain se rapporte ici, en tant que relative restrictive, au SN
antécédent l'amour.

L'effet de ne ... que étant constaté, on peut alors se demander par quel processus il se produit. Notre analyse consiste à penser que cet effet est dû au jeu «paradigmatisant» de l'expression restrictive ne... que, à savoir que l'emploi de celle-ci implique la construction d'un paradigme dans lequel l'item mis en focus pourrait figurer à titre de membre.7 Ainsi, dans // n'ya que toi qui puisses le faire, l'expression ne... que laisse supposer un paradigme ou une liste où pourraient paraître Jean, Georges, toi, etc. Après avoir «parcouru» ce paradigme — et c'est là en effet le vrai thème de la phrase - le locuteur déclare qu'il ne comporte que toi. Le fonctionnement de ne ... que ainsi analysé, on peut penser que la SUB qui puisses le faire donne corps à ce paradigme ou plutôt à «la qualité ou condition requise pour s'y ranger». En ce sens, on peut dire que la SUB représente le thème de la phrase. Prenons un autre exemple. Dans (8) il n 'y a que dans des lits français qu 'on soit bien couché, le paradigme impliqué pourrait être quelque chose comme {dans des lits allemands, dans des lits français, ..., etc.}, mais, après le parcours de ce paradigme possible, le locuteur dit que celui-ci ne comporte en fait que dans des lits français; le paradigme impliqué ou la qualité requise pour se ranger dans ce paradigme - donc, le thème de cette phrase - est concrétisé ici par la séquence qu 'on soit bien couché.

6. La SUB en tant que localisateur

Dans ce qui précède, nous avons caractérisé la proposition principale // n 'y a
que SN comme impliquant un paradigme à parcourir, et défini la SUB qui
suit comme concrétisant ce paradigme, ou plus exactement, comme exprimantla

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mantlacondition requise pour s'y ranger. Il faut rappeler que cette caractérisationa été faite surtout sur la base de l'analyse de ne ... que. Vue sous un angle différent, cette fois-ci dans l'optique du sens existentiel véhiculé par il y a, la SUB présente un aspect différent. On remarquera que la phrase // n'y a que toi qui puisses le faire garde, malgré sa particularité en tant que construction,le sens d'une phrase existentielle et qu'ainsi, l'objet d'existence toi demande un localisateur. Où situer en effet l'objet d'existence toïi C'est bien la SUB qui puisses le faire qui sert de localisateur. La fonction localisante de la SUB est comparable au localisateur au sens concret du terme, c'est-à-dire aux expressions de lieu, que l'on trouvera ci-dessous :

(34) II n'y a que deux sortes de guéris à Lourdes : les croyants que la foi transporte
ou les impies déclarés. (L. Bloy, Journal, t. 2, p. 280)

(35) Napoléon semble plus dur et plus méchant que les rois, et il fait périr bien
plus de monde... sur terre, il ny a que la terreur et la mort! (P. Adam, L'Enfant
d'Austerlitz, 1, p. 75)

Les syntagmes prépositionnels à Lourdes et sur terre permettent de localiser
respectivement les objets d'existence deux sortes de guéris et la terreur et la
mort.

Ce rapprochement, qui paraîtrait un tant soit peu insolite au premier abord, sera néanmoins justifié dans la mesure où la SUB se laisse exprimer aussi par un syntagme prépositionnel dont le rôle localisant sera plus facilement compréhensible. Ainsi, dans l'exemple :

(36) Je trouve, patron, que vous avez été un peu léger de permettre à Mme Lucain-Dermont de voir son frère avant que nous l'interrogions! / Qu'estce que tu chantes! Tu délires ou quoi? / Eh bien, oui! Il n'y a qu'elle qui ait pu lui refiler la came! I Répète un peu ce que tu viens de dire! / Je dis qu'il n'y a que cette dame pour lui avoir fourni le moyen matériel de se suicider, bien que, dans ce cas, la version du suicide fût sujette à caution. (J. Carter, Notre dame des assassins, p. 167)

on peut reconnaître une équivalence sémantico-fonctionnelle entre la SUB qui ait pu lui refiler la came et le SP pour lui avoir fourni le moyen matériel de se suicider. On se rendra compte ainsi que la SUB n'est pas éloignée, sur le plan sémantico-fonctionnel, des SP-expressions de lieu sur terre et à Lourdes, étant donné la parenté entre sa variante prépositionnelle et ces derniers.

Les SP de forme «à + inf.» présentent, par leur forme même, une parenté
encore plus nette avec les SP-expressions de lieu :

(37) II n'y a que nous àle dire.

(38) II n'y a que cela à aimer à Poussay. (= (4))

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(39) En général, il n'y a qu'un mot à dire aux protestants. (L. Bloy, Journal, t. 1,
p. 328)

Prenons l'exemple (37). Le SP à le dire fonctionne ici comme un thème et un
localisateur à la fois, en ce sens que la phrase se laisse paraphraser comme :

(40) Sur une éventuelle liste de gens qui seraient prêts àle dire, nous sommes
les seuls à y figurer.

On notera que dans la paraphrase (40), l'élément initial détaché Sur une
éventuelle liste de gens qui seraient prêts à le dire représente, par sa position
syntaxique, un thème et, par sa forme même, un localisateur.

Enfin, la SUB en tant que localisateur se justifie, d'une part dans la mesure où la proposition principale // n'y a que SN garde un contenu sémantique existentiel et, d'autre part, parce que la SUB se laisse paraphraser par un syntagme prépositionnel, sémantico-fonctionnellement proche des expressions de lieu.

7. L'accord verbal dans la SUB : un cas de décalage forme/sens

Rappelons que l'essentiel de notre analyse consiste à penser que l'accord grammatical entre l'item mis en focus et le verbe de la SUB - accord verbal, par ex., entre toi et qui puisses le faire dans l'exemple-titre — n'entre pas en ligne de compte dans l'étude de la construction en question. Pourquoi alors cet accord? Il s'agit là d'un cas de décalage entre la forme et le sens. Nous considérons que, pour faire suite à II n'y a que toi, la SUB, dénuée de son vrai antécédent explicite, prend la forme d'une proposition modificative qui se rapporte syntaxiquement au SN qui la précède immédiatement, toi* Le verbe de la SUB devrait être - logiquement - à la troisième personne du pluriel,9 dans la mesure où l'expression ne... que implique le parcours de plus d'un membre possible et où, par conséquent, la structure sémantique serait comme 11 n'y a que toi sur ime éventuelle liste de gens \ qui pourraient le faire]. Or, Sandfeld (p. 136) fait remarquer l'inobservance de cet accord grammatical «notamment en langue populaire». Les exemples suivants sont empruntés à Sandfeld :

(41 ) II n'y a qu'elles et moi quineine s'enrichissent pas ici. (P. Mille, Louise, 152)

(42) Ya qu' moi, madame, qui l'a vu. (Benj., Gasp., 156)

(43) Ya pas qu' nous qui gueulent. (Machard, Guerre des mômes, 20)

(44) 11 n'y a que moi qui soit au courant. (Hstaunié, Choses, 19)

(45) I! n'y aque toi qui peut parler à Risler. (D. Frorn., 192)

(46) II n'y a que toi, ici, qui puisse s'en charger. (Vautel, (Airespauvres, 250)
(=l2)

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Ces exemples illustrent bien la structure sémantique sous-jacente dans laquelle le verbe de la SUB ne se rapporte pas sémantiquement à l'item mis en focus mais à un paradigme de membres possibles. On peut enfin se demander pourquoi dans les exemples ci-dessus le verbe de la SUB reste toujours sensible à l'accord du nombre avec l'item mis en focus. On considérera, à ce propos, que le paradigme possible - paradigme constitué de plus d'un membre possible - est mis au second plan par le paradigme réel, par ex., celui constitué d'un seul membre; tout se passe comme si dans la conscience du locuteur le nombre «réel» l'emportait sur la pluralité «indéfinie».

8. Le type Un y a aucun doute qu 'il ne se soit trompé

Notre analyse trouve son prolongement dans la construction existentielle du
type II n'y a aucun N que..., qui implique également un paradigme à parcourir.
En effet, pour pouvoir déclarer l'inexistence de tout N (considéré dans
son sous-ensemble), le locuteur devrait, en bonne logique, parcourir
préalablement un paradigme possible dans lequel pourraient figurer plusieurs
candidats de N. Ainsi, dans les exemples :

(47) II n'y a donc aucun doute qu'après la mort nous verrons Dieu. (P. Claudel,
Présence et prophétie, cité dans Le Robert)

(48) II n'y a point de doute que vous ne soyez le flambeau même de ce temps.
(P. Valéry, Mon Faust, cité dans Le Robert)

(49) Bernard, soyez gentil. Laissez conduire Sophie pendant cinq minutes... C'est vrai, Bernard... cette voiture est à vous deux. Il n'y a aucune raison que ce soit tout le temps vous qui conduisiez. (Comment réussir en amour?, scénario de film)

on asserte, au terme du parcours d'un paradigme possible ({doute 1, doute 2, doute 3, etc.} dans (47) et (48), {raison 1, raison 2, raison 3, etc.} dans (49)), que le paradigme réel est vide. On peut ainsi considérer que, de même que qui puisses le faire dans II n'y a que toi qui puisses le faire, les subordonnées qu'après la mort nous verrons Dieu en (47), que vous ne soyez le flambeau même de ce temps en (48) et que ce soit tout le temps vous qui conduisiez en (49) servent chacune sémantiquement de thème-localisateur.

Or, l'intéressant est de remarquer que l'apparition de la conjonction que dans ce type de construction existentielle a partie liée avec la présence de la négation. Ainsi, la phrase (50) est plus difficilement acceptable que la phrase (51):

(50) ?I1 yaun doute que la situation s'améliore.

(51) II n'y a pas de doute que la situation ne s'améliore.

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Comment faut-il interpréter cela? On peut considérer que la négation dans (51 ) implique la constitution d'un paradigme; le locuteur déclare, au terme du parcours d'un paradigme possible (jdoute 1, doute 2, doute 3, etc.}, que le paradigme réel ne comporte pas de «doute». Dans (50), en revanche, tout porte à croire que l'attention du locuteur se dirige directement sur l'existence d'un doute; ce qui entraîne que le paradigme à parcourir ne soit pas construit. L'inacceptabilité de la phrase est due, semble-t-il, au désaccord qu'il y a entre l'absence de ce paradigme et la présence d'une proposition conjonctive {que la situation s'améliore), proposition qui n'aurait pas d'autres raisons d'être que celle consistant à faire savoir de quel paradigme il s'agit. D'ailleurs, on peut noter que dans la phrase suivante, qui est une simple phrase existentielle

(52) 11 yaun doute dans cette affaire.

l'existence d'un doute n'exclut pas celle d'autres doutes et que le parcours
d'un paradigme n'est donc pas nécessaire.

9. Conclusion

Au terme de l'analyse de la construction existentielle du type II n'y a que toi qui puisses le faire, on peut conclure : (i) la SUB qui puisses le faire fonctionne comme un thème par rapport à la principale II n'y a que toi; (ii) ce thème se laisse qualifier de thème impliqué, par comparaison avec le thème - thème présupposé - constitué par la subordonnée qu-... dans la phrase clivée C'est... qu-..., en ce sens qu'il se construit non-anaphoriquement, c'est-à-dire à l'intérieur même de la phrase, indépendamment du contexte antérieur; (iii) la construction de ce thème est directement liée à l'expression restrictive ne ... que qui implique un paradigme à parcourir; (iv) sur un autre plan sémantique, la subordonnée en question constitue un localisateur - au sens abstrait du terme par rapport àla principale qui garde son sens événementiel.

Enfin, sur le plan syntaxique, la SUB qui puisses le faire trouve son... antécédent à l'item mis en focus toi, mais sémantiquement elle se rapporte à un paradigme - non explicite d'ailleurs - constitué de plus d'un membre possible. Notre construction représente bien un cas de décalage entre la forme et le sens.

Naoyo Furukawa

Université de Tsukuba (Japon)

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Notes

1. La plupart des exemples, sauf indication spéciale, sont tirés de DISCOïHXT.

2. La non-déplaçabilité de la séquence qui sois intelligent dans II n'y a que toi qui sois intelligent est due sans doute au fait que celle-ci comporte un verbe fini. La bizarrerie de Qui sois intelligent, il n'y a que toi s'explique donc en termes syntaxiques et non sémantiques.

3. Sur les convergences et les divergences entre il (n')y a (que) ... qui et c'est... qui, voir Léard (1992) et Pierrard (1985).

4. Pour le détail, voir Furukawa (1989) ou ch. 7de Furukawa (à paraître).

5. On peut penser que, théoriquement, tout SN dans la phrase est plus ou moins thématique. Syntagmatiquement, le degré de thématicité est dans l'ordre sujet ->¦ complément d'objet direct -? autres. Paradigmatiquement, un SN défini est plus thématique qu'un SN indéfini. Pour plus de détail, voir Furukawa (à paraître).

6. La phrase II ya toi qui peux le faire est acceptable, certes, comme le montre le dialogue : II n'y a personne qui puisse le faire. / Si, il y a toi qui peux le faire. Pourtant, elle a besoin, comme on le voit, d'un contexte antérieur spécifique.

7. L'appellation de «paradigmatisant» est due à Nolke (1983). Il faut toutefois dire que le contenu de notre «paradigme» est sensiblement différent du contenu du sien; de plus, notre paradigme ici se limite au cas de la construction existentielle.

8. Nous partageons l'analyse de Sandfeld (p. 136) selon laquelle l'accord verbal vient de l'analogie de la «proposition relative indépendante» avec les «propositions relatives adjointes». Toutefois, nous ne pouvons plus le suivre quand il dit que dans Je ne connais que Fustel de Coulanges qui ait protesté contre un si dangereux entichement, le régime de connais est la proposition relative qui ait protesté, et que par conséquent, la phrase équivaut à «je ne connais personne qui ait protesté excepté F.» (p. 135). Au point de vue syntaxique, nous considérons que le régime de connais est toujours Fustel de Coulanges et que la proposition relative qui ait protesté est une proposition modificative qui se rapporte à Fustel de Coulanges. Sandfeld confond ici, semble-t-il, la structure sémantique avec la structure syntaxique.

9. Sandfeld considère que le verbe de la subordonnée devrait être àla troisième personne du «singulier»; on peut soupçonner que son analyse vient directement - prolongement abusif- de celle qu'il a effectuée pour la phrase clivée C'est lui quilail'a dit (= C'est lui, celui quilail'a dit) (p. 119).

Références

Furukawa, N. (1989) : A propos de la construction il y a une place de libre, dans Travaux
de linguistique, 18, p. 5-30.

Furukawa, N. (à paraître) : Grammaire de la prédication seconde : forme, sens et
contraintes, Duculot, Louvain-la-Neuve.

Léard, J.-M. (1992) : Les gallicismes, études syntaxique et sémantique, Duculot,
Louvain-la-Neuvc.

Nolke, H. (1983) : Les adverbes paradigmatisants -.fonction et analyse, Revue Romane,
numéro spécial 23.

Picrrard, M. (1985) : 11. n'y a QUH X QUI : remarque sur la syntaxe de il y a marquant
l'exclusivité, dans Revue romane, 20, 1, p. 46-55.

Sandfeld, K. (1977) : Syntaxe du français contemporain, Les propositions subordonnées,
Droz, Genève.