Revue Romane, Bind 31 (1996) 2

Dislocation existentielle et désarticulation esthétique dans Le Neveu de Rameau

par

Judith Spencer

II est généralement admis que Le Neveu de Rameau a dépeint en l'homme un portrait moral qui violente la dignité humaine. Mais le dialogue de Diderot est plus qu'une œuvre satirique qui dénonce «la vile pantomime», c'est-à-dire la vilenie de l'être humain, la bassesse de l'homme, sa cupidité, son imposture, ses intérêts égoïstes. A la violence faite à l'être humain s'ajoute une violence perpétrée contre l'intégrité esthétique du texte, voire une mise en question du discours véhiculant le réquisitoire du philosophe contre l'humanité corrompue. C'est ainsi qu'à la dislocation de l'homme-pantin correspond la désarticulation épistémologique d'un texte qui s'efforce de mettre à nu la disjonction essentielle entre la pensée et son façonnement à travers les mots, la langue se traînant inéluctablement à la suite de l'esprit : pas plus que l'être humain qui cherche à coïncider avec son être, le texte ironique n'arrive à réaliser son auto-coïncidence. Le texte, en fin de compte, s'avoue aussi cinétique que l'homme.

Or, le mouvement est le principe de base de l'univers diderotien1 où tout,
pour citer Le Rêve de d'Alembert, est en flux perpétuel :

Tout change, tout passe, il n'y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse; il est à chaque instant à son commencement et à sa fin; il n'en a eu jamais d'autre, et n'en aura jamais d'autre. Dans cet immense océan de matière, pas une molécule qui ressemble à une molécule, pas une molécule qui

Side 258

se ressemble à elle-même un instant : Rerum novus nascitur ordo, voilà son
inscription éternelle.2

«Le mouvement», comme le souligne le neveu lui-même, «est si essentiel à la matière»3 dans un monde régi par la roue de la fortune («Rien de stable dans ce monde. Aujourd'hui au sommet; demain au bas de la roue», p. 176), dans un monde où «la vile pantomime» (p. 184) dansée par l'homme constitue «le grand branle de la terre» (p. 180). Ce n'est certes pas sans raison que le dialogue ondoyant du Neveu se déroule sous les auspices de Vertumne, divinité romaine qui présidait aux changements de saisons, et sous l'ombre des révolutions de «l'épicycle de Mercure» (p. 177), métaphore qui fait ressortir indéniablement le redoublement inhérent au mouvement évoqué, l'épicycle se référant au cercle qu'un astre est censé décrire, tandis que le centre de ce cercle décrit lui-même un autre cercle autour de la terre. Il est également hautement significatif que le dialogue du Neveu, qui se modèle sur la fugue, se termine dans la plénitude d'une conclusion ouverte, ironique, qui semble renforcer le débordement de la pensée au cœur du texte cinétique.

N'ayant pas l'occasion, dans cette brève étude, de nous pencher sur la question de la liberté de l'individu et de ses rapports avec la désagrégation de la hiérarchie sociale au XVIIIe siècle,4 on se contentera de noter que la dissolution du monde féodal trouve son équivalent logique dans la désagrégation d'un texte à la recherche de sa propre quiddité à travers le dévoilement des mécanismes qui le constituent, non en tant qu'objet esthétique figé, mais plutôt en tant qu'objet en flux qui se caractérise par son devenir perpétuel, par sa propension vers l'auto-annulation. Autrement dit, le réquisitoire contre l'objet esthétique miné dans sa genèse par le dévoilement de ses procédés implicites trouve son répondant analogique dans la propension vers l'auto-consommation de l'humanité («Dans la nature, toutes les espèces se dévorent, toutes les conditions se dévorent dans la société», p. 81), et dans les tendances au suicide de la part de l'individu impertinent qui ose fustiger l'ordre social - lequel propos s'énonce symboliquement dans la disgrâce du neveu expulsé de chez Bertin, et discursivement dans le débat sur le génie où Moi proclame sans ambages les conséquences d'un tel défi : «II n'y a personne [ ... ] qui ne fasse le procès à l'ordre qui est; sans s'apercevoir qu'il renonce à sa propre existence» (p. 46). Comment l'œuvre polémique peut-elle donc faire le procès de l'ordre sans que l'auteur en subisse les conséquences néfastes? Diderot lui-même nous fournit la réponse à cette question dans la Réfutation d'Hemsterhuis où l'on trouve la confidence suivante : «Moi je me suis sauvé par le ton ironique le plus délié que j'ai pu trouver, les généralités, le laconisme et l'obscurité»" - confidence générale-

Side 259

ment comprise dans le contexte de l'aventure de Vincennes qui a nécessairement influé sur son comportement d'écrivain. Que cette confession ne nous induise pas en erreur : Le Neveu de Rameau, on le sait, n'a jamais été livré au public du vivant de son auteur, ce qui nous amène à nous interroger sur la valeur d'une œuvre satirique qui fustige ses adversaires, notamment Palissot qui l'avait raillé dans sa comédie des Philosophes, Fréron, rédacteur de VAnnée littéraire, revue hostile aux philosophes, et leurs confrères, tout en reconnaissant son inefficacité polémique par le fait de sa non-publication. De toute évidence, Le Neveu de Rameau est une satire qui n'en est pas une, ou plutôt une satire qui s'affirme par son ouroboricité, l'ouroboros - le serpent qui se mord la queue - étant ici considéré comme le symbole par excellence de l'auto-consommation, voire de son auto-annulation ironique.

Ceci nonobstant, c'est par le biais de l'ironie que Diderot réussit à faire le procès de l'ordre d'une façon dissimulée : cette ironie trouve son expression ultime dans le discours paradoxal du bouffon qui, de par sa fonction même, fait ressortir l'autre face obscure de la réalité, qui, en proposant un puissant antidote à l'autosuffisance incorrigible de l'homme, en incarne la conscience ironique.6 Pour reprendre les termes du neveu, le bouffon est «un accoucheur qui sait irriter» (p. 170) dont la fonction maïeutique implique le réquisitoire contre l'ordre social par un procédé de fermentation : comme le précise le philosophe, «... c'est un grain de levain qui fermente et qui restitue à chacun une portion de son individualité naturelle. Il secoue, il agite; il fait approuver ou blâmer; il fait sortir la vérité; il fait connaître les gens de bien; il démasque les coquins; c'est alors que l'homme de bon sens écoute, et démêle son monde» (p. 32). Or, la quête de la vérité entraîne nécessairement l'introduction des «dissonances dans l'harmonie sociale» (p. 163) : le bouffon, pour reprendre la belle expression de Baudelaire dans son analyse de la fonction satirique de l'œuvre de Poe, qui fait de celui-ci un jongleur invétéré, est «l'llote qui veut faire rougir son maître».7 Cependant, si le franc-parler du bouffon, représentant de la conscience ironique d'une société, est porteur d'une vérité contestataire (le neveu n'est-il pas doué d'un «caractère franc comme l'osier» ?, p. 109), renonciation de cette vérité s'achète par l'avilissement de l'être humain, avilissement qui est le sine qua non du franc-parler : le discours du bouffon, pour être toléré, ne peut s'affirmer que par son autocontestation ouroborique, par la dévaluation de l'être humain qui ose «se moquer en dedans, de la bêtise de ceux qu' [il] enivre» (p. 100-101).

L'être paradoxal du bouffon qui s'affirme dans son auto-annulation ironique trouve d'ailleurs son répondant rhétorique dans le discours ouroborique pratiqué par le bouffon. Dans le débat sur le génie contre lequel invective le neveu, celui-ci avance la proposition suivante :

Side 260

Si je savais l'histoire, je vous montrerais que le mal est toujours venu ici-bas,
par quelque homme de génie. Mais je ne sais pas l'histoire, parce que je ne sais
rien. (p. 37-38)

- énoncé qui nous offre la plus parfaite démonstration du mécanisme ouroborique par la façon dont la proposition - elle-même paradoxale - se base sur une condition irréalisable («Si je savais l'histoire. [...] Mais je ne sais pas l'histoire») qui précipite sur-le-champ l'auto-anéantissement du propos avancé. Du reste le mécanisme auto-consommateur du discours pratiqué par le bouffon trouve sa confirmation dans le fait que le neveu qui invective contre le génie jalouse néanmoins le sort de ces êtres exceptionnels qui, à leur tour, s'affublent du bonnet du fou ou, plus précisément, de l'«habit d'Arlequin» (p. 37), dans leur lutte contre la sottise universelle («Ce sont eux qui changent la face du globe; et dans les plus petites choses, la sottise est si commune et si puissante qu'on ne la réforme pas sans charivari», p. 37). Le génie, après tout, comme nous l'explique Diderot dans le tome VII de Y Encyclopédie, se définit par son cinétisme : «Le mouvement est son état naturel.»

En outre, si l'être même et le discours du bouffon s'articulent à travers le paradoxe, c'est le même mécanisme qui s'insinue au cœur de son auditoire, car l'insolence, voire l'impertinence du bouffon (puisque le neveu se définit comme «un sac inépuisable d'impertinences», p. 122), loin d'être récusée par la société ainsi mise en question, est non seulement tolérée, mais en fait exigée de la part du bouffon : «Rameau vous êtes un impertinent. - Je le sais bien; et c'est à cette condition que vous m'avez reçu» (p. 119). L'impertinence du bouffon qui démasque la façade grotesque de la société est certes encouragée, mais elle n'est encouragée que pour être récusée par la mise hors circuit de la voix gênante de l'être dont la nullité ôte à la vérité tout son poids. Comme l'explique Diderot dans son Discours de la poésie dramatique : «II faut s'avilir par le ton et par le geste pour ôter à la vérité son poids et son offense. Alors les poètes sont comme les fous à la cour des rois; c'est du mépris qu'on fait d'eux, qu'ils tiennent leur franc-parler.»H C'est ainsi que le discours paradoxal du bouffon qui s'affirme à travers son auto-anéantissement correspond à merveille à la satire dans Le Neveu, satire démunie, de par sa publication posthume, de ses flèches polémiques, et qui s'articule également autour de son auto-annulation ouroborique.

Si l'intégrité du texte se trouve violée par le procédé d'auto-anéantissement enchâssé au cœur du discours paradoxal du bouffon, cette intégrité est davantage minée par le fait que le masque du bouffon ne se limite pas au neveu, comme nous l'avons déjà constaté dans le cas du génie, mais semble doué d'une énergie irrépressible, d'une fermentation qui provoque sa

Side 261

prolifération illimitée. Le fou du roi, comme l'explique le neveu lui-même, n'évolue pas seulement à la cour, mais se caractérise par son omniprésence - omniprésence ironique de par l'établissement et l'anéantissement perpétuels de l'être du bouffon en tant que rapport fluide :

Moi je suis le fou de Bertin et de beaucoup d'autres, le vôtre peut-être dans ce moment; ou peut-être vous le mien. Celui qui serait sage n'aurait point de fou. Celui donc qui a un fou n'est pas sage; s'il n'est pas sage il est fou; et peut être, fût-il roi, le fou de son fou. (p. 116)

Dans ce monde qui se prête sans cesse à la réversibilité, il semblerait que la bouffonnerie soit l'apanage de tout le monde; cette constatation implique la non-différenciation des personnages et explique en quelque sorte le malaise éprouvé par le lecteur qui cherche à démêler les arguments de Moi et de Lui, lesquels existent, en principe, grâce au rapport différentiel établi entre l'un et l'autre, mais en fait se définissent par la superposition des rôles soi-disant différenciés - ce qui se remarque clairement dans la conclusion qui souligne la non-différenciation entre les opinions du neveu («L'homme nécessiteux ne marche pas comme un autre; il saute, il rampe, il se tortille, il se traîne; il passe sa vie à prendre et à exécuter des positions», p. 178) et celles du philosophe(«Ma foi, ce que vous appelez la pantomime des gueux est le grand branle de la terre. Chacun asa petite Hus et son Bertin», p. 180).9 En effet, la question de la non-différenciation se révèle être la pierre d'achoppement du discours paradoxal du bouffon car, si tout le monde peut s'affubler du bonnetdu fou, cette homogénéité semble contrecarrer la raison d'être de la fermentation apportée par le bouffon qui, selon le philosophe, doit se comparerà «un grain de levain qui fermente et qui restitue à chacun une portion de son individualité naturelle» (p. 32). Et c'est dans le même contexte qu'il faudrait comprendre le fait que c'est le neveu en tant que fou morosophe (la sagesse s'exprimant par la folie) qui avoue son ignorance («Vous savez que je suis un ignorant...», p. 50), qui «fait sortir la vérité» (p. 32), vérité à laquelle il accède, rappelons-le, grâce à son statut de paria. Mais si d'un côté l'altérité semble garantir la vérité, elle se trouve finalement récusée par le fait que le neveu se définit par sa ressemblance à autrui («[il fait] comme tout le monde»,p. 77); il est «dans ce monde et [il] y reste» (p. 177), et c'est précisément cette appartenance au monde qui détruit la distanciation nécessaire au bouffon dans sa quête pour la vérité. Ce n'est certes pas sans raison que le texte du Neveu est criblé d'expressions de ratification qui cherchent à soulignerl'authenticité de la vérité («II est vrai»; «vous avez raison»; «sans contredit»,etc.), et qui ne servent ironiquement qu'à récuser la proposition avancée à l'origine. Dans un monde où l'identité semble s'affirmer par sa différance, quelle crédibilité concéder au philosophe qui proclame : «Je ne sais que dire

Side 262

la vérité» (p. 164); quelle foi accorder au neveu qui affirme de la même façon : «Et croyez tout ce que je vous dis là; car c'est le vrai» (p. 142) ? La vérité, semble-t-il, ne peut s'énoncer qu'à travers son auto-consommation ouroborique.

La mise en question de la vérité à travers son affirmation paradoxale trouverait sa confirmation indubitable dans la problématique de l'identité du neveu, qui s'affirme à la fois par la coïncidence et la non-coïncidence de son être : tiraillé, d'une part, entre sa volonté d'être lui-même («II faut que Rameau soit ce qu'il est», p. 93) et son désir de s'emparer des qualités de son oncle («je n'aurais pas balancé à rester moi, et à être lui», p. 47), il est, d'autre part, déchiré par son désir de ne pas laisser déformer son caractère («il serait bien singulier que j'allasse me tourmenter comme une âme damnée, pour me bistourner et me faire autre que je ne suis; pour me donner un caractère étranger au mien ...», p. 91). Obsédé de même par son mimétisme de l'hypocrisie d'autrui, qu'il réussit singulièrement à contrefaire («... leur caractère me réussissait merveilleusement auprès d'eux», p. 51), et des conventions sociales («Je suis moi et je reste ce que je suis; mais j'agis et je parle comme il convient», p. 115), il semble prendre le contre-pied de sa satisfaction (certes ironique) d'avoir su éviter le piège de l'hypocrisie («Heureusement, je n'ai pas besoin d'être hypocrite», p. 92) — constatation qui semblerait à la fois affirmer et ruiner l'assertion catégorique du philosophe quant à la dissemblance du neveu («Rien ne dissemble plus de lui que lui-même», p. 30). En fait, ce qui semble paradoxalement caractériser le neveu est ce qu'on pourrait appeler une double postulation simultanée, sa dissemblance s'affirmant en contrepoint à sa ressemblance à lui-même : racontant son expulsion de chez Bertin, le neveu s'écrie : «Ai-je été différent aujourd'hui de moi-même?» (p. 120), et, à la conclusion du dialogue, le neveu avoue non seulement sa ressemblance à ce qu'il était, mais proclame sa ressemblance à venir («N'estil pas vrai queje suis toujours le même? MOI : Hélas! oui, malheureusement. LUI : Que j'aie ce malheur-là seulement encore une quarantaine d'années», p. 187) - ressemblances qui s'articulent, paradoxalement, autour de leur différence.

De même que le discours paradoxal du bouffon nie ce qu'il pose, le personnage du neveu s'affirme, de toute évidence, par son auto-contestation ironique, le débordement du moi qui vacille de façon interstitielle entre la ressemblance et la dissemblance trouvant en fin de compte sa place dans le débordement du texte qui propose une multiplicité de dialogues : dialogue évidemment entre Moi et Lui; dialogue entre Moi en tant que narrateur et lui-même («je m'entretiens avec moi-même», p. 29); dialogue entre l'auteurbouffonet lui-même, Moi et Lui représentant les deux aspects de son être divisé par lesquels il cherche à s'accoucher de sa propre vérité; dialogue entre

Side 263

Lui et lui-même («... il s'écoutait avec ravissement», p. 64), entre lui et tous les personnages imaginaires qui sont l'objet de sa contrefaçon («... il recoulait les traversières, criant, chantant, se démenant comme un forcené; faisant lui seul les danseurs, les danseuses, les chanteurs, les chanteuses, tout un orchestre,tout un théâtre lyrique, et se divisant en vingt rôles divers ...», p. 150); et, finalement, dialogue entre le texte et le véhicule de sa transmission : le logos.

En dépit de l'effet kaléidoscopique créé par la superposition des dialogues multiples qui contribuent à la fermentation incessante du texte, ce qui est clair est le fait que la dialectique entre la ressemblance et la dissemblance qui caractérise le neveu doit être appréhendée comme l'expression allégorique de l'identité disjonctive qui existe entre la pensée et le discours, entre le texte et le logos. En effet, c'est le texte lui-même qui adopte le rôle du bouffon en faisant sortir sa propre vérité épistémologique grâce à son examen autoréflexif, examen qui entraîne non seulement l'anéantissement ironique du texte par la mise en question de la crédibilité du logos, mais aussi la confirmation et la ruine simultanées de son propos même de vouloir faire sortir la vérité. De toute évidence, la grimace ironique de la nature qui accompagne l'engendrement du neveu, s'étend à la genèse du texte, qui, lui non plus, n'est à l'abri ni du ridicule, ni de l'ironie («Quand elle [la nature] fagota son neveu, elle fit la grimace et puis la grimace, et puis la grimace encore; et disant ces mots, il faisait toutes sortes de grimaces du visage; c'était le mépris, le dédain, l'ironie; et il semblait pétrir entre ses doigts un morceau de pâte, et sourire aux formes ridicules qu'il lui donnait», p. 168) : il ne passera pas inaperçu que le portrait du neveu démiurge s'applique ironiquement au créateur du neveu.

La grimace de la nature mimée dans la pantomime parodique de la Genèse va trouver son répondant logique dans la grimace rhétorique du texte qui traduit l'inadéquation ironique entre la pensée et le discours.10 Ala différence de la pensée classique qui se fonde sur la puissance incontestable du discours et sa capacité de tout représenter par le moyen du langage, la pensée des Lumières, en insistant sur le sujet transcendantal qui fait naître la représentation,postule à la place de la fonction représentative du langage, sa fonction dynamique, le langage étant perçu comme moyen actif de réaliser la pensée." Dans la Lettre sur les sourds et les muets, Diderot s'interroge sur les rapports entre la pensée et son énonciation à travers le discours, pour conclure que la synchronicité des idées est à jamais incommensurable avec la linéarité du discours : l'expression ne fait que courir après le tableau mouvant de l'âme («Notre âme est un tableau mouvant d'après lequel nous peignons sans cesse; nous employons bien du temps à le rendre avec fidélité; mais il existe en entier et tout à la fois : l'esprit ne va pas à pas comptés comme l'expression »12). Autant avouer l'incapacité du langage à traduire suffisamment la

Side 264

pensée, sauf bien entendu dans le contexte du discours hiéroglyphique de la
poésie où la discontinuité entre la représentation et le discours se trouve
effectivement abolie.

Si le langage linéaire est par définition infidèle à la pensée synchronique, dynamique, en constante fermentation, il est également infidèle à l'expression de l'idée à cause de l'automatisme enraciné dans son usage conventionnel, comme l'explique le philosophe dans Le Neveu : «Nous n'avons dans la mémoire que des mots que nous croyons entendre, par l'usage fréquent et l'application même juste que nous en faisons; dans l'esprit, que des notions vagues. Quand je prononce le mot chant, je n'ai pas des notions plus nettes que vous, et la plupart de vos semblables, quand ils disent, réputation, blâme, honneur, vice, vertu, pudeur, décence, honte, ridicule» (p. 140-41). Nombreux sont, en effet, les passages qui, en soulignant le fait que le langage ne fonctionne qu'en vertu d'un système de conventions, démontrent l'inadéquation fondamentale du langage à représenter son objet : «C'est là ce qui s'appelle juger» (p. 99), s'exclame le neveu en expliquant au philosophe sa pantomime chez Bertin; «Oui, grosse comtesse, c'est vous qui avez tort, lorsque vous rassemblez autour de vous ce qu'on appelle parmi les gens de votre sorte des espèces...» (p. 128), constate le neveu en expliquant le pacte tacite qui unit protecteur et parasite social. Et c'est également le réquisitoire contre le langage qui est implicite dans les «idiotismes moraux dont on fait tant de bruit sous la dénomination de Tours du bâton ...» (p. 81), réquisitoire qui se répercute par extension dans la mise en question de l'expression proverbiale : «On a dit que bonne renommée valait mieux que ceinture dorée» (p. 80); «On dit que si un voleur vole l'autre, le diable s'en rit» (p. 81).

Que le discours trahisse la pensée par l'automatisme du langage compliqué par l'inadéquation entre l'expression de la pensée et ses moyens de réalisationtrouve, en outre, son expression symbolique dans l'introduction du dialogue où l'infidélité de la pensée s'exprime de façon humoristique : «Mes pensées, ce sont mes catins» (p. 29), s'exclame le philosophe - constatation qui va s'articuler de façon plus discursive, mais non sans humour, dans la confession du neveu quant à la disjonction essentielle entre la pensée et son expression verbale : «J'use en plein de mon franc-parler. Je n'ai pensé de ma vie ni avant que de dire, ni en disant, ni après avoir dit» (p. 109). Le neveu a beau se vanter de son franc-parler - franc-parler que nous saisissons, il ne faut pas l'oublier, à travers le prisme «bistournant» de la conscience de Moi; le philosophe a beau se glorifier du libertinage de ses pensées («J'abandonne mon esprit à tout son libertinage», p. 29), quand la pensée se trouve frustrée de façon incontournable par son inadéquation avec le dire, quand la réflexionimpuissante devient une sorte de malédiction («II y a des jours où il faut que je réfléchisse. C'est une maladie qu'il faut abandonner à son cours», p.

Side 265

134), le statut ontologique du texte se trouve miné de fond en comble. Ce n'est certes pas sans raison que le leitmotif de la folie se retrouve dans le texte intégral, ni que l'expulsion du neveu de chez Bertin est précipitée par une crise qui s'articule autour de la valeur de la signification, crise en fait qui traduit allégoriquement la crise ontologique enchâssée au cœur du texte : comme nous l'explique le neveu, il a perdu sa situation «pour avoir eu le sens commun, une fois, une seule fois en [sa] vie» (p. 52), pour avoir voulu «avoir du sens» («... faquin, tirez; ne reparaissez plus. Cela veut avoir du sens, de la raison, je crois!», p. 52). Et c'est précisément la même crise du sens qui se dévoile dans l'interlude sur l'éducation, démonstration parfaite du divorce entre l'enseignement (ou l'apprentissage) et le savoir («LUI : Car dans ce pays-ci est-ce qu'on est obligé de savoir ce qu'on montre? MOI : Pas plus que de savoir ce qu'on apprend», p. 66). Et Diderot est encore plus catégorique dans sa dénonciation de l'illusion du savoir : «... il y en avait de pires que moi : ceux qui croyaient savoir quelque chose» (p. 73) — illusion qui ne se limite pas à l'épisode traitant de la valeur de l'éducation, mais qui se répercuteégalement dans le «ramage biscornu», le discours non signifiant d'une société soi-disant raffinée :

Aiors ¡e patron fait signe de la main qu'on l'écoute; car c'est surtout de goût
qu'il se pique. Le goût, dit-i1,... le goût est une chose ... ma foi, je ne sais quelle
chose il disait que c'était; ni lui, non plus. (p. 112)

Réquisitoire, certes, contre une société fondée sur l'or et sur l'ignorance, contre les gens dont l'éducation ne correspond pas au statut social qu'ils occupent, mais aussi réquisitoire implicite contre les fondements du savoir, ce qui est évident d'après la remarque sarcastique du neveu qui veut que le savoir soit intégral («... quand on ne sait pas tout, on ne sait rien de bien», p. 72) - ou aboli («... en vérité, il vaudrait autant ignorer que de savoir si peu et si mal», p. 73). En outre, la nature différentielle de la représentation linguistique qui ne fait que déformer la pensée et le savoir se complique encore plus en raison de la disjonction entre la substance et la modalité de son expression, ce qui est clairement illustré par l'anecdote sur le renégat d'Avignon («Je commençais à supporter avec peine la présence d'un homme qui discutait une action horrible, un exécrable forfait, comme un connaisseur en peinture ou en poésie, examine les beautés d'un ouvrage de goût...», p. 138-39). pensée et le savoir sont également «bistournés» par l'utilisation des idiotismes avec toute la relativité que cela comporte : «Quand je dis vicieux, c'est pour parler votre langue; car si nous venions à nous expliquer, il pourrait arriver que vous appelassiez vice ce que j'appelle vertu, et vertu ce que j'appelle vice» (p. 117).

Side 266

Et avec cette constatation sur la relativité du logos, nous entrons dans les dimensions épistémologique et herméneutique d'un texte qui ne se cache pas d'élucider la déconfiture de la pensée à la recherche de la vérité qui ne se laisse pas révéler. Comme l'explique le philosophe qui s'est assigné le rôle du bouffon : «Je parle mal. le ne sais que dire la vérité; et cela ne prend pas toujours, comme vous savez» (p. 164-65). Dans cette assertion se résume, en tait, toute la problématique épistémologique d'un texte à la recherche de sa quiddité à travers le dévoilement des procédés de sa réalisation - problème épistémologique qui va notamment s'articuler autour de l'exposition d'une esthétique transactionnelle qui, en posant le fait de la lecture, va d'autant plus miner le savoir assiégé par tous les éléments susmentionnés qui conspirent à son effacement. Examinons de plus près le segment du Neveu consacré à l'enthousiasme qu'inspirent les œuvres des moralistes à un protagoniste qui se donne, après tout, le titre de moraliste («Je suis pourtant bien subalterne en musique, et bien supérieur en morale», p. 164; «Je ne suis pas de ces gens qui méprisent les moralistes», p. 115). Notons d'emblée que ce dernier passage, qui s'articule autour de la raison d'être de la lecture des moralistes, devrait être appréhendé dans le contexte du sous-titre de l'œuvre qui s'intitule «satire seconde», et qui brosse ainsi le tableau moral d'une époque. La discussion sur la valeur de l'œuvre des moralistes doit ainsi se comprendre comme une sorte de mise en abyme, comme la dimension autoréflexive d'un texte àla recherche de sa quiddité13 - auto-réflexion qui contribue finalement à la dissolution ironique du texte qui s'offre comme le spéculum de la désintégration de l'époque et de la pensée qui en est le sujet.

Si, d'un côté, le neveu se vante de sa relecture perpétuelle des moralistes («J'ai lu et je lis et relis sans cesse Théophraste, La Bruyère et Molière», p. 114) - relecture qui devrait implicitement s'appliquer au lecteur qui doit faire face à cette fermentation herméneutique qui semble être le cachet du Neveu, - il avoue en même temps l'incapacité du lecteur implicite à pénétrer le texte qui ne correspond pas à l'opinion qu'il s'en est formée («Ils sont bien meilleurs qu'on ne pense; mais qui est-ce qui sait les lire?», p. 114). Autrementdit, le livre déborde à la fois la pensée et la lecture et constitue ainsi un insurmontable défi à la compréhension. Et Diderot est encore plus formel dans sa condamnation de la lecture, proposition qui s'articule autour de la présentation paradoxale du neveu en tant que lecteur individuel et lecteur générique : si, d'un côté le neveu se figure semblable au lecteur moyen («... n'allez pas imaginer que je sois le seul lecteur de mon espèce», p. 115), il se croit néanmoins supérieur à celui-ci en vertu du fait que lui, à la différence du lecteur moyen qui ne se laisse pas instruire par l'exposition de la folie dans les œuvres des moralistes, ne reste pas inaccessible à la folie de l'humanitéqu'il peut à la fois éviter ou mimer à volonté («... leurs lectures ne Jes

Side 267

rendent pas meilleurs que moi; mais [...] ils restent ridicules en dépit d'eux; au lieu que je ne le suis que quand je veux», p. 115). Lui seul est susceptible de bénéficier de l'instruction contenue dans l'œuvre du moraliste dont la qualité première, à l'instar de l'historien, réside dans sa capacité de «[relever] et [faire] éclater les circonstances d'une action héroïque» (p. 139) éclatementqui sa place dans le contexte de la bouffonnerie du protagoniste, ce «grain de levain qui fermente» (p. 32), cet agent provocateur par lequel «l'homme de bon sens [...] démêle son monde» (p. 32).

La nature pernicieuse de l'argument ne passe pas inaperçue : si le lecteur moyen est, selon Diderot, décidément frustré dans sa compréhension de l'œuvre des moralistes, il s'ensuit que nous, en tant que lecteurs de l'ouvrage moraliste de Diderot, sommes dans l'impossibilité d'en extraire le sens ou, pour nous servir de l'idiome du philosophe, de «démêler» le texte. Comme le philosophe nargué par son interlocuteur, nous ne pouvons que «paraphraser [le texte] à [notre] fantaisie» (p. 59), tout en nous demandant si nos aperçus ne sont, après tout, que de «vieux propos qui ne signifient rien» (p. 58). Nous comprenons mieux dès lors le réquisitoire fondamental contre le langage prononcé par le philosophe : «Nous n'avons dans la mémoire que des mots que nous croyons entendre ...» (p. 140), réquisitoire qui mine de fond en comble l'appréhension herméneutique d'un texte devant lequel le lecteur bafoué ne peut qu'avancer à reculons dans ses efforts, à l'instar du neveu, à vouloir peindre le silence («... car le silence même se peint par des sons», p. 151) - silence sciemment placé par Fauteur-bouffon pour éprouver, à la manière du neveu, la sagacité du lecteur : «Lorsqu'on me raconta cette histoire», avoue le neveu, «moi, je devinai ce que je vous ai tu pour essayer votre sagacité» (p. 137). Le lecteur en fin de compte, à la manière du philosophe qui se défie de toute explication («... gardons-nous de nous expliquer», p. 167), ne peut qu' «[accepter] les choses comme elles sont» (p. 46) : il ne peut que s'efforcer de reconstruire, à la lumière du savoir miné, le texte irrémédiablement déconstruit par son ouroboricité, par le fait qu' «il est à chaque instant à son commencement et à sa fin».

Le texte diderotien qui dévoile son modus operandi dans l'exposition de la mécanique de son fonctionnement, ressemble en somme à la célèbre horloge de La Mettrie qui se remonte elle-même : il est «une machine qui monte ellemêmeses ressorts; vivante image du mouvement perpétuel.»14 Ainsi, le texte cinétique de Diderot sur lequel préside Vertumne trouve-t-il sa place dans la fermentation incessante d'un cosmos organique en flux perpétuel : comme l'âme dépeinte par le philosophe, il est «un tableau mouvant [... qui] existe en entier et tout à la fois», un grain de levain dont la fermentation perpétuell e1"' trouve son expression allégorique dans le personnage du neveu en tant que bouffon qui s'affirme par sa différance, par son inéluctable noncoïncidence.Pas

Side 268

coïncidence.Pasplus que le neveu qui ne parvient pas à cerner son être («Que le diable m'emporte si je sais au fond ce que je suis», p. 109), le texte diderotien ne réussit à s'approprier sa quiddité qu'à travers l'expression sceptique de son inaccessibilité car, comme l'avoue Diderot lui-même, «l'esprit et l'art ont leurs limites» (p. 101). Or l'œuvre diderotienne expose aliégoriquement la dislocation du texte à travers la dislocation du corps et de l'esprit («... en se disloquant le corps et l'esprit, en cent manières diverses», p. 95), les contorsions ridicules auxquelles le flatteur à gages est soumis traduisantsymboliquement la dislocation du langage et de la pensée dont les mouvements viscéraux s'apparentent manifestement aux «boyaux (qui] crient» (p. 82), au «borborygme d'un estomac qui souffre» (p. 98). Bref, «la tribulation [des] intestins» (p. 98) du parasite social traduit aliégoriquement les tribulations épistémologiques et herméneutiques enregistrées dans le grouillement du texte : «l'endroit de la médaille», comme dirait le neveu, «ne déparfe] pas le revers» (p. 186). En tant que tel, le texte cinétique qui ne se cache pas d'exposer les entrailles de l'être moral, ainsi que les entrailles du langage, de la pensée, et finalement de l'objet esthétique dont il dévoile la grammaire, trouve indéniablement sa place dans l'épistémè moderne et dans l'archéologie du grotesque avec sa rhétorique de disjonction, son insistance sur la relativité et la renaissance, sur «la joyeuse négation de l'identité et du sens unique, la négation de la coïncidence stupide avec soi-même».16 Il n'est certes pas fortuit que le texte diderotien, qui cherche à exposer l'envers de la société et de l'art, s'achève sur le rire du défi et sur les cloches allégoriques qui marquent la clôture du carnaval.

Judith Spencer

Augustana University College, Canada



Notes

1. Cf. Jacques Chouillet: Diderot poète de l'énergie, Presses universitaires de France, Paris, 1984).

2. Diderot: Œuvres complètes, Club Français du Livre, Paris, 1969-73, vol. VIII, p. 89.

3. Le Neveu de Rameau, éd. A. Adam, Garnier-Flammarion, Paris, 1967, p. 97. Toute citation ultérieure sera tirée de cette édition et notée dans le corps du texte.

4. Cf. I Icnri Lefebvre: Diderot ou les affirmations fondamentales du matérialisme, L'Arche, Paris, 1983, p. 171.

5. Œuvres complètes, vol. XI, p. 105.

6. Cf. 1) J. Spencer: «L'Hsthétique baudelairicnnc sous l'œil de la marotte :la fonction parabastique et auto-parodique du symbole esthétique», in: Le Bouffon dans les lettres françaises, Parabasis, 6, 1996, 9-20; 2) J. Spencer: OfFools, Fops and Funambulists : Baudelaire and the Myth ofthe Clown, à paraître.

Side 269

Résumé

Le Neveu de Rameau est plus qu'une œuvre satirique qui dénonce «la vile pantomime»,c'est-à-dire la vilenie de l'homme, sa bassesse, sa cupidité, son imposture, ses intérêts égoïstes. A la violence faite à l'être humain s'ajoute une violence perpétrée contre l'intégrité esthétique du texte, voire une mise en question du discours véhiculantle réquisitoire du philosophe contre l'humanité corrompue. A la dislocation de l'homme-pantin correspond la désarticulation épistémologique d'un texte qui s'efforcede mettre à nu la disjonction essentielle entre la pensée et son façonnement à travers les mots, la langue se traînant inéluctablement à la suite de l'esprit : pas plus



6. Cf. 1) J. Spencer: «L'Hsthétique baudelairicnnc sous l'œil de la marotte :la fonction parabastique et auto-parodique du symbole esthétique», in: Le Bouffon dans les lettres françaises, Parabasis, 6, 1996, 9-20; 2) J. Spencer: OfFools, Fops and Funambulists : Baudelaire and the Myth ofthe Clown, à paraître.

7. Baudelaire: Œuvres complètes, éd. C. Pichois, Gallimard, Paris, 1975-76, vol. 11, p. 321.

8. Œuvres complètes, vol. 111, p. 481, Sur la question de la problématique de l'écrivain post-mécénique face à l'hétéronomie, voir : 1 ) Alain Viala: Naissance de l'écrivain : sociologie de la littérature à l'âge classique, Editions de Minuit, Paris, 1985; 2) John Lough: Writer and Public in France from the Middle Ages to the Présent Day, Clarendon, Oxford, 1978.

9. Sur la question de la réversibilité des deux personnages principaux, voir : Wilda Anderson: «The Nephew's Morality», in: Diderot's Dream, The John's Hopkins University Press, Baltimore and London, 1990, p. 211 -55.

10. Cf. James Creech: Diderot : Thresholds of Représentation, Ohio State University Press, Columbus, 1986.

11. Michel Foucault: Les Mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966.

12. Œuvres complètes, vol. 11, p. 543.

13. Sur la dimension auto-réflexive enchâssée dans l'œuvre des moralistes, voir : 1) I. Spencer: «Vauvenargues' Rhetoric of Disiunction or thè Disintegration of Understanding in thè Integration of Knowledge», Neophilologus, 77, 1993, p. 553-71 ; 2) J. Spencer: «Voyage en Cratylie : de la spécularisation scripturale chez La Bruyère», Revue Romane, 26, 1, 1991, p. 108-21.

14. La Mettrie: L'Homme-machine, cité par Chouillet, op. cit., p. 262.

15. Soulignons, dans ce contexte, la signification étymologique du mot satire. L'article que lui consacre XEncyclopédie en fait ressortir l'aspect dynamique, chaotique : «Le mot latin satura signifiant un bassin dans lequel on offrait aux dieux toutes sortes de fruits à la fois, et sans les distinguer, il parut qu'il pourrait convenir, dans le sens figuré, à des ouvrages où tout était mêlé, entassé sans ordre, sans régularité, soit pour le fond, soit pour la forme».

16. Mikhaïl Bakhtine: L'Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age, trad. A. Robel, Gallimard, Paris, 1970, p. 49.

Side 270

que l'être humain qui cherche à coïncider avec son être, le texte ironique, cinétique de par le débordement de la pensée, n'arrive à réaliser son auto-coïncidence, à s'approprier sa quiddité qu' à travers l'expression sceptique de son auto-consommation.Le texte cinétique qui ne se cache pas d'exposer les entrailles de l'être moral, ainsi que les entrailles du langage, de la pensée, et finalement de l'objet esthétique dont il dévoile la grammaire, trouve indéniablement sa place dans l'épistémè moderneet dans l'archéologie du grotesque avec sa rhétorique de disjonction, son insistance sur la relativité et la renaissance, sur la négation du sens unique et de la coïncidence avec soi-même.