Revue Romane, Bind 31 (1996) 1

Ingrid Arthur : Miracles que Dieus ha mostratz per Sant Francés après la sua fi. Version occitane de la Legenda maior Sancti Francisa. Miracula de Saintßonaventure. Edition et étude de la langue. Monografier utgivna av K. Humanistiska Vetenskaps Samfundet i Uppsala. Uppsala 1992, 201 p.

Svend Hendrup

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On se réjouit avec l'auteur (IA) de voir enfin paraître son édition des Miracles; prête
pour la publication depuis plus de 35 ans, cette édition a dû surmonter bien des
obstacles avant de nous arriver dans sa forme définitive (Préface).

Une Introduction (18 p.) présente le manuscrit d'Assise, la base latine de la version occitane des Miracles, la valeur linguistique et littéraire du texte. - L'importante Etude de la langue (127 p.) comporte : une Localisation de la langue (les départements actuels de l'Ariège et de l'Aude), avec discussion sur les affinités catalanes et gasconnes et les éventuels italianismes; un chapitre sur les Graphies et la phonétique (59 p.), précédé de Notes introductives de la première importance; un chapitre sur la Morphologie et la syntaxe (58 p.). - Le texte des Miracles (32 p.), introduit par une description paléographique et le plan de l'édition, est accompagné de nombreuses notes en bas de page et suivi d'un important Glossaire (14 p.) avec une Liste des noms propres (5 p.). - Une Liste des abbréviations et une Bibliographie (6 p.) terminent l'ouvrage.

Soulignons dès maintenant que !A a bien réussi son difficile projet en nous offrant, dans la meilleure tradition scandinave de philologie romane, aussi bien l'édition impeccable d'un texte important, resté trop longtemps un desideratum, qu'une étude linguistique approfondie de ce texte.

Les vicissitudes de cette genèse prolongée des Miracles ont amené IA à réviser son étude, notamment le chapitre sur les Graphies et la phonétique, qui a subi une profonde refonte à la suite des critiques faites à propos de l'édition de la Vida del glorios Sant Francés (1955) : adoptant là une tradition centenaire, IA est partie du latin vulgaire pour établir une description phonologique du texte de la Vida - une «manière(s) de procéder qui aujourd'hui relève(nt) du dilettantisme» (G. Hammarstrom 1959, cité p. 29).

Mais il se peut qu'il y ait malentendu : personne n'a jamais prétendu faire de la linguistique en se servant de ce procédé consacré qui n'est, au fond, qu'un «schéma» commode permettant au lecteur de se faire un aperçu rapide des particularités de n'importe quel texte médiéval en langue romane, puisque ce «schéma» lui est familier.

Ayant accepté, cependant, les objections formulées par les critiques, IA a refait son étude phonologique selon les critères préconisés (p. 29) : elle part désormais des graphies du texte pour découvrir les sons. La description, qui se veut exhaustive, est menée avec une admirable précision; mais on voit aussi, en étudiant de plus près les données apportées par l'auteur, qu'elle arrive souvent à des résultats identiques à ceux qu'aurait produits une enquête selon le procédé consacré. Il reste toutefois que le «schéma nouveau» appliqué par IA est bien plus efficace - même si le lecteur

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risque un peu de se perdre dans les décimales de la numérotation des paragraphes,
tel le paragraphe : «2.4.2.5.1.2. Autres voyelles finales (atones)», p. 52.

La numérotation décimale mise à part (voir, p. ex., p. 96 : «2.5.9.4.1.1. Opposition prétérit/imparfait...»), l'étude grammaticale reste conçue selon une optique plutôt traditionnelle et, partant, familière au lecteur. Les parties consacrées à la morphologie enregistrent les formes, dialectales ou autres, particulières aux Miracles, tandis que les parties sur la syntaxe ajoutent aux traits particuliers des observations sur des phénomènes courants en ancien occitan, phénomènes confrontés parfois avec ceux des parlers contemporains (p. 77-78). IA fait remarquer qu'elle ne relève qu'un nombre limité de phénomènes (p. 77) : en réalité, elle a réussi à réunir, ici et dans l'ensemble de ce chapitre, des séries d'observations pertinentes pour des études plus approfondies encore. Notons aussi la présence de sections sur l'ordre et sur la formation des mots. Manifestement, il faut savoir gré à l'auteur d'avoir accordé autant de placeà la grammaire (53 p.) qu'à la phonologie (59 p.) : cet équilibre souhaitable ne se retrouve pas dans n'importe quelle édition de textes médiévaux.

Dans ses Notes introductives à l'étude phonologique, IA s'est posé la question de savoir quel est, dans ce domaine, «le devoir d'un éditeur de textes médiévaux». Elle fournit elle-même la réponse : «l'étude de la langue a surtout comme but d'aider le lecteur à comprendre le texte publié», tout en admettant avoir été poussée par son enthousiasme à «dépasser le cadre normal des introductions linguistiques» - d'où le titre de son ouvrage : Edition et Etude de la langue (p. 29).

On ne saurait reprocher à IA son enthousiasme : le lecteur est bien servi pour comprendre le texte, sa curiosité linguistique sera pleinement satisfaite, mais il restera un peu sur sa faim après la lecture du paragraphe consacré à la Valeur linguistique et littéraire des Miracles : quelques pages à peine sur les particularités de la traduction occitane face à l'original latin et qui n'ajoutent pas grand-chose à ce qui a été dit déjà dans l'Abstract précédant la Préface.

Mais au lieu de relever ce que l'auteur n'a pas fait, ou n'a pas voulu faire, remercions-la de ce qu'elle nous offre : l'édition solide et bien annotée d'un important texte en prose de ce XIVe siècle qui constitue une époque de transition du plus haut intérêt pour l'histoire de l'occitan, ainsi qu'une étude linguistique très approfondie et qui doit satisfaire bien des spécialistes. A d'autres spécialistes, ou bien à l'auteur elle-même, de compléter cet ouvrage fondamental par une étude littéraire et par une étude lexicographique (à partir des excellentes données fournies par le Glossaire). En attendant, le lecteur entreprendra, en toute confiance, la lecture de ce texte établi par lA.

Note au lecteur : par suite de sa lente genèse, cette édition a vu le mot de provençal (au sens général de 'langue du Midi') remplacé par le terme d'occitan. De prime abord, l'éditeur relève, dans une note peu explicite, ce problème de terminologie (p. 1, note 1) : «Dans la Vida (1955), nous nous sommes servie du nom «provençal»... dans les Miracles (1992), nous employons souvent le terme «occitan», qui est maintenantle plus courant pour noter la même langue». Par l'adverbe souvent, le lecteur

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doit donc entendre que, dans la présente édition, les deux termes s'emploient sans
discrimination, au sens de 'langue du Midi'.

Université de Copenhague