Revue Romane, Bind 31 (1996) 1

Genèse et traits caractéristiques du français cadien : un aperçu phonologique

par

Chantal Lyche

La Louisiane, Etat de l'Union depuis 1812, a été française, puis espagnole puis à nouveau française quelques années avant d'être vendue par Napoléon en 1803. Cet Etat a gardé une forte culture 'française' grâce aux Acadiens qui sont venus s'y réfugier. Le français cadien1 est encore très vivant et peut toujours être entendu à travers le sud de la Louisiane. Valdman (1978:30) rapproche le français cadien du créole («Du point de vue linguistique, le cadien se situe à mi-chemin entre le français et le créole»), justifiant ce point de vue par la nasalisation extensive des voyelles que l'on trouve en français cadien comme en créole ainsi que par la morphologie verbale très réduite. Pourtant ce français est encore très proche de ses origines acadiennes, ayant gardé bien des traits dialectaux de l'ouest de la France même si bien d'autres langues ont dû influencer le cadien au fur et à mesure de leur assimilation. On observe ainsi un ensemble d'innovations faisant de cette langue un français fort original. Nous n'envisagerons ici que l'aspect phonologique en remarquant cependant que la simplification dont parle Valdman n'est pas simplement morphologique mais qu'elle apparaît à travers toute la syntaxe (Conwell et Juilland 1963).

1. Rappel historique

La Louisiane est officiellement née en 1682. C'est en effet cette année-là que l'explorateur Cavelier de la Salle revendique pour la France toute la vallée du Mississipi qu'il appelle Louisiane en l'honneur du roi Louis XIV. Les premiers colons suivent en février 1699 avec deux autres explorateurs, Pierre Le

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Moyne d'lberville et son frère Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville. La ville de la Nouvelle Orléans sera fondée en 1718. Les premières années de colonisation sont très dures et les colons dépendent pour leur survie de la bienveillance du gouvernement français. John Lass et sa Compagnie des Indes Occidentales sont chargés de l'administration de la Louisiane à partir de 1718. D'autres colons arrivent mais la colonie reste très faiblement peuplée et le recensement de 1766 ne relève que 5 562 blancs (Oukada 1977:4). C'est aussi à partir de cette époque que les Acadiens commencent à parvenir en Louisiane où ils deviendront les 'Cadiens'.

L'Acadie, province du Canada (maintenant la Nouvelle Ecosse), a été colonisée entre 1644 et 1654, à 70% par des fermiers français qui venaient de l'ouest de la France et plus précisément du Poitou et de la Vendée. Il fuyaient les guerres de religion qui ravageaient toute cette région. L'expédition colonisatrice la plus importante est l'expédition d'Aulnay de 1644 et elle founira 25% des colons de l'Acadie (Bodin 1977:16-20). Ces paysans construisent des digues pour dessaler les terres qu'il transforment en champs fertiles. Comme le montre le tableau ci-dessous (Brasseaux 1991:4), la population augmente rapidement malgré une très forte mortalité infantile.


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Ces colons vivent très isolés du reste du Canada et ne se sentent pas concernés par les guerres incessantes entre la France et l'Angleterre. Pourtant au Traité d'Utrecht en 1713, Terre Neuve et la plus grande partie de l'Acadie passent aux mains des A.ng!ais. Cette date marque aussi la fin de l'immigration française. Après le traité d'Aix-la-Chapelle en 1748 qui rend le fort de Louisbourg (sur le Cap Breton) à la France, les Anglais demandent aux Acadiens de prêter serment d'allégeance à la couronne d'Angleterre. En effet, durant cette dernière guerre contre les Français, les Anglais n'avaient reçu ni aide ni approvisionnement de la part de leurs 'sujets' acadiens. Or les Acadiens refusent, car leur loyauté est toute entière à l'Acadie.

Si les Anglais s'acharnent contre les Acadiens, c'est que ces derniers empêchaient une colonisation 'anglaise' du territoire qu'ils occupaient et les terres qu'ils avaient défrichées et qu'ils cultivaient étaient fort riches et de ce fait convoitées par les Anglais.

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The rapid expansion of the Acadian population... indicated ail too clearly that the perceived threat to the Empire would increase geometrically each year if left unchecked.The problem defied easy solution : the occupation by the francophones of the region's choicest farmlands, plus their ability to absorb ail rival cultures, discouraged Anglo-Protestant immigration, thereby frustrating English designs to anglicize the French neutrals. (Brasseaux (1987:21), cité par Ancelet, Edwards et Pitre (1991:9))

Le 'Grand Dérangement' de 1755 qui va marquer la déportation en masse de la moitié de la population acadienne et lui infliger de terribles souffrances, va être déclenché par un autre épisode de la guerre franco-anglaise. A la prise du Fort Beauséjour, les Anglais trouvent parmi les Français trois cents Acadiens, leur apportant ainsi la preuve que les Acadiens n'étaient pas aussi neutres qu'ils le proclamaient. Les Anglais demandent encore une fois à toute la population acadienne (plus de 12 000 personnes) de prêter serment d'allégeance au roi d'Angleterre, mais ils affrontent de nouveau un refus. C'est alors que les Anglais décident de se débarasser une fois pour toutes de cette épine acadienne en optant pour une solution radicale : la déportation. Les Acadiens sont déportés vers les Etats côtiers des colonies américaines (du Massachusett à la Géorgie), mais aussi à la fin des années cinquante, en Angleterre et en France. Cette déportation était mal préparée par les autorités anglaises et les souffrances endurées par la population sur les bateaux et en exil ont été atroces. La population acadienne qui s'est montrée extrêmement docile a été décimée.

Le sort des Acadiens en exil était des plus déplorables (Brasseaux 1991, Leßlanc 1966). Ni prisonniers de guerre, ni vrais sujets britaniques, ils sont méprisés, opprimés, leurs enfants leur sont enlevés et mis en apprentissage dans l'espoir de faire de ces derniers de loyaux sujets du Roi d'Angleterre. La situation des nombreux Acadiens en France n'était guère plus enviable, confinés qu'ils étaient dans les villes côtières et contraints à vivre de charité. Un grand nombre d'Acadiens s'embarquent pour Saint Domingue attirés par des promesse de terres à cultiver s'ils travaillent d'abord à la construction d'une base navale. Là, ils vivent dans l'indigence et sont décimés par la malnutrition et les maladies tropicales. L'exil était donc pour tous intolérable, et de nombreux Acadiens vont reprendre la route pour retourner en Acadie2 ou pour tenter leur chance en Louisiane.

D'après les documents existants, l'arrivée des Acadiens en Louisiane date d'avril 1764 lorsqu'une vingtaine de personnes parviennent à La Nouvelle Orléans en provenance de New York (Ancelet, Edwards et Pitre 1991, Brasseaux1991). A cette époque l'administration de la Louisiane est encore françaisemême si la Louisiane vient d'être cédée à l'Espagne par le Traité secret

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de Fontainebleau de 1762 afin d'éviter que toutes les possessions d'Amérique passent en mains britanniques lors du Traité de Paris en 1763. Les Espagnols vont fort bien3 accueillir ces nouveaux colons catholiques, travailleurs, endurcis par le rude climat canadien et par la misère, qui, pensent-ils, vont les aider aussi bien à se protéger des Anglais que des Indiens. Les premiers arrivants s'installent le long du Bayou4 Teche c.-à-d. en partant du sud, dans les paroisses de Saint Mary, Iberia, Saint Martin, Lafayette, Saint Landry, Evangeline, Avoyelles. A la fin des années soixante, les Acadiens prennent possession des terres le long du Bayou Lafourche (paroisses de Lafourche, Assumption, Ascension). Ces exilés proviennent en majorité de France, mais aussi des états côtiers des colonies américaines et des camps de Halifax (Nouvelle Ecosse).

L'immigration acadienne va se prolonger jusqu'en 1790 et elle totalisera plus de 4 000 personnes. Comme en Acadie, les Acadiens vont vivre de façon très isolée,5 assimilant les nouveaux arrivants et préservant leur langue et leur culture et deviendront des 'Cadiens'. Il est important ici de souligner que les Cadiens modernes ont très peu de sang acadien dans leurs veines mais du sang indien, allemand etc...Avec la croissance de la population, les Cadiens occupent les prairies à l'ouest d'un axe Lafayette-Ville Plate. Les Cadiens des prairies du fait même de leur environnement géographique ont un mode de vie différent des Cadiens installés dans les marais. Les fermes sont très dispersées, à la culture s'ajoute l'élevage de bétail sur de grands espaces, et les habitants vivent en autarcie totale. Les Cadiens des marais ne pouvaient pas vivre en économie fermée et les cours d'eau ont une place prédominante dans leur vie (pour la pêche, la chasse, les échanges) au point que voiture désigne en fait une embarcation quelconque (Ancelet, Edwards, Pitre 1991:30).

2. Perte de vitesse et renouveau

La langue est pour les Cadiens l'un des piliers de leur culture mais après la guerre de Sécession, l'anglais devient seule langue officielle de la Louisiane, marquant ainsi le déclin inéluctable du français. Le coup de grâce sera porté par l'Acte d'Education Obligatoire (Mandatory Education Act) de 1916 qui oblige les enfants cadiens à suivre une scolarisation entièrement anglophone. De nombreuses histoires racontent les problèmes des enfants arrivant à l'école sans parler anglais. Voici un exemple tiré du recueil de Guidry (1982). Cet extrait provient du premier récit Hallo, gramma'sfine, an'y'ail?:

(...) eh bin, la première journée dTécole, Emma s'en a r'venue à la maison en
braillant. [...] Bin la couillône-là (la maîtresse), a' yeux dit, en anglais, d'écrire
quèque chose dessus ein papier. Well, j'ai pas besoin d'vous dire, Emma, elle,

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avait pas compris. Ça fait a' s'a retournée pour ed'mander à sa cousine qu'était
assis au ras d'elle si aile avait compris. [...] Bin. Pow! Emma a r'çu ein coup
d'tape su' la dgeule pis aile a appris ses premières paroles en anglais :
- You-muss-spick-Anglish-li'l-girl!
Comment tu voulais qu'a' parle en anglais? Aile avait jamais a'tendu arien
d'aut' que l'français cadjin qu'on parle, nous-aut', à la maison.

La situation évolue après la deuxième guerre mondiale avec le retour des soldats qui s'étaient vus appréciés et non pas méprisés parce qu'ils parlaient français. Ce renouveau cadien sera sanctionné en 1968 par la création du CODOFIL (Council for the Development of French in Louisiana). La première tâche du CODOFIL a été l'organisation d'un enseignement de qualité du français. On a importé des enseignants de pays francophones, mais la langue enseignée était le français dit standard et non le français cadien. De nombreux membres du CODOFIL s'opposaient à l'enseignement d'une langue bâtarde puisque le cadien n'est pas écrit.6 La situation évolue très lentement, ce qui s'explique entre autres par la rareté de manuels7 adéquats, mais la culture est bien vivante surtout grâce à la musique qui se propage bien audelà des frontières de l'Etat. On doit aussi au CODOFIL l'existence en Louisiane de programmes de télévision en langue française, et la possibilité pour tout document légal d'être publié en français (en supplément de sa version anglaise). Ceci aurait permis au conseil municipal de Church Point de mener toute une réunion en français en octobre 1976 (Oukada 1977:24).

On estime la population cadienne de langue française à environ 300 000 (Smith-Thibodeaux 1977, Bodin 1987). Cette population est maintenant concentrée dans les paroisses suivantes : Acadia, Avoyelles, Evangéline, Iberia, Lafayette, Lafourche, Saint Martin, Vermilion (Oukada 1977:74-81). Il existe encore en Louisiane deux autres groupes de 'langue française' : il s'agit des descendants des colons de France8 qui parlent un français proche du français standard et qui ne totalisent pas plus de 3000 personnes et des créolophones composés de Blancs et de Noirs dont la langue est aussi appelée 'Gumbo French' ou français nègre. Les créolophones blancs seraient au nombre de 10 000 et se trouvent dans les paroisses de Saint Martin, Saint Landry et Pointe Coupée (Neumann 1985:40). Ce créole9 est fortement décréolisé et constituerait une étape intermédiaire entre le créole des Noirs et le Cadien. Neumann (1985:20- estime la population créole noire à 80 000 personnes10 et elle divise le secteur créole en deux zones séparées par le bassin d'Atchafalaya : le créole du Teche (à l'est de Lafayette) et le créole du Mississippi (au nord de Bâton Rouge).

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3. Créole haïtien et cadien

Bodin (1987) montre de façon convaincante qu'il existe un lien phonologique étroit entre le poitevin et le cadien. Nous étudierons pourtant en premier lieu la possibilité d'un lien entre le créole haïtien et le cadien. Nous avons vu en effet que Valdman (1978) rapproche le français cadien du créole. Le créole louisianais (celui des noirs et encore plus celui des blancs) est fortement décréolisé au contact aussi bien du cadien que de l'anglais. On parle ici de décréolisation même si le français standard ne joue aucun rôle et que la langue prestige est l'anglais (Neuman 1985). Il semble donc légitime, si l'on désire tester l'affirmation de Valdman, d'établir la comparaison à partir du créole haïtien d'où la population noire louisianaise est en grande partie originaire.11 Notre comparaison s'appuiera sur l'inventaire des phonèmes dans les deux langues et sur quelques processus phonologiques.

3.1. Inventaire des phonèmes.

Le français cadien a les mêmes voyelles que le français standard (FS), mais sans la nasale [ce], ce qui donne : [i, y, u, e, o, o, e, ce, o, a, è, à, ô]. Les consonnes sont identiques à celles du FS à une exception près : on trouve en cadien les deux affriquées [f, &>].

Le créole haïtien n'a pas de voyelle antérieure arrondie12, mais il a une série
très développée de voyelles nasales, ce qui donne le système suivant :


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( 1 )

Comme pour le cadien, les deux affriquées [tf, ds] sont présentes dans le créole haïtien. Le reste du système consonantique est identique à celui du FS à une exception près :la quasi absence de la glissante [m].13 Pour ce qui est de la vibrante [r], sa réalisation varie beaucoup, aussi bien dans les créoles qu'en cadien. Il faut tout de même remarquer que si dans tous les créoles [r] peut être réalisé [w] dans certains environnements, ceci n'est pas le cas en français cadien. On trouve aussi cette réalisation en créole louisianais (Neumann 1985:93). Dans tous les créoles la vibrante alterne souvent avec la liquide [I], ce même phénomène n'apparaît que sporadiquement en cadien : prairie - plaine.

3.2. Quelques phénomènes phonologiques partagés.

Cadien et créoles sont caractérisés par une nasalisation extensive. Cadien et
créole haïtien ont en commun la possibilité de nasaliser une voyelle dans le

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contexte _NV... (consonne nasale suivie d'une voyelle), qui s'ajoute aux contextes de nasalisation pour le FS : soit _NC (consonne nasale suivie d'une consonne), soit _N# (consonne nasale suivie d'une frontière de mot). Il ne faut pas oublier que les exemples de (2) étaient encore possibles dans la France du XVIIe siècle, comme cela est attesté par Molière (grammairegrand'mère).


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(2)

Le créole haïtien (mais pas le cadien) applique aussi cette règle dans le contexte
_# N...c.-à-d. entre deux mots, ce qui donne des formes comme (3)
(Valdman 1978:64) :


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(3)

Comme l'indique (3), le créole haïtien a aussi une nasalisation progressive ([mwë]). Cette nasalisation progressive n'est pas bloquée par une frontière de mot : [po â] 'le pont'. Bodin (1987 : 29) ne cite que quelques exemples isolés en cadien de nasalisation progressive à l'intérieur d'un mot et après la nasale [ji] réduite en [j] : baigner [bïjï], cogner [kôjï]. Par contre, ce qui est caractéristique du cadien, c'est la prononciation plus ou moins marquée d'une consonne nasale après la voyelle nasale : un [ën].

La simplification des groupes consonantiques se retrouve dans de nombreux créoles et aussi en cadien (Ans 1968, Brousseau 1994, Conwell 1961, Neumann 1985, Valdman 1978). Cette simplification peut avoir lieu soit à l'initiale, soit en finale de mot. A l'initiale de mot, il y a prothèse devant le groupe sC, ce qui est illustré en (4).


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(4)

A la finale, il y a simplification de trois types de groupes consonantiques : la liquide tombe systématiquement dans la suite obstruente + liquide, l'occlusive disparaît lorsqu'elle suit une consonne nasale ou un [s]. Cette simplification est à l'œuvre en français standard/français populaire (FP), sans pourtant avoir atteint ce degré de généralisation.

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(5)

L'affrication est généralisée dans les créoles (Valdman 1978) et ni le créole haïtien ni le créole louisianais ne font exception. On retrouve aussi cette affrication dans le français canadien et en cadien. (6) donne quelques exemples.


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(6)

Notre dernier élément commun sera la fermeture des voyelles. Ce phénomène est plus étendu dans les créoles, y compris le créole louisianais, qu'en cadien. Pourtant les formes de (7) sont assez fréquentes en cadien même si la variante du français standard est toujours acceptable.


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(7)

3.3. Evaluation.

Nous avons envisagé en 3.2 quelques phénomènes phonologiques communs aux créoles et au cadien. Il est bien évident qu'il existe des différences, ce qui ne falsifie pas la thèse de Valdman, car ce dernier ne fait pas du cadien une langue créole. Parmi ces différences, il suffit de citer la transformation du h aspiré en [r] en créole14 alors qu'il est très présent en cadien et même très aspiré à la différence du FS. Cette comparaison permet cependant de poser quelques questions au sujet de l'hypothèse de relexification, hypothèse sur la formation des pidgins et des créoles.

Sans passer en revue toutes les théories existantes rappelons qu'elles se divisent en monogénèse vs. polygénèse, universaliste vs. rôle de la langue substrat (Chaudensson 1979, Holm 1988, Valdman 1978). Pour Valdman par exemple, il s'agirait d'un apprentissage défectueux d'une langue seconde.

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Suivant les propositions de Chomsky (1965), l'acquisition d'une langue par un enfant serait facilitée par le fait que tout être humain possède la faculté de reconnaître certaines propriétés universelles du langage. Selon Valdman15 (1978:17), l'apprentissage de la langue seconde serait entièrement parallèle dans ses stratégies à l'apprentissage de la langue première et ces stratégies seraient «déterminées par des principes innés et universaux d'acquisition du langage.» Valdman (1978:19) voit certains avantages dans cette hypothèse:

La conception innéiste de la pidginisation et de la créolisation a le mérite de souligner les facteurs psychologiques que ces processus partagent avec l'acquisition de la langue première par l'enfant et l'apprentissage d'une langue seconde.

Selon l'hypothèse de la relexification, l'accès au superstrat est limité (alors qu'il est étendu dans l'hypothèse innéiste), et le créole garde les traits sémantiques, syntaxiques et parfois phonologiques du substrat tout en essayant d'imiter d'un point de vue phonétique le superstrat. Pour ce qui est du créole haïtien, le superstrat est évidemment le français et l'un des substrats est le fòngbè, langue de l'Afrique de l'ouest.

Brousseau (1994) présente une comparaison des systèmes phonologiques du créole haïtien et du fòngbè et montre quun ensembie de procédés phonologiques sont identiques dans les deux langues et elle conclut que cela renforce l'hypothèse de la relexification. Les procédés phonologiques sont la nasalisation, l'affrication, l'arrondissement des voyelles16 devant [u], [ü], mais aussi la simplication du groupe consonantique par prothèse ou par elisión. En d'autres termes, il s'agit là (à part l'arrondissement des voyelles) de procédés qui sont aussi à l'œuvre en cadien. Mais dans le cas du cadien, quel est le superstrat? De plus le substrat est assurément le français. Même si les Noirs de Louisiane venaient pour la plupart de Haïti, il est difficile d'imaginer le cadien influencé par le fòngbè. Oukada (1977:111- remarque cependant une évolution dans les contacts entre les trois communautés francophones (Français coloniaux, Acadiens, et Noirs). Ces communautés sont restées très longtemps étrangères pour des raisons culturelles, socioéconomiques et aussi à cause du 'Code Noir' mis en place par Bienville en 1724. Pourtant, après la guerre de Sécession, la situation va évoluer et on va assister à un certain brassage des cultures. Pour Neumann (1985) le créole louisianais serait fortement décréolisé au contact du cadien mais pas le contraire dans la mesure où le cadien reste toujours la langue des blancs, donc la langue plus prestigieuse.

Parmi les phénomènes phonologiques mentionnés, aussi bien la palatalisationque
la prothèse se retrouvent dans des dialectes du français. La
palatalisation est courante en français canadien et l'était aussi en poitevin. La

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prothèse apparaît régulièment dans des dialectes picards (Montreuil 1986). Quelle que soit l'hypothèse avancée sur la formation des créoles, parler du cadien comme d'un 'créole en gestation' soulève des questions intéressantes mais si l'on ne peut rester indifférent devant cet ensemble de similarités entre le créole et le cadien, il ne faut pas perdre de vue l'essentiel c.-à-d. que ces similarités phonologiques sont partagées par d'autres variétés de français. De ce fait la comparaison créole-cadien perd beaucoup de son attrait.

4. Cadien, acadien et poitevin

Dans la mesure où l'un des traits caractéristiques des Acadiens était leur imperméabilité à toute autre culture, il semble raisonnable de supposer que leur langue a gardé un ensemble de traits dialectaux. De plus, les travaux de Massignon (1949) rapportés par Bodin ( 1987) montrent que la plus grande expédition colonisatrice de l'Acadie est l'expédition d'Aulnay de 1644. En comparant les noms de familles des registres paroissiaux des terres du Seigneur d'Aulnay (dans le Loudunais, Vienne) et ceux du recensement acadien de 1671, Massignon a pu conclure que les membres de l'expédition de 1644 avaient bien été recrutés par le Seigneur d'Aulnay sur ses propres terres.

La plus grande caractéristique du cadien est sa diversité. Il existe une variation extrême même à travers les différentes régions et aussi chez les mêmes locuteurs. Pourtant, Bodin (1987), grâce à la comparaison d'un corpus acadien, d'un corpus louisianais et l'étude des traits dialectaux poitevins à travers la typographie17 conclut que acadien, cadien et poitevin sont clairement affiliés. L'affinité est sensible au niveau lexical entre l'acadien et le cadien, mais les trois dialectes partagent aussi un ensemble de traits phonologiques. Poitevin, acadien et cadien simplifient par exemple le système des voyelles nasales et les deux voyelles postérieures se fondent en [5). Les formes de (8) ne sont d'ailleurs pas étrangères au français populaire de la région parisienne où l'on peut souvent entendre : mon enfant [monôfoj.


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(8)

La fusion entre [ë] et [ce] est aussi présente dans les trois dialectes, mais elle est moins intéressante car elle est courante aujourd'hui dans la plupart des régions françaises. Par contre l'alternance que l'on observe aussi bien en poitevin qu'en acadien entre les deux nasales [ë] et [â] est absente du cadien, ce qui pourrait laisser penser que cette fusion a eu lieu indépendamment de l'autre dialecte. Au niveau des voyelles orales, on observe quelques similitudes comme les variations [i] / [y], par harmonie vocalique, et [o] / [u] courantes en cadien, acadien et dans tout l'ouest de la France.

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(9)

Au niveau des consonnes, citons la simplification du groupe obstruante + liquide avec la chute de la liquide en finale de mot, ce que nous avons déjà vu pour le créole haïtien, ainsi que la palatalisation et l'affrication. Ces deux derniers phénomèmes seraient plus développés en cadien. La chute de la vibrante en finale de mot, fréquente en cadien, serait aussi présente dans les deux autres dialectes :


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(10)

Le [r] est d'ailleurs plus instable en cadien où l'on trouve des exemples
comme en (11).

(11)


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L'alternance [I] / [r] est aussi généralisée ainsi que la métathèse V-r.


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(12)

Sans étudier le lexique, il semble indiscutable qu'il existe un lien de parenté entre ces dialectes même si chacun a su acquérir une originalité. Bodin (1987) mentionne d'ailleurs que le poitevin est relativement conservateur dans la France dialectale d'aujourd'hui et que le cadien est plus innovateur que l'acadien.

5. Traits spécifiques au cadien

Nous envisagerons quelques phénomènes mais sans nous poser la question de leur origine. Il se peut que certaines innovations aient en fait déjà été en herbe dans le poitevin. Au niveau des voyelles, le trait le plus caractéristique est la généralisation de la loi de position donnant au système vocalique un air méridional. Les exemples de (13) sont des exceptions à l'abaissement des voyelles en français standard, mais pas en cadien.

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(13)

La voyelle [g] devant [r] est très ouverte, devenant en fait [se]. Dans le pronom personnel elle la voyelle s'est encore abaissée, et on a la prononciation [al] ou [a]. Si les voyelles nasales sont souvent suivies d'une consonne nasale légèrement prononcée, comme nous l'avons vu en 3.2, elles peuvent parfois être dénasalisées comme en (14).19


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(14)

( 14) montre de façon convaincante que les voyelles nasales ne sont pas sousjacentes
en cadien, qu'une règle de nasalisation est bien à l'œuvre, mais que
parfois elle n'est pas appliquée.

Au niveau des glissantes, on remarque une tendance nette à la diérèse. Cette diérèse a lieu sous accent (Conwell 1961:147) et s'applique à toutes les suites glissante + voyelle. On sait que le français standard permet l'alternance diérèse /synérèse à une frontière morphologique mais pas après le groupe consonantique obstruante + liquide (OL) et que la suite [obstruante + liquide -H j] est interdite. Les différents cas sont illustrés en (15).


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b. (15)a.

En (15b) la diérèse est interdite car il n'y a pas de frontière morphologique et la glissante est généralement considérée comme de base, c.-à-d. qu'elle fait partie du noyau de la syllabe dans la forme sous-jacente (Kaye et Lowenstamm 1984). Le cadien par contre, autorise la diérèse en (15) et l'on trouve des exemples comme dans (16), ce qui semble indiquer que le noyau de la syllabe ne peut contenir qu'un seul élément en cadien.


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(16)

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La diérèse est impossible en ( 16) en français standard car il n'y a dans aucun cas une frontière morphologique. On observe aussi des simplifications et la suite [gi] est parfois réduite à [y] et moi se prononce généralement [mo] ou [mo].

Aux consonnes finales suceptibles de chute que nous avons déjà mentionnées
dans les exemples (5) et (10), il faut ajouter la liquide20 [I] qui tombe
fréquemment ainsi que la glissante [j].


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(17)

Les consonnes finales sont dans l'ensemble très instables : avec est souvent prononcé [avs] et Texas est prononcé systématiquement sans le [s] final ce qui montre bien qu'il s'agit là d'un phénomène typiquement cadien. Un autre trait qui distingue le cadien est l'instabilité et la métathèse de [s]. Cette instabilité peut être rapprochée de ce que l'on trouve en poitevin où par exemple Bossarderie alterne avec Brocharderie (Bodin 1987).


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(18)

Les phénomènes phonologiques cités ci-dessus sont pour la plupart mentionnés dans les quelques ouvrages qui traitent du cadien. Tel n'est pas le cas de la chute du schwa qui n'intéresse aucun des auteurs cités probablement parce que les règles sont pressenties identiques au français standard. La réalisation de schwa en cadien est soit [o], soit [ce], la distribution étant semblable à celle du français standard. On peut aussi trouver par assimilation [i] ou sous accent [e].


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(19)

Rappelons pour mémoire que le cas le plus fréquent de chute de schwa est celui où la voyelle21 est précédée d'une seule consonne prononcée (Dell 1973). Le domaine d'application de cette règle, appelée VCE, est le mot phonologique comme en (20) ou la phrase phonologique (21).

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(20) (21)


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Comme cela est illustré en (22), schwa tombe aussi fréquemment en français familier après deux consonnes si la première consonne est [r] ou si la consonne précédant le schwa est [s]. (22) montre aussi que le schwa peut dans le même style tomber à l'initiale d'un énoncé.


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(22)

Toutes les règles de chute que nous avons énoncées pour le français standard
et pour le français familier sont aussi actives en cadien. On remarquera tout
spécialement que la chute de schwa est très courante après le groupe rC.22


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(23)

Pourtant le français cadien se distingue très nettement du français standard pour ce qui est de la longueur de la phrase phonologique. (24) montre que celle-ci est plus courte en français cadien permettant ainsi des chutes de schwa qui ne sont pas permises en français standard ni même en français familier.


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(24)

Si la phrase phonologique est plus courte en français cadien, cela s'explique par la différence d'accentuation entre les deux dialectes. Comme en témoigne(24) le cadien peut accentuer chaque unité lexicale et on obtient ainsi un accent de mot qui se rapproche de ce qui est la norme en anglais. Le français standard par contre, accentue normalement la dernière syllabe d'un groupe

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(25)

de mots comprenant plusieurs unités lexicales et (24) serait réalisé comme en
(25).

Le cadien généralise la règle permettant la chute d'un schwa initial de groupe et la consonne se fixe alors avec la syllabe qui suit donnant des attaques complexes. Ceci est parallèle à ce que l'on constate dans l'accent initial (Lyche et Girard 1995) en vogue dans les medias et chez les personnes habituées à prendre la parole en public. Dans cette nouvelle forme d'accentuation, de plus en plus répandue en France, l'accent frappe la première syllabe des mots. Si les formes cadiennes de (26) ne sont guère différentes du point de vue de l'accentuation de ce que l'on trouve dans le français standard, il n'en est pas de même dans (27) où le principe d'eurythmie (une syllabe forte est suivie d'une syllabe faible) est à l'œuvre.

(26) ça m'a donné d'la pratiqu
on s' méd'ci«fl/f à la maison
j'ai jamais eu an'en pour Y fair apprendr
ï vient d' Mamow

(27) (a) t' as finis de t' coucher d'ssus
après qu'elle avait son ouvrag' défait
(b) les cadiens de /c Bayou
qu'a joué mieux que e//'

Avec (27) nous constatons que comme sous l'accent initial, il y a alternance syllabe forte, syllabe faible. Dans (27)(a), le schwa de dessus peut tomber car il se trouve dans une syllabe faible précédée d'une syllabe faible et suivie d'une forte. Sa chute est même souhaitable car le résultat est : fort-faible-fort. On pourrait faire exactement la même démonstration pour la chute du schwa du monosyllabe en début de phrase. La situation est parallèle dans la phrase suivante et le schwa dans défait se maintient afin de garder le rythme : fort-faible-fort. La situation est en fait identique à ce que l'on trouve en français standard dans les composés : porte-plume mais port'-parapluie. Les formes de (27)(b) sont intéressantes car à cause de l'accent, l'élision pourtant obligatoire n'a pas eu lieu. Dans les deux cas, ce sont des clitiques qui sont accentués et le principe d'eurythmie est encore une fois à l'œuvre entraînant

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la non elisión de la voyelle précédente.23 On peut aussi supposer qu'une
légère pause a lieu avant l'accent, comme par exemple avant un h aspiré qui,
de même, fait exception à la règle d'élision.

Il faut aussi remarquer que l'accent varie plus en cadien qu'en français standard. En cadien, il peut frapper la dernière syllabe d'un groupe, mais il peut aussi, comme en anglais, frapper l'une des syllabes d'un mot et pas obligatoirement la première comme sous l'accent initial. On retrouve cette variation dans le principe d'eurythmie qui, s'il est à l'œuvre lors de la chute de schwa, n'est pas obligatoire. L'eurythmie est certainement ignorée lorsque deux lexèmes consécutifs sont accentués créant ainsi une suite de deux accents forts : on a du bon temps avec un accent aussi bien sur l'adjectif que sur le substantif. C'est la somme de tous ces facteurs qui donnent au rythme de la phrase cadienne une grande originalité.

Nous avons dégagé dans cette section un ensemble de phénomènes segmentaux propres au cadien qui le distinguent aussi bien du français standard que du créole, ou de l'acadien ou encore du poitevin. Nous venons cependant de constater que c'est sans aucun doute au niveau de l'accentuation et du rythme que le cadien se détache le plus des autres dialectes du français.24 Il se peut qu'il s'agisse là d'une influence de l'anglais mais il est tout de même intrigant que certains de ces traits suprasegmentaux apparaissent de nos jours dans le français standard.

6. Conclusion

Même si le cadien partage un ensemble de phénomènes phonologiques avec le créole, nous pensons avoir montré que c'était avant tout un 'dialecte' du français. Il a remarquablement su préserver un ensemble de traits dialectaux du français, mais s'est aussi développé dans une direction qui lui est entièrement propre. Nous n'avons pas du tout abordé la morphologie et la syntaxe qui sont les deux domaines les plus innovateurs du cadien. Nous avons cependant montré que la phonologie, si elle se rapproche sous certains aspects du poitevin ou d'autres dialectes du français, présentent aussi des aspects innovateurs. Cela ne saurait surprendre car le cadien est une langue qui a évolué pendant plus de deux cents ans sans jamais être codifiée par l'écriture puisqu'encore de nos jours les Cadiens, dans leur immense majorité, sont incapables de lire ou d'écrire leur langue. Le miracle cadien n'est pas seulement que la langue ait survécu mais aussi que l'on y trouve, au niveau de l'accentuation et du rythme, certains traits qui commencent seulement à poindre en français moderne. Le cadien serait en quelque sorte prophétique de l'avenir du français standard.

Chantai Lyche

Université d'Oslo

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Notes

* Ce travail a bénéficié des commentaires et critiques de F. Girard que je tiens à remercier ici.

1. On trouve aussi d'autres appellations : 'français cajun', 'français cadjin'. Nous adoptons ici la forme utilisée par les linguistes cadiens qui travaillent sur leur propre langue (Abshire et Barry 1993). Dans tous les cas le mot doit se prononcer

2. Cette épopée est admirablement relatée dans le roman d'Antonine Meillet Pélagie la charette.

3. Les Espagnols vont même jusqu'à armer sept navires en 1785 pour 'rapatrier' en Louisiane 1600 Acadiens exilés en France.

4. Bayouest une déformation du Choctaw bayuk et signifie 'rivière marécageuse'.

5. Pendant la guerre de Sécession de nombreux Cadiens 'désertent' les rangs des confédérés pour retourner cultiver leurs terres.

6. Sur les problèmes de l'enseignement du français en Louisiane, voir Ancelet (1988).

7. Nous avons pu constater qu'à Eunice, une petite ville au nord de Lafayette, si le français est enseigné à tous les enfants à partir de 9-10 ans, les manuels utilisés sont imprimés au Canada et présentent le français standard. Le professeur peut, s'il le désire, incorporer dans son enseignement des termes cadiens, mais la langue enseignée n'est pas le cadien. Il semblerait que cette situation soit répandue à travers la Louisiane.

8. L'immigration française en Louisiane s'est poursuivie longtemps après le passage de la Louisiane à l'Espagne. Sous la Révolution, la plus grande vague d'immigration est celle qui a suivi la révolte en 1791 de Toussaint Louverture à Saint Domingue, de nombreux colons s'enfuyant aussi vers Cuba. Au moment de la conquête de l'Espagne par Napoléon, les autorités espagnoles de Cuba ont voulu déporter les Français. Ces derniers se sont dirigés vers La Nouvelle Orléans (sous contrôle américain) où auraient débarqués 6 060 réfugiés à la fin du mois d'août 1809 (Oukada 1977, p. 11). Enfin, à la chute de Napoléon, un certain nombre de fidèles soldats sont venus s'installer à La Nouvelle Orléans et aussi à Saint- Martinville, ce qui fait dire à un vieil homme de la ville qu'il y avait quatre classes de Français : les planteurs, les nobles, les cadiens et les anciens soldats de Napoléon. Et, ajoute-t-il, ces quatre groupes n'avaient pas de contacts entre eux. (Entrevue enregistrée par Ancelet, cassette sur les dialectes cadiens).

9. Par créole nous entendons langue pidgin apprise comme langue maternelle. Le Pidgin est une langue cible apprise comme langue étrangère et simplifiée à travers l'apprentissage.

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10. Comme dans le cas des Cadiens francophones (où les plus optimistes donnent jusqu'à 700 000 francophones!), les chiffres sont très peu sûrs. Ils comprennent de nombreuses personnes qui n'ont qu'une connaissance passive du français, des bilingues français-anglais et quelques monolingues.

11. Les premiers esclaves sont venus en Louisiane directement d'Afrique (Sénégal). A partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle on a fait venir des esclaves de Saint Domingue. De nombreux esclaves sont d'ailleurs venus avec leur maîtres à la suite des révoltes noires sur l'île . L'origine africaine de ces deux groupes était identique.

12. Voir Valdman (1978 : 50) pour une discussion de la présence de voyelles antérieures arrondies dans certains dialectes.

13. Voir Valdman (1978) pour une liste des contextes d'apparition possible. Mais dans tousles cas la glissante [w] est aussi acceptable.

14. Le h aspiré se maintient dans le créole louisianais : 'vjê pa fe mwa è hôt isi' 'ne me fais pas honte ici', Neuman ( 1985 : 398)

15. Voir aussi Holm (1988:61-

16. Les deux exemples suivants sont tirés de Brousseau (1994). [paya Ci elev]-> [pawo û elsv] parent ou élève [m mâde u]-> [m mâdow] je t'ai demandé

17. Elle étudie aussi l'Atlas Linguistique de l'Ouest afin de pouvoir aussi envisager les développements du poitevin.

18. Les exemples de (8) à (12) sont tirés de Bodin (1987), certains sont repris de Read (1931), mais on trouvera aussi le même type d'exemples dans Conwell (1961).

19. Les exemples proviennent de Conwell et Juilland (1963 :117).

20. D'après les données dont nous disposons cette chute a lieu exclusivement après la voyelle [i]. Par exemple, les mots hôtel et seul sont prononcés avec la liquide finale. La chute de la consonne après [i] est d'ailleurs attestée à l'intérieur de l'hexagone.

21. Notre but est de présenter les différences entre le français standard et le cajun, et non pas d'offir une analyse théorique du schwa. De ce fait nous adoptons une analyse devenue classique du traitement de schwa c.-à-d. celle de Dell (1977). Nous y incorporons cependant quelques notions de phonologie prosodique (par exemple Nespor et Vogel 1986) pour rendre la présentation plus claire.

22. Les exemples de (23) et (24) sont tirés du corpus de Conwell (1961).

23. Pour un traitement plus détaillé des phénomènes concernant schwa en cadien, voir Lyche (à paraître).

24. Dans la mesure où les études suprasegmentales sur les créoles français sont très succintes (Neuman (1985) ne parle absolument pas du rythme de la phrase) il est difficile de se prononcer avec assurance sur l'influence du créole. Il semble cependant que les langues africaines toutes tonales imposent aux langues créoles un rythme particulier et qu'une certaine variation tonale est toujours perceptible (Holm 1991). Ceci n'est pas le cas pour le cadien et nous en concluons qu'il n'y a pas d'interférence du créole au niveau du rythme cadien.

24. Dans la mesure où les études suprasegmentales sur les créoles français sont très succintes (Neuman (1985) ne parle absolument pas du rythme de la phrase) il est difficile de se prononcer avec assurance sur l'influence du créole. Il semble cependant que les langues africaines toutes tonales imposent aux langues créoles un rythme particulier et qu'une certaine variation tonale est toujours perceptible (Holm 1991). Ceci n'est pas le cas pour le cadien et nous en concluons qu'il n'y a pas d'interférence du créole au niveau du rythme cadien.

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Résumé

Le but de cet article est d'étudier dans une perspective phonologique les aspects innovateurs du cadien par rapport aux variétés du français dont il est issu. Après un bref rappel historique des causes de la diaspora acadienne et de l'installation en Louisiane de réfugiés qui bientôt deviendront des 'Cadiens', nous envisagerons dans quelle mesure la phonologie du cadien montre certaines caractéristiques typiquement créoles. Sans négliger l'influence de l'acadien et du poitevin, nous essaierons de déterminer quels sont les traits phonologiques qui caractérisent le cadien. Nous verrons que l'originalité du cadien se situe principalement au niveau de la prosodie avec un accent de mot et une absence d'eurythmie. Ces facteurs prosodiques ont une incidence phonologique, créant des phrases phonologiques relativement courtes, ce qui permet des chutes de schwa inacceptables en français standard.

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Documents sonores

Quelques dialectes cadiens. Enregistrements effectués par B. Ancelet pour le Acadian
Cultural Center, Eunice, Louisiana.

You can speak Cajun French. Raconté par F. Charlie, distribué par Swallow Records,
Ville Plate, Louisiana.

Enregistrements effectués en avril 1994 à Eunice et à Kaplan par F. Girard et C.
Lyche.