Revue Romane, Bind 30 (1995) 2

Michel Olsen : Goldoni et le drame bourgeois. «L'Erma» di Bretschneider. Rome 1995, 247 p.

John Pedersen

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Une première constatation : Cette étude substantielle d'un grand spécialiste du théâtre européen du XVIIIe siècle nous offre des matières encore plus riches que le titre ne le laisse entendre. En fait, le lecteur a droit non seulement à une série d'analyses subtiles du théâtre de Goldoni, mais aussi à un vaste aperçu du drame bourgeois et de la comédie sensible, voire même à un chapitre consacré à deux dramaturges danois. Ajoutons que tout cela est précédé d'une introduction théorique et d'un tableau historique et que l'ensemble est couronné de conclusions qui constituent un grand pas en avant dans nos connaissances et notre compréhension du théâtre de cette époque. On aura compris l'ampleur de ce travail impressionnant.

D'emblée, l'auteur (MO) s'inscrit en faux contre certaines tendances de la critique marxisante, qui se sont efforcées de voir, dans le drame bourgeois, l'expression d'une véritable lutte sociale. En partant des théories de Greimas sur «l'argumentation narrative», MO se met à la rechereche des valeurs que semble propager le théâtre du XVIIIe siècle. Le parallélisme, à cet égard, entre genre narratif et genre dramatique ne pose aucun problème, et, tout en gardant grosso modo, la terminologie narratologique, MO établit un modèle théorique parfaitement valable pour son champ d'étude : personnages sympathiques et antipathiques s'opposent dans des nœuds dramatiques dont les dénouements constituent des affirmations ou des négations des valeurs mises en question.

En étudiant ce domaine, MO retrouve sans difficulté, dans les intrigues typiques, des manifestations du «triangle erotique» qui lui a servi d'instrument notamment pour ses travaux sur les nouvelles de la Renaissance française et italienne. Pour un peu, on dirait que l'apparente simplicité de ce modèle cadre encore mieux avec les textes dramatiques étudiés ici.

On n'en voudra pas à iMO d'avoir complété sa présentation théorique, exemplaire dans sa sobriété, par des pages d'ordre historique même si, à la première lecture, on peut se sentir légèrement désorienté. Au contraire : il serait dommage que l'auteur ne laisse profiter son lecteur d'une telle richesse de connaissances.

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Avant d'arriver au théâtre de Goldoni, MO nous présente, dans deux chapitres bien étayés, la comédie sensible et le drame bourgeois. Dans le premier, MO discute les implications sémantiques et idéologiques du terme 'bourgeois' et dans le second, il met l'accent sur le théâtre de Diderot et ce qu'il apporte de nouveau : L'autorité parentale et l'autonomie du moi. En somme, pour MO, 'drame bourgeois' signifie 'drames de Diderot' ou ceux inspirés par ses théories. Là encore, MO ajoute à ses analyses de nombreuses remarques qui constituent d'utiles mises en perspectives. Parmi ces remarques celles consacrées à Mercier nous semblent particulièrement heureuses et bienvenues.

Pour ce qui est de Goldoni, la seconde moitié de l'étude lui est consacrée. Il y est souligné que le théâtre de Goldoni, pour être moins «progressiste» que par exemple la comédie française de l'époque, n'en a pas moins réservé une place non négligeable au travail des petits bourgeois et des couches populaires. Cependant, l'idée d'une vertu héroïque, idée chère à Diderot et à bien d'autres dramaturges français de l'époque, n'existe guère dans le théâtre de Goldoni. En revanche, les rapports entre les membres de la famille y jouent un rôle important, comme c'est le cas dans le travail analytique de MO. A tel point qu'il peut affirmer que «les oppositions et conflits sont bien plus structuraux que caractériels» (p. 169).

Avec la structure familiale, MO aborde son terrain de chasse privilégié. Les théories d'Emmanuel Todd à ce sujet constituent en effet une référence de base pour la tentative d'interprétation que développe MO dans les dernières pages de son travail. On connaît la distinction qu'établit Todd entre quatre types familiaux fondés sur deux critères : égalité - inégalité d'une part, libéralisme - autoritarisme d'autre part. On sait avec quel succès Todd a utilisé ses concepts de famille souche et famille nucléaire pour expliquer des phénomènes d'ordre religieux ou politique {La nouvelle France, 1977 et L'lnvention de l'Europe, 1990). Il n'en est pas moins frappant de voir MO démontrer un accord spectaculaire entre les théories de Todd et certaines structures goldoniennes, dégagées par les analyses précédentes. Même si la prudence invite à se méfier d'une sur-exploitation des fameuses structures familiales de Todd, il faut reconnaître que l'utilisation qu'en fait ici Michel Olsen nous convainc : nul doute qu'en partie, l'originalité du théâtre de Goldoni par rapport à ses contemporains européens se laisse ainsi interpréter.

La vaste étude menée par Michel Olsen contient un fil conducteur simple, mais riche en informations. Une fois habitué aux nombreux ajouts explicatifs et à bon nombre de digressions pertinentes, le lecteur pourra profiter pleinement de cette mine de connaissance sur le théâtre européen du XVIIF siècle.

Université de Copenhague