Revue Romane, Bind 30 (1995) 2

Inge Degn : L'Encre du Savant et le Sang des Martyrs. Mythes et fantasmes dans l'œuvre de Michel Tournier. Odense University Press, 1995. 320 p.

John Pedersen

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Avec sa thèse de doctorat sur l'œuvre romanesque de Michel Tournier, Inge Degn a rigoureusement respecté une des lois fondamentales de l'institution doctorale. D'un bout à l'autre, son travail exprime une thèse précise dont l'auteur ne s'écarte à aucun moment. En l'occurrence, l'idée forte d'lnge Degn est d'examiner les romans de Tournier dans une perspective psychanalytique, ce qui lui permet de démontrer, de façon catégorique, que l'évolution de l'œuvre romanesque va d'un univers 'féminin', fixé sur des éléments matériels, vers un univers plus ouvert et spirituel, dit 'masculin'.

On aura deviné que l'auteur parvient à formuler cette prise de position en partant d'un choix exclusif pour l'établissement d'une base analytique. En effet, la psychanalyse lui sert de cadre de référence permanent pour les analyses très détaillées des six romans examinés. Dans ce contexte, il est normal que Inge Degn voie le développement des romans, lus chronologiquement, comme le dépassement d'un conflit œdipien assez classique.

Le concept fondamental dont se sert l'auteur est celui de mythe littéraire. Il est certain qu'en utilisant ce concept, l'auteur parvient à élargir nos connaissances et notre compréhension du monde romanesque de Tournier. En même temps, le lecteur peut regretter que de longs développements au début du livre, notamment sur les rapports entre mythe et œuvre littéraire semblent ouvrir sur un domaine trop vaste par rapport à la suite de l'ouvrage. Et justement, dans le cas de Tournier, on pourrait se demander s'il est absolument vrai, comme le prétend Inge Degn en citant Lévi-Strauss (p. 12), qu'à l'encontre des mythes, l'œuvre littéraire exclut des versions parallèlles?

L'absence de toute perspective intertextuelle peut étonner quelque peu, aussi
bien que l'usage très limité que fait l'auteur de la déjà importante littérature
sur Tournier.

Cependant, il y a toujours un prix à payer pour qui a le courage de maintenir, contre vents et marées, le fil conducteur de sa stratégie de recherche. L'idée centrale du travail reste nette et précise à l'esprit du lecteur : L'œuvre prend un tournant décisif à partir de Gaspard, Melchior et Balthazar, où Taor est censé s'élever du 'paradis maternel' au 'ciel paternel', autrement dit parcourir un processus de libération. Un processus qui, au plan narratif, substitue un modèle héroïque au modèle centré sur l'initiation, qui domine les trois premiers romans, à savoir Le Roi des Aulnes, Vendredi, et Les Météores.

Pour chacun des six romans examinés, Inge Degn excelle dans des analyses pertinentes et menées avec esprit de suite. L'idée de présenter, au départ, le fil conducteur du travail par l'intermédiaire de deux contes de Tournier : La Fugue du Petit Poucet et La Femme sans ombre est une trouvaille qui souligne le don intuitif de l'auteur pour les travaux littéraires. D'une part, il est

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heureux, bien entendu, qu'elle ne s'en soit pas tenue à cela dans son grand
travail; d'autre part, on espère la revoir s'attaquer aux textes de Tournier, peutêtreaussi
dans des perspectives moins contraignantes et plus 'littéraires'.

Université de Copenhague