Revue Romane, Bind 30 (1995) 1

Jean-Marie Klinkenberg: Des langues romanes. Duculot, Louvain-la-Neuve, 1994. 310 p.

John Pedersen

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Voici un manuel pour initier les étudiants francophones à la linguistique romane. Il s'agit d'un instrument de travail qui se veut aussi une ouverture sur les aspects sociaux de la linguistique: au lieu d'isoler l'étude des évolutions systématiques, l'auteur a pour ambition de montrer à quel point la langue est un phénomène socio-culturel. Négliger cet aspect serait en effet absurde quand il est question des langues et des cultures romanes.

Chacun sait que les études des langues romanes ne sont plus tout à fait ce qu'elles ont été. A la page 19 du manuel, l'auteur évoque, de façon divertissante, comment la philologie traditionnelle s'est transformée en une série d'activités multidisciplinaires qu'on pourrait peut-être classer, dorénavant, sous le terme de romanistique.

Dans la première partie du manuel, le lecteur a droit a des présentations élémentaires de concepts fondamentaux comme linguistique, grammaire, phonétique, phonologie, morphème et ainsi de suite. Conformément aux ambitions ouvertement déclarées, il y a de la place aussi pour une présentation élémentaire de la pragmatique et de concepts tels que énoncé et énonciation.

Le chapitre II montre bien certains aspects de l'originalité de ce manuel: v est
traitée une partie des relations entre l'homme et son langage. Entre autres

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points importants, l'auteur aborde ici le problème des variât iotis selon les axes de l'espace, de la société et du temps - et leurs interdépendances. Ce chapitre comporte aussi une analyse sémantique très appropriée du mot dialecte, terme conflictuel s'il en est. A propos des stratifications sociales, on apprécie, entre autre, la distinction entre 'langue de pouvoir' et 'langue de solidarité', aussi bien que l'accent mis sur différents types de contexte. Il est également intéressantde trouver, dans un tel ouvrage, des remarques qui portent sur l'insécuritélinguistique'. de phénomènes qui permettent au jeune étudiant de mieux comprendre l'étude des langues comme une partie fondamentale des sciences humaines.

Un point important est constitué par l'étude succincte des facteurs qui
peuvent déterminer l'expansion linguistique. Là encore, nous sommes dans
l'innovation, au moins pour ce qui est de manuels de philologie romane.

Pour terminer la partie générale de l'ouvrage, l'auteur nous offre tout un chapitre sur 'Evolution et parenté des langues'. Klinkenberg aura ainsi donné à son manuel, intitulé Des langues romanes, une introduction de plus de 100 pages sur un ensemble de 262 pages de texte. C'est beaucoup, mais cela répond à la fois à la situation actuelle de la linguistique et aux besoins pédagogiques qui se font jour, non seulement en Belgique, mais, sans doute, un peu partout dans le monde. La stratégie optée par Klinkenberg lui permet aussi, dans le reste de l'ouvrage, de se consacrer entièrement aux problèmes concernant la romanistique sans avoir à renvoyer in extremis à des explications d'ordre général.

La deuxième partie: Du latin aux langues romanes, se distingue par l'accent mis sur des aspects de l'histoire culturelle et politique. Il y a là, pour l'étudiant, des éléments précieux qui pourront l'introduire solidement dans la philologie romane, ce terme étant pris dans son sens le plus large. On apprécie de nouveau, comme dans la première partie, le soin pour bien distinguer et mettre au net les facteurs essentiels de diversification aussi bien que la présentation à la fois détaillée et équilibrée de la segmentation de la Romania.

Reste, pour le Tableau des langues romanes quelque cent pages, dont trente sont occupées par le seul français. Pour choisir une telle répartition, l'auteur est évidemment parti des besoins de son public le plus immédiat, c'est-à-dire ses propres étudiants, en tenant compte, sans doute, de leur programme d'études. Mais il n'est pas exclu qu'en dehors des cercles francophones, certains enseignants auraient préféré une répartition plus équilibrée entre les langues romanes. Qu'ils se consolent par la qualité de l'information fournie même sur un nombre limité de pages. C'est en effet dans cette troisième partie du manuel que l'on voit les avantages qu'offre une introduction bien étayée sur la linguistique générale: au lieu d'avoir à intercaler, à maintes reprises, des

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définitions de concepts indispensables à la bonne compréhension des phénomènes,on
travaille sur une base solidement établie dans la première partie.

L'auteur adopte la répartition traditionnelle en dix langues ou groupes linguistiques tout en précisant qu'une telle répartition ne fait pas l'unanimité. On lui sait bon gré de faire l'économie d'un résumé des débats parfois acharnés sur ce point. Plus important est évidemment les modalités selon lesquelles chaque groupe linguistique va être décrit. Chaque langue est présentée par un texte de quelques lignes avec sa traduction en français. Ensuite sont indiquées quelques caractéristiques linguistiques susceptibles de frapper l'étudiant francophone, mais on trouve aussi, bien entendu, des traits qui mettent l'accent, plus en général, sur la perspective romane. Ces informations se complètent par une esquisse des aspects historiques et sociolinguistiques aussi bien que par une indication des premiers textes ou des premiers témoignages sur la langue en question.

La lecture de ce manuel, préparé et présenté avec beaucoup de soin, a le mérite complémentaire de susciter des questions, provoquées, pour ainsi dire, par le caractère original du travail. Nous avons déjà noté, en applaudissant, l'importance accordée 1) aux problèmes concernant la linguistique générale et 2) aux aspects socio-culturels et historiques. Mais il se pourrait que d'autres domaines aussi mériteraient d'être relevés. C'est ainsi qu'on aimerait voir une réévaluation, par exemple, du domaine du lexique et de la sémantique. Vues à la lumière de la recherche récente, la semasiologie et l'onomasiologie pourraient de nouveau se révéler des domaines riches en possibilités pour des études romanes pluridisciplinaires. Cela serait, d'ailleurs continuer dans le sens que ].- M. Klinkenberg a choisi pour son manuel, qui aura sans doute une longue vie, et pas seulement dans l'enseignement supérieur en Belgique ou en d'autres lieux de la Francophonie. En fin de compte, c'est peut-être surtout en dehors de la Francophonie que la Romania linguistique et culturelle doit sans cesse être relancée comme matière d'étude. Par exemple la Scandinavie et l'Europe orientale ont vivement besoin d'éléments culturels qui pourront équilibrer la prédominance de plus en plus prononcée des cultures anglo-américaines. Non pas pour 'combattre' celles-ci, mais parce que la libre concurrence est fondamentale pour n'importe quel domaine linguistique et culturel. Enfin parce qu'aucune partie de l'Europe ne saurait se passer de son héritage roman.

Université de Copenhague