Revue Romane, Bind 30 (1995) 1

Gerhard Boysen: Fransk grammatik.. Munksgaards Sprogserie, Munksgaard, Copenhague, 1992, 423 p.

Olof Eriksson

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La grammaire de Gerhard Boysen (G.8.) est la première d'une série de «grammaires romanes» rédigées en danois et publiées par la maison d'édition Munksgaard à Copenhague. La série comprendra en outre des grammaires de l'italien, de l'espagnol et du portugais.

11 s'agit de grammaires destinées principalement à l'enseignement universitaire des quatre langues concernées, mais aussi - ce en quoi elles innoveront sur celles qui existent déjà dans les pays Scandinaves - de grammaires dont la conformité de taille et de conception permettra des comparaisons entre les quatre iangues romanes principales. Ces éludes conii aslives aussi largement facilitées par la présence à la fin de chaque volume d'un chapitre spécialement «roman», où la langue en question - le français en l'occurrence - se trouvera confrontée aux trois autres langues, de façon à faire de ce chapitre (p. 377-391) une véritable mini-grammaire comparative des langues romanes. Cette initiative me semble très louable, à une époque où on croyait la perspective romane définitivement disparue de l'enseignement des langues romanes à l'université.

On peut en dire autant de l'autre grande innovation de cette grammaire, à savoir le chapitre - placé au début du livre (p. 27-39) - sur l'histoire (et l'extension) de la langue française. Quoique bref, ce chapitre donne, illustré par de courts extraits de textes tirés d'époques différentes (Les Serments de Strasbourg, La Chanson de. Roland, etc.), un excellent aperçu de l'évolution du français depuis le latin vulgaire jusqu'à nos jours. Espérons que ce chapitre contribuera à éveiller chez les étudiants l'intérêt pour l'étude diachronique du français, étude qui mène elle aussi, du moins en Suède, une existence de plus en plus précaire dans l'enseignement du français à l'université.

Comme la grammaire de G.B. - et celui-ci reconnaît cette dette dans son avant-propos - suit d'assez près celle de Fransk grammatik de Pedersen - Spang-Hanssen - Vikner (Akademisk Forlag, 1980) en ce qui concerne la disposition et la présentation des faits grammaticaux, il m'a semblé indiqué de

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l'examiner à la lumière de cette dernière grammaire, devenue un classique dans
l'enseignement du français dans les universités Scandinaves.

Il est clair tout d'abord que le principal objectif de G.B. - d'ailleurs explicité dans l'avant-propos - a été d'écrire une grammaire qui, basée sur une méthode analytique et une terminologie grammaticale aussi simples que possible, atteigne un haut degré d'efficacité pédagogique sans pour autant manquer à la rigueur scientifique. Il me semble que G.B. a bien réussi. Sa description, tout en incorporant autant que possible les résultats de la recherche moderne, est nettement moins théorique que celle de Federsen - Spang-Hanssen - Vikner (P.S.V.):

- absence des idées de la théorie transformationnelle-générative (par exemple aucune distinction entre un attribut de l'objet proprement dit («objektsprasdikat»; P.S.V. p. 21) (On l'a nommé président ) et un «attribut de l'objet dérivé» («afledt objektspraedikat»; P.S.V. p. 39-40) ()e le crois président);

- absence de la théorie des zones («feltteori») de Paul Diderichsen pour la
description de l'ordre des membres de la phrase;

- emploi du terme «nominal funktion» (p. 280) - au lieu de «verbal i et
infinitivsyntagme»; P.S.V. p. 385) - pour désigner la fonction principale de
l'infinitif;

- rôle effacé de la distinction entre «indice» («infïnitivmaerke»; Elle évite de
discuter ) et «prépositional» («praepositional»; Elle renonce à discuter ) - et
absence de ce dernier terme - pour la description de l'infinitif;

- absence de la distinction entre articles possessifs-démonstratifs et pronoms possessifs-démonstratifs (P.S.V. pp. 217, 224) au profit de celle, conforme à la tradition scandinave, entre formes conjointes («bundne former») et formes disjointes («übundne former») du pronom possessif-démonstratif (G.B. pp. 173, 175);

etc.

Il faut aussi considérer comme un avantage pédagogique le recours à des exemples forgés pour illustrer les faits grammaticaux. C'est que les exemples authentiques, même s'ils sont bien choisis - comme ils le sont dans P.S.V. -, présentent souvent, à côté de celui qu'ils sont destinés à illustrer, des faits grammaticaux (ou lexicaux) qui constituent pour l'étudiant une difficulté, ce qui risque de réduire considérablement leur valeur démonstrative. Les exemples de G.8., délibérément nombreux, sont faciles et strictement centrés sur le fait grammatical à illustrer. De plus, chose tout aussi importante du point de vue pédagogique, ils sont tous traduits en danois.

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Outre les chapitres consacrés à l'histoire du français et à la comparaison du français avec les autres langues romanes, la grammaire de G.B. est divisée en deux parties principales: une partie morphologique-syntaxique (p. 71-376) et une partie phonétique (p. 40-70). Comme dans la grammaire de P.S.V., la morphologie est donc intégrée à la syntaxe, mais, à la différence de celle de P.S.V., la grammaire de G.B. comprend aussi la phonétique. On peut naturellement discuter du bien-fondé de l'inclusion de la phonétique dans un manuel de grammaire. Or, si, comme c'est le cas ici, la description est assez systématique et assez détaillée pour dispenser d'un manuel spécialement destiné à l'enseignement de la phonétique, c'est là, me semble-t-il, un procédé qui ajoute encore à la valeur pédagogique de la grammaire. Une seule réserve à propos de ce chapitre: on aurait souhaité un texte un peu moins serré et, surtout, plus varié typographiquement, ce qui en aurait rendu la lecture plus facile.

Dans les deux grammaires, la partie morphologique-syntaxique, à son tour, est subdivisée en quatre parties distinctes, placées un peu différemment dans les deux livres: la structure de la phrase (G.B. p. 71-92; P.S.V. p. 6-79), la morphologie-syntaxe proprement dite, étudiée à partir des différentes parties du discours (G.B. p. 93-343; P.S.V. 109-470), l'ordre des membres de la phrase (G.B. 344-353; P.S.V. 80-95), la formation des mots (G.B. 354-372; P.S.V. p. 103-108)= On voit que seule cette dernière partie occupe plus d'espace dans G.B. que dans P.S.V., alors que la première est nettement plus longue dans P.S.V. (avec l'introduction de notions assez théoriques comme transformations, présuppositions, restrictions lexicales, etc.) et les deux autres d'une longueur proportionnelle légèrement plus grande dans P.S.V.

Le chapitre de G.B. sur la formation des mots n'est pas seulement très détaillé mais aussi d'une haute qualité. On y trouve par exemple une bonne description des suffixes et des abréviations, notamment les phénomènes de troncation et de siglaison.

Les chapitres sur l'ordre des membres de la phrase («ledstilling» sont assez identiques dans les deux livres, mais il est à noter qu'il n'est pas question ici de l'ordre des mots, si bien que le problème de la place de l'adjectif épithète, par exemple, ne s'y trouve pas traité, relégué dans P.S.V. au chapitre sur le syntagme nominal et dans G.B. - ce qui semble préférable du point de vue pédagogique - à celui qui traite de l'adjectif (p. 142-149).

Comme dans la grammaire de P.S.V., chaque chapitre est suivi de quelques références bibliographiques destinées à faciliter des études approfondies sur le sujet en question. Il est naturel, et tout à fait légitime, que la bibliographie générale en fin de volume soit nettement plus sélective dans la grammaire de G.B. que dans celle de P.S.V.

En ce qui concerne l'index de la grammaire de G.8., il est regrettable qu'il ne
nous renseigne pas sur les différents emplois des mots et constructions qu'il
contient. Ainsi, par exemple, l'entrée de renvoie le lecteur à 28 paragraphes,

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mais sans indiquer quels emplois de la préposition de se trouvent traités dans ces paragraphes, ce qui réduit considérablement l'utilité de l'index. Pour une nouvelle édition de la grammaire, on souhaiterait un index du type de celui qui figure dans la grammaire de P.S.V.

Voici pour finir quelques remarques de détail sur les deux parties centrales de
la grammaire, la structure de la phrase («syntaktiske grundbegreber») et la
morphologie-syntaxe.

P. 73-74. Les définitions purement sémantiques données des fonctions sujet (p. 73) et objet (p. 74) («celui qui fait et subit, respectivement, l'action indiquée par le membre verbal») me semblent insuffisantes. Que dire, par exemple, de tous les cas où ces fonctions sont remplies par un syntagme infinitif ou une proposition complétive? On comparera à ce sujet les définitions strictement formelles que ce fonctions reçoivent dans P.S.V. (p. 17).

P. 75. Dans la fonction «objet prépositionnel» («middelbart objekt»), d'autres
prépositions que de et à peuvent introduire le syntagme prépositionnel:
consister en, compter sur, comparer avec, etc.

P. 77. G.B. reprend la distinction faite par S.V.P. (p. 37-38) entre apposition et «attribut libre» («frit praedikat» P.S.V.; «frit praedikativ» G.8.) et basée sur la seule position dans la phrase du membre en question. Ainsi, furieuse serait attribut libre dans les phrases Marceline se leva, furieuse et Furieuse, Marceline se leva, mais apposition dans Marceline, furieuse, se leva, phrase pourtant tout à fait analogue aux autres du point de vue sémantique. Cette analyse formelle, qui a été critiquée par des romanistes Scandinaves, est aussi peu convaincante que celle, exclusivement sémantique, de K. Togeby, mentionnée dans une note par G.B. (p. 77) et qui fait du degré de permanence de l'état indiqué par l'adjectif le critère qui permet de distinguer entre apposition et attribut libre. P. 79-80. Parmi les fonctions principales du syntagme prépositionnel, il faudrait mentionner aussi celle de complément adnominal, peut-être la plus fréquente de toutes, grâce surtout à son rôle fondamental dans la composition de groupes lexicalisés (pomme de terre, boîte aux lettres, etc.). Pareillement, on s'attendait à trouver l'épithète parmi les fonctions primaires de l'adjectif. Le complément adnominal («attributivledet») n'étant pas conçu comme un membre de phrase («saetningsled»), la fonction adnominale des syntagmes prépositionnel et adjectival se trouve signalée il est vrai plus loin sous la rubrique «Underordning» («Subordination») (p. 83), mais cette analyse, qu'on peut motiver scientifiquement, risque à mon avis de dérouter l'apprenant.

P. 82 Note. Toutes les constructions absolues n'ont pas la fonction de complémentscirconstanciels.
Ce n'est guère le cas du type les mains dans les poches.

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P. 89. G.B. n'a pas de catégorie particulière pour les propositions subordonnées «qui sont introduites par un pronom interrogatif mais qui n'ont pas de valeur interrogative» (P.S.V. p. 62; trad. du danois). Ce sont les «propositions pronominales» de P.S.V., catégorie qui se situe en quelque sorte à mi-chemin entre celle des interrogative set celle des relatives: J'aime qui m'aime; J'aime ce qui est stable. G.8., sans en donner d'exemples (sauf la phrase Qui vivra verra placée dans une note, p. 90), fait probablement de cette catégorie une subdivisiondes relatives, ce qui me semble un gain pédagogique - quoique pas nécessairement scientifique - par rapport à l'analyse de P.S.V.

P. 102. G.B. a raison, me semble-t-il, de concentrer la description des articles dans un seul chapitre au lieu de la répartir, comme le font P.S.V., sur une section morphologique et une section syntaxique, cette dernière placée sous la rubrique «Determinativsyntax» («Syntaxe des déterminants») à l'intérieur du chapitre intitulé «Substantivsyntagmer» («Syntagmes nominaux»).

P. 119. Pour la description des noms propres, G.B. ne suit pas l'excellent principe adopté par P.S.V. et qui consiste à commencer par les noms qui ne prennent pas normalement de déterminant, à continuer par ceux qui en prennent normalement et à terminer par ceux (= les noms d'îles) qui présenucrît iCS viCiàx emplois.

P. 162. G.B. opère, comme P.S.V., avec la catégorie pronominale appelée «pronoms neutres» («neutrale pronominer») dans des cas comme il neige, cela/ça me convient, il/c'est dur de travailler, etc. Cette classification me semble préférable à celle qui consiste à ranger ces pronoms dans la catégorie des pronoms personnels et dans celle des pronoms démonstratifs.

P. 171. Vu leur fréquence et la grande variété de leur emploi, les pronoms
adverbiaux en et y sont à mon avis traités un peu trop sommairement (p. 171-172)
description occupe huit pages dans P.S.V.)

P. 178. A la différence de P.S.V., qui y voient un pronom relatif, G.B. considère comme un adverbe relatif le que figurant dans une phrase comme Un soir que vous serez libre, venez me voir (p. 179). G.B. a raison, me semble-t-il, de distinguer cet emploi de celui qui est fait de que dans une construction comme le livre que j'ai lu.

P. 181. G.B. tente une classification tripartite des pronoms indéfinis: (1) pronoms ayant un sens de totalité ou de distribution, (2) pronoms ayant un sens quantitatif indéterminé, (3) pronoms ayant un sens négatif, tandis que P.S.V. se résignent à les définir négativement comme des pronoms «qui n'entrent dans aucune des autres classes de pronoms» (p. 245-246; trad. du danois).

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P. 219. Il semble préférable, comme le fait G.8., de traiter le type Qu'il sorte! à propos de l'emploi du subjonctif dans les propositions subordonnées (complétives) plutôt que de le placer, comme le font P.S.V. (p. 320), dans la section consacrée à l'emploi du subjonctif dans les principales en parlant de «complétives employées comme principales».

P. 229. La description de la conjonction tout... que est plus nuancée dans G.B. que dans P.S.V. (p. 331), distinguant un emploi de concessivité réelle (avec l'indicatif) et un emploi de concessivité irréelle (avec le subjonctif) et soulignant la nécessité d'employer cette conjonction à l'exclusion des autres (pour ... que, si ... que, etc.) quand l'antécédent est un substantif.

P. 239. Les pages sur l'aspect (239-252) sont placées à l'intérieur du chapitre consacré aux temps, mais sous une rubrique qui n'est pas distinguée typographiquement de celle de ce chapitre, de sorte qu'on a l'impression, en lisant, par exemple, la table des matières, que le chapitre sur les temps ne couvre que les pages 235-238, alors qu'en réalité, il ne se termine qu'à la page 271. On est aussi un peu déconcerté par la division en paragraphes du livre, qui ne semble pas tout à fait conséquente. Ainsi, dans la table des matières, certaines rubriques sont précédées d'un numéro de paragraphe, tandis que d'autres ne le sont pas.

P. 292. G.B. ne compte pas, avec raison me semble-t-il, les verbes sembler et paraître parmi les verbes copules devant un infinitif (L'enfant semble dormir ). Cependant, je vois mal pourquoi cette analyse n'est pas étendue au cas de l'adjectif (L'enfant semble malade ), qui lui est qualifié d'attribut du sujet. Il me semble que la paraphrase de Sandfeld citée dans une note p. 292 s'applique également bien à ce cas: 'ce qui semble, ce n'est pas l'enfant, mais la phrase raccourcie l'enfant (est) malade ' (cf.: 'l'enfant semble être malade').

Il ne faut pas croire que ces remarques, parfois critiques, reflètent mon impression d'ensemble de la grammaire de Gerhard Boysen; je me suis simplement concentré sur quelques points où je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. Au contraire, je tiens à souligner que dans l'écrasante majorité des cas, son exposé me semble très convaincant: excellente description des noms de profession (p. 99-101), bonne description du non-emploi de l'article après les prépositions «lourdes» (p. 113-115), description très claire de la flexion de l'adjectif (p. 131-135), description très pédagogique de l'emploi du mot tout (p. 182-184), excellente description du passé simple dit «ingressif» («ingressiv passé simple») (// se tut ) (p. 241-243), etc.

Pour conclure, je dirais que la grammaire de Gerhard Boysen, en s'adaptant de différentes manières aux besoins de l'étudiant aux niveaux élémentaires de l'enseignement universitaire du français, marque un progrès pédagogique considérable par rapport à la grammaire de Pedersen - Spang-Hanssen -

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Vikner. C'est pourquoi elle rendra, j'en suis sûr, de grands services non seulement à ceux qui, au Danemark et dans les autres pays Scandinaves, étudient le français à l'université et dans les grandes écoles, mais aussi à ceux qui l'étudient sans professeur, groupe auquel s'adresse expressément l'auteur dans son avant-propos.

Université de Gôteborg