Hans Peter Lund: Gustave Flaubert, Trois Contes, Presses Universitaires de France, Coll. 'Etudes littéraires_'. Paris 1994, 126 p.

Avec l'étude sur les Trois Contes de Flaubert, les Etudes littéraires en sont à leur 50^e publication, confiée aux mains expertes de Hans Peter Lund (HPL), qui y a déjà fait preuve de son érudition et de ses compétences pédagogiques en 1987 avec un volume (le n° 14) sur les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand.

La collection, à la couverture sobre et élégante, est conçue selon des principes qui réclament une composition formelle très stricte pour offrir une mise au point de l'état actuel de la recherche sur le texte en question. Contexte - prétexte - texte, voilà les trois grands volets de l'analyse, suivie d'une explication de texte et d'un chapitre final sur la réception et la fortune de l'œuvre.

La bibliographie de HPL couvre les vingt-cinq dernières années (1967-1991). Sans prétendre être exhaustive, une comparaison avec le Klapp révèle toutefois qu'aucune étude majeure ne semble y avoir été négligée. Y voisinent les travaux portant sur tel ou tel aspect particulier d'un seul conte, avec ceux qui englobent l'ensemble des Trois Contes et les considèrent comme une unité. HPL s'inscrit dans cette dernière catégorie, tout comme ses précurseurs danois, dûment cités. Johansen (1967-68) s'intéressait à l'écriture, tandis que Nykrog (1973) s'était penché sur le problème de l'unité thématique et de l'ordre du triptyque. Ces approches reflètent d'ailleurs les deux tendances de la recherche contemporaine sur les Trois Contes, dont HPL incorpore assez équitablement les résultats dans sa propre présentation; avec une prédilection toutefois pour l'analyse de la création artistique et du travail textuel de Flaubert, son «textisme». Côté unité thématique, la bibliographie aurait pu mentionner l'article de René Jasinski (1970) sur le problème de la sainteté, ou les contributions de Shepler (1972) et de Caria Peterson (1983).

Constructions binaires, constructions ternaires - les deux constantes qui structurent, selon HPL, l'agencement des contes et balisent également son propre champ d'étude, sont dégagées dès le chapitre d'ouverture sur le contexte : soit pour traiter le dualisme de Flaubert et les oppositions binaires qui en découlent, soit pour examiner l'intertextualité, les rapports tripartites avec l'ensemble de l'œuvre ou les nombreuses relations ternaires décelées dans l'architecture du triptyque.

Quelques exemples : allant du contexte biographique à la genèse des Trois Contes, HPL rappelle d'abord les événements contemporains dans la vie de Flaubert, les décès survenus dans son entourage, mais aussi l'apparition de l'énigmatique Juliet Herbert. Chaque conte comportera de même une phase avec vie et sexualité, avant que la mort ne vienne marquer le point de culmination et poser le sens chrétien; trois images donc de l'Homme devant l'Eternel, peintes avec ironie, puisque les trois protagonistes ignorent le vrai caractère de leur existence; trois histoires composées également sur un même modèle : les trois étapes dans la vie de Félicité, les trois habitations de Julien, les trois scénarios avec Hérode au centre. Quant aux différents niveaux de l'analyse, des schémas résument et visualisent fort à propos les structures parallèles des trois textes.

Le va-et-vient entre réalité tremplin et élaboration artistique arcomnagné de références nombreuses aux documents préparatoires et analytiques de Flaubert : carnets de travail (éd. de Biasi), Corpus Flaubertianum (éd. Bonaccorso) et correspondance (ne manquons pas l'occasion de déplorer ici la lenteur avec laquelle paraît l'édition Bruneau dans la Pléiade).

Les Etudes littéraires sont destinées d'abord aux étudiants. Dans le chapitre 'Explications de texte', qui analyse 'le calvaire de Félicité' et 'la danse de Salomé', ils trouveront un autre exemple didactique du sine qua non de l'explication de texte proprement dite, qui implique la prise en considération des états successifs du texte révélés par les brouillons et les variantes (p. 108 avec des remarques judicieuses sur l'emploi des conjonctions).

Les chercheurs y trouveront également leur butin. Avec ou sans références explicites, les différents points de vue (sauf peut-être les approches psychanalytiques) sur les problèmes importants débattus à propos des Trois Contes sont repris et discutés. Spécialiste de Mallarmé, il est naturel que les préférences de HPL aillent vers les préoccupations artistiques de Flaubert, et les réflexions concernant cet aspect constituent l'apport très personnel de son étude.

Pour Lund, les Trois Contes résument les tendances essentielles de l'œuvre flaubertienne et parachèvent son projet esthétique. Citons comme une mise-enabyme la formule heureuse qui termine son commentaire sur les dernières lignes de Saint Julien : «... La légende rapportée par Flaubert est le conte d'un vitrail ou un vitrail raconté, un art de l'art» (p.84).

Comme il s'agit d'un anniversaire, il convient de terminer par des félicitations et HPL les a bien méritées pour sa synthèse substantielle appuyée sur une documentation sûre. En tant qu'instrument de travail son étude réussit non seulement à dresser un bilan solide des résultats acquis par les recherches actuelles, mais aussi à ouvrir des perspectives pour en entreprendre de nouvelles.

Université d'Aarhus