Revue Romane, Bind 30 (1995) 1

Ne, négation de propositions virtuelles1

par

Pierre Larrivée

L'emploi de ne comme négation d'une proposition n'a jamais été pris tellement au sérieux par les grammairiens et les linguistes. Ils estiment qu'il s'agit soit d'un archaïsme2 soit d'un figement3 soit d'une variante stylistique de la négation de phrase ne ... pas,4 mais en tout cas pas d'un emploi normal en français contemporain. Hormis les grammaires, les travaux descriptifs (Cristea 1971, Gaatone 1971, Portier 1939) et quelques considérations rapides dans Culioli (1988), le phénomène a fait l'objet d'une seule étude, celle de Muller (1991).

Pour Muller, ne négatif est un archaïsme. Il s'emploie ainsi non pas à cause de quelque propriété inhérente, mais par défaut, parce que pas ne s'emploie pas (1991: 226, 227, 314-315). Pas, quantifieur négatif de valeur absolue, serait omis quand le contexte contiendrait un élément à valeur plus relative qui comme un terme à polarité négative5 ou un subjonctif ne serait pas propre à exclure l'existence de ce qui est en cause. Ceci permet d'expliquer la fameuse valeur de négation atténuée de ne décrite par tant de grammairiens6: ne a une valeur atténuée parce qu'il accompagne un terme à valeur non-catégorique. L'auteur reprend donc pour l'essentiel la théorie de la discordance et de la forclusion de Damourette et Pichón (1940), théorie qu'il rejette pourtant à cause de son absence de fondements syntaxiques (1991: 207-8).

La pétition de principe selon laquelle ne est une négation verbale résiduelle n'est justifiée en rien par l'exposé de l'auteur; les régularités distributionnelles que le lecteur peut observer permettent en fait de croire le contraire.

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L'emploi de ne négatif se retrouve le plus souvent à l'écrit, l'usage du mot étant en voie de disparaître à l'oral, et dans les contextes où est valorisé l'emploi de formes prestigieuses comme les textes littéraires où nous avons trouvé plusieurs exemples particuliers.

Les énoncés qui permettent cet emploi se caractérisent par la présence
d'un facteur sémantique virtualisant, qui met en cause l'existence de la
prédication verbale.

Ainsi, les conditionnelles7 et les interrogatives permettent cet emploi
de ne:

1. a. Si le grain ne meurt, il verra le soleil.
b. N'est-il déjà parti en vacances?
c. Je me demande s'il n'est déjà parti en vacances?

de même que les impérativesH:

2. a. Ne me défiez! (Céline 1987: 11)
b. Ne manquez le «Nouvelliste» de mardi prochain. (TLFQ: 3. 2. 1921,
Le Nouvelliste, p. 2)

On retrouve ne dans les subordonnées régies par pour9iH):

3. a. (...) je faisais l'impossible pour qu'une engueulade ne survînt entre
nous. (Céline 1988: 278)
b. Il est dans cette montagne trop de secrets, trop de non-dits, pour
que le général Sharon et son état-major, forts de leur seule force, n'y
perdent un peu de leur hébreux. (Muller 1991: 237)

Bien que ne soit attesté dans les subordonnées liées à un recteur à
valeur évaluative:

4. a. Comme c'est triste que la société ne soit un perpétuel bal blanc!
(Uamourette et Pichon 1940: 169)
b. Le voyant déçu de ne trouver parmi elles la compagne ... (Grevisse
1986 : 1481)

son emploi est restreint dans ce contexte, vraisemblablement à cause de
l'ambiguïté qui y peut subsister entre son interprétation négative et
explétive.11

On trouve ne dans des propositions dépendant de principales affectées
de modalité négatives; la subordonnée peut être une complétive objet:

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5. Je ne dis pas que d'un côté comme de l'autre il n'y ait à cacher d'assez
vilaines turpitudes. (Gaatone 1971: 79)

une complétive à valeur causale:

6. a. Ce n'était pas qu'il ne regrettât honnêtement son père. (Damourette
et Pichon 1940: 159)
b. Non qu'il ne soit fâcheux de le mécontenter. (Grevisse 1975: 936)

ou une consécutive:

7. Seule l'Afrique subsaharienne est en régression générale, mais son sous-sol regorge de richesses et elle n'est pas si peuplée qu'une aide internationale intelligente ne puisse venir à bout de ses maux. (Muller 1991: 237)

Ces contextes sont ceux qui régissent ordinairement un terme à polarité
négative (TPN, voir note (5.)). Comme les TPN d'ailleurs, ne doit être
dominé par le pronom interrogatif:

8 a Où n'est i! allé?'2
b. ??Il n'est allé où?
c. Pour qui a-t-il levé le petit doigt?
d. ?? Il a levé le petit doigt pour qui?

le conjonctif à valeur conditionnelle13:

9. a. Si le grain ne meurt, il verra le soleil.
b. Que le grain, ne meurt (et, 0) il verra le soleil.
c. Le grain ne meurt (? ? que, ? et, *0) il verra le soleil.
d. S'il lève le petit doigt, je lui en voudrai.
e. Qu'il lève le petit doigt (et, 0) je lui en voudrai.
f. Il lève le petit doigt (? ? que, et, ??o)je lui en voudrai.

ou le terme à valeur évaluative qui rend son emploi possible:

10. a. Rares sont ceux qui n'ont joint, un jour ou l'autre, le rang des
manipulateurs. (R. Rowan, 29. 5. 1993, «Livres pratiques», Le Devoir,
D3)
b. ? * Ceux qui n'ont joint le rang des manipulateurs un jour ou
l'autre sont rares.

Cependant, les TPN sont susceptibles de colorer négativement l'interprétationd'un
énoncé; ainsi l'énoncé Qui a levé le petit doigt? implique

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qu'aucune personne n'a travaillé. Par contre, Qui n'a travaillé implique
que toutes les personnes évoquées ont travaillé; ne est susceptible de
colorer positivement un énoncé.

Cette valeur argumentative confère donc une valeur de quantificateur
universel aux pronoms introduisant une proposition interrogative;11
ainsi, (11. a.) peut être paraphrasé par (11. b):

11. a. Où n'est-il allé?
b. Il estallé partout.

Il en va de même des propositions relatives à antécédent indéfini:

12. a. Il n'y a personne quineine parte en vacances,
b. Tous partent en vacances.

On retrouve ne associé à un ensemble de termes qui partagent une
valeur d'indétermination analogue, des pronoms indéfinis15:

13. a. Cet ami de Daniel qui lui prêtait sa chambre quand ils n'avaient où
cacher leur amour. (Gaatone 1971: 78)
b. D'entrée de jeu, la modernité de Manhattan Transfer n'échappera a
quiconque le lit pour la première fois. (}. Samson, été 1991,
«Impressions nouvelles», Spirale, p. 9)'°
c. Je me croyois bien fort parce que, qui que ce soit ne m'ayant parlé
de ce legs, ... j'étois en état de jurer là-dessus en plein parlement.
(Damourette et Pichon 1940: 233)17
d. Fabrice revint sur la grand route, où il n'y avait toujours âme qui
vive. (Le Bidois 1938: 647)

des syntagmes nominaux sans article,18 comme dans ne voir goutte, ne
dire mot, par exemple:

14. il n'est bouche qui le profère. (P. Claudel, 1922, Connaissance de l'Est
Mercure de France, p. 66)

des syntagmes nominaux à valeur superlative:

15. a. Même le gothique de ma chambre ne résistait aux mains énergiques
d'Anna. (Gaatone 1971: 78)
b. [...] le langage le plus élémentaire [...] n'allait sans accompagnement
de mystère. (J. Paulhan, 1984, Clef de la poésie, Gallimard, Paris, p.
82)
c. Il n'est de si bon cheval qui ne bronche.19

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d. On sent qu'il n'y aurait pour elle de pire disgrâce que d'être privée
d'aliment [...]. (L. Daudet, 1922, Le stupide XIXe siècle, Nouvelle
Librairie française, Paris, p. 88)

ou relative:

16. a. Il n'y avait pour elle d'autre issue que l'amour. (Gaatone 1971: 72)
b. Il n'y avait pour elle d'issue que l'amour.21

Ces (groupes) indéfinis auxquels s'associe ne ont donc un comportement referenti el analogue dans ces cas aux forclusifs personne, rien et aucun N, de la même façon que certains termes s'associant avec ne ont un comportement référentiel analogue au forclusif pas:

17. a. [...] elle jette son dévolu sur un homme qui ne la connaît du tout
[...]. (J. Basile, 6. 7. 1991, «Roger des Roches», Le Devoir, B7)
b. Elle ne le connaît le moins du monde.
c. Elle ne le connaît, si peu que ce soit.

En contexte très littéraire, les subordonnées relatives permettent l'empioi
de ne sans égard à la valeur de l'antécédent (contra Muller 1991:
236):

18. a. ... toi, donc, qui possédant aussi bien qu'homme du monde, tous les secrets de l'art et ceux de la nature, toutefois ne prescris, ni ne préconise, baumes, ni bols, ni les mastics mystérieux; toi, davantage, qui ne te fies aux élixirs .... (Wilmet 1976: 1077) b. Les feuilles que l'hiver ne ternit quand il passe. (Damourette et Pichon 1940: 166) c. On s'assoit pour manger. Aussitôt l'envie de vomir revient. Le pain est celui qu'il n'a mangé, celui dont le manque l'a fait mourir. (Grevisse 1986: 1481)

Cet emploi de ne peut aussi être motivé par la valeur du verbe qu'il détermine, qui n'établit pas l'existence de l'événement infinitif qui le détermine. Parmi eux, les verbes modaux, à l'exception de devoir et falloir.

19. a. Je suis presque heureux de ne pouvoir réfléchir [...]. (Gaatone 1971:
71)
b. Je ne savais que penser d'une pareille faiblesse. (Gaatone 1971: 71)
c. Et Céline s'obstinait àne vouloir (Damourette et Pichon 1940: 164)

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Ne ne s'emploie avec savoir que quand ce verbe dénote la certitude:

20. Je ne sais s'il danse.

plutôt que la possession de connaissance (Grevisse 1986: 1479):

21. a. ?*Jene sais danser,
b. Je ne sais pas danser.

De même, ne pouvoir évoque la possibilité:

11. a. Je ne peux danser.
b. En ce moment, je ne suis pas en mesure de danser.

plutôt que la capacité en tant que telle (Muller 1991: 232):

23. Je ne suis pas capable de danser.

Les autres verbes impliquent soit un engagement minimal du sujet dans
l'événement évoqué par l'infinitif:

24. a. Ceux qui venaient ne daignaient s'asseoir. (Grevisse 1975: 934)
b. [...] il n'ose lui demander l'heure [...]. (Gaatone 1971: 70)
c. Je ne parvenais à pencher d'un côté ou de l'autre. (Grevisse 1986:
1481)

soit le geste minimal que le sujet devrait faire dans les circonstances22:

25. a. C'est une bête égarée, ou morte, car elle ne bouge. (Grevisse 1975:
934)2'
b. Mais Belzébuth ne répond. Son regard est dilaté par la révélation des
forces secrètes de l'homme. (Damourette et Pichon 1940: 165)
c. Aux Pyrénées se rejoignirent, tous! ... Fritz et Français! ... ne se
battirent, burent, firent sisite, s'endormirent... (Céline 1987: 21)

minimum dénoncé par la possibilité d'adjoindre même pas à chacun des
énoncés.24

C'est peut-être la fonction d'auxiliaire d'infinitif souvent remplie par
les modaux (Muller 1991: 232) qui explique les exemples suivants:

26. a. Il connaît tous les métiers et a pratiqué tous les sciences, mais il ne
trouve à gagner sa vie. (Uamourette et Pichon 1940: 169)
b. Et tu ne me laisses aller. (Irigaray 1982: 110)

fonction qui caractérise aussi les auxiliaires aspectuels:

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27. a. Encore tu n'avais commencé à naître. (Irigaray 1982: 25)
b. Depuis ce temps-là, il n'arrête de tousser. (Damourette et Pichon
1940: 164)

Ces verbes évoquent la situation d'un événement par rapport à son
déroulement, événement singulatif ou itératif:

28. a. [...] la défiance qu'il ne cessa de nourrir envers le projet [...]. (Gaatone
1971: 70)
b. C'est toujours des choses de calcul... Ça n'en finit. (Damourette et
Pichon 1940: 164)

Ne s'emploie avec des modalités temporelles qui délimite le cadre de
non-réalisation d'un événement:

29. a. J'espérais qu'il ne m'avait depuis ces temps déjà lointains tout à fait
oublié [...]. (Céline 1988: 359)
b. Une occasion qui ne se représentera d'ici longtemps. (TLFQ: 6. 11.
1920, Le Nouvelliste, p. 7)

De même, on le trouve dans ¡es subordonnées de ces modalités, assnriés
à certains verbes dits composés:

30. a. Il a bien changé depuis que je ne l'ai vu. (Grevisse 1986: 1480)
b. Il y avait longtemps qu'on ne les avait vus. (Gaatone 1971: 76)
c. Voilà longtemps qu'il n'a tué quelqu'un. (Grevisse 1986: 1480)2b
d. Cela fait treize ou quatorze ans que nous ne nous étions vus. (Gaatone
1971: 77)

Ces expressions évoquent la période de non-réalisation de l'événement (Le Bidois 1938: 648, Wagner et Pinchón 1962: 393). Il y a brouillage dans ce contexte entre l'énoncé positif et négatif; l'évocation de la période de non-existence d'un événement:

31. a. Il a changé depuis que je ne l'ai vu.
b. Il a changé depuis que je ne l'ai pas vu.

ou celle de la dernière occurrence de cet événement:

c. Il a changé depuis que je l'ai vu.

déterminent deux points de vue sur une même situation. Ce brouillage
ne saurait cependant expliquer cet emploi contrairement à ce que
soutient Muller (1991: 238).¿0 Si tel était le cas, on s'attendrait d'une

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part à pouvoir employer ne dans d'autres contextes où l'énoncé positif
et négatif sont référentiellement équivalents27:

32. a. Le verre est à moitié rempli.
b. Le verre n'est pas à moitié rempli.
c. ?*Le verre n'est à moitié rempli.

ce qui n'est pas le cas. D'autre part, d'autres expressions qui déterminent
le cadre de non-réalisation de l'événement sans brouiller positif
et négatif favorisent cet emploi de ne:

33. Et la base [...] minaude autour de Robert Libman, l'ancien chef du Parti Égalité, celui qui sabotait la stratégie hydro-québécoise quand il n'était occupé, dans les capitales étrangères, à faire passer le gouvernement libéral pour la lie des démocraties nord-américaines. (L. Bissonnette, 2. 8. 1993, «Requiem pour les partis», Le Devoir, 12)

L'emploi de ne obéit donc à une logique interne, qui prévaut aussi dans
ses emplois non productifs. Ces emplois se caractérisent par l'absence
fréquente d'alternance avec le positif (Cristea 1971: 54):

34. a. Que ne suis-je déjà en vacances!
b. * Que suis-je déjà en vacances!

et l'impossibilité plus ou moins accusée d'employer la négation de
phrase pas (Muller 1991: 227):

35. ? * Que ne suis-je pas déjà en vacances!

Ne s'emploie donc de façon non-productive en interrogative (31.),28 en
conditionnelle:

36. a. Si ce n'est.
b. Si je ne m'abuse.

en imperative:

37. a. Le bien d'autrui tu ne prendras. (Grevisse 1986: 1481)
b. Manquer l'école ne ferez. (Cristea 1971: 54)

en proposition optative:

38. a. À Dieu ne plaise.
b. Qu'à cela ne tienne!

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et en complétive dépendant d'une principale négative:

39. a. Il fait partie de ces écrivains qui n'ont de cesse qu'ils n'aient exécuté
une scène. (G. Archambault, 21.3. 93, «À l'ombre de Baudelaire», Le
Devoir, D4)
b. L'artiste ne peut guère qu'il n'augmente l'intensité de son impression
observée. (Damourette et Pichon 1940: 158)

Ne s'associe à des locutions verbales qui marquent le non-engagement du locuteur dans un événement - il n'empêche, il n'importe -, ou qui y invitent - n'avoir crainte, n'avoir cure, n'avoir garde. Ces expressions ont sans doute servi de modèle à la production de l'énoncé suivant:

40. Je n'ai malheureusement fait attention à mes reins ... (TLFQ: 15. 2. 1913,
Le Soleil, p. 6)

Ne s'emploie donc comme négation de phrase dans des contextes qui impliquent la virtualisation de la prédication verbale en cause.29 C'est pourquoi il donne l'impression d'une négation polie, atténuée, non-catégorique. C'est aussi la raison pour laquelle à l'instar d'une négation atténuée comme guère il est peu utilisé comme négation argumentan've (Muller 1991: 231):

41. a. Max ne peut pas y aller demain mais bien après-demain.
b. ?* Max ne peut y aller demain mais bien après-demain.
c. ?* Max ne peut guère y aller demain mais bien après-demain.

puisque la négation polémique se fait en contexte à valeur actualisante, où on nie une croyance ou un énoncé antérieur. De même, comme guère et contrairement à pas, ne tend à porter sur l'ensemble de la proposition plutôt que sur une de ses parties (Larrivée 1993b)30:

42. a. Quoique tout le monde ne cessât de le voir. (=personne ne cessât)
(Damourette et Pichon 1940: 163)
b. Tout le monde ne cessât guère de le voir. (=personne ne cessât)
c. Tout le monde ne cessât pas de le voir. (=certains cessèrent)

D'ailleurs, ne s'associe souvent à des termes (indéfinis, TPN, depuis N)
sur lesquels la négation ne porte guère.

La négation de phrase ne est donc un emploi vivant du français écrit
contemporain, qui obéit à une cohérence sémantique indéniable.

Pierre Larrivée

Université Laval, Québec

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Notes

1. Cet article est une version remaniée du cinquième chapitre de mon mémoire de maîtrise (Larrivée 1993a). Je veux remercier M. Claude Poirier qui m'a donné accès aux fichiers du Trésor de la Langue Française au Québec (TLFQ), dont les exemples se sont révélés précieux. Je veux aussi remercier Jacques Ouellet, Patrick Dufley, Joseph Pattee, René Lesage et Daniel C. Le Flem qui ont commenté la version initiale de cet article. Toutes les erreurs résiduelles sont miennes. Au moment de mettre sous presse, j'ai relevé les exemples suivants: a. Quiconque n'est encore convaincu de l'étendue de la secousse sismique qu'a subie le monde en 1989, doit se faire un urgent devoir de lire l'excellente copie du premier de classe Alain Mine. (R. Côté, 5.2. 1994, «L'ère du flou», Le Devoir, D7). b. Espérons seulement qu'il ne récidive. (O. Tremblay, 13.8.1994, «Entre le Cheez-Whiz et la barbe à papa», Le Devoir C3). c. Il est spontané mais il ne l'est toujours. (P. Valéry, 1987, Cahiers 1894-1914, Gallimard, p. 123)

2. Chevalier et alii 1988: 430, Muller 1991, Tesnière 1976: 231, Wagner et Pinchón 1962: 392, Wilmet 1976: 1082.

3. Dubois et Dubois-Charlier 1970: 191-2, Martinet 1984: 138, Milner 1979: 80.

4. Cristea 1971: 53, Gaatone 1971: 69, Wagner et Pinchon 1962: 392.

5. Les termes à polarité négative (TPN) sont des mots ou des expressions qui s'emploient seulement dans des contextes virtualisants, négatifs notamment: a. Il n'a pas levé le petit doigt pour l'aider. b. * II a levé le petit doigt pour l'aider.

6. Cristea 1971: 53, Chevalier et alii 1988: 430, Damourette 1932, Damourette et Pichon 1940: 169, Gaatone 1971: 69, Wartburg et Zumthor 1947: 149; Muller finit par reconnaître cette valeur (1991: 224) à son corps défendant (1991: 226, 229).

7. J'ai également relevé cet emploi dans une concessive: a. Bien qu'elle n'ait eu à subir le choc de la langue en arrivant au Québec, la jeune femme dit toutefois avoir été frappée, en arrivant, par le type d'enseignement en vigueur chez nous, qui se situerait à des années-lumières des méthodes pédagogiques chinoises. (10. 2. 1994, «Le grand bond au Québec», Au Fil des Événements, 29, 22, p. 1)

8. Qui revêt alors une nuance sensible de politesse qui atteste de la possible valeur virtuelle de l'impératif puisque la langue se sert le plus souvent des contextes virtuels pour marquer la politesse, comme les interrogatifs: a. Voudriez-vous fermer la fenêtre? le conditionnel: b. Si on fermait la fenêtre... c. Ferme/ la fenêtre, s'il vous plaît. le subjonctif: d. Veuillez fermer la fenêtre. l'utilisation de personnes inclusives (voir (b.)): e. Fermons la fenêtre. étant donné que ces contextes représentent la situation en cause comme ouverte, donnant ainsi à l'interlocuteur l'opportunité de choisir.

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9. On le trouve également dans celles régies par afin: a. Va t'y inscrire afin qu'on ne te déclare déserteur ou pis encore. (Gombrowicz 1990: 26-27)

10. Ne n'est pas sujet à l'extraction que subit (ne) pas dans ce contexte: a. Je faisais l'impossible pour ne pas qu'une engueulade survint entre nous. b. * Je faisais l'impossible pour ne qu'une engueulade survint entre nous.

11. On trouvera des exemples analogues chez Damourette et Pichon (1940: 117, 143, 144, 161-162) et chez Muller (1991: 361, 365).

12. Notez la différence de sens entre: a. Où n'est-il allé? qui a une valeur uniquement rhétorique, et: b. Où n'est-il pas allé? qui peut en outre signaler une véritable interrogation sur l'endroit donné où la prédication verbale en cause n'a pas eu lieu.

13. On a cependant l'expression non-productive ne serait-ce, qui n'est pas j :„ c . c i uumiiicc pai un luncicui. a. On se serait cru dans quelque foyer populaire, n'était ce décor autour de nous. (Cristea 1971: 65)

14. Milner (1979: 99, n. 34) émet l'hypothèse que le pronom interrogatif serait alors une variable liée par ne, au même titre que les forclusifs (pas, rien), les TPN et certains indéfinis.

15. Parallèlement, et bien que de tels exemples ne soient pas attestés, (a.) semble possible: a. Qui ne m'aime ne me suive.

16. J'ai également relevé l'exemple suivant: a. Je n'invite quiconque à partager ces miennes Nouilles vétustés [...]. (Gombrowicz 1990: 23).

17. L'emploi de ne seul permet à certains TPN d'être sujet d'une phrase négative, ce qu'interdit pas (voir Bremen 1986: 223): a. Qui que ce soit ne m'en a parlé. b. * Qui que ce soit ne m'en a pas parlé. c. Ame qui vive n'a visité ce château. d. * Ame qui vive n'a pas visité ce château.

18. Les locutions verbales sont ainsi suceptibles de favoriser cet emploi de ne; ainsi, (a.) est meilleur que (b.): a. ? Il n'a eu peur. b. ? ? Il n'a eu la peur qu'elle vienne.

19. Sur cette construction, voir Portier 1939.

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20. Damourette et Pichón (1940: 158) propose une quantification universelle comme paraphrase de cette construction: a. Il n'est si belle rose quineine devienne gratte-cul. b. Toutes les roses, si belles soient-elles, deviennent des gratte-culs.

21. La présence du restrictif, qui requiert en français standard un contexte antécédent négatif, assure l'interprétation négative de ne. Ne a bel et bien valeur négative dans cet emploi, comme en atteste le partitif de l'objet, par exemple: a. Il ne mange de viande que le dimanche.

22. Cristea affirme que ne s'emploie avec le verbe consentir, sans l'attester (1971: 66).

23. Damourette et Pichón (1940: 164) note que l'immobilité est plus absolue avec ne bouger qu'avec ne pas bouger.

24. Adjonction qui s'applique aussi aux exemples (26. a.), (26. b.) et (27. a.).

25. Voir Bremen (1986: 245). J'ai par ailleurs relevé ces exemples comparables: a. J'ai eu un frisson comme je n'en avais connu auparavant. (J. Dion, 25. 8. 1993, «Figures mythiques à la mer», Le Devoir, Al) b. [...] cet objet est en somme des plus sympathiques, - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement. (F. Ponge, 1992, Le parti pris des choses, Gallimard, Paris, p. 38)

26. Culioli (1988: 31-36) se sert de la notion de brouillage pour expliquer tous les emplois de ne; cette généralisation n'est pas sans causer certains problèmes, notamment celui de savoir ce qui distingue l'emploi à valeur négative de celui à valeur explétive de cet adverbe.

27. C'est ma consoeur Theresa Mea, de l'université de Moncton, qui a attiré mon attention sur ce cas.

28. Où il «implique une nuance de regret ou d'impatience» (Wagner et Pinchón 1962: 392).

29. Les contextes qui permettent cet emploi de ne sont identiques à ceux que Culioli (1983) dégage pour la distribution du déterminant virtuel quelque.

30. Est également attesté l'énoncé suivant, où le quantifieur universel reste hors de la portée de la négation: a. Quelques hommes, si ce n'est tous, sont mysogynes. (J. Moeschler, 1992, «Une, deux ou trois négations?», Langue française, 94, p. 14)

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Résumé

Cet article discute de l'emploi de ne comme négation de proposition. Cet emploi semble corrélatif à la présence d'un facteur sémantique virtuel dans le contexte, facteur qui met en cause l'existence de la prédication verbale. En ce sens, il faut considérer que cet emploi est productif en français écrit contemporain puisqu'il obéit à une systématique d'ordre sémantique.

Bibliographie

Sources d'exemples:

Céline, Louis-Ferdinand. (1987): Voyage au bout de la nuit. Gallimard, Paris.

Bremen, Klauss von. (1986): Le problème des forclusifs romans. Linguisticae
investigai iones, 10, 2, p. 223-265.

Chevalier, Jean-Claude, Claire Blanche-Benveniste, Michel Arrivé et Jean
Peytard. (1988): Grammaire Larousse du Français contemporain. Larousse,
Paris.

Cristea, Teodora. (1971): La structure de la phrase négative en français contemporain.
Société roumaine de linguistique romane, Bucarest.

Culioli, Antoine. (1983): À propos de quelque. Sophie Fischer et Jean-Jacques
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