Revue Romane, Bind 30 (1995) 1

Rapports génétiques et typologiques dans l'étude synchronique des langues romanes

par

Anna Sörés

Le fait que les langues issues du latin forment un ensemble fermé, est l'un des acquis les plus sûrs de la linguistique historique. A côté de cette certitude génétique se pose la question de savoir dans quelle mesure cette parenté suppose en même temps une homogénéité structurelle à l'intérieur de ce groupe de langues. Dans la présente étude, nous essayerons d'apporter une réponse à cette question. L'approche théo- LIVJUC v^ii«_»iOit v,3t v^tliC uC ia lyuyjiwrns jh >unt, k\~ uuuidmc 0. Ciuuiv.l lu. morphosyn taxe nominale.

Pour donner une réponse exacte, dépassant les intuitions, il est nécessaire de faire une étude structurale (morphosyntaxique) des langues en question - c'est ce qui constituera la partie empirique de la présente étude, tandis que la problématique théorique sera centrée sur les rapports entre les classifications génétique et typologique.

Etant donné qu'il s'agit d'une étude synchronique, la linguistique romane traditionnelle n'occupera ici qu'une place relativement restreinte, en arrière-plan. Il n'y a que quelques ouvrages récents qui comparent les langues selon des points de vue synchroniques, à l'aide de méthodes statistiques ou typologiques - on les présentera brièvement.

Notre travail se sert des notions de la typologie syntaxique élaborée depuis les premières approches de Greenberg (1963); les critères se fondant sur les relations de sérialisation et d'implication sont utilisés comme des outils, ainsi que les paramètres des marques de surface des fonctions syntaxiques fondamentales.

Avant de commencer, il faut préciser que ce travail ne montrera pas la profondeur d'un manuel qui décrit toutes les caractéristiques spécifiquesdes langues d'une façon détaillée. Quelques points (articles, accusatif prépositionnel, etc.) sont bien étudiés dans les manuels

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classiques, mais ici nous ne les envisagerons que sous un seul aspect, sans développer tous les problèmes qui pourraient se poser. Etant donné le but de notre travail qui consiste à élaborer un modèle de description s'organisant autour de paramètres, nous procéderons successivement à l'examen de ces différents paramètres, et non langue par langue, comme le font la plupart des manuels disponibles.

I. Rapports entre les approches génétique et typologique

Hypothèses concernant les rapports typologique et génétique.

Dans les recherches sur les universaux, dans la phase de collection d'un échantillon représentatif, et en typologie, dans la phase de comparaison des caractéristiques grammaticales, on formule souvent des hypothèses sur les rapports existant entre ces deux aspects. Selon l'interprétation la plus fréquente, ce rapport ne peut pas être bilatéral: la ressemblance typologique est plus vraisemblable à l'intérieur d'une famille de langues que dans le cas de langues sans parenté ou de lointaine parenté. Cependant, l'existence d'une ressemblance structurelle - typologique - ne signifie pas automatiquement qu'il existe une relation génétique.

C'est dans la recherche des universaux (Comrie 1981: 10) qu' on a formulé l'hypothèse selon laquelle la totalité des langues humaines est si grande et si variée que l'échantillon, d'où qu'il soit pris, comportera toutes les structures possibles. Néanmoins, certains faits contredisent cette assertion car il semble que certaines régions peuvent favoriser certaines structures ou éléments: p. ex. les ordres de base OVS et OSV ne sont présents que sur un territoire de l'Amérique du Sud, ce n'est que dans une petite partie de l'Afrique du Sud qu'on connaît des langues à «dics», etc. D'ailleurs Comrie (198!: 29) distingue deux approches radicalement différentes des universaux: la première, celle de Chomsky qui se fonde sur une analyse détaillée et abstraite d'un petit nombre de langues; l'existence des universaux s'expliquerait par le fait que ce sont des propriétés innées de l'homme; la deuxième, celle de Greenberg, se fonde sur des généralisations faites sur la base d'un échantillon de langues extrêmement large. Pour une recherche des universaux de ce deuxième type, il faut absolument choisir des groupes génétiques différents, car les membres d'une famille ont des caractéristiquesidentiques qui remontent à la langue commune. En outre, si on choisissait le corpus à l'intérieur d'une même famille, il en résulterait que les particularités structurales caractérisant cette famille pourraient

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paraître plus répandues qu'elles ne le sont en réalité. Ce n'est pas le lieu ici de développer tous les problèmes des universaux, mais il faut constater que la dernière hypothèse en inclut une autre, renvoyant à la question de départ: il peut exister des particularités qui ne caractérisent qu'une famille de langues donnée.

Le type.

Selon la plupart des conceptions traditionnelles du «type», une langue peut appartenir à plus d'un type, c'est-à-dire qu'elle peut avoir à la fois p. ex. des traits flexionnels et agglutinants et qu'il peut y avoir des types mixtes ou transitoires. Cependant, la typologie moderne travaille avec plusieurs paramètres, ce qui permet de mieux définir les limites du type linguistique. C'est la raison pour laquelle, dans l'optique de la démarche que nous menons, nous proposerons donc notre propre définition du «type». Le type est une construction, un modèle capable de décrire la structure de surface dans des approches inter- ou intragénétiques; les éléments du système, les paramètres sont choisis à un premier niveau par le linguiste, puis complétés par les corrélations qui s'attachent aux paramètres préalablement définis. Le but de ce modèle est de caractériser une famille de langues avec une exactitude qui soit proche de celle de la classification dans les sciences.

Si l'on insiste sur le caractère de modèle du type, c'est que, dans une certaine mesure, ce type est arbitraire: avant tout, parce que c'est le linguiste qui choisit le niveau à analyser (phonologie, morphologie, etc.), mais aussi à cause de la décision qu'il prend sur le nombre des critères à examiner.

Cette définition est en légère contradiction avec la constatation de Ramat (1985) pour qui le type est un modèle abstrait qui ne se réalise en aucune langue. Notre typologie, espérons-le, permettra de décrire d'une part les langues une par une, d'autre part l'ensemble de la famille en question.

II. Problèmes posés par l'étude typologique et comparée des langues romanes

Vu l'ampleur de la tradition et le nombre des recherches qui ont été faites sur ce sujet, il est pratiquement impossible et, dans le cadre synchronique que nous adoptons, inutile, de les résumer. Par conséquent,les réflexions qui suivent seront axées sur des essais de classificationset

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tionsetde typologies précédents, du point de vue des critères qui ont
servi de base aux regroupements.

Approches statistiques et typologiques.

Depuis quelque temps, certaines des méthodes de la linguistique
moderne ont pénétré la linguistique romane: il s'agit des approches
statistiques et typologiques.

Certaines approches statistiques traitant de l'éloignement mutuel des langues présentent des points communs avec l'étude qui sera proposée ici; c'est ce qui explique la présentation un peu plus détaillée que l'on va en faire.

Muljacic (1967) étudie les langues selon une répartition binaire des critères, ensuite il évalue les différences relevées grâce à un système de points. Selon ses résultats, les langues Jes plus proches l'une de l'autre sont: le roumain et le dalmate, l'italien et le roumain, le sarde et l'italien, le frioulan et l'engadinois, le provençal et le catalan ou le franco-provençal, le catalan et l'espagnol, l'espagnol et le portugais, le portugais et le catalan. La plus petite différence est celle qui sépare le français et le franco-provençal, ce qui peut remettre en question l'indépendance de ce dernier. L'analyse de Muljacic est donc de caractère quantitatif et elle est capable d'évaluer les écarts entre les langues. Il étudie 40 paires de critères mais ceux-ci ne sont ni exhaustifs, ni homogènes: une partie d'entre eux sont d'ordre phonologique et synchronique, la plupart appartiennent quand même à la phonologie historique et les autres concernent la morphologie, synchronique ou diachronique. Cette analyse, quoique fournissant des résultats appréciables pour la comparaison statistique, ne peut pas offrir une classification beaucoup plus exacte que les précédentes, vu que les critères ne forment pas un système fermé.

Iliescu (1969) travaille, à l'aide d'une méthode quantitative (de pourcentage) comparable, sur le système de la conjugaison. Quarantehuitcaractéristiques sont énumérées, p. ex. 3 ou 4 infinitifs; 2, 3, ou 4 conjugaisons au présent, etc. Après l'évaluation en pourcentage des résultats, l'auteur constate que les langues les plus proches l'une de l'autre sont: le portugais et l'espagnol (91%), l'engadinois et le sursilvain (85%). Si l'on considère l'ensemble des langues romanes, on trouve aux deux extrémités le français et le roumain: c'est exactement à ce résultat qu'était parvenu Muljacic. On peut accorder aussi quelque importance à une autre conclusion d'lliescu qui considère que ces résultats ne

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justifient nullement l'existence d'un groupe oriental distinct (formé p. ex. par l'italien, le roumain et le sarde); en outre, même la ressemblance entre l'italien et le roumain est relative et unilatérale, et surtout d'ordre phonétique. Une fois de plus, on fera remarquer que la répartition des langues romanes en un groupe oriental et un groupe occidental est une notion d'ordre historique, et non pas synchronique.

Dans une étude ultérieure, Iliescu (1983) traite de la typologie morphologique du verbe roman, et elle compare les caractéristiques du roumain à celles des autres langues. Quelques traits morphologiques (l'existence du supin, les 5 formes de conjugaison, etc.) écartent le roumain des autres langues, tandis que d'autres le rapprochent de telle ou telle d'entre elles (p. ex. le plus-que-parfait synthétique du portugais). En conclusion de son étude, l'auteur constate que, selon les traits verbaux étudiés, le roumain est très proche du latin, ensuite de l'italien et de ses dialectes.

Les méthodes quantitatives que l'on vient d'évoquer prouvent leur aptitude à préciser la distance mutuelle entre les langues, mais elles ne conviennent pas à une caractérisation exacte, d'une part à cause du manque de COÎiéiêiiCc ucS pâiâiiïèti'cS âuûptcS, d'autre paît à CâUSc de l'absence de prise en compte de traits syntaxiques.

Depuis l'apparition de la typologie moderne, certains linguistes ont déjà tenté de caractériser une famille de langues par ce moyen. S'agissantde la notion de «type», les considérations de Coseriu (1987) sont souvent invoquées. Fondamentalement, il reste au sein de la typologie classique, bien que ce soit contre elle qu'il élabore sa conception, et il représente une prise de position tout à fait individuelle. Pour lui, le type marque l'un des niveaux des caractéristiques structurales, des descriptions techniques d'une langue - ce qu'il appelle, suivant la terminologie humboldtienne, la forme caractéristique de la langue. A ce niveau, en mettant en rapport synchronie et diachronie, il considère les langues romanes comme les diverses réalisations d'un même type. A propos de la relation latin-néo-latin il pose la question suivante: dans le cas où nous considérons les traits qui distinguent une langue comme la forme caractéristique de cette langue, les langues romanes sont-elles de nouvelles langues ou une nouvelle langue par rapport au latin? Et, en tenant compte de l'état transitoire, le latin vulgaire était-il différent du latin classique? Humboldt répond non à cette dernière question, mais Coseriu considère que les écarts que présentent les langues romanes existaient déjà en latin vulgaire et qu'ils représentent un nouveau type.

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Bien que dans cette approche les aspects synchroniques et diachroniques se confondent, il s'agit d'une mise en rapport essentiel, puisque, selon Coseriu, c'est justement dans ce fait historique que se cache la ressemblancestructurale visible des langues romanes, en dépit des dissemblancesde

Ces derniers temps, la linguistique romane s'est enrichie d'analyses typologiques concrètes qui puisent dans la typologie moderne. Mais bien qu'elles s'assignent toutes des buts fort comparables, les résultats qu'elles obtiennent sont bien différents.

En morphologie et en syntaxe plusieurs travaux se réfèrent à la typologie sérielle. Nous reviendrons sur une étude de Renzi (1984), à propos de la séquence VO dans le chapitre suivant. Dans le domaine des corrélations d'implication, il faut mentionner les études de Kòrner (1983, 1985); leur importance est cependant plutôt d'ordre théorique que pratique; en effet, les constatations auxquelles il parvient reflètent plutôt des tendances et, selon l'opinion de l'auteur lui-même, on peut trouver des exemples et des contre-exemples pour chacun des critères examinés dans chacune des- langues. Or, l'essentiel de sa théorie consiste justement à distinguer deux types, dans lesquels les critères (accusatif prépositionnel, article partitif, accord des participes, etc.) se supposent ou s'excluent mutuellement. Il ne serait cependant pertinent pour nous ni d'accepter ni de rejeter les résultats de Korner, car nous avons des positions radicalement différentes à l'égard de certains traits grammaticaux; par exemple, dans les phrases Pierre, je l'ai vu - Mon frère il chante, la répétition du sujet est appelée par Korner «conjugaison subjective ou objective», tandis que, pour notre part, nous proposerions de considérer ce trait comme un critère syntaxique relevant de la topicaiisation. D'autant plus que dans des langues à deux conjugaisons, comme le hongrois, ce n'est pas la place de l'objet mais le caractère défini ou indéfini du nom qui régit la conjugaison objective ou subjective.

Depuis peu, nous disposons de plusieurs manuels qui ne se veulent pas des approches typologiques systématiques, mais qui se servent des critères de la typologie moderne d'une façon conséquente, ce qui donne des résultats assez fiables. Il s'agit tout d'abord d'une édition revue de l'introduction de Renzi (Renzi-Salvi 1985) qui oppose les faits d'innovationet les faits de conservation. Cet ouvrage, après avoir fait le tour de la linguistique romane et des diverses méthodes, propose 17 critères

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pour une classification des langues romanes: les cas, l'article, le neutre, l'adverbe, le conditionnel, le futur, la pronominalisation obligatoire du sujet, la négation, l'interrogation, l'article partitif, l'ordre des syntagmes, les diminutifs, la parole du point de vue du signifiant, les auxiliaires, le passé simple, l'infinitif personnalisé et la formation du pluriel. Plusieurs de ces points vont être étudiés dans le présent travail. Un autre ouvrage récent, édité par Harris et Vincent (1988), juxtapose les descriptions des neuf langues romanes; il avait été proposé aux différents auteurs de respecter les critères relevant, entre autres, de la typologie de l'ordre des mots. Cet ouvrage nous servira de référence sur plus d'un point. Enfin, nous disposons de deux volumes, (le IIIe et le IVe) du Lexikon der romanistischen Linguistik (Holtus et alii 1988-89) qui étudient chaque langue séparément, traitant successivement de problèmes de linguistique interne et externe.

Notons enfin que les langues qui seront étudiées dans ce qui suit sont au nombre de 9. Comme les six grandes langues nationales, seront étudiés le français, l'italien standard, l'espagnol et le portugais européens, ainsi que le roumain et le catalan. Les dialectes occitans seront présentés à raide de la grammaire ucci lane d'Alibert (1976), élaborée sur la base du languedocien. Les exemples sardes sont ceux de Pittau (1972) décrivant le dialecte de Nuoro. Les dialectes rhéto-romans sont relevés dans un recueil de nouvelles (Jakubec 1983) et dans la grammaire de Candínas (1987).

III. Description des langues romanes par les moyens de la typologie moderne

1. Méthode

La source première de notre analyse est le travail de Greenberg, qui date de 1963 et qui comporte, pour la première fois, l'élaboration de la typologie sérielle et des universaux implicad onnels. Greenberg part d'une observation classique, celle du principe «regens post/ante rectum»: il y a des langues qui placent les éléments modifieurs avant l'élément modifié, d'autres font l'inverse. Dans les premières (turc, hongrois), l'adjectif qualificatif se place devant le nom qualifié (AN), le complémentd'objet devant le verbe transitif (OV), le possesseur devant l'objet possédé (GénN), etc. En général, ces langues expriment les complémentscirconstanciels à l'aide de postpositions. Dans un grand nombre de langues c'est l'inverse: les modifieurs se placent après le modifié, la

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langue se sert de prépositions (thai, français), etc. Il y en a cependant
d'autres (anglais) qui, selon certains critères, se rapprochent de l'un ou
de l'autre groupe (Greenberg 1973: 60).

2. La place des langues romanes dans la typologie de Greenberg.

2.1. Ordre de base des mots.

Four mener à bien l'analyse de l'ordre des éléments significatifs et l'élaboration des universaux, il faut dans un premier temps définir l'ordre de base, c'est-à-dire l'ordre des trois constituants fondamentaux de la phrase: sujet - verbe - objet, dans une phrase déclarative où le sujet (S) et l'objet (O) sont exprimés par un élément nominal. En outre, Greenberg prend en compte trois critères supplémentaires: l'existence des pré- ou postpositions, la place de l'adjectif qualificatif par rapport au nom, ainsi que l'ordre relatif du possesseur et du possédé.

Dans ce qui suit, l'expression ordre des mots sera employée dans un sens général. Au niveau de la phrase, c'est bien entendu l'ordre des éléments exprimant les fonctions fondamentales qui sera étudié, tandis que, plus tard, on observera les éléments à l'intérieur du GN. Notons que Greenberg lui-même parle de l'ordre des éléments significatifs, puisque, dans son analyse, la place de certains morphèmes (pré- ou suffixes) a un rôle aussi important.

La combinaison des trois éléments fondamentaux offre, logiquement, six
possibilités:


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Dans la plupart des langues plusieurs ordres sont possibles, mais seul l'un d'entre eux est l'ordre dominant. Greenberg a étudié 30 langues différentes du point de vue génétique et il a constaté que, vu dans l'ensemble des langues, l'ordre dominant appartient toujours à l'une des trois premières catégories (VSO, SVO, SOV). Parmi les 30 langues examinées, seul l'italien appartient à la famille romane; l'italien se caractérise par l'ordre dominant SVO et il partage ce trait avec toutes les autres langues romanes, comme on le verra dans le premier groupe d'exemples.


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Les langues seront marquées selon leur lettre initiale:


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On pourrait objecter, à propos des séries d'exemples qui seront données, qu'elles ne se correspondent pas exactement, mot à mot. La raison en est que les exemples sont pris dans les grammaires de référence citées, justement pour éviter les pièges des constructions proposées par le chercheur. Il aurait peut-être été plus intéressant de voir les mêmes constructions en neuf langues, mais nous nous sommes concentrées sur l'identité structurelle, et non pas lexicale des données. Néanmoins, au quatrième chapitre, on trouvera des phrases identiques (p ex sous !a rubrique «topicalisation») émises ou contrôlées par des locuteurs natifs. Dans les cas où les exemples ne correspondent pas à la phrase française, ils seront traduits.


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I. SVO


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I. SVO

2.2. Prépositions.

L'une des caractéristiques fondamentales est l'emploi de prépositions, par opposition aux langues à postpositions. Il est notoire que toutes les langues romanes emploient des prépositions pour exprimer les circonstancesde lieu, de temps, de but, etc., il suffit donc d'illustrer ce phénomène à l'aide des constructions possessives dont l'étude serait de

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//. NGen

toute façon indispensable. Dans le cas d'éléments exprimés par des noms, l'ordre est NGén, c'est-à-dire que le possédé précède le possesseur,les deux éléments étant reliés par la préposition de, sauf en roumain.

En roumain, la même relation s'exprime par la déclinaison, mais la position des éléments correspond à NGén, contrairement à l'ordre GénN, possible dans d'autres familles de langues. Pour exprimer les autres compléments, le roumain se sert également de prépositions. Plus loin, dans le chapitre traitant des particularités internes de cette famille de langues, nous reviendrons sur la déclinaison nominale du roumain, mais en ce qui concerne les traits examinés ici, il ne serait pas justifié de séparer le roumain des autres langues romanes.


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//. NGen

2.3. Nom - Adjectif.

Dans la recherche des types possibles, la place de l'adjectif qualificatif par rapport au nom est de première importance. Et en ce qui concerne le type dont il est question - comme le dit l'universal 19 (Greenberg 1963: 68) - cela ne va pas sans exceptions: «Si selon la règle générale l'adjectif suit le nom, il peut y avoir un petit groupe d'adjectifs qui peuvent être antéposés. Mais si tous les adjectifs suivent le nom, c'est sans exception.» Dans toutes les langues romanes, la règle générale est que l'adjectif qualificatif suit le nom.


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111. NAdj


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111. NAdj

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Le système des écarts par rapport à la règle est le suivant: dans la plupart des langues ce sont des adjectifs fréquents, en général mono- ou bisyllabiques qui peuvent changer de place et, en fonction de la position, leur sens peut changer aussi. Mais les écarts qui se présentent dans chacune des langues sont à tel point nuancés qu'il vaut mieux les traiter à part, dans un travail séparé.


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2.4. Le type «G».

En fonction des 4 critères précédents, Greenberg a défini 24 types qui
englobent toutes les langues du monde. Or, les langues romanes
appartiennent au type:


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Dans ce qui suit, nous appellerons cette construction type «G», puisque les traits qui le définissent ont été étudiés par Greenberg. Parmi les 24 types c'est l'un des plus importants. En font également partie l'albanais, le swahili, le vietnamien, le malais, entre autres.

Pour nous, l'importance du type «G» consiste dans le fait qu'à l'égard
des critères étudiés les langues romanes se comportent d'une façon
identique.

3. Implications.

En dehors des paramètres fondamentaux nous proposons également une étude de quelques implications. L'existence de la plupart des implications ayant déjà été justifiées dans la littérature de la typologie, les traits suivants ne feront en fait que corroborer l'homogénéité supposée des langues romanes.

3.1. La place des déterminants.

Selon Greenberg (1963: 61), les rapports sériels entretenus par le N avec les démonstratifs, articles et, quantificateurs sont généralement différents de ceux qu'il entretient avec les adjectifs qualificatifs. L'universal 18 constate que si l'adjectif qualificatif précède le nom, la chance de voir

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IV. DemN - V. NumN

un comportement identique pour les démonstratifs est plus que
vraisemblable. Mais comme dans notre cas l'ordre est NA, il faut
examiner les déterminants un par un.

Dans ces exemples les démonstratifs et les numéraux se placent unanimement devant le nom, leur position s'oppose donc à celle des adjectifs. Cependant, en roumain le Dém peut suivre le N. Voir L. Tasmowski-De Ryck 1990.

Ce trait a plus d'importance dans une comparaison avec d'autres langues du groupe «G» qu'à l'intérieur même de la famille: les 30 langues examinées par Greenberg se répartissent dans une proportion identique entre DemN et NDem. Dans notre cas, l'ordre caractéristique est NAdj, DemN, NumN, tandis que les autres langues du type s'en différencient.


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IV. DemN - V. NumN

3.2. Degrés de comparaison des adjectifs.

A l'égard du comparatif les langues romanes se comportent de façon
identique, si l'on met à part la différence morphologique notoire de
plus/magis, adjectif - marque de la comparaison - comparé.


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VI. AdjComp


DIVL1103

VI. AdjComp

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3.3. Nom - subordonnée relative.

Etant donné que la subordonnée relative correspond à un adjectif, sa
place a de fortes chances d'être la même (voir encore ¡'universal 24).


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VIL NRel


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VIL NRel

4. La séquence VO.

Les phénomènes qui seront examinés à présent dépassent déjà les implications de Greenberg, puisque ce sont des généralisations élaborées à partir de l'étude des universaux qui ont permis de les mettre au jour. Le premier à généraliser les résultats de Greenberg fut Vennemann (1972) qui a décomposé les corrélations en relations «Operator- Operand» (p. ex. O et V, Rel et N). Selon Lehmann (1973), par ailleurs la place du sujet n'est pas pertinente, ce qui compte c'est l'ordre VO ou OV. Toutes ces généralisations ne sont cependant que des tendances.

Toutes ces théories sont des simplifications ou des généralisations des corrélations précédentes, et nous pouvons mettre en œuvre ce schéma simplifié qu'est la séquence VO, dans notre analyse. On peut ainsi étudier le rôle fondamental du V, ainsi que la place des parties du discours fondamentales et des déterminants. La séquence VO entraîne donc une construction à droite (dans la phrase et dans le lexique), tandis que la séquence OV agit en sens contraire. Des études historiques ont pu ainsi révéler que l'indo-européen possédait des constructions à gauche, que le latin avait déjà quelques traits contraires, et que les langues romanes construisent à droite, même si pour quelques traits elles restent conservatrices. Les deux types extrêmes sont très rares mais ils existent, par conséquent le rapport étroit des corrélations étant prouvé, ce système est susceptible de servir d'outil dans des analyses concrètes. Récemment, Buridant (1987) l'a utilisé dans une étude sur l'ancien français. Nous reprenons ses conclusions: «Si l'on appelle

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déterminant tout élément A apportant une information complémentaire à un élément B, on peut poser que c'est un des universaux typologiques que dans les langues de type OV A précède B et dans les langues de type VO B précède A. C'est-à-dire que si à B appartiennent le N et le V, à A appartiennent les éléments adverbiaux et les éléments adnominaux (Adj, Reí, Gen); et comme la construction résultante est fondamentalementde la même catégorie que les constituants B, dans les langues romanes nous avons VO, VAdv, NAdj, etc.»

De son côté Renzi, (1984) a appliqué ce schéma aux langues romanes actuelles. Il constate qu'il s'agit d'une façon évidente de langues à droite, avec peu d'écarts. Il examine 13 phénomènes sériels, dont quelques-uns suivront dans notre étude. Cependant, il n'étudie que trois langues (français, italien, roumain.) Notre étude portant sur l'ensemble des neuf langues, conduira parfois à des résultats différents des siens.

4.1 Place du verbe auxiliaire (VIII. Aux V).

Dans les langues romanes, cet ordre est AuxV. Comme dans les cas sans emphase c'est une évidence, nous ne présenterons pas de série d'exemples. D'ailleurs, ce trait est en accord d'une part avec la sérialisation selon la séquence VO, d'autre part avec l'implication de Greenberg affirmant que l'ordre AuxV est le plus fréquent parmi les langues SVO.

Remarque: En rhéto-roman - probablement sous une influence germanique - il peut arriver que l'auxiliaire et le verbe principal soient séparés par un complément mis en relief (Rohlfs 1952: 203). En italien, le participe peut également être séparé du verbe et se placer en tête de phrase.

4.2. Verbe et adverbe.


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IX. VAdv


DIVL1143

IX. VAdv

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Ce trait ne représente qu'une tendance majoritaire; il y a en effet plusieurs écarts par rapport à la règle. En français p. ex. (en opposition avec l'exemple catalan cité) l'ordre change quand le verbe est conjugué à un temps composé, ou plus précisément, l'adverbe suit toujours le verbe conjugué (tu travailles bien/ tu as bien travaillé). En italien, en espagnol, en roumain, en cas d'emphase, l'ordre AdvV est également possible.

4.3. Verbe et négation.

Quoique les éléments de négation soient en général considérés comme des adverbes, leur position est exactement inverse de celle des adverbes décrits précédemment: la particule de négation est antéposée au verbe, sauf en français dans la négation à deux éléments où l'élément principal se place après le verbe; l'ordre VNég caractérise l'occitan, ainsi que plusieurs dialectes italiens et rhéto-romans.2


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X. NegV

Les trois traits suivants peuvent être considérés comme s'opposant à la
tendance précédemment définie.


DIVL1155

X. NegV

4.4. Les marques de personne.

Le fait que la typologie sérielle s'occupe non seulement de l'ordre des mots mais aussi de celui des morphèmes explique qu'elle prenne en compte le trait suivant qui relève de la morphologie verbale. Il est important surtout du point de vue du français oral: les langues romanes conservent en général les désinences bien différenciées du latin (Vpers), mais en français la présence du pronom sujet est obligatoire (persV).


DIVL1165

XI. V-pers-V


DIVL1165

XI. V-pers-V

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4.5. Adverbe et adjectif.

La position de l'adverbe modifiant l'adjectif qualificatif contredit la tendance générale; il se place devant l'adjectif, contrairement à ce que dit Renzi (dont l'exemple français n'est pas probant (uni étroitement). C'est l'ordre général, même dans le cas où l'adjectif est remplacé par un participe.


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XII. AdvAdj

Pour résumer la position des adverbes, on peut dire qu'ils sont postposés
au verbe mais antéposés à l'adjectif.


DIVL1177

XII. AdvAdj

4.6. Conjonctions et particules.

Suivant l'approche de Renzi, on pourrait prendre en considération deux phénomènes de plus, mais étant donné qu'ils portent sur des points purement syntaxiques, nous ne pouvons pas les intégrer directement dans notre analyse morpho-syntaxique. Nous les présentons brièvement cependant.

Premièrement, il s'agit de la position de la conjonction de coordination, notamment lorsqu'on la compare à celle de la construction arma virumque du latin. Dans les langues romanes cette solution n'a pas survécu, dans chaque langue romane c'est la conjonction correspondant à et qui lie les deux éléments, on a: lat. N N conj versus rom. N conj N.

Un autre paramètre syntaxique porte sur les particules qui peuvent
introduire une question portant sur le prédicat. Parmi les langues
romanes, il n'y en a que trois qui en utilisent une:


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DIVL1193
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Même dans ces langues ce n'est qu'une solution facultative, puisque,
dans la plupart des cas, cette interrogation est marquée par l'intonation
simplement.

5. Le type «G1».

Selon les traits étudiés précédemment, par rapport aux tendances générales du type, il n'y a qu'un seul écart: la négation. En ce qui concerne les autres traits, les langues romanes s'alignent sur les caractéristiques des langues SVO. Il y a tout de même une différence fondamentale: la place des déterminants. Sauf pour ce qui est de l'article défini et l'article adjectival du roumain, les déterminants des langues romanes sont antéposés au nom tandis que les autres langues SVO les postposent. La série établie à partir des traits précédents sera appelée type Gp puisque les paramètres utilisés se rattachent à la typologie sérielle de Greenberg. Au type n'appartiennent que les traits sériels caractérisant l'ensemble des langues romanes:


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Les traits omis, à ¡égard desquels nous avons vu des différences entre
les langues examinées ici, seront pris en compte ultérieurement.

6. Les marques des cas.

Les recherches postérieures aux problèmes de sérialisation s'occupent le plus souvent de la distribution du verbe (Comrie 1981: 51). Dans la terminologie classique, en structure de surface le verbe donner a trois arguments: sujet, objet direct, object indirect. Les mêmes arguments sont appelés dans la structure profonde Agent, Patient, Récepteur ou Bénéficiaire.

Pour la typologie, les traits les plus importants sont les modes d'expression de l'Agent et du Patient, en fonction desquels on peut parler de langues actives, ergatives et accusatives. Les langues romanes - ainsi que plusieurs langues européennes - appartiennent au groupe des langues accusatives. Elles se caractérisent par les oppositions transitif - intransitif, nominatif - accusatif, objet direct - indirect, sujet - objet, etc. (Ramat 1985: 39), c'est-à- dire que la manière accusative de marquer le cas consiste à marquer l'objet, tandis que le sujet reste non-marqué. Pour ce qui est de l'ensemble de la phrase, les marques peuvent se présenter sur le groupe verbal ou sur le groupe nominal. La

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marque est indirecte si elle se présente sur le verbe, ou sous forme d'un pronom atone dans la phrase. Dans les langues romanes, cela se passe selon le mode accusatif, c'est-à-dire que la présence de l'objet pronominaldans une phrase comportant un prédicat verbal à verbe transitif est obligatoire. La marque est directement présente sur le GN, ce qui va être étudié sous les points suivants.

6.1. Accusatif prépositionnel / Patient marqué.

Les deux termes reflètent la distinction des cas entre structure profonde et de surface; vu la déclinaison incomplète de nos langues, il serait justifié de parler plutôt de Patient marqué en structure de surface, mais le terme «accusatif prépositionnel» est accepté en linguistique romane. A l'égard des marques de l'accusatif, les langues romanes ne sont pas homogènes; dans celles qui les connaissent, il s'agit de marques limitées: elles n'apparaissent que dans le cas où l'objet direct est un être animé exprimé soit par un substantif, soit par une pronom personnel (le rhéto-roman excepté).


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XIII. PrepAcc

II faut noter qu'en catalan, en italien et en portugais, le phénomène est
pourtant connu, dans le cas des pronoms personnels, le plus souvent en
cas d'emphase:


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XIII. PrepAcc

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Notons qu'en occitan cet emploi est restreint: dans des phrases emphatiques,
comme celle que nous avons citée, ou bien dans les phrases
exprimant une opposition ou une réciprocité

o T'aima plan, mas non pas a ieu 'toi, il t'aime bien, mais pas moi'

- ou dans les phrases copulatives et comparatives:

o L'estimi mai qu'a tu, 'je l'estime plus que je ne t'estime'.


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6.2. Passif.

Le problème suivant qui est lié aux marques de l'Agent et du Patient est la construction passive. Dans les langues accusatives la construction passive est généralement présente; elle est considérée comme marquée, bien qu'elle soit la possibilité d'expression normale dans des phrases dans iesquellcs une entité non définie, non-animée influe sur la première personne (J'ai été écrasé par une voiture): dans ce cas-là, c'est le passif qui est non-marqué. En général, le passif nécessite quelque marque sur le verbe, tandis que l'expression de l'Agent n'est pas nécessaire. On cite le latin comme offrant l'expression typique du passif: (exemple de Comrie, op. cit.) Danai eauum aedificant. Equus aedificatur (a Danais), 'les Grecs construisent un cheval'.

Les langues romanes expriment en général le passif d'une façon
analytique: l'auxiliaire esse + le participe passé (en rhéto-roman l'auxiliaire
correspond à venir).


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XIV. Pass


DIVL1262

XIV. Pass

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En dehors de cette construction, il faut mentionner aussi la forme pronominale et le rôle d'autres auxiliaires. En sarde p. ex., la construction précédente n'existe pas, elle est remplacée ou bien par la 3131 personne du pluriel:


DIVL1265

ou bien par la forme pronominale en si:


DIVL1267

La formation du passif par le réfléchi est également possible en français,
roumain, espagnol, portugais, catalan, italien.

Concernant le français, Wagner et Pinchón soulignent (1962: 293) que
la formation pronominale n'est pas possible quand le passif exprime un
état:

f cette pièce se joue partout.

Mais: c'est une chose qui est dite versus c'est une chose qui se dit. Cette nuance, la distinction de l'état et du déroulement de l'action (cf. allemand «Vorgangspassiv - Zustandspassiv») apparaît aussi dans le choix de l'auxiliaire. Dans les langues qui disposent de deux verbes d'existence, ser -t- participe exprime le procès dans son déroulement, estar + participe le résultat de l'action:


DIVL1269

Four cette distinction, d'autres langues se servent d'autres auxiliaires: en
italien, la construction essere + participe exprime l'état ou l'accompli,
pour exprimer l'action et son déroulement on utilise ventre + participe.


DIVL1271

L'auxiliare peut être encore andare, exprimant une nuance de nécessité
(Herczeg 1988: 274):


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DIVL1271

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6.3. Marques de l'objet direct et indirect.

La distinction entre l'objet direct et l'objet indirect est une particularité des langues accusatives. Dans le cas d'un substantif, cette marque est la préposition a, dans le cas des pronoms ce sont les paradigmes des pronoms régimes. A propos des exemples ci-dessous, on pourrait dire que pour les pronoms ce n'est qu'un problème d'ordre des mots. Il est cependant justifié d'examiner cette question dans le cadre des marques casuelles.


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XV. 0,-Od

Dans la plupart des cas l'ordre est O¡Od, sauf en français et en occitan où l'objet direct précède, si le Bénéficiaire est à la 3e3e personne. En catalan, au singulier troisième personne l'ordre est OdO¡, dans les autres O¡Od. Notons qu'en sursilvain il n'y a pas de clitique du tout, en engadinois il y en a aux première et deuxième personnes seulement.


DIVL1284

XV. 0,-Od

6.4. Ordre de base pronominal.

Du point de vue formel, le paramètre suivant peut être considéré comme sériel, puisqu'il s'agit d'examiner dans quelle mesure l'ordre de base change, si les éléments nominaux sont remplacés par des pronoms. Il s'agit de voir les différentes possibilités qu'a la même information ou le même contenu sémantique de se structurer différemment, pour refléter la continuité de l'information récente et de l'information ancienne. Dans les analyses typologiques on pratique rarement l'étude des rôles pragmatiques pour eux-mêmes, on la lie plutôt aux aspects sémantiques et grammaticaux, puisque ceux-ci ne peuvent être étudiés qu'en relation l'un avec l'autre.

Lorsque l'on examine l'ordre qui est utilisé quand les constituants de
base sont des pronoms, on s'aperçoit de différences par rapport à
l'ordre de base, puisque les rôles pragmatiques changent à cause de la

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pronominalisation. Vu la fonction anaphorique des pronoms, il est clair que dans une phrase ne contenant que les constituants de base, un objet direct pronominal marque l'élément déjà connu, par conséquent il occupe une place différente de celle qu'avait l'information nouvelle/

Ce même phénomène peut être conçu, d'autre part, comme une marque de cas, surtout dans les langues romanes où les marques de cas peuvent être soit morphématiques soit d'ordre sériel. Cette dernière possibilité est illustrée par l'ordre de base même, l'ordre des mots est alors le seul moyen de distinguer les rôles syntaxiques. En cas de pronominalisation, c'est-à-dire en présence de la fonction déictique du pronom anaphorique, cet ordre de base se transforme, comme on va le voir dans les exemples ci- dessous. La présence obligatoire du pronom régime peut donc être considérée comme une marque de cas morphéinatiquc, comparable d'ailleurs p. ex. à la conjugaison «objective» du hongrois, liée au caractère défini ou indéfini de l'objet je vois une maison 'láto/c egy házat' je la vois 'látom'


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XVI. proti SVO

II n'y a donc que le portugais qui garde de façon conséquente l'ordre de base SVO, le rhéto-roman permettant les deux. Dans une terminologie typologique, cet ordre pronominal ne peut pas être nommé «ordre de base», le terme étant réservé aux éléments nominaux. On peut donc affirmer que l'ordre des constituants nominaux est SVO, celui des pronominaux SOV, à l'exception des deux cas ci-dessus.

En typologie, comme on l'a déjà souligné, on tient et a toujours tenu pour acquis que l'ordre de base dans les langues est dominant mais non exclusif. D'autres écarts par rapport à l'ordre de base seront étudiés parmi les particularités des langues romanes.

Notons pour terminer qu'au sein du groupe des langues romanes,
l'étude de la position des pronoms clitiques pourrait constituer toute


DIVL1304

XVI. proti SVO

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une étude à part. Notre travail ne s'en occupe qu'à propos de l'ordre O¡Od. Il est probable que la comparaison des langues romanes du point de vue de la place des clitiques auprès d'un infinitif, d'un gérondif ou d'une forme verbale composée distinguerait les neuf langues d'une façon différant de celle que nous avons vue dans notre étude. A propos de la pertinence d'une étude des clitiques voir Renzi 1989.

7. L'ensemble G2 des traits.

Les paramètres étudiés précédemment formeront la configuration «G2» portant les traits de la typologie de l'ordre des mots et trois traits casuels. Les traits sont décrits selon leur occurrence la plus fréquente, p. ex. O¡Od dans la plupart des langues, par opposition au français et à l'occitan. L'opposition est donc marquée par le signe (-).


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Cette construction doit être distinguée du type «Gj» étudié précédemment, qui, selon le comportement homogène des langues représente le type de base. Dans G2G2 l'homogénéité n'est que relative, les traits se prêtent à une description binaire, mais à l'intérieur de la configuration les langues divergent.


DIVL1316

8. Résumé des traits typologiques.

Selon les paramètres étudiés dans la première partie et regroupés selon type Get G1?G1? les langues romanes appartiennent sans exception àun type commun. Ainsi se trouve du même coup justifiée la démarche de Greenberg qui généralise les résultats donnés à partir de l'étude de l'italien. Néanmoins, moyennant quelques autres paramètres, au cours de l'élaboration de G2G2 on a vu des écarts qui ne résultent probablement pas des différentes approches théoriques mises en œuvre.

Il s'agit plutôt du fait que dans le cadre typologique choisi nous avons réussi à repérer un ensemble de traits (GJ qui montre l'identité structurelledes langues romanes. En même temps, nous sommes parvenus à trouver un autre ensemble de paramètres (G2), révélant certaines

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particularités dans ce groupe de langues dont nous essayons de tester
l'homogénéité supposée.

Le caractère transitoire de l'étape G2G2 dans la distinction progressive des particularités se manifeste par le fait que les traits peuvent être décrits dans une répartition binaire; quant à la caractérisation interne il est indifférent que p. ex. pour le passif l'écart soit entre 1: 8, alors que pour l'accusatif prépositionnel ce sont 3: 6 qui s'opposent.

IV. Caractérisation interne de la famille des langues romanes

Par rapport aux paramètres étudiés précédemment qui étaient applicables à un grand nombre de langues, les traits étudiés dans cette partie seront ceux qu'on suppose spécifiquement pertinents dans la connaissance générale des langues romanes. Le choix des critères reste ici encore important: on prendra en considération des phénomènes grammaticaux qui présentent 2 ou 3 solutions au maximum parmi les 9 langues. Ce choix de 2 ou 3 possibilités peut paraître arbitraire, mais il vase trouver justifié, puisque les langues qui se comportaient de façon identique selon les paramètres du point 111, se distinguent en 9 langues différentes à l'autre extrémité de l'échelle. Il existe donc une étape transitoire au sein de laquelle les langues forment des sous-classes.

D'autres problèmes sont d'ordre pratique. L'un des phénomènes les plus importants, la topicalisation, n'est pas suffisamment illustré dans les grammaires actuellement disponibles. La topicalisation proprement dite sera étudiée au point 1.1, mais il existe des phénomènes comparables, comme celui que nous appelons rappel (avec Perrot, 1978), ou en anglais afterthought topicalisation:

a )e l'ai vu, ton ami.

b II lui faut de l'argent, à Pierre.

Les phrases de ce type sont très fréquentes en français parlé, mais les grammaires du français standard n'en tiennent pas encore compte. Cependant, dans d'autres langues la construction de la phrase b est obligatoire pour l'objet indirect:

s su babbu li nat assu fizzu, 'le père lui dit au fils'

Dans ce qui suit, on tiendra compte de la topicalisation où le premier
élément (topique) est exprimé par un N; le phénomène du rappel
nécessiterait en soi une étude plus approfondie.

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Quant aux traits morphologiques ou morphosyntaxiques, on tiendra compte de ce que l'on nomme pertinence double, à savoir l'opposition des langues romanes à d'autres langues d'une part, et la pertinence au sein de la famille de ces langues d'autre part. Il s'agit de traits qui ne désignent pas uniquement la présence de tel ou tel élément morphologique, mais qui sont en rapport avec d'autres traits ou d'autres caractéristiques précédemment analysés. La corrélation entre les paramètres est en effet un problème épineux. Dans le système donné, le choix des traits n'est justifié que par le fait que, bien que de nature morphologique, ils relient deux niveaux d'analyse.

1. Position des constituants fondamentaux.

1.1. O S V.

En dehors de leur ordre de base, il faut également étudier l'ordre complémentaire des constituants fondamentaux. Renzi (1984) appelle ce phénomène «transformation informationnelle» et l'illustre par les phrases italiennes suivantes:

ci\ n.tt i- : -• j: -.• ç,r,r \r... .\L)
UdUUIIU lt UIC 1 111U1 1 Ul pldZ,£<l Odll IVldl CU
'les Maures de la place St. Marc battent l'heure'

(2) Le ore, battono i mori di piazza San Marco

(3) I mori di piazza San Marco battono le ore

Ici, la troisième phrase représente l'ordre de base, la deuxième la
topicalisation et la première la transformation informationnelle.

L'existence d'un ordre complémentaire avait déjà été mentionné par
Greenberg, et désigne des possibilités telles qu'en hongrois:


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Evidemment, ces possibilités sont moins grandes dans les langues romanes où le phénomène est accompagné d'une reprise pronominale ou d'une tournure présentative. Dans les phrases de Renzi, on constate que dans (1) l'élément en tête de phrase est le V, dans (2) l'objet. Cependant, la position des autres éléments a un rôle important. Si la phrase (2) est correcte, cet ordre est pourtant peu fréquent: dans la phrase citée, la reprise pronominale fait défaut. Selon un autre témoin,


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XVII. OdSV

également locuteur natif, la construction est possible, à cause de l'unité lexicale de l'expression «battono le ore», mais normalement l'élément mis en relief devrait être repris par un pronom, comme c'est le cas dans les autres langues:

Ces phrases sont structurellement identiques, c'est-à-dire que l'objet
direct antéposé est répété par le pronom régime atone.

Cette reprise pronominale peut être considérée comme un cas particulier de l'accord grammatical. Selon Givón (1975) la topicalisation, l'accord et la pronominalisation sont étroitement liés. Cela veut dire d'une part que l'accord grammatical n'est pas «sujet-central» mais «topique-central», comme les exemples cités viennent de l'illustrer, d'autre part que la pronominalisation et l'accord sont des phénomènes identiques dans ces phrases. Un accord «sujet-central» pourrait être illustré par:

f l'homme il est parti

tandis qu'un accord «topique-central» peut renvoyer à un objet direct
ou indirect

f ton ami, je l'ai vu

les enfants, il leur faut de l'aide, etc.

- c'est-à-dire que le choix du pronom régime direct ou indirect s'accorde
avec le complément qu'il représente.

Plusieurs études récentes ont déjà commencé à décrire le phénomène
de la topicalisation dans certaines langues, sur la base de la grammaire


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XVII. OdSV

Side 67

generative qui introduit une distinction pouvant expliquer certaines
hésitations que nous avons vues précédemment. Sauzet (1989) constate
que la topicalisation est très fréquente en occitan, p. ex. :

Joan li ai parlât
Lo libre de J., n'ai parlât.

A propos du portugais (européen), Duarte (1989) constate que les structures à topicalisation présentent un ensemble de propriétés que l'on ne trouve pas dans d'autres langues. P. ex. en français et en italien les objets directs ne peuvent pas subir la topicalisation:

f *Ce livre, je n'ai pas lu
i *Gianni, ho visto,
mais p Esso livro, o joao ja leu.

1.2. V O S.

Dans l'étude des ordres des éléments s'écartant de l'ordre de base, il
faudrait bien évidemment présenter des phrases d'ordre VOS, telles que
celle que l'on a vup en italien: Battono le ore ï mori.

Malheureusement, il n'y a que peu d'analyses à propos de l'ordre des mots et il n'y a pratiquement pas d'exemples dans les grammaires de phrases s'écartant de l'ordre canonique, par conséquent nous ne pourrons pas fournir des exemples des 9 langues.

Concernant l'espagnol, on peut se référer aux études de Green (in Harris 1988: 114). Il apparaît qu'il adopte l'approche de Venneman et de Lehmann qui considèrent la place du S comme non-signifiante, et pour lesquels c'est la séquence VO qui est fixe, les objets ne pouvant pas précéder leurs verbes:

* Elena un coche compró. SOV

L'auteur dit que l'ordre SV est probablement le plus fréquent, la phrase:

? compró E. el coche VSO

serait très curieuse, tandis que dans:

compró el coche Elena VOS

l'accent se porte sur le sujet. Green considère qu'en espagnol plusieurs
ordres pourraient être également considérés comme ordres de base,

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SVO, VSO, VOS, mais dans chacun d'eux l'ordre VO est de règle. (La
règle est identique en italien également.)

Pour le portugais, nous avons les exemples de Parkinson (Harris 1988:
157), à part les phrases OSV telles que:

a galinha, o gato comeu-a
'la poule, le chat l'a mangée'
a galinha, comeu-a o gato,

il cite:

comeu a galinha, o gato,

qui présentent l'ordre VOS.

En italien cet ordre est également possible:

Vendono i fiori le zingare di piazza L,
'les Tsiganes de la place L. vendent des fleurs'.

En français, l'ordre VOS est impossible:

* Achète le livre Pierre.

Evidemment, cela est lié, en français, à la présence obligatoire du pronom sujet. On y trouve, cependant, des phrases à V en tête, dans les propositions incises ou incidentes: 'pensai-je, demanda-t-il', etc., ou bien dans des phrases scéniques (Wagner-Pinchon 1962: 527):

passe un bourgeois.

Ce sont les cas qu'on a l'habitude de voir citer, quoique ces phrases contiennent ou bien un sujet pronominal, ou bien, et c'est ce qui est le plus important, un verbe intransitif, la structure ne correspondant donc pas à l'ordre VOS.

Bien que l'étude de ce trait puisse permettre d'approfondir l'analyse de la syntaxe des langues romanes, l'absence de descriptions détaillées nous empêche de considérer l'ordre VSO comme un trait d'une importance égale à celle que nous avons attribuée à l'ordre OSV dans notre approche.

Le facteur déterminant de la morphologie nominale des langues romanes est l'existence des deux genres grammaticaux qu'on étudiera d'abord du point de vue morphologique (déclinaison), ensuite du point de vue morphosyntaxique.

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2. Morphologie nominale.

Ce n'est qu'en roumain qu'on peut parler de déclinaison nominale proprement dite. En dehors des noms masculins et féminins, il s'y trouve un grand nombre de noms désignant une chose non-animée ou une notion abstraite qui sont masculins au singulier et féminins au pluriel - ce sont ceux qu'on appelle neutres. La déclinaison du roumain distingue deux cas, un nominatif-accusatif et un datif-génitif (il existe également un vocatif, avec des terminaisons spéciales):

N/A lupul / lupii 'le loup', 'les loups'
casa / casele 'la maison', 'les maisons'

G/D lupului / lupilor
casei / caselor

Dans les autres langues, seul le pluriel est morphologiquement marqué, soit par la suffixation de -s au radical, soit par le changement vocalique à la fin du mot, deux processus qui ne doivent pas forcément être distingués en suffixation et flexion.

hn rpvanrhp lp narariiamp rîn nrnnnm nPKnnnpi atnnp rtpm pVaip— ._. , ._ r— or —r r r _o— ment être considéré comme décliné aux cas nominatif-accusatif-datif, p. ex:

il - le - lui.

Un tableau sur les formes de pluriel ne nous paraît pas indispensable, puisqu'elles figurent dans chaque manuel. Notons cependant qu'en français moderne, en italien et en roumain l'article indéfini n'a pas de pluriel comparable à unos, unas (esp.).4

3. Problèmes d'accord.

L'obligation de faire l'accord est essentiellement liée, dans le cas qui nous intéresse, à la distinction des genres grammaticaux. Par accord on entend le processus syntaxique par lequel un signe conventionnel du genre, du nombre ou du cas du sujet, de l'objet direct, ou même, plus généralement, du topique, est présent également dans d'autres parties du discours. Il peut y avoir accord au niveau de la phrase, entre le SN et le SV, ou bien à l'intérieur du SN ou du SV. Au sein de la famille en question, dans le SN ce sont les articles, les déterminants démonstratifs et possessifs, les pronoms relatifs et les adjectifs épithètes qui disposent de formes distinctes selon le genre. Quant au SV, le verbe conjugué ne

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peut être accordé que selon le nombre; à l'exception des temps composés,où le participe passé peut porter la marque de l'accord il n'est pas possible d'accorder selon le genre, comme c'est le cas pour le prétérit en russe. Dans le prédicat verbo-nominal, l'attribut est accordé de la même façon que l'épithète dans le SN (p. ex. elle est fatiguée). Parmi les participes, seul le participe passé s'accorde, le participe présent ne se prêtant à l'accord que sous la forme d'adjectif verbal.

Etant donné que dans les langues romanes l'accord dans le SN est notoire (sauf évidemment en ce qui concerne les adjectifs épicènes), et que le système en est identique partout, il est inutile d'entrer dans les détails, il suffit de donner un exemple:

f ces belles filles

e estas chicas hermosas, etc.

Dans le SV l'accord caractérise la forme passive également, puisqu'elle se
forme à l'aide du verbe être:

f Les filles sont attendues

e Las chicas son esperadas.

Les caractéristiques énumérées jusqu'ici sont identiques dans chacune des langues. Il y a cependant une différence reliée au type d'auxiliaire dans les temps composés: certaines langues les forment avec le verbe habere (ou tenere) + participe passé invariable, d'autres utilisent aussi esse + participe accordé.


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XVIII. Aux (habere/esse) + Part

Dans les langues qui connaissent les deux auxiliaires, esse accompagne
en général les verbes intransitifs, ou les pronominaux. Mais il y a des
cas, comme en français, où le participe peut s'accorder avec le complémentd'objet


DIVL1496

XVIII. Aux (habere/esse) + Part

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DIVL1499

XIX. Participe accordé

mentd'objetdirect antéposé, malgré le fait que les verbes transitifs se
conjuguent avec habere:

Dans le SN le participe s'accorde obligatoirement, tandis que dans le SV ce n'est pas le cas, sauf en présence du V être, ou si le complément qui précède est un pronom, et en italien la règle n'est pas appliquée dans les relatives. En catalan moderne, le phénomène est déjà en voie de disparition. Il est pourtant intéressant de remarquer que dans les autres langues qui connaissent cet accord, il y a les deux auxiliaires, tandis que le catalan n'en utilise qu'un.

En ce qui concerne les règles d'accord entre SN et SV qui sont
différentes et détaillées dans nos langues, elles ne se prêtent pas à une
analyse typologique: nous en laisserons donc le détail de côté.


DIVL1499

XIX. Participe accordé

4. Marques de la personne - pronom sujet.

Précédemment, on a déjà abordé le problème de la postposition ou de l'antéposi tion des marques de personne. De ce point de vue, le français se distingue des autres langues, et non seulement pour ce qui est de la position. Dans la plupart des langues, la marque de la personne est portée par le suffixe, le pronom sujet ne faisant que compléter ce rôle, en cas de mise en relief ou d'emphase. Par contre, en français, dans le code écrit, on distingue graphiquement 5 formes sur 6, tandis que dans le code oral on n'a que trois formes acoustiques. Pour la clarté de l'énoncé, l'emploi du pronom sujet est donc obligatoire, et non seulementà l'oral mais, par contrainte grammaticale, à l'écrit aussi, même avec les formes de la première et de la deuxième personne du pluriel

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qui sont pourtant claires. Pour éviter la redondance, le français parlé
préfère d'ailleurs le pronom on + Sg/3 à la première personne du
pluriel.

Nous connaissons plusieurs explications du développement du français et des écarts qu'il présente. C'est par les contraintes de la séquence VO et de la construction à droite qu'lneichen (1984) explique l'emploi du pronom sujet. En considérant l'ancien français, le français moderne écrit et le fiançais moderne, comme des stades de développement indépendants, il illustre le changement qui conduit à la disparition de la flexion et à l'apparition du pronom sujet devant le verbe. Bossong (1981) considère qu'au stade actuel du français le pronom sujet est déjà amalgamé au verbe conjugué, comme un préfixe. D'ailleurs, c'est dans cette direction que vont les changements comparables dans les créoles à base française.

Du point de vue synchronique c'est l'existence du phénomène qui compte, non pas l'explication jusqu'ici insuffisante. En effet, c'est sans doute là que se manifeste l'influence de certains changements phonétiques sur la morphologie et sur la syntaxe que peut constater l'historien de la langue.

Plus récemment, les recherches en linguistique romane, qui cherchent à «tester avec rigueur des hypothèses sur le fonctionnement général du langage» (voir le numéro 2/1989 de la Revue des Langues Romanes, et la préface de Rouveret et de Sauzet à laquelle nous empruntons le présent survol), ont mis au jour un paramètre permettant de décrire ce phénomène, celui du sujet nul (ang. pro drop). Certaines langues admettent la présence de sujets sans réalisation phonétique dans les propositions à temps fini. Telles sont les langues romanes, sauf le français, les dialectes gallo-italiens, le franco-provençal et quelques parlers nord-occitans. Etant donné que ce paramètre est en corrélation avec d'autres traits, p. ex. le caractère non-contraint de l'inversion ou la liberté d'extraction d'un sujet interrogatif ou relatif par-dessus un complémenteur réalisé ou un autre élément interrogatif (les deux sont possibles en italien: ha telefonato G. et Chi credi che telefonerà, mais inexistantes en français), les recherches entreprises pourront enrichir, entre autres, les approches typologiques, lorsque chaque langue aura été étudiée en fonction de ce paramètre.

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5. Les marques des rapports adverbiaux.

Dans les parties précédentes, nous avons déjà évoqué la problématique des marques directes et indirectes qui caractérisent les langues accusatives. La notion de marque peut être étendue à l'expression des rapports adverbiaux, même si cela ne caractérise pas toutes les langues romanes. Du point de vue formel, il s'agit des pronoms adverbiaux provenant de inde, ibi qui peuvent remplir plusieurs fonctions et, entre autres, exprimer le partitif.

La fonction partitive est en relation étroite avec un autre trait morphologique, l'emploi de l'article. Toutes les langues romanes connaissent des articles définis et indéfinis, mais certaines distinguent un article partitif parmi les indéfinis, réservé aux noms non-nombrables. On pourrait supposer une implication selon laquelle la fonction partitive de inde n'existe que dans les langues qui connaissent les articles partitifs, c'est-à-dire en français, occitan et italien. Une explication structurale de la construction DE + article défini est donnée par Togeby (1980: 122): selon lui, seuls le français et l'italien possèdent un article fixe, tandis que la même forme en ibéro-roman peut être également un pioiiuni uïuépêiiuâiit yct. Cfuc, ci uc).


DIVL1538

XX. Art?art

Néanmoins, un pronom adverbial correspondant à cette forme et à
cette fonction existe même dans des langues qui n'utilisent pas l'article
partitif:


DIVL1541

C'est pourquoi Togeby (op. cit.) n'établit pas de rapport entre l'existencede
l'adverbe inde et l'article partitif. Selon lui ibi et inde ne se
transforment en pronoms liés au verbe que dans les langues qui


DIVL1538

XX. Art?art


DIVL1541
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connaissent un pronom neutre remontant à hoc: français, provençal, catalan, italien. C'est ce qui expliquerait l'exemple catalan ci-dessus. Il reste le sarde comme unique exception qui utilise les pronoms adverbiauxalors qu'il ne dispose pas de hoc.

Les adverbes de sens inde peuvent encore remplir d'autres fonctions
adverbiales (locales ou autres rections):


DIVL1543

XXI/l. inde

Dans des phrases à construction identique, les éléments remontant à ibi
expriment d'autres rapports adverbiaux:


DIVL1546

XXI/2. ibi

Les rapports adverbiaux qui peuvent être marqués par ce pronom sont
dans la plupart des cas locaux, mais le catalan permet également
l'emploi suivant:

c se que parles amb ell ino vull que hi parlis niés
'je sais que tu parles avec lui et je ne veux pas que tu lui -y- parles
plus1.

Pour terminer, notons que dans les langues (espagnol, portugais,
roumain) qui n'emploient pas les deux pronoms dont il est question, la


DIVL1543

XXI/l. inde


DIVL1546

XXI/2. ibi

Side 75

DIVL1549

répétition ou la reprise du complément explicité est exprimée par
d'autres pronoms, p. ex. :


DIVL1549

6. La construction «R».

Les paramètres que l'on vient d'étudier peuvent être décrits de la même manière que les ensembles G,, G2G2 précédents. Ce dernier ensemble de traits sera nommé «R», car il rassemble des traits qui ne caractérisent que les langues romanes: R: + [OSV - Participe accordé - ArtPart - ibi/inde].

Conclusions

Au cours de notre travail, les traits ont été numérotés et regroupés dans des ensembles Gp G2, etc. Dans la systématisation finale ce fait n'a pas d'importance. Afin de répondre à la question portant sur l'homogénéité de cette famille de langues, il faut préciser que les traits étudiés doivent être redistribués: à l'aide de ceux qui ont reçu un signe positif, on peut décrire le type roman primaire (TR,):


DIVL1581

On appellera type roman secondaire (TR2) les traits qui peuvent recevoir
le signe + ou -


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Le modèle que l'on vient d'établir permet également de décrire les
langues une par une. Le français p. ex. serait caractérisé par les traits
suivants:


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tandis que l'espagnol serait:


DIVL1573

La réponse finale s'offre à partir de la définition de type donnée au début de la présente étude: à l'intérieur de la description typologique élaborée, il y a un premier sous-système (TR,) dans lequel chaque langue romane a un comportement homogène; dans l'autre sous-systèrne(T


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tèrne(TR2) l'homogénéité n'est que relative. Les langues qui peuvent
être décrites par l'ensemble des deux sous-systèmes sont uniquement les
langues romanes, il existe donc un type roman.

Anna Sórés

Université ELTE de Budapest



Notes

1. L'ordre des mots dans la relative offre une conclusion intéressante, p. ex. angl. (1) thè girl that John loves (2) thè girl that loves John (cité par Mallinson et Blake 1981: 270). Dans ces phrases c'est l'ordre après le pronom relatif qui nous informe sur ce que dans (1) il s'agit du sujet et dans (2) de l'objet direct. Cf. fr. (3) la fille que Jean aime OSV (4) la fille qui aime Jean SVO. Bien que dans les langues romanes le pronom personnel ait un paradigme en genre et/ou en nombre, l'ordre des mots dans la subordonnée relative diffère. Esp. (5) la chica a quien Juan ama OSV (6) la chica que ama a Juan SVO, mais l'ordre SV reste.

2. Voir Posner (1985) qui analyse le même problème dans les dialectes piémontains, lombardins, sursilvains et dans les créoles à base française.

3. Herman (1954) a démontré dans des textes français très précoces la tendance de changement selon laquelle le verbe se déplace plus en arrière dans la phrase et que sa place, le plus souvent, est occupée par le sujet. Quant au sujet pronominal, il considère que celui-ci, en ancien français, ne sert pas à la distinction de personnes, mais d'une certaine façon il remplit la place restée vide par le déplacement du verbe. L'ordre n'était pas différent de l'actuel: l'objet nominal était postposé au verbe et l'objet pronominal antéposé. Herman explique le phénomène par des raisons prosodiques: le pronom antéposé au verbe est atone, face au caractère tonique de l'élément exprimé par le nom contenant un nouveau contenu sémantique. Cette considération est essentiellement la même que celle que nous pourrions donner à partir des théories modernes de topicalisation.

4. Ceci s'attache probablement à l'article partitif italien et français qui sera étudié sous le point 5. Dans les langues ibéro-romanes Tasmowski-De Ryck (1983) a étudié l'apparition des éléments zéro, un au pluriel, algunos, etc. qui servent à introduire des syntagmes nominaux.

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Résumé

Cet article se propose de faire la comparaison synchronique entre neuf langues romanes. La plupart des critères appliqués (ordre des mots, marques casuelles) sont empruntés à la typologie sérielle, tandis que d'autres sont des points morphosyntaxiques connus (verbes auxiliaires, en/y , etc.). La systématisation des résultats permettra des réflexions sur l'existence d'un type roman, sur l'homogénéité supposée à l'intérieur de cette famille de langues, ce qui, à ce niveau morphosyntaxique, ne s'avère justifié qu'à l'égard de l'ordre des mots.

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