Revue Romane, Bind 30 (1995) 1

Nina Catach, La ponctuation. Presses Universitaires de France 1994, Que sais-je ? n° 2818. 128 p.

Ole Kongsdal Jensen

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Voilà enfin le livre qu'on attendait depuis si longtemps et avec tant de curiosité ! Et on n'est pas déçu. Dans le nombre de pages assez restreint des Que sais-je ?, l'auteur réussit à dire l'essentiel sur un sujet passionnant, mais pendant longtemps sous-estimé par la majorité des chercheurs.

Le livre est divisé en trois parties : Histoire de la ponctuation, La ponctuation moderne et Fondements linguistiques et littéraires. Dans la première partie, l'auteur trace l'histoire de son sujet depuis les Grecs, qui se contentaient de trois signes pour signaler des frontières grammaticales de force différente, en passant par le Moyen Age et la Renaissance, qui ont vu se multiplier le nombre et la différentiation des signes, jusqu'à nos jours, où la ponctuation a atteint, en France, une complexité jusque-là inconnue. Dans les limites imposées par ce compte rendu, je ne peux mentionner que trois détails de cette histoire très riche : Le rôle joué par les grand humanistes et imprimeurs de la Renaissance, Geoffroy Tory et Estienne Dolet, ce dernier auteur du premier traité de ponctuation. Ensuite, la ponctuation extrêmement sobre du siècle classique, exemplifiée par Racine, sobriété trahie par les éditions modernes. Enfin, les analyses très modernes du mathématicien, logicien et linguiste Nicolas Beauzée, auteur de l'article Ponctuation de l'Encyclopédie de Diderot, qui a formulé le premier la règle bien connue de l'emploi de la virgule devant les propositions relatives.

Dans la deuxième partie, Nina Catach opère une catégorisation des signes de ponctuation en trois niveaux : la ponctuation du texte, supérieure à la phrase, la ponctuation de la phrase, et la ponctuation des parties du discours et du mot, inférieure à la phrase. En plus, elle attribue aux différentes sortes de signes un indicateur de « force », un signe de même figure, comme le point, par exemple, se retrouvant ' à plusieurs niveaux, avec des forces et valeurs différentes '. Ensuite, elle analyse la forme et la fonction de chaque signe, en donnant des exemples. Une fois de plus, je regrette de ne pas pouvoir donner de détails de cette analyse très compétente, qui fourmille de détails intéressants sur les

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virgules, majuscules et autres guillemets. Selon Catach, la ponctuation moderne a une fonction essentiellement syntaxique; la définition de l'Encyclopédie (« l'art d'indiquer dans l'écriture par des signes reçus, la proportion des pauses que l'on doit faire en parlant ») est aujourd'hui insuffisante. En plus, la ponctuation ' doit être appréhendée au niveau du texte, pris comme ensemble de phrases formant une « unité de sens total » ' (p. 49).

Dans la troisième partie, l'auteur fait d'abord le point des recherches sur les rapports entre l'oral et l'écrit dans le domaine de la ponctuation, notamment en ce qui concerne l'intonation. Comme on a parlé à'intonèmes, Catach propose le terme de ponctèmes, qui sont d'abord des unités suprasegmentales et syntaxiques, mais aussi des bornes. Ils « donnent à voir » les phrases, comme les blancs « donnent à voir » les mots. Selon qu'on considère la chaîne écrite en soi ou que l'on prenne en compte à la fois l'écrit et l'oral et leur l'interaction, on peut regarder le ponctème comme un idéogramme, comme un signe-phrase ou comme une unité grammaticale. Le dernier chapitre traite des aspects littéraires du sujet, entre autres des rapports entre style et ponctuation. Des recherches ont montré, par exemple, que Sartre utilisait dans Les mots un nombre abondant de deux-points, montrant peut-être son goût pour le resserrement de la pensée. Dans cinq « nouveaux » romans, Cl. Gruaz a trouvé des écarts importants dans l'emploi de la virgule (67,89% chez Cl. Simon contre 25,93% chez M. Wittig) et du point (3,68% contre 36,30% chez les mêmes deux auteurs). Catach est d'avis qu'on ne change pas la ponctuation d'un auteur, comme on le fait dans les éditions modernes de Racine par exemple, vu l'étroit rapport entre sa ponctuation, son style et sa pensée.

Dans son introduction, Nina Catach avait délimité son sujet à la ponctuationà proprement parler, c'est-à dire à ' [¡'¡ensemble des signes visuels d'organisationet de présentation accompagnant le texte écrit, intérieurs au texte et communs au manuscrit et à l'imprimé '. Elle n'a donc pas traité de la mise en page, qui joue un rôle très important pour la lecture et la présentation d'un texte, mais qui demanderait une étude à part. Ce domaine est traité, brièvement,dans un livre très intéressant de Jacques Anis, L'écriture. Théories et descriptions (De Boeck, Bruxelles 1988), qui parle aussi des signes de ponctuation,qu'il appelle topogrammes. Une étude plus exhaustive des règles d'utilisationdes signes de ponctuation que n'en donne Catach dans son Que sais-je ? se trouve dans le Traité de la ponctuation française de Jacques Drillon (Gallimard1991, 472 pages !). Or, le petit volume de Nina Catach est une introductiontrès inspirante et très concentrée du sujet - au point de présenter parfois des passages difficiles à comprendre par leur densité, tellement son exposé fourmille de détails et d'idées. On sent que l'auteur aurait pu et voulu écrire un ouvrage plus vaste sur son sujet; j'espère qu'elle en aura l'occasion prochainement,pour

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nement,pournotre plus grand plaisir et pour la « défense et illustration » de
la ponctuation.

Université de Copenhague