Revue Romane, Bind 29 (1994) 2

Hans Nilsson-Ehle (1910-1983): Varia Romanica. Eds Lars Lindvall & Olof Eriksson. Romanica Gothoburgensia XL. Acta Universitatis Gothoburgensis. Gòteborg 1991, 292 p.

Gunver Skytte

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Le grand romaniste suédois Hans Nilsson-Ehle ( 1910-1983) occupa, de 1957 à 1977, la chaire de langues romanes à l'Université de Goteborg. En hommage à sa mémoire, ses deux élèves et collègues Lars Lindvall et Olof Eriksson présentent sous le titre de Varia Romanica, dans la série Romanica Gothoburgensia, un choix de 18 articles et comptes rendus, subdivisés en deux parties: Thèmes français (p. 9-207) et Thèmes italiens (p. 209-291), écrits entre 1943 et 1973.

Les sujets sont représentatifs de l'apport scientifique de N.-E. Il avait écrit sa thèse en 1941 sur Les adverbes en -ment compléments d'un verbe en français moderne, et il continua à s'occuper des questions relatives aux adverbes français et leur sémantique, avec une prédilection pour l'approche historique, cf. Sur les adverbes en -ment qui signifient 'en qualité de', 'à titre de', p. 9-28 (publié la première fois dans Mélanges en l'honneur de Johan Melander, Uppsala 1943, p. 140-160) et Vieux français lait, laidement - une question d'histoire sémantique, p. 161-177 {Romance Philology, 1954, p. 79-90). Son autre thème préféré était celui de l'emploi des temps, comme par ex. Le conditionnel 'futur dupasse' et la périphrase devait + infinitif, p. 49-87 (Studia Neophilologica, 1943/44, p. 50-88), repris ensuite à propos de l'italien: Sur le conditionneltemps en italien, p. 257-264 [Revue Romane, 1973, p. 178-184).

N.-E. publiait d'habitude sa production en français, aussi quand celle-ci portait sur des thèmes italiens, comme par ex. la monographie Les propositions complétives juxtaposées en italien moderne, Lund, 1947. Toutefois, le recueil en question comprend également un article écrit en italien, et paru dans la revue italienne Lingua Nostra, 1953, p. 40-42: Per uno studio sintattico dell'opera del Belli (p. 235-238). Belli, le dialecte de Rome ('il romanesco') et les recherches syntaxiques des dialectes formaient les sujets centraux de ses études sur l'italien, sujets qu'il traitait avec enthousiasme. A ce propos, il faut rappeler le petit mois excellent ouvrage Voci Romanesche, Lund, 1957, élaboré en collaboration avec Pietro Belloni.

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Quatre des contributions de Varia Romanica sont des comptes rendus, «genre dans lequel Nilsson-Ehle avait atteint une rare maîtrise» (les éditeurs, p. 292). En effet, on note ici un tempérament vif et un style particulier, bien différent de celui des études linguistiques. C'est par exemple le cas du compte rendu (p. 287-291) très perspicace sur le livre de Olof Lagerkrantz Frán helvetet til paradiset. En bok om Dante och hans komedi, paru dans Sydsvenska Dagbladet Snâllposten, 8. 11. 1964.

Le lecteur de Varia Romanica se trouve en face d'un représentant éminent et remarquable de la romanistique suédoise, laquelle se distingue par sa tradition philologique et historique. Ainsi, il est symptomatique que le premier article du présent ouvrage Sur les adverbes en -ment... ait été publié dans les Mélanges en l'honneur de Johan Melander.

En ce qui concerne la méthodologie des études françaises de N.-E., on observe surtout son intérêt pour la sémantique diachronique (selon une direction d'études qui s'attache aux principes de M. Bréal), corroboré par son excellente connaissance de la littérature de toutes les époques. l'approche diachronique est un principe qu'il formule aussi à propos de la dialectologie italienne, cf. : «Quant à l'interprétation de ce si qui nous intéresse, il faut dire tout de suite qu'on n'arrive à rien de précis tant qu'on reste sur le terrain synchronique» (p. 211) et encore: «On voit que tout ce qu'on peut faire au point de vue synchronique, c'est d'énoncer des possibilités; le problème ne se résoudra évidemment qu'au moyen d'une investigation historique» (p. 212). Dans son interprétation et sa description des phénomènes linguistiques, on peut reconnaître l'influence de Ch. Bally.

Quel est l'apport essentiel de ce recueil? Celui d'adjoindre un chapitre à l'histoire de la linguistique ou celui de constituer un rappel des études linguistiques qui sont encore d'actualité? Je trouve que l'ouvrage comprend les deux aspects, bien que sa parution soit principalement justifiée par son message historique. La discussion théorique de N.-E. dans l'article Syntaxe dialectale: points de vue, p. 239-256 (Studia Neophilologica. 1956, p. 34-49) sur la définition du concept de dialecte et sur la méthode des recherches dialectales n'est désormais plus d'actualité par rapport aux recherches en cours. Et N.-E., dans ce contexte, fait une digression pour discuter les définitions du terme français patois qu'il compare avec le terme italien vernacolo, sans arriver à les différencier par rapport à la situation sociolinguistique et à la politique linguistique des deux pays. Mais ses considérations constituent néanmoins une contribution remarquable au long débat sur ce thème. Est d'un intérêt purement historique aussi l'article sur l'ordre des mots: Io la gioia la voglio adesso, p. 229-233 (Mélanges en l'honneur de Karl Michaëlsson, Gotehorg, 1952, p. 382-385), à l'époque thème exceptionnel, mais qui, désormais, fait l'objet de recherches assez minutieuses, surtout d'ordre pragmatique.

Pour la méthodologie de N.-E., je trouve assez illustratifs les articles sur le conditionnel-tempsen français et en italien, dans lesquels il traite avec beaucoup de perspicacitéle glissement fonctionnel du conditionnel-temps vers le domaine de la valeur objective exprimée par devait + infinitif (indiquant des faits qui se sont effectivement produits par la suite). On y observe le conflit que doit résoudre le linguiste entre l'envie de porter un jugement sur l'utilité des nouveautés de la langue et le souci d'objectivité: «... je me demande si véritablement le conditionnel-temps objectif constitue un apport utile à la langue» (p. 83), et plus loin: «Le linguiste, évidemment, observe et ne commande pas. Mais il lui est permis de regretter parfois la disparition

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d'une règle qui a été consacrée par une longue tradition, et qui a été - surtout -
simple et utile» (p. 83-84).

Mais en plus de l'intérêt purement historique, il y a beaucoup d'observations de N.-F. qui restent encore d'actualité, ("est surtout le cas des analyses contenues dans l'article // leva la tête - II appuya sa tête contre le mur, p. 29-48 {Moderna Sprâk, 1943, p. 7-22), écrit en suédois. Avec une profusion d'exemples N.-E. décrit l'usage différent de l'article et du pronom possessif pour indiquer les parties du corps. Il s'agit là d'un problème qui, encore aujourd'hui, ne me semble pas assez bien exposé dans les manuels de grammaire, aussi pour ce qui concerne les observations d'ordre contrastif (et il faut remarquer que cet aspect est d'une grande importance non seulement pour les différences entre le français et les langues Scandinaves, mais aussi pour celles qui existent au sein des diverses langues romanes: j'ai noté, par exemple, un usage plus fréquent du pronom possessif en français par rapport à l'italien). On peut conclure que l'étude de N.-E. constitue une exhortation à poursuivre les recherches dans ce champ.

Bien qu'il faille déplorer l'absence d'une bibliographie ou tout au moins de renseignements bibliographiques sur l'œuvre de N.-F. (les monographies de N.-E. que j'ai eu l'occasion de mentionner ci-dessus ne sont pas du tout citées par les éditeurs), on doit cependant reconnaître que l'initiative de Lars Lindvall et de Olof Eriksson est assez méritoire: l'ouvrage se présente comme un digne hommage commémoratif à l'un des grands romanistes suédois.

Université de Copenhague