Revue Romane, Bind 29 (1994) 2

S. Bernard-Griffiths et S. Michaud (éds.): Révolutions, Résurrections et Avènements. Mélanges offerts à Paul Viallaneix. Sedes, Paris 1991, 333 p.

Morten Nøjgaard

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En plus d'une bibliographie des écrits de Paul Viallaneix, ce volume d'hommage ne comporte pas moins de 35 contributions. Les éditeurs ont réussi à les grouper en six ensembles reflétant les grands thèmes de la recherche scientifique et de l'activité intellectuelle de PV: «Regards sur la Révolution», «Au seuil du XIXe siècle», «Autour de Michelet». «Destins et desseins romantiques», «Voix et visages de la modernité» et «La liberté de l'esprit». Fidèles aux préoccupations majeures de son oeuvre, les collègues, amis ei élèves de PV ont pour la plupart choisi d'explorer le mouvement des idées dans la France du XIXe siècle, avec de nombreuses excursions dans le domaine biographique et historique. Il est normal que, dans un volume offert à PV, les études sur Michelet occupent la place d'honneur. Deux belles études (de S. Bernard-Griffiths et de R. Bcllet) résument l'idée que se faisait Michelet de la Révolution, en comparant sa vision mythique à celles de Quinet (dont la pensée religieuse, sympathique, mais vague, est étudiée par C. Crossley) et de Vallès, enquête prolongée par celle de N. Roger làillade sur la dimension utopique de la pensée de Michelet. A. Petit suit l'évolution des rapports entre Michelet et Renan et L. Rétat décrit finement comment, derrière le mépris dans lequel Michelet tenait le roman, se cache une véritable hantise de la fiction romanesque.

Deux études explorent la sensibilité préromantique; il est intéressant de voir avec J. Ehrard comment le Volney des Ruines glisse avec une aisance déconcertante de la mélancolie d'un monde brisé à une exaltation rationaliste de la diffusion des lumières. A mon sens, le texte pratiquement inconnu écrit par le comte d'Espinchel en 1783 et commenté par J. Rcnwick jette une lumière neuve sur le rapport affectif de l'homme préromantique au paysage grandiose des Alpes.

Les «Deslins et desseins romantiques» groupent des études d'un intérêt divers. E. Kaplan défend la thèse de l'unité de composition des Petits poèmes en prose avec des arguments thématiques douteux; A. Zielonka et l. Guilovics n'apportent guère de nouveau sur Un cœur simple et sur l'attitude de Lukacs face à Hugo. En revanche, C. Croisille résume fort utilement le rôle de la sexualité, notamment celle de l'homosexualité, dans la Curée, et H.-P. Lund (dont l'étude est inexpliquablement rangée dans la section «Modernité») montre combien l'usage constant que fait Mallarmé de l'image du diamant se rapproche de cet autre «poète froid» qu'était Vigny; celui-ci ne paraît guère taire de différence - poétique - entre perle et diamant: qu'en est-il chez Mallarmé?

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Les études de l'avant-dernière section ne parlent guère de «modernité», mais présentent des études de qualité diverse sur des auteurs de notre siècle, parmi lesquels seul Ben Jelloun pourrait, à la rigueur, être dit représenter la modernité. D. Hadjadj analyse finement les deux romans «contés» de ce dernier. F. Lioure commente l'abandon prématuré de Valéry Larbaud de la poésie au profit de la prose, dont elle examine les qualités «poétiques», sans arriver à des résultats bien tangibles; le même flou de la description stylistique se fait d'ailleurs sentir dans l'étude de N. Wagner de YŒdipe de Voltaire. Si I. Cielens n'a pas tort de relever l'intérêt que portait Camus aux rites d'initiation, elle ne nous convainc guère de la présence, dans l'Etranger, d'un parcours complet d'initiation. H. Mino reconsidère la possible influence exercée sur la «pensée de midi» de Camus par Simone Weil: filon à explorer.

Pour terminer, je signalerai trois textes qui se situent en marge de l'ensemble, tant par leurs thèmes que par leur qualité. Dans un bel apologue, M. Serres reprend avec esprit la critique dix-huitiémesque de la civilisation, imaginant pour notre joie l'étrange déviation qu'une population polynésienne fait subir à notre sport européen préféré, le football. Dans un essai d'allure subtilement autobiographique, Th. Zeldin montre que l'esprit oxfordien n'est pas si éloigné que cela du canulard normalien. Plaidant pour le retour en force (v. le féminisme contemporain) de «mystory», il affirme que l'avenir de la science historique se trouve dans l'exploration des mystères de l'individu, plutôt que dans l'accumulation de connaissances «historiques» sur «history» ou «herstory».

Enfin, M. Milner reprend, dans un essai riche de points de vue évocateurs, son étude de la place de la superstition dans l'imaginaire du XVIIIe siècle. S'intéressant aux écrits des gens d'église sur la magie, il y discerne trois types de discours, le discours intégriste s'appuyant sur l'argument d'autorité pour affirmer l'omniprésence du diable, le discours prudentiel qui essaie de ménager une place à la rationalité face aux pouvoirs du démon, et le discours curieux, situant le fait magique dans une optique folklorique. Voici une enquête savante qui apporte vraiment du nouveau à ('«archéologie» de la complexité de l'imaginaire moderne.

Université d'Odense