Revue Romane, Bind 29 (1994) 2

W. Hirdt, R. Ban m et B. Tappert (éds.): Romanistik. Eine Bonner Erfindung I-II, Bouvier Verlag, Bonn 1993. 1227 p.

John Pedersen

Les manuels de romanistique convergent en général au moins sur un point capital: malgré les mérites d'un François Raynouard (1761-1836), dont la Grammaire comparée des langues latines garde son rôle de précurseur, le père de la philologie romane reste, sans réserve, Friedrich Diez (1794-1876). A lui l'honneur d'avoir fondé la philologie romane comme une science 'moderne' respectant les normes de la philologie classique et embrassant d'emblée le vaste champ de travail constitué par les langues médiévales de toute la Romania.

On sait dans quelle mesure cette première Romanische Philologie a été, par la suite, transformée et élargie pour représenter de nos jours un réseau d'activités linguistiques, littéraires et socio-culturelles ayant pour objet non seulement le moyen âge, mais toute époque marquée par les civilisations romanes. Il est indéniable que la romanistique moderne s'est beaucoup déplacée par rapport aux origines, qui émanaient de la rencontre entre le courant romantique et la science comparative des langues, la linguistique historique.

Justement à cause des métamorphoses intervenues, il est bon de se rappeler le point de départ situé à Bonn autour de Friedrich Diez. On ne parviendra, en effet, à aucun progrès réel en ignorant son passé. Or, aux jeunes générations de romanistes une telle prise de connaissance est offerte grâce au travail accompli sous la direction de Willi Hirdt et présenté en deux gros volumes: Romanistik. Eine Bonner Erfindung. Le titre reflète une juste fierté qu'il convient de comprendre, avant tout, comme l'acceptation d'assumer un héritage riche en éléments stimulants, un héritage qui oblige.

Trois figures centrales de ce haut lieu allemand de la philologie y sont évoquées, à savoir Diez, bien sûr, mais aussi W. Foerster (1844-1915) et Heinrich Schneegans (1863-1914). De tous les trois, le lecteur trouvera, au volume I, des biographies très détaillées et du plus grand intérêt, pour qui s'intéresse à l'histoire des sciences humaines. Pour la plupart des lecteurs, cependant, c'est sans doute le second volume qui les retiendra le plus longtemps. On y trouve, en effet, entre autres documents, un très riche choix des traductions qu'a produites Diez des sommets de la poésie romane de Dante à Tasso, de El Cid à Camées, des sonnets de Pétrarque aux romanceros espagnols. Sous une présentation bilingue, -cette partie anthologique de l'ouvrage permet au lecteur de se faire une idée juste de la finesse poétique de celui qui est resté, pour l'Histoire, avant tout un philologue érudit.

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Et c'est peut-être là un des côtés importants de cette entreprise: de rappeler à qui l'aurait oublié qu'à ses origines, la philologie romane et l'étude de la littérature allaient ensemble. Dès la prélace, riche et stimulante, les éditeurs reprennent une question dans laquelle se reconnaît tout romaniste: Romanistiic ein unmôgliches Fach? «'lmpossible' n'est pas français» selon un dicton bien connu. Peut-être faudraitil rayer du vocabulaire allemand le terme «unmoglich»? En tout cas, rendons grâce à nos collègues allemands d'avoir montré, une fois de plus, que de ces impossiblités apparentes il y a moyen de se tirer. La bonne santé de la philologie romane, version moderne, s'explique dans une large mesure par la solidité de ses origines. Nous le savons un peu mieux grâce aux deux volumes préparés avec un soin méticuleux par Willi Hirdt et ses collègues.

Université de Copenhague