Revue Romane, Bind 29 (1994) 2

Karin Baschung: Grammaires d'unification à traits et contrôle des infinitives en français. Adosa, Clermont-Ferrand, 1991. 400 p.

Finn Sørensen

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Le problème grammatical qui domine ce vaste travail fort détaillé est la question de savoir quelle est la référence du sujet logique d'un syntagme înfinitival (= une infinitivo) et surtout des infinitivos qui assument la fonction d'argument par rapport à un prédicat (verbal ou adjectival) donné. Ce problème, qui est bien connu des grammairiens, peut être illustré par les phrases suivantes:

(l).leani aime ¡manger du chocolat

(2)Jearii décide de ¡partir demain

(3)MariO| oblige Jean? à travailler

(4)Manci ordonne à Jean: de :venir

(s).leani est prêt a partir

(6)11 est important de participer à la réunion cet après-midi.

Pour chacune de ces phrases, il est légitime de se demander quel est l'objet qui est ou pourrait être la référence du su|et logique des infinitives (que j'ai mises en italique) et comment cette référence est ou n'est pas déterminée par le contexte, ce qui est indique par les index à la manière adoptée par KB.

Un index après un syntagme. i. e. Jean^ indique la référence de ce syntagme. Un index devant une infinitivo, i. e. ¡manger, indique la référence du sujet logique de Pinfinitive. l'index x signifie que la référence est indéterminée (ou inconnue). Un syntagme qui impose sa référence au sujet logique d'une infinitive est appelé un contrôleur et on dit qu'il contrôle la référence du sujet logique en question. Dans ( 1)(5).c'est donc./tv;/7 qui est contrôleur. I-II ce même mot contrôle le sujet logique dans

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chaque phrase. Dans (6), il n'y a pas de contrôleur, et donc pas de contrôle non plus.
La référence du sujet logique est indéterminée.

Kn abordant la question du contrôle des infinitives du français, Karin Baschung a
voulu:

confronter les données empiriques [... ] à deux modèles théoriques [... ]
appartenant à la famille des grammaires d'unification à traits, en l'occurrence
CÌPSCÌ [... 1 et UC(i [... ]. (KB p. 33).

GPSG veut dire (leneralised Phrase Structure Grammar, et UCG veut dire Unification
Categoria! Graminar. Ce but est poursuivi de la manière suivante.

Au chapitre I, KB présente et délimite le problème du contrôle des infinitives et son approche de ce problème (p. 15-36). Le chapitre II contient une analyse détaillée des phénomènes du contrôle en français (p. 37-102). Suit ensuite une présentation de GPSG (chapitre III) et de UCG (les deux premières sections du chapitre IV) contenant aussi une application de ces deux modèles aux problèmes du contrôle des infinitives en français. Le chapitre IV se termine par la présentation de FG (= French Granunar), une grammaire du français du type UCG qui est implémentée en Prolog et qui incorpore un traitement du contrôle des infinitives qui assument la fonction d'argument par rapport à un prédicat (verbal ou adjectival). FG a la particularité - par rapport à FDP - de traiter la sous-catégorisation des têtes lexicales comme des ensembles de valences et non des listes de valences. FDP (= French Dialogue Parser) est un analyseur du français contenant une grammaire UDG que KB présente aux p. 176-236 et qui a été élaboré comme partie intégrante du projet ESPRIT 393 ACORD, cf. Bès (éd.) 1989, p. 71-88. L'étude de KB se clôt par une conclusion (p. 293-304) et sept annexes présentant des aspects techniques des recherches faites par KB, y compris des dérivations de l'analyseur FG (p. 305-386).

Sans prétendre présenter tous les détails du travail de KB, je voudrais mentionner ce que je considère être ses hypothèses principales. Chaque prédicat (verbal ou adjectival) se voit assigner des ensembles de valences, e. g. un ensemble de valences pour chaque construction dans laquelle le prédicat peut être utilisé. Le verbe aimer aura donc deux ensembles de valences pour rendre compte de la différence entre aimer manger du chocolat et aimer le chocolat. A remarquer qu'une valence est un élément d'un ensemble de valences qui détermine une construction, usage du terme valence qui n'est pas standard - à ce que je sache. A remarquer aussi qu'un ensemble de valences couvre à la fois des arguments traditionnels (sujet, objet direct, objet indirect) et des constituants du type à Paris utilisé dans un VP du type habiter à Paris et que KB appelle des modifieurs. Parallèlement à la représentation des valences, aux signes contenant un prédicat est assignée une représentation sémantique, y compris des variables correspondant à chaque valence.

C'est à partir de ces types de représentation que KB présente des arguments en
faveur de la position suivante:

(7)a. Une infinitive est un constituant du type VP.
b. Une infinitive est associée à une propriété sémantique.
c. Le contrôle des infinitives est marqué dans le dictionnaire.

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Considérons par exemple la phrase (1). le fait que aimer se combine avec une infinitive est marqué clans un des ensembles de valences de ce signe verbal et la notation qu'utilise KB exige que l'infinitive soit un VP. La même notation permet à KB de représenter ce VP par une propriété qui contient un sujet logique accessible et de transférer la représentation du sujet de aimer à ce sujet logique de l'objet du verbe aimer. Lapproche de KB est donc très lexicaliste puisqu'elle fait intervenir le signe pour prévoir les types de constituants avec lesquels le signe peut se combiner et puisqu'elle prétend pouvoir prévoir quel est le contrôleur d'une infinitive à partir des informations contenues dans un signe, si le contrôle concerne une infinitive qui est argument d'un prédicat donné.

On peut regretter que KB ne se soit pas donné le temps de discuter la notion de valence ou d'ensemble de valences d'une manière un peu plus détaillée, puisque sa façon de concevoir le contrôle des infinitives en dépend. Il aurait été bon d'avoir une indication - même suggestive - de ce qui peut faire partie d'un ensemble de valences et en même temps de ce qui ne peut pas en faire partie. Cette discussion est absente du travail de KB, même si l'on devine ses préférences quand elle prend position en faveur d'une analyse concrète. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'il existe toute une linguistique valencielle qui s'est développée à partir de Tesnière 1959, une étude qui n'est même pas citée dans la bibliographie. KB semble par exemple vouloir faire de avec Marie un syntagme prévu des valences du verbe s'arranger dans la construction Pierre s'arrange avec Marie pour partir seul, cf. KB: 40. Cette décision n'est ni nécessaire ni évidente. Mais s'il faut l'accepter, quel est alors le principe qui l'impose?

KB semble aussi faire une distinction nette entre argument et modifieur, cf. KB: 256, par exemple entre Pierre et à Pans comme ces syntagmes sont utilisés dans Jean a vu Pierre à Paris. Mais s'il y a différence , où est-elle? Une théorie valencielle un peu détaillée aurait permis de tenter de répondre à cette question. Mais on ne la trouve pas dans le travail de KB.

Considérons ensuite les phrases suivantes:

(S) I.e devoir de mon fils, est de ,I'aire ce queje lui dis de faire

(9) Sans vouloir fuir le problème, il n'est peut-être pas déraisonnable de penser
que ce genre de phénomène relève plutôt d'une composante stylistique (KB:
271 en bas)

Pour ce qui est de (8), il est clair que mon fus est contrôleur du sujet logique de faire, et le contrôle est obligatoire puisqu'il est impossible d'imposer une autre référence. Pour KB, l'infinitive doit être contrôlée dans sa phrase-matrice et le contrôleur peut être tout argument qui ne soit pas explicitement interdit, cf. KB: 38. Mais mon fils n'est pas membre de phrase de la phrase-matrice de (8). Et il n'est surtout pas argument ni de est ni de est défaire. Mais comment peut-on donc prévoir le contrôle qui se manifeste dans (8)? Je n'ai pas pu trouver la solution du problème dans le travail de KB.

Pour ce qui est de (9). que j'ai repéré dans le livre de KB, on peut dire qu'elle est un exemple typique où l'infinitive serait associée à une référence indéterminée, cf. (6). Mais il est fort difficile d'accepter que le sujet logique des infinitives de (9) soit un objet inconnu. Le contexte impose très clairement à (9) une lecture qui fait de KB

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l'objet auquel se réfèrent ces sujets logiques. Je ne vois pas bien comment KB peut dire que la référence d'une infinitive est indéterminée s'il n'y a pas d'argument contrôleurdans la phrase-matrice, ce qui est faux en tenant compte de (8), et qu'une telle référence indéterminée peut être annulée par le contexte, ce qui est le cas dans (9).

Pour finir, je voudrais bien recommander cette étude à tous ceux qui s'intéressent aux problèmes du contrôle des infinitives et à l'implémentation dans un analyseur de ce type de problème. Elle fourmille vraiment d'informations. Que j'aie eu quelques remarques critiques à faire n'enlève rien à cette recommandation.

Ecole des Hautes Etudes Commerciales
de Copenhague

Ouvrages de référence

Bès, G. G. (éd.) 1989: ACORI) Teehnical Documentation, Laboratories de Marcoussis.