Graham Robb: La poésie de Baudelaire et la poésie française 1838-1852. Aubier, Paris, 1993. 469 p.

1838-1852, c'est la période pendant laquelle Baudelaire écrit la plupart des poèmes qui seront publiés dans la première édition des Fleurs du Mal. Graham Robb étudie tous ces textes dans «leur milieu de naissance», projet étonnamment nouveau et assez périlleux qui fait paraître «un dialogue fertile et amusant» entre la poésie de Baudelaire dans sa genèse et la poésie de son temps. Nouveau dans la mesure où l'étude remplit une lacune dont l'existence a pu sembler surprenante, périlleux parce que l'auteur entreprend une analyse des textes de Baudelaire sous tous leurs aspects, intertextualitc, formes lyriques et univers imaginaire, pour dégager les éléments originaux et ceux qui démontrent combien la poésie de Baudelaire s'inspire et profite tout à la fois des traditions vivantes.

Disons tout de suite que le livre qui résulte du travail considérable accompli par Graham Robb représente un enrichissement très important de cette histoire littéraire qui vise l'évolution des formes et le lent changement des thèmes. L'auteur met les choses au point, intégralement. Il démontre, tout d'abord, comment Baudelaire évolue dans divers milieux: la poésie romantique de Hugo, de Lamartine et de Vigny marque le tout jeune Baudelaire qui fait de cette littérature à peine dépassée une version originale (ci. «Incompatibilité»), à quoi s'ajoute, à travers la lecture de Gautier et de Banville, une forme toute personnelle, la «manière de sentir« (Salon de 1846) qui lui est propre et qui le distingue de ses prédécesseurs. Dès ses débuts comme critique dans les années 1840, Baudelaire vise le nouveau et se fait une «réputation» particulière fondée sur la lecture à haute voix de ses premiers poèmes. Ires tôt, dans un cercle d'initiés, il se fait connaître en révolutionnant la poésie en tant que telle, et ne subit pas, plus tard, l'influence, générale à cette époque, de la politique sur la poésie. Baudelaire, lui, conçoit poétiquement, non politiquement, ses poèmes; selon Graham Robb, ce n'est pas un poète politique, point de vue qui l'oppose souvent, au cours de son livre, à un Dolf Oehler.

Dans la deuxième partie, l'auteur rend compte de la manière dont les poèmes sont peu à peu mis en place dans l'ensemble des recueils poétiques projetés pour former «une œuvre distincte, possédant un sens reconnaissable. une morale» (p. 163). Des Lesbiennes, le projet des années 1845-1847, aux Limbes (1848-1852), Baudelaire passe d'une composition antithétique à une construction plus noire, plus pessimiste, qui tient compte de son «temps personnel» et du «temps historique» (p. 191). Toujours est-il que l'opposition fondamentale du recueil définitif, celle qui existe entre paradis et enfer, est présente, selon Graham Robb, dès les premières tentatives de regroupement des poèmes.

«I!art de la poésie» est le sujet de la troisième partie, où l'auteur étudie dans les détails tous les liens entre les différentes solutions formelles choisies par Baudelaire et celles utilisées par ses contemporains. Les innovations sont multiples, mais à peu près partout Graham Robb parvient à détecter quelque source ou préciser ce qui rapproche ou distingue les formes baudelairiennes de celles pratiquées par d'autres poètes ou chansonniers de l'époque. Sur ce point comme sur d'autres, l'édition de la Pléiade avait déjà fourni des indications, comme par exemple la chanson composée en trois strophes qui est à l'origine d'«llne gravure fantastique». Graham Robb détaille et enrichit ces indications, analysant la versification chez Baudelaire et ce qui la distingue d'autres poésies, relevant l'inspiration hugolienne dans «Harmonie du soir», précisant le développement de la haute littérature baudelairienne à partir de la chanson, l'utilisation de la rime riche, ainsi que l'absorption du style journalistique et des images de la modernité dans le langage et l'imaginaire poétiques.

Toutes ces lectures et analyses convainquent par leur précision et leur présentation
élaborée. Les études baudelairiennes ont fait un grand pas en avant avec ce livre.

Université de Copenhague