Revue Romane, Bind 29 (1994) 1

Wilhelm Pòtters: Negierte Implikation im Italienischen - Théorie und Beschreibung des sprachlichen Ausdrucks der Konzessivität aufder Grundlage der Prosasprache des Decameron. (Beiheft 239 zur Zeitschrift fur Romanesche Philologie), Max Niemeyer Verlag, Tübingen 1992, 175 p.

Arne-Johan Henrichsen

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Ces dernières années, le concept de concession semble avoir éveillé l'intérêt d'un nombre croissant de chercheurs s'occupant de langues différentes (voir par exemple L'expression de la concession. Actes du colloque tenu les 3 et 4 décembre 1982 par le département de linguistique de l'Université de Paris-Sorbonne, Paris 1983). Pour le français, le principal ouvrage de référence a longtemps été Johannes Klare, Entstehungund Entwicklung der konzessiven Konjunktionen im Franzosischen, Berlin 1958, mais récemment sont venus s'y ajouter deux ouvrages importants, chacun en deux

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volumes, à savoir M. -A. Morel, Etude sur les moyens grammaticaux et lexicaux propresà exprimer une concession en français contemporain, Lille 1980, et O. Soutet, La concession en français des origines au XVT siècle. Problèmes généraux. Les tours prépositionnels (vol. I) et La concession dans la phrase complexe en français des origines au XVT siècle (vol. II), Genève 1990-92. En ce qui concerne l'italien, le problème a cependant été peu étudié, comme le constate (p. 10-12) Wilhelm Potters (par la suite W. P.).

Qu'est-ce que la concession? Dans le deuxième chapitre de son livre (p. 10-48), intitulé Negierte Implikation : Die abstrakîe Struktur des Konzessiven Verhâltnisses, W. P. donne sa réponse à cette question : Konzessivitàt = negierte Implikation (p. 24). Pour lui, Implikation veut dire «eine inhaltliche Beziehung zwischen zwei Sachverhalten p und q, in der p... q nach sich zieht .... Mit anderen Worten : p bedingt, verursacht, fiihrt zu q, oderp erlaubt den Schluss auf q.» (p. 23). Sur la base de cette idée, il arrive aux définitions suivantes (p. 24), que je cite in extenso :

I Implication :


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Définition : Es ist gemàss unserer Erwartung der Fall, ûassp q impliziert.

II Negierte Implikation:


DIVL2358

Définition : Es ist wider Erwarten nicht der Fall, dass/? q impliziert
sondern trotzp erscheint ausnahmsweise NEG-<7.

Cette manière d'interpréter le concept de concession n'est pas sensationnelle - beaucoup de linguistes sont arrivés à des conclusions semblables en utilisant d'autres terminologies. Dans un petit article sur la proposition concessive en ancien occitan (Mélanges de philologie romane dédiés à la mémoire de Jean Boutière, Liège 1971, p. 295-304), j'ai souligné la distinction fondamentale entre les causales, les temporelles, les consécutives, les finales et les conditionnelles d'un côté, et les concessives de l'autre, en renvoyant à Petar Guberina, Valeur logique et valeur stylistique des propositions complexes, Zagreb 1939, que j'ai cité d'après la deuxième édition de 1954 (ni le livre de Guberina, ni mon article ne figurent d'ailleurs dans la bibliographie de W. P.). Voici quelques citations pour résumer la thèse de Guberina : «Chaque phrase subordonnée [dans la terminologie de Guberina, une phrase subordonnée est la combinaison d'une proposition principale et d'une proposition subordonnée adverbiale] se compose d'une cause et d'une conséquence» (p. 35) et «Tandis que dans les cas de la subordination, le rapport des idées était de cause à conséquence, dans les concessives le rapport est d'une cause brisée à une conséquence inattendue». Ceci veut dire que d'un point de vue logique, une concessive n'est pas vraiment une subordonnée - voilà pourquoi Guberina, à propos des propositions concessives, parle de «subordination brisée» (p. 47-49).

Etudions maintenant un peu en détail quelques aspects du livre de W. P. Comme on pourrait s'y attendre, il contient un chapitre substantiel sur les propositions concessivesproprement dites (p. 70-101). On pourrait penser que ce chapitre est peut-être superflu, étant donné que ces phrases ont déjà été étudiées à plusieurs reprises, par exemple par Magnus Ulleland dans son article Nota sulla frase concessiva in italiano (Con speciale riferimento alla prosa boccacciana) (dans Studia Neophilologica, t. 39. 1967, p. 244-60), article auquel se réfère W. P. (p. 8). Seulement, W. P. traite beaucoup

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de problèmes qui ne sont pas évoqués par Ulleland. Ainsi on trouve quelques pages sur ce que W. P. appelle concessiva implicita, c'est-à-dire des phrases où la protase présente une forme non finie du verbe et où le plus souvent le sens concessif est explicité à l'aide d'un adverbe ou d'une expression adverbiale : E avendo molte volte avuta voglia di doverle alcuna parola dire e dubitando taciutosi, pure una, preso tempo e ardire, le disse ... (V 4, 8). Intéressantes sont également les pages 97-101, portant le titre de Mehrfache Markierung. Il s'agit de phrases où, bien que la protase contienne une conjonction concessive, l'idée de concession est soulignée et renforcée à l'aide d'expressions adverbiales et pronominales, dont les plus courantes sont pur, nondimeno, tuttavia, (non) per ciò, (non) però, sì, almeno: i due fratelli, come che molta speranza non prendessono di questo, nondimeno se n'andarono a una religione di frati... (I 1, 30);.... la quale, ancora chemiserie maggiori in sé contenga, non per ciò abbia così splendida riuscita (II 4, 4). Quelquefois Boccace se sert même de deux de ces expressions pour souligner ce renforcement : II quale, quantunque molto si maravigliasse..., pur nondimeno conobbe incontanente l'odor materno (II 6, 67). Il y a même un cas curieux où l'on trouve dans l'apodose une combinaison de trois de ces expressions adverbiales après une protase avec ancora che : II monaco, ancora che da grandissimo suo piacere e diletto fosse con questa giovane occupato, pur nondimeno tuttavia sospettava (I 4, 8), ainsi commenté par W. P. : «Eine nachhaltigere Betonung der konzessiven Relation und zugleich ein noch stàrkeres - die Spannung steigerndes - Retardieren der Mitteilung des wider Erwarten eintretenden Ereignisses ist kaum denkbar.»

Un autre domaine important de la syntaxe concessive est celui que W. P. appelle Satzreihung (p. 105-26) et qu'il définit comme «die konzessive Reihung gleichrangiger Haupsatzpràdikationen». Le plus souvent la relation concessive entre deux phrases coordonnées est marquée par des connecteurs : conjonctions, adverbes, expressions pronominales. En voici quelques exemples. Dans la langue du Décaméron, le ma concessif, ou ma controaspettativo, est beaucoup utilisé : ... e acciò che egli l'amor di lei acquistar potesse, giostrava, armeggiava, faceva feste e donava, e il suo senza alcun ritegno spendeva; ma ella, non meno onesta che bella, niente di queste cose per lei fatte né di colui si curava che le faceva (V 9, 6), exemple que W. P. commente ainsi : «Die konzessive Bedeutung der gesamten ma-Verkniipfung là'sst sich mit folgender verkiirzter Paraphrase veranschaulichen : Obwohl er ail sein Vermôgen verschwendete, um ihre Liebe zu gewinnen, kummerte sie sich mitnichten darum.» Voici un autre exemple avec l'expression pronominale non per tanto : e per gli umili suoi prieghi un poco di compassione gli venne di lei; ma non per tanto rispose : Malvagia donna ...» (Vili 7, 124). Ici on remarque d'ailleurs, comme on l'a vu enee qui concerne les concessives subordonnées, que l'on peut renforcer l'idée de concession par une combinaison de marques formelles servant à exprimer la concession. Donnons enfin un exemple contenant l'adverbe concessif par excellence nondimeno :... e trovandola [= la cassa] molto leggiera assai mancò della sua speranza. Nondimeno, non essendo la buona femina in casa, la sconficcò per vedere che dentro vi fosse (II 4, 26).

Ayant brièvement revu les deux chapitres sur les propositions concessives proprementdites et sur la concession exprimée à l'aide de deux phrases coordonnées, je tiens à souligner que j'ai passé sous silence beaucoup de problèmes soulevés par W. P. Il y a, par exemple, quelques pages intéressantes (p. 51-53) sur certains verbes qui, combinés ou non avec des moyens grammaticaux (surtout ma ), sont aptes à véhiculer

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un sens concessif. En voici un exemple : In verità, lasciamo stare che ella te l'abbia in
molte cose mostrato, ma tu ti se' molto bene ammendato per li miei gastigamenti! (Ili
3,51).

Mais passons à autre chose. Quand on se penche sur les différentes études sur le concept de concession, on constate tout de suite que les chercheurs donnent un sens plus ou moins large à ce concept et que, par conséquent, les problèmes traités sont plus ou moins variés et nombreux. Certains se bornent à traiter les propositions concessives proprement dites, tandis que d'autres, comme W. P., élargissent le sujet jusqu'à comprendre des textes entiers, comme il ressort par exemple de ce qu'il dit à la page 145 : «Der Konzessivsatz stellt eine novellistische Mikrostruktur dar, und die Novelle realisiert eine konzessive Makrostruktur. Jede Novelle lâsst sich mit einem Konzessivgefüge resumieren, und jeder Konzessivsatz kann zu einer Novelle expandiert werden.» Et il continue : «Die Struktur der Novelle ist eine aus zwei Propositionen bestehende Relation, die in abstracto mit der syntaktischen Struktur des Konzessivsatzes iibereinstimmt.» Comme exemple, il allègue la célèbre nouvelle du faucon (Le Décaméron V 9) dont il dit que le contenu se laisse ramener au schéma concessif suivant: Obwohl Federigos Werben um Giovannis Huid immerzu vergeblich war, heiratet sie ihn am Ende doch. (Pour une justification de cette thèse, voir W. P., Begriffund Struktur der Novelle. Linguistische Betrachtungen zu Boccaccios «Falken», Tubingen 1991). Les citations ci-dessus sont empruntées au chapitre 9 (p. 138-153), intitulé Boccaccio concessivo : Hiérarchie eines syntaktischen Programms, et c'est dans ce chapitre que W. P. étend le concept de concession au-delà de la limite de la phrase jusqu'à l'appliquer au texte entier du Décaméron.

Comme fond de ses raisonnements, W. P. se sert, entre autres choses, de certaines réflexions dues à quelques grands maîtres de la nouvelle qui ont essayé de la caractériser. Ainsi Boccace lui-même utilise le terme fortunato avvenimento, Marguerite de Navarre parle de cas étrange, Cervantes de caso portentoso y jamás visto et Goethe de sich ereignete unerhôrte Begebenheit. W. P. est d'avis que, sous ces formulations diverses, on retrouve tout le temps, explicitement ou implicitement, un concept apte à caractériser la nature spécifique de la nouvelle, à savoir celui du hasard, comme l'a déjà souligné H. -J. Neuschâfer dans Boccaccio und der Beginn der Novelle, Miinchen 1969. Et W. P. de conclure:

Die Übereinstimmung typischer Merkmale der syntaktischen Struktur der konzessiven Relation einerseits und des narrativen Schémas andererseits lâsst sich im Begriff des Zufalls verankern. In beiden Fa'lien hat uns die Analyse der jeweils zugrunde liegenden abstrakten Strukturen zu der Définition:


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geführt. Diese Définition esteme Paraphrase des abstrakten Konzepts der
negierten Implikation.

W. P. retrouve également le schéma de la negierte Implikation dans le Proemio du Décaméron (p. 151-2), dans l'introduction à la première journée (p. 147-8) et égalementdans la structure de chacune des dix journées (p. 150). Il conclut donc : «Der Autor des Décaméron hat die strukturelle Gleichheit von Konzessivsatz und Novellentextoffenbar

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vellentextoffenbarganz und gar durchschaut und zum Programm seines Werkes
gemacht.» (p. 148).

A mon avis, le Décaméron se prête bien comme base à une vue d'ensemble sur le concept de concession à cause de la grande fréquence des expressions concessives et de leur diversité formelle. W. P. prétend que «In dem einen Werk Boccaccios finden sich in der Tat weit mehr Typen und Beispiele konzessiver Syntax, ais sich für das heutige Italienisch insgesamt, selbst mit Hilfe eines viel umfangreicheren Corpus diverser Texte, erfassen lâsst.» (p. 2-3 et n. 4). Or, comme W. P. présente seulement ses matériaux sur Boccace, on est obligé de le croire sur parole, ce que je suis d'ailleurs enclin à faire. Le Décaméron est également un excellent point de départ pour une discussion du genre de la nouvelle, tel que ce genre se présente au temps de Boccace et de ses successeurs. Ceci fait que l'ouvrage de W. P., dont le volume est assez mince, s'adresse en réalité à un public divers - ceux qui s'intéressent à la langue italienne, ceux qui s'occupent de linguistique générale et aussi ceux qui font des recherches sur la théorie des genres littéraires. On pourrait évidemment objecter que cet aspect du livre nuit à son unité, mais à mon avis il est plus important de constater que cela lui attirera un plus grand nombre de lecteurs, ajoutant ainsi considérablement à sa valeur.

Université de Bergen