Revue Romane, Bind 29 (1994) 1

Olivier Soutet : La concession dans la phrase complexe en français des origines au XVIe siècle. Publications romanes et françaises, CCI. Librairie Droz, Genève, 1992. 252 p.

Povl Skårup

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Ce volume constitue la suite du livre La concession en français des origines au XVT
siècle. Problèmes généraux. Les tours prépositionnels, paru en 1990 (voir Revue Romane
27, 1992, p. 299-301).

Il comprend trois parties. La première, Parataxe et concession, traite des cas où deux principales sont juxtaposées et où l'une a la valeur d'une concessive. Selon l'auteur, cette valeur peut lui être conférée soit par le seul subjonctif, soit par le subjonctif précédé d'un adverbe comme tant, tout, encore, ja, or, bien, soit par un subjonctif coordonné à un autre ou à non, soit enfin par l'expression avoir beau + infinitif.

La seconde partie, Relation adverbiale et concession, traite d'adverbes comme
neporquant, totevoie, cependant, si, qui expriment ou peuvent exprimer une concession.

La troisième partie, Subordination et concession, traite surtout des subordonnées concessives introduites par un mot relatif-interrogatif + que, mais aussi par des locutions comme ja soit ce que, combien que, encore que, bien que. Les hypothétiques concessives introduites par se/si ne sont pas étudiées.

C'est un ouvrage fait avec beaucoup d'intelligence mais peu de soin.

Les fautes dans les exemples cités sont très nombreuses. Dans les renvois aussi.

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La documentation laisse à désirer. Dans le chapitre sur tant + le subjonctif (sans que), ne sont cités ni le FEW sous tantus, ni le TL sous tant, ni l'article d'Ebeling (dans Festschrift Ad. Tobler, 1905). Dans le TL, l'auteur aurait pu trouver un exemple de tant fiistpou : il ne connaît cette locution qu'avec le présent du subjonctif.

La datation des exemples n'est pas toujours exacte. L'expression tant soit peu, qui «ne semble courante qu'à partir de la deuxième moitié du XVe siècle», serait pourtant attestée dès le XIIIe siècle, mais l'exemple cité (Miracles de Notre Dame) n'est pas antérieur au XVe. Ici, l'auteur fait bien de ne pas citer l'unique exemple du XIIIe siècle allégué par le FEW XIII. 1 87a, puisque celui-ci non plus n'est pas antérieur au XVe siècle (Cligés en prose).

Le chapitre sur avoir beau + infinitif suit un article de J. Orr (1957/1963). On sait que cette locution a signifié «être libre de, avoir le droit ou la possibilité de», avant d'ajouter la notion d'inefficacité qui lui a donné la valeur concessive qu'elle a en français moderne (le sens ancien existe toujours dans un proverbe comme «A beau mentir qui vient de loin»). Pour ce qui est de la syntaxe, l'auteur pense, à la suite d'Orr, que beau est en ancien français une épithète de l'infinitif substantivé, beau + l'infinitif étant le régime du verbe avoir; plus tard, beau s'est rattaché à avoir, et l'infinitif n'est plus substantivé. L'auteur ne dit pas que bien avant Orr, la même idée avait été exprimée dans le TL I 759 pour ce qui est de l'ancien français et par Kr. Sandfeld dans L'lnfinitif (1943, réimp. 1965), § 55; celui-ci parle expressément de «la métanalyse qui a fait que il a - beau faire est devenu il a beau -faire», et il cite cinq conséquences de cette métanalyse. Eauteur ne discute pas de deux faits curieux, sinon gênants pour cette interprétation de l'ancien français: (1) On ne trouve pas l'article indéfini: *il a un beau faire. (2) L'infinitif peut avoir un pronom régime placé devant avoir : «nous noz en avons biau taire» (Ph. de Beaumanoir, XIIIe siècle). C'est à partir du moment où le pronom quitte avoir pour se placer devant l'infinitif que beau ne peut plus être l'épithète de l'infinitif substantivé (à supposer qu'il l'ait jamais été), parce que le français n'a pas d'autres exemples d'un infinitif substantivé précédé d'un pronom régime. A en juger d'après les exemples cités par Orr et par l'auteur, ce déplacement a eu lieu au cours du XVe siècle; on trouve pourtant des exemples sporadiques de l'ordre ancien jusqu'au XVIIe: «Elle m'a beau prier, non, je n'en ferai rien» (Corneille, Elllusion comique, v. 468; ailleurs, Corneille place le pronom devant l'infinitif, voir des exemples dans le Littré sous beau). Lemploi de bel, non beau, devant un infinitif commençant par une voyelle continue jusqu'au XVIe siècle, mais ne peut pas servir de critère, puisque la règle moderne sur la répartition de bel et de beau n'était pas encore valable (après s'être servi de ce critère, de même d'ailleurs que Sandfeld, l'auteur a raison de prendre des réserves). A côté des deux constructions successives, l'auteur en voit une troisième dans «il sera dimenche li jors que l'en recevra son sauvèor; et cil qui demore en la haine, ne l'a mie bel recevoir» (Marques de Rome, XIIIe siècle), où il faudrait, selon l'auteur, analyser bel recevoir comme attribut de l'objet / '. Mais /' est simplement le régime de recevoir, placé devant avoir, de même que noz en et que m'dans les exemples cités. Dans «Aucuns avroyent beau leur taire» (François Garin, XVe siècle), l'auteur a sans doute raison de voir la construction moderne puisque beau est séparé de l'infinitif par leur, mais il a tort de voir dans leur le possessif substantivant l'infinitif: c'est l'homologue, employé dans le Sud-Est, de eux, qui pouvait à l'époque précéder un infinitif là où le français moderne dirait se.

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Ces faits, et bien d'autres semblables, pourraient amener le lecteur à perdre patience et à conclure que l'ouvrage ne mérite pas d'être lu et étudié. Cela serait dommage. Malgré tous ses défauts, c'est un travail intelligent, qui contribue à nos connaissances de l'expression de la concession en français ancien et moyen.

Université de Ârhus