Revue Romane, Bind 29 (1994) 1Robert Martin : Pour une logique du sens. (2e édition revue et augmentée.) Linguistique Presses Universitaires de France, Paris, 1992. 319 p.Henning Nølke Side 134
Rares sont les linguistes qui se voient sollicités pour republier leurs travaux majeurs. Avec la parution de la deuxième édition revue et augmentée de son Pour une logique du sens, Robert Martin entre à ce club des illustres. Eauteur a profité de cette occasion unique pour tenir compte de l'évolution qu'a connue la sémantique depuis 1983, date de la première édition (dont j'ai déjà eu le plaisir de faire un compte rendu dans la Revue Romane 19,2, 1984 : 328-332). La deuxième édition contient, en effet, notamment une mise à jour de l'appareil théorique. Profitant de l'élaboration de sa propre théorie, telle qu'il l'a présentée dans son œuvre Langage et croyance (datant de 1987 ; voir le compte rendu dans Revue Romane 23,2, 1988 : 283-287), Martin a réécrit le premier chapitre qui expose les notions fondamentales. Le résultat en est que le cadre des études présentées dans les autres chapitres, qui n'ont été soumises qu'à quelques rares modifications pour le fond, est devenu encore plus homogène : les analyses y ont gagné en clarté. On peut cependant regretter que Martin n'ait pas allégé en même temps son emploi des symboles. Malgré son affirmation (nouvelle par rapport à la première version) selon laquelle son travail est sans prétentions formalisantés,le Side 135
santés,lelivre contient toujours une multiplicité de symboles qui - me semble-t-il - rendent la lecture de certains passages (par exemple p. 75-87) inutilement difficile. Mais ce petit soupir ne doit pas cacher le fait que bon nombre d'analyses ont été affinées. Martin a, en effet, bien tenu compte non seulement des critiques qui ont été avancées à propos de la première édition, mais aussi des acquis théoriques et des découvertes empiriques de la décennie qui sépare les deux versions. Parfois cela a mené à des modifications assez importantes comme c'est le cas pour la première partie du chapitre portant sur le «Sémantisme flou», qui a été entièrement remanié (notamment les remarques nouvelles sur le non-dit me paraissent constituer une amélioration certaine), et parfois de toutes petites révisions ont suffi pour améliorer considérablement le texte, ce qui est vrai, par exemple, de l'explication proposée du subjonctif que l'on trouve après le fait que (p. 131). La deuxième édition de Pour une logique du sens s'est vu complétée par un dernier chapitre, entièrement neuf, intitulé «De la vérité d'univers à des vérités paradoxales». Ce chapitre traite de l'ironie et du «paradoxe de la fiction narrative» (que Martin formule ainsi : «les affirmations qui sont faites dans la fiction sont, comme toutes les affirmations, données pour vraies ; or nous savons qu'elles ne correspondent à rien ; et pourtant nous n'avons pas le sentiment d'être trompés», p. 275). Martin voit les deux phénomènes comme des occurrences de ce qu'il appelle une «vérité paradoxale» résultant d'une réinterprétation véridictionnelle. Cette réinterprétation joue dans les deux cas sur les images d'univers : les affirmations impliquées sont faites dans des univers autres que celui du locuteur. Selon la nature de ces univers on obtiendra différents effets. Bien que l'on doive avouer que les explications proposées par Martin restent plutôt à l'état d'ébauche, elles sont suffisamment bien présentées et soutenues par des arguments pour paraître prometteuses. Encore une fois, ce fait s'explique par le talent incontestable dont fait preuve Martin, dans ses analyses minutieuses des faits linguistiques qui fournissent toujours un bilan très utile du domaine étudié. Dans son aperçu rapide d'autres théories de l'ironie et du fictionalisme, il montre bien quels sont les problèmes que celles-ci suscitent. On aura envie de poursuivre dans la voie indiquée par l'auteur. Dix ans après, Martin a très peu changé sa conclusion, et pour cause : la matière évoquée est toujours «ondoyante et diverse», la réflexion sémantique n'a pas cessé de se trouver «dans une phase de si vive effervescence qu'il faudrait amender incessamment ce que l'on écrit», et il reste vrai que la matière à laquelle ce livre touche est «trop vaste pour être traitée avec tout le détail qu'il faudrait» (p. 292-294). Je pense pouvoir répéter, moi aussi, ma conclusion de 1984 : «Je peux recommander chaleureusement Pour une logique du sens à toute personne qui s'intéresse à la langue française, ou bien à la sémantique en générale ; en effet, pour le sémanticien professionnel, cette nouvelle œuvre de Robert Martin est un «must»». Et je garde même l'adjectif «nouvelle», car le rajeunissement de l'œuvre est complet : tenant compte de la «vive effervescence» qu'a connue la sémantique cette dernière décennie, elle représente bien la pensée actuelle de Robert Martin. Ecole des Hautes
Etudes Commerciales de Ârhus
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