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Revue Romane, Bind 28 (1993) 2Matériaux pour l'étude de l'alternance de / d'entreAnnick Englebert Vous êtes cinq (...). En dehors de Florentin et, partiellement, de M. Bodart, chacun d'entre vous ignorait l'existence des autres... (...) Il se fait que Joséphine Papet est morte et que l'un d'entre vous l'a tuée... (...) chacun de vous, sauf un, prétend n'avoir pas mis les pieds dans l'appartement mercredi entre trois et quatre heures... Or, aucun de vous n'a d'alibi. (Simenon, L'ami
d'enfance de Maigret, p. 130-131) Ces quelques
phrases de Simenon témoignent d'une curieuse alternance,
dans un La grammaire traditionnelle ne relève pas ce doublet. Si Grevisse, (1975) répertorie bien l'alternance qui nous occupe ici, ce qui donne à penser que la bizarrerie a attiré son attention, il est à noter qu'il renvoie en fait au chapitre des «Règles particulières d'accord du verbe» (§ 806) et que ce qui l'intéresse en l'occurrence est la présence d'un pronom nous ou vous sous la dépendance de pronoms indéfinis en position de sujet, ainsi que la répercussion de cette présence sur l'accord du verbe : les phrases (la) La plupart
d'entre nous étaient trouvés trop légers. (lb) Et la
plupart de nous meurt sans l'avoir trouvé. (1975, p.
826) sont ainsi
opposées à une phrase comme (2) La plupart de
nous n'étions que des enfants, (ibid.) Grevisse
n'accorde aucun commentaire à l'alternance de/ d'entre,
qu'il ne signale Aucune autre grammaire traditionnelle ne signale, à notre connaissance, cette double construction. Les dictionnaires, qui reflètent le plus souvent, quoique en différé, l'opinion de la grammaire traditionnelle, ne font ici preuve ni d'originalité ni d'initiative. Alors que, dans le Petit Robert (1977) par exemple, d'après se voit abordé dans un paragraphe particulier sous l'entrée après, rien de tel n'est proposé pour d'entre, ni sous de, ni sous entre : les dictionnaires gardent sur ce point le silence le plus absolu et le plus unanime. Einvestigation des ouvrages de linguistique ou de grammaire plus spécialisés n'est pas plus fructueuse. Damourette et Pichón (1911) semblent, eux aussi, mais cette fois c'est plus surprenant, être passés à côté de cette double construction sans la relever comme interessante. Dans le chapitre de leur magistral E^ai consacré aux prépositions(plus Side 288
tions(plusparticulièrement § 3023), s'ils constatent que deux prépositions peuvent se cumuler, s'ils vont jusqu'à citer deux occurrences de d'entre, ils ne les distinguent pas, ni dans leurs classements, ni dans leurs commentaires, des de chez et autres d'avec. Le tour ne semble pas davantage avoir attiré leur attention à un autre endroit de leur Essai. L'alternance relevée ici mettant en jeu deux éléments prépositionnels, de et entre, on peut supposer qu'elle a attiré l'attention de ceux des linguistes qui se sont intéressés en détail à la catégorie de la préposition. Mais De Boer (1926) ignore ce doublet; Brondal (1950 & 1972) n'en dit mot; Pottier (1962) ne semble pas davantage la relever. Il en va de même dans les études les plus récentes, telles celles de Vandeloise (1986 e.a.) qui, pour aborder les prépositions sous un angle nouveau, ne livre d'informations ni sur de ni sur entre, ni a fortiori sur d'entre. En outre, aucune bibliographie, si récente et si détaillée soit-elle, ne rapporte l'existence de monographies consacrées à cette double construction, et ce en dépit de la mode linguistique qui a fait se multiplier les études sur DE. De toute notre recherche bibliographique ne ressortent que trois noms : Gougenheim (1938), Spang- Hanssen (1963) et Milner (1978), qui ont, en des circonstances diverses, au moins souligné l'existence du doublet de /d'entre. Partant d'une
remarque faite par Gougenheim (1938), Spang-Hanssen
(1963, p. D'entre est
de rigueur devant eux et elles, et il est fréquent
devant nous et mais pour attirer
l'attention sur la conclusion suivante : Cela s'explique
probablement par un souci d'euphonie. (1963, p. 28)
II est évident qu'en linguiste on ne saurait se contenter d'une telle conclusion, et si Spang-Hanssen a au moins le mérite de signaler le doublet et d'assortir sa remarque d'un commentaire statistique, il faut reconnaître que son ouvrage apporte principalement à notre propos une autre série d'exemples, s'ajoutant à ceux déjà livrés, quoique malgré lui, par Grevisse (1975). Le commentaire de
Milner (1978) se fait en des termes plus techniques -
nous le De même que
lequel, les pronoms toniques lui, elle, eux, nous, vous
ont le Side 289
On peut se demander si les expressions parallèles : l'un d'entre eux, lequel d'entre eux, etc., qui sont d'un emploi beaucoup plus large, ne constituent pas une variante de tours quantitatifs, normaux. Dans ce cas, la différence d'entre / de devrait être négligée et l'on devrait conclure que les pronoms toniques sont librement utilisés. Mais même si l'on n'admet pas cela, les quelques exemples cités précédemment suffisent à établir qu'au moins dans certains cas, l'emploi est possible pour les partitifs; il ne l'est jamais pour les quantitatifs. (1978, p. 82-83) Ce commentaire de Milner est incontestablement plus riche que les précédents. Redéveloppons son raisonnement, qui nous est livré dans une expression condensée. En dehors de spécificités terminologiques qui ne nous retiendront pas directement à ce stade-ci de nos investigations (par exemple, l'opposition partitif >< quantitatif, qui sera reprise plus loin), nous y trouvons trois types d'informations : - une
constatation : le seul de est rare dans certaines
circonstances et s'y - des contraintes
: cette variation ne se rencontre que (a) dans des
constructions - une hypothèse.
La constatation
que fait Milner est le seul élément que nous partageons
jusqu'ici. Les 1.2. L'élément en position 1. 1. Les contraintesDe même que
Milner, commençons par poser les limites de notre objet
et demandons-nous Les constructions
devant lesquelles nous nous trouvons se décomposent
nécessairement - 1) un élément
en position 1 qui, d'après Milner, marque d'une manière
- 2) un élément
en position 2, de type prépositionnel, de forme
variable, et sur - 3) un élément
en position 3, participant, toujours d'après Milner, de
la classe Nous allons envisager distinctement les classes des éléments 1 et 3 pour en donner une description détaillée, avant de nous interroger sur le statut de la variation de I d'entre (variation libre? concurrence? opposition?). Plus précisément, nous examinerons d'abord l'élément 3 et ensuite l'élément 1, choix qui repose sur les constatations suivantes : Side 290
- 1) la classe à
laquelle appartiennent les éléments 1 pose des problèmes
de - 2) le choix,
pour l'élément 2, de l'une de ses deux formes semble lui
aussi lié Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, une mise au point s'impose. Les constructions du français contemporain utilisant le seul de sont innombrables, même à ne considérer que les emplois de ce mot devant un élément nominal, et en faire un relevé systématique serait un travail peu en rapport avec les ambitions de la présente étude. En revanche, la combinaison d'entre est d'une fréquence nettement moindre, et un relevé, même exhaustif, apparaît comme directement révélateur de ses emplois. Pour des questions méthodologiques, nous avons donc retenu comme point de départ de l'analyse les conditions d'emploi de la combinaison d'entre1 et ensuite recherché parmi les multiples constructions en de seul2 s'il existait des structures équivalant à celles qui attestent d'entre. 1.1. L'élément en position 3.Milner,
rappelons-le, note (1978, p. 82) que l'élément 3 est un
pronom, personnel, 1.1.1. Il est utile ici d'apporter quelques précisions. Tout d'abord, il est vrai que le simple de introduit très rarement un pronom personnel, que ce soit de manière générale (statistiquement, de introduit nettement moins de pronoms que de noms) ou particulière (par exemple, un même élément peut régir «de + nom» et ne pas régir «de + pronom» : le livre de Pierre >< * le livre de moi). Ensuite, il est tout aussi vrai que d'entre introduit dans la plupart des cas un pronom personnel : notre corpus, constitué de 936 occurrences de cette combinaison, l'atteste 898 fois devant un pronom (soit dans 96% des cas) et 38 fois devant un élément nominal stricto sensu. Ceci n'empêche pas
toutefois que l'on peut rencontrer d'entre devant le
substantif : (3) trois bandits
sortent d'entre les broussailles (Diderot, Jaques le
fataliste, p. (4) ie plus âgé
d'entre les professeurs ( Arland, L ordre, p. 388)
ou de devant le
pronom personnel : (5) je ne sais
qui de nous deux cette conversation oppressait davantage
(Gide, La contrainte
signalée par Milner ne se conçoit donc qu'en termes de
tendance : les 1.1.2. Parmi
les pronoms personnels, Milner (1978, p. 82) cite lui,
elle, eux, nous, vous, Ici encore, il est utile d'apporter quelques précisions. D'une manière générale, de peut introduire indifféremment tout pronom personnel tonique : moi, toi, lui, elle, nous, vous, eux, elles. En revanche, d'entre ne peut introduire de pronom personnel que pluriel : Side 291
(6) (...) il est
bien rare qu'un d'entre nous ait le toupet de son
originalité (Proust, (7) (...) il y en
a un d'entre vous au moins qui a des chances d'y laisser
sa tête. (8) De beaucoup
d'entre eux)t me souciais. (Proust, Recherche, I, p.
311) (9) (...) et je
me suis entretenu (...) avec un certain nombre d'entre
elles Cette contrainte
sur le nombre reste valable lorsque d'entre introduit un
autre élément, (10) La bête
(...) a bondi d'entre les bruyères. (Giono, Colline, p.
138) pronom
démonstratif : (11) (...) lequel
d'entre ceux que nous honorons comme nos pères dans la
foi n'a ou pronom
possessif : (12) (...) ce que
vous ferez au plus petit d'entre les miens... {L'univers
économique En d'autres
termes, la variation de / d'entre ne se trouvera
réalisée que devant des 1.1.3.
Envisageons ces pronoms et leurs fréquences relatives
dans le corpus constitué. - 149 occurrences
du pronom nous, - 38 occurrences
du pronom vous, - 711
occurrences des pronoms de la 3e3e personne, dont
Ces chiffres appellent la prudence. Le corpus sur lequel nous travaillons ne comporte qu'un nombre réduit d'occurrences de d'entre issues de textes littéraires,3 les plus susceptibles de mettre en jeu les personnes 1 et 2. Il importe donc de relativiser l'importance des chiffres et de considérer comme surtout significatif l'ordre de fréquence, dans ces constructions, des pronoms : 1) eux, 2) elles, 3) nous, 4) vous. Le Dictionnaire des fréquences, établi à partir de textes français des XIXe et XXe siècles, donne comme ordre pour ces mêmes pronoms : 1) vous (30e rang), 2) nous (34e rang), 3) elles (127e rang), 4) eux (197e rang), c'est-à-dire un ordre de fréquence inverse par rapport à celui que fait apparaître notre corpus. Ce dernier étant essentiellement constitué d'occurrences de la variante d'entre de notre double construction, on peut attribuer à cette variante l'inversion de l'ordre de fréquence. Il conviendra de
s'interroger plus tard sur cette corrélation. Notons
d'ores et déjà Side 292
D'entre est
de rigueur devant eux et elles et il est fréquent devant
nous et Reprenons le point de vue de Milner ( 1978). Le linguiste français relève que les éléments que l'on rencontre dans cette première position marquent la quantité et ne cite que des constructions dans lesquelles ces éléments 1 sont des pronoms indéfinis (l'un) ou interrogatifs (qui, lequel). 1.2.1. Notre
corpus présente une situation nettement plus
diversifiée. Les éléments 1 de type nominal - au sens large du mot - sont les plus nombreux. Un premier groupe est constitué par les «indéfinis» (conservons ici cette terminologie traditionnelle); ils sont les mieux représentés dans notre corpus, en nombre comme en diversité. Ces indéfinis sont le plus souvent des «pronoms» (ils ont une forme équivalente dans la catégorie de l'adjectif) : aucun (34),4 cerîain(s) (121), chacun (48), l'un (80), l'un ou l'autre (1), l'un ou plusieurs (1), maint (6), nul (16), plus d'un (1), plusieurs (29), quelqu'un Iquelques -uns (32), tel (7), tel ou tel (5) : (13) II est
facile de définir l'un quelconque d'entre eux (Les
grands courants de la (14) (...) ce
qui, dans tel ou tel d'entre eux, a trait à la théologie
solaire (Philosophie (15) II arrivait
même que quelqu'un d'entre nous, pris d'insolation,
s'écroulât (16) (...)plus
d'un d'entre nous baissa le nez (ibid. p. 55) (17) (...) il
n'est guère de maladie ou de syndrome dont on se risque
à affirmer Parmi eux, il y a
aussi ceux que la tradition appelle des «adverbes»
indéfinis : beaucoup (18) beaucoup d'entre
nous ont l'air de penser...(d'après Grevisse 1975, p.
826) (19) combien
d'entre eux portaient sous leurs vêtements une croix de
grâce, une (20)pas mal d'entre
eux ne voteraient pas. (Aragon, Les beaux quartiers, p.
92) (2\)peu
d'entre elles ont eu les crédits nécessaires.
(L'Histoire et ses méthodes, p. (22)Nos grands
auteurs du XVIIe et du XVIIIe siècle ont été, pour bien
d'entre Side 293
Un deuxième
groupe est constitué par des éléments de type nominal :
la plupart (68), (23) (...) par un
petit groupe d'entre eux qui fondait l'académie de
peinture et de (24)(...) une partie
d'entre elles se perd en route (Larousse ménager, p.
317) (25) nombre
d'entre elles doivent s'appuyer soit sur des mécènes,
soit sur une (26) (...) le
plus grand nombre d'entre eux n'ont qu'à se soucier que
d'une part (27) (...) il
envisage l'enrichissement d'environ 800 000 hectares
d'entre elles (La Tous ces noms
évoquent, plus ou moins directement selon les cas, la
mesure ou la Une troisième
série réunit des éléments apportant des informations
numériques. (28) (...) sept
d'entre eux sont édités en dehors de l'ltalie
continentale (La Civilisation (29) sept ou huit
d'entre eux semblaient avoir atteint notre carrefour
(Abellio, (30) une seule
d'entre elles lui plaisait (Ariana, L'ordre, p. 212)
Ce sont aussi des
substantifs indiquant tantôt des fractions (2), tantôt
des collections (31) Cela voulait
dire que les trois quarts d'entre nous tomberaient
(Arland, (32) (...) des
milliers d'entre nous allaient, misérablement vêtus
(Ambrière, Les (33) Ravaut a
montré tout d'abord l'existence, chez les deux tiers
d'entre eux, Une quatrième
série réunit des constructions superlatives du type
le(s) + adjectif (34) (...) nous
voici parvenu au plus immatériel d'entre eux (Arts et
littérature..., p. (35) Wolker, l'un
des plus doués d'entre eux (ibid. p. 5006) Side 294
(36) Au fond du
plus dur, du plus grossier, du plus brutal et du plus
morne d'entre (37) les
meilleurs d'entre eux étaient appuyés sur des bases et
un public si stables Les pronoms
démonstratifs, singuliers (9) et pluriels (51),
constituent un cinquième (38) Lando est
peut-être celui d'entre nous qui s'est le plus soumis.
(Abellio, (39) (...) ceux
d'entre eux que je déteste, c'est qu'ils s'y sont
refusés (Arland, et les pronoms
«interrogatifs» (18) une sixième et dernière série :
(39)(...) pour
savoir auquel d'entre eux la robe du Christ tomberait en
partage (40) Mon Dieu,
lequel d'entre nous n'en souhaiterait une autre!
(Bernanos, Monsieur (41) (...) vous
ressemblez à n'importe lequel d'entre nous autres
(Bernanos, Journal (42) qui d'entre
nous rêve de forcer les portes du royaume mystique
(Bataille, 1.2.2. Ces six groupes sont constitués d'éléments (pro)nominaux qui peuvent régir un complément en d'entre. Même si certains diffèrent de ceux donnés explicitement par Milner, on peut considérer qu'ils ont en commun de donner des informations quantitatives et donc qu'ils sont conformes à la contrainte formulée par le linguiste français. Pourtant notre corpus illustre encore d'autres types d'éléments fonctionnant en position 1 dans les constructions qui nous intéressent.' Ce sont d'une part des verbes porteurs des sèmes de séparation, origine, etc., sèmes parfois explicités par des préfixes (dé-, dis-, é-): bouger, déborder, discerner, s'élever, jaillir, se lever, monter, ressusciter, sortir, surgir, tirer, trier : (43) Mais les
prêtres et les moines sont sortis d'entre les pavés.
(Alain, Propos, p. (44) (...) triant
les poussins vivants d'entre les morts, elles les mit
dans un pan de (45) (...)
beaucoup de révoltés, si aisés à discerner d'entre les
franches canailles (46) II eût voulu
s'y terrer, ne plus bouger d'entre ses deux femmes
(Barres, La et d'autre part
des noms déverbaux porteurs des mêmes sèmes: Side 295
(47) (...) qu'il
y ait donc une église, telle est la force inconcevable
de sa divinité, (48) (...) la
dernière étape de sa lente et presque méthodique
séparation d'entre auxquels s'ajoute
le verbe être : (49) (...) une
grande femme «quine semble point être d'entre les
mortels» (Béguin, Pour tous ces éléments, on ne peut plus proprement parler de quantité; pourtant on peut se demander si les notions d'extraction, de sélection qu'ils impliquent n'ont pas quelque rapport avec celle de quantité. Nous reviendrons sur cette question plus loin, une fois dépassée cette étape descriptive. Signalons dès ici une autre particularité des exemples qui viennent d'être cités : d'entre y introduit toujours un nom. Ils échappent donc doublement aux contraintes formulées par Milner. Il y aura lieu de voir quelles informations ils peuvent apporter à notre analyse. 2. InterprétationNotre description vient de mettre en évidence le fait que le choix de d'entre plutôt que de de seul ou inversement n'a rien de mécanique. Les premiers exemples cités (l'extrait du roman de Simenon qui ouvre notre étude) auraient déjà suffi à montrer que l'alternance d'entre / de est libre. A cette constatation, notre description apporte quelques restrictions : - L'alternance n'est pas partout également libre : en effet si, dans la plupart des cas, d'entre peut céder sa place à de seul, en revanche de seul ne peut être remplacé par d'entre que dans un nombre relativement restreint de circonstances; autrement dit, d'entre concurrence de. - Le domaine dans lequel l'alternance s'exerce librement, pour être restreint, n'en est pas moins flou; il ne se définit, distributionnellement, qu'en termes de tendance : un environnement du type régissant quantitatif - régi pronom personnel pluriel favorise la concurrence de de par d'entre et donc l'alternance libre; la seule contrainte soulignée, et dont il faudra tenir compte, est que l'élément régi doit être de forme plurielle pour que de puisse céder le pas à d'entre. 2.1. Aucun
automatisme distributionnel donc. Dans cette
circonstance, il convient de Rappelons à ce
propos l'hypothèse qu'a formulée Milner : On peut se
demander si les expressions parallèles : l'un d'entre
eux, lequel Side 296
Avant de la
tester, il est utile d'expliciter ce que le linguiste
français appelle «tours quantitatif =
deux livres, certains livres à quoi Milner
ajoute, toujours pour distinguer les quantitatifs d'avec
les partitifs, que, La dernière remarque de Milner est très importante pour notre propos. Nous avons vu que, dans la grande majorité des cas, le nom régi de nos constructions a la forme d'un pronom et échappe ainsi aux mécanismes habituels de détermination nominale. Mais les réels substantifs ne sont pas exclus, et en l'occurrence, nous constatons que de tels substantifs sont obligatoirement déterminés : (50) J'ai
entendu, fin août, le présentateur du journal télévisé
féliciter ceux d'entre (51) Les plus
distingués d'entre nos critiques (M. Aymé, d'après
Spang-Hanssen (52) Et pourtant
combien d'entre ces hommes n'ont pas eu votre part! (R.
Martin de même que les
«pronoms» possessifs : (53) (...) ce que
tu n'aurais jamais fait pour aucun d'entre les tiens
(Gide, La (54) (...) ce que
vous ferez au plus petit d'entre les miens (Univers
économique et et ce,
indépendamment de la nature de l'élément de relation.
Cet état de
choses suffit pour rejeter l'hypothèse de Milner et pour
préférer l'interprétation 2.2. Adoptons
un autre point de vue et considérons les commentaires
engendrés non Spang-Hanssen
(1963, p. 28) fait une suggestion, reprise à Gougenheim
(1938), II semble que
d'entre insiste sur l'extraction d'une collectivité.
On ne saurait se satisfaire de cette interprétation. La notion d'extraction peut être véhiculée par le seul de, et on voit mal pourquoi l'union de ce mot à la préposition entre, qui ne marque pas proprement l'extraction, viendrait confirmer cette notion. Il convient de s'interroger d'abord sur les valeurs fondamentales distinctes de de et Side 297
d'entre.
Sur ce point, nous pouvons nous référer aux analyses que
donne Pottier - de, selon Pottier, marque la partition, l'extraction, le point de départ (1962, p. 208); sa valeur fondamentale est un «mouvement d'éloignement d'une limite avec contact initial envisagé» (1962, p. 207). Moignet (1975) confirme cette analyse et propose pour désigner la valeur fondamentale de de l'étiquette de détermination employée étymologiquement : de marque une «limite à partir de», analyse dont nous avons montré toute la pertinence dans Englebert (1992) - entre marque, selon Pottier toujours, une «situation à l'intérieur de deux limites» (1962, p. 219). Le linguiste français précise que ces deux limites sont «expressément signalées» (1962, p. 219), parce qu'il a en vue des exemples du type entre midi et deux heures; cette précision rend sa définition inapplicable aux occurrences de ce mot dans les exemples qui nous ont occupés jusqu'ici, aussi ne retiendrons-nous que la première partie de sa définition, qui revient à dire que entre marque la répartition. 2.3. Ces
analyses, même élémentaires, nous permettent d'aboutir à
une hypothèse qui Les pronoms personnels français, à l'exception de elles qui marque l'imperfection du système, forment leur pluriel différemment des noms. Ils disposent en effet d'un signe spécifique au pluriel (par exemple nous), distinct de celui du singulier (par exemple je, mais : elle ¡elles), alors que les noms usent d'un même signe, tantôt non marqué au singulier (pomme), tantôt marqué au pluriel (pommes), pour opposer ces deux nombres. Autrement dit, le pluriel des pronoms personnels est sur le plan sémiologique moins directement décomposable que celui des noms (pommes = pomme + S). Pour les décomposer, il convient, c'est notre hypothèse, d'introduire préalablement une répartition dans ces pluriels «compacts», ce que marquerait entre. D'autre part, la
particularité sémiologique des pronoms personnels
correspond, au Selon l'analyse guillaumienne,9 les pronoms nous et vous marquent des rapports interpersonnels, entre je et tu / il pour nous, entre tu et il pour vous; ces pronoms sont donc sémantiquement décomposables en personnes différentes. En revanche, eux et elles indiquent la multiplication d'une seule et même personne, en quoi ils sont proches de noms. En combinant ces
constatations sémantiques à celles, sémiologiques,
faites plus - nous signe :
homogène - vous signe :
homogène - eux signe :
homogène - elles signe :
hétérogène Side 298
En tenant compte
de ces données et de notre hypothèse, nous pouvons
interpréter la 1: eux 2: elles
3: nous 4: vous (rappelons que
dans la langue française ils ont comme rang de fréquence
: 1 : vous - 2 :
nous - 3 : elles - 4 : eux) Le pronom eux serait le plus fréquemment précédé de la combinaison d'entre parce qu'il est homogène sémiologiquement et sémantiquement : la répartition par entre s'impose avant la partition par de. Les trois autres pronoms sont au moins décomposables soit sémiologiquement (elles), soit sémantiquement (vous, nous), ce qui justifierait leur fréquence nettement inférieure à celle du pronom eia (518 occurrences de eia dans notre corpus et 380 occurrences pour l'ensemble des trois autres pronoms). 2.4. Notre
hypothèse permet d'interpréter d'autres informations
livrées par le corpus. Parmi les «indéfinis» que nous avons relevés, régissant la combinaison d'entre, nous ne dénombrons que peu de négatifs.10 Ces derniers tendent en effet à construire leur complément partitif plutôt avec le seul de. En fait la partition négative a ceci de particulier qu'elle n'est suivie d'aucun prélèvement sur l'ensemble partagé; il deviendrait dès lors inutile d'assurer l'efficacité du mécanisme d'extraction (de) par l'introduction d'une répartition (entre) dans l'entité signifiée par le pronom personnel. En revanche, la partition est suivie d'un prélèvement effectif avec la plupart des autres éléments effectivement répertoriés en position 1 («indéfinis», numériques,...), d'où la nécessicité de la rendre opératoire. 2.5. La rareté de la combinaison d'entre lorsque l'élément 3 est un nom s'explique encore par le fait que le pluriel de la grande majorité de ceux-ci est décomposable, dans la majeure partie des cas, sémiologiquement (pommes = pomme + s) et sémantiquement (pommes = «pomme» + «pomme» + ... mais cisailles = ?u), aussi la partition peut-elle s'y opérer à l'aide de l'élément minimal, le seul de. Notre hypohèse rendrait donc à la fois compte de la grande fréquence de la combinaison d'entre devant les pronoms personnels, sémiologiquement compacts, et de la faible fréquence de cette formuie devant ies éléments proprement nominaux, sémiülogiquement décomposables. Eusage
occasionnel de d'entre, par préférence au seul de,
devant les noms pluriels (55a) le plus âgé
d'entre les professeurs nous dit
peut-être autre chose que (55b) le plus âgé
des professeurs Peut-être les
analyses de la grammaire cognitive offrent-elles des
perspectives de Eobjectivité
absolue, l'arrachement complet du locuteur au site exige
la Side 299
Université Libre
de Bruxelles On pourrait ainsi considérer que dans nos derniers exemples l'alternance entre d'entre (55a) et de (55b) témoignerait d'un degré différent d'objectivité, plus élevé en (55a) qu'en (55b). La grammaire cognitive fournirait ainsi quelque caution à notre observation que la formule d'entre permet de désambiguïser certaines expressions partitives en de en excluant la possibilité d'interpréter de comme article (Englebert 1992, p. 118-120), la désambiguïsation et la recherche de la plus grande objectivité apparaissant comme deux manières différentes de rendre compte du même phénomène. 3. ConclusionCe que nous donnions comme une alternance ponctuelle est apparu, par cette étude, comme un problème tentaculaire, touchant à des mécanismes linguistiques variés, entre autres celui des constructions partitives et ceux qui régissent le système des pronoms personnels. Si l'hypothèse formulée ne propose qu'une solution partielle au problème abordé (elle interprète les tendances dégagées mais non les faits concernés qui échappent à ces tendances), elle trouve toutefois quelque garantie dans la théorie guillaumienne des pronoms personnels et apporte des précisions, vérifiables par les faits, aux éléments d'analyse livrés par Milner. Ceci donne au bilan de notre étude un aspect positif qui encourage à creuser le problème là où la solution reste douteuse. Notes 1. Le Centre de Recherche Documentaire de l'lnstitut National de la Langue française à Nancy a mis à ma disposition une partie de ses données relatives à cette entrée, soit un millier d'occurrences de d'entre issues de textes contemporains, corpus que j'ai enrichi d'occurrences recueillies au hasard de mes lectures. 2. On en trouvera une description complète dans Englebert, 1992. 3. Non pas tant parce que l'emploi de d'entre serait plus rare dans les textes littéraires que parce que la majorité des textes dépouillés exhaustivement sont des textes non strictement littéraires. 4. Les chiffres donnés entre parenthèses correspondent aux nombres d'occurrences recensées. 5. Lexpression «plus d'un», classée indéfini, aurait pu être rangée sous cette rubrique. 6. Parmi ceux-ci, signalons les adjectifs principal, premier, dernier. 7. Nous ne retenons ici que les constructions où d'entre alterne librement avec de; je ne considère pas les cas du type les garçons d'entre douze et quinze ans. 8. Dans les deux exemples de quantitatifs cités, selon Milner ni «deux» ni «certains» ne sont des déterminants du nom «livres». Nous ne discuterons pas ici la pertinence de cette analyse. 9. Sur ce point, v. plus particulièrement Moignet (1965) 10. Par exemple, nous relevons 34 fois aucun mais 121 fois certains. 11. Les pluriels internes constituent l'exception en français. BibliographieBrondal V, 1950:
Théorie des prépositions. Introduction à une sémantique
rationnelle. Brondal V, 1972:
des prépositions du français moderne, dans Mélanges
C.N.R.S., 1971:
Dictionnaire des fréquences. Vocabulaire littéraire des
XI?C et XXÉ Damourette J.
&H. Pichón 1911: Essai de grammaire de la langue
française. d'Artrey, De Boer C, 1926:
Essai sur la syntaxe moderne de la préposition en
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1992: Le petit mot français de. Etude de sémantique
historique. Droz, Gougenheim G., 1938:
Système grammatical de la langue française. d'Artrey,
Paris. Grevisse M.,
197510: Le Bon Usage. Duculot, Gembloux. Milner J.-C,
1978: De la syntaxe à l'interprétation. Seuil, Paris.
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