Revue Romane, Bind 28 (1993) 2

Les secrets de la princesse de Cadignan Féminité, vérité et roman

par

Maryse Laffitte

Les Secrets de la princesse de Cadignan sont une longue nouvelle intimiste, qui ne jouit pas en général d'un statut très important dans l'œuvre de Balzac. Nathalie Sarraute lui reconnaît pourtant, dans une interview accordée à La Quinzaine littéraire (N° 606, du ler1er au 31 août 1992, p. 29-30), une qualité particulière: « (...) il y a des textes brefs, comme L'Eternel mari ou Les Secrets de la princesse de Cadignan, qui sont des perfections. Sans doute est-il plus facile d'atteindre à la perfection dans un texte bref.» Et elle ajoute qu'un auteur, pour elle, «c'est mort ou c'est vivant: Balzac, c'est vivant - et Les Secrets de la princesse de Cadignan, c'est une réussite totale.» Nous aurions voulu en savoir plus, mais Nathalie Sarraute ne précise pas plus avant sa pensée. Ces brèves remarques recoupent pourtant notre sentiment: Les Secrets de la princesse de Cadignan sont un texte dont l'achèvement frappe le lecteur. Mais pourquoi ce texte peut-il donner une telle impression de perfection? Quelle cohérence, quelle harmonie offre-t-il, qui justifient ce commentaire? Entre quels motifs thématiques et quels registres de sens cette cohérence joue-t-elle? C'est ce que nous nous proposons d'explorer ici.

Une grande dame libertine

Les Secrets de la princesse de Cadignan sont en général évoqués, sur le plan thématique, comme le texte dans lequel la rouerie féminine triomphe, l'artificedes grandes mondaines l'emporte sur le génie. Certes, la princesse de Cadignan ne manque pas de duplicité. Cependant, la rouerie qu'elle manifestedans ce texte n'est pas du même ordre que celle des roués de Laclos. Le libertinage philosophique n'est plus de mise dans l'univers de la Restauration et l'ultime combat que la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont menaient contre le sentiment et par là contre une religion fondée sur la

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croyance en un Dieu d'amour, est depuis longtemps dépassé. Dans le Paris que Balzac met en scène, le plaisir (l'érotisme) n'est pas un instrument au service d'une lutte métaphysique, il est une fin en soi. Mais qu'est-ce qui a valu à la princesse de Cadignan la réputation qui la poursuit?

La duchesse de Maufrigneuse, «la belle Maufrigneuse», comme la nomme Balzac dans Le Cabinet des antiques, est un personnage récurrent de La Comédie humaine. Elle est devenue princesse de Cadignan par succession sous la Monarchie de Juillet; elle «avait passé sa vie à s'amuser, elle était un vrai don Juan femelle, à cette différence près que ce n'est pas à souper qu'elle eût invité la statue de pierre, et certes elle aurait eu raison de la statue» {Les Secrets de la princesse de Cadignan, Pléiade t. VI, p. 982). Dans la thèse qu'elle consacre aux Mondains de la Comédie Humaine. Etude historiqueet psychologique (1980), Rose Fortassier, qui propose entre autres dans son texte une typologie des mondains, présente la duchesse de Maufrigneuse comme une «grande dame libertine» (p. 313). Personnage ambigu, ange et démon, «ce n'est qu'après avoir été véritablement formée par de Marsay qu'elle a choisi de jouer les anges» (op. cit., p. 315). C'est en effet ce qu'affirmede Marsay dans Le cabinet des antiques (Garnier, p. 100), où la liaison de la duchesse avec d'Esgrignon est relatée: elle provoque la ruine de ce dernier, qui se compromet gravement, et, habillée en homme, tente de le sauver de la prison. Après cet épisode, elle affronte des difficultés financièreset doit vendre son domaine d'Anzy, dans La Muse du département. Elle connaît ensuite de nouvelles aventures, notamment avec Lucien de Rubempré,dans Splendeurs et Misères des Courtisanes, et apparaît à travers l'évocation plus ou moins détaillée de sa vie mondaine et galante dans Le Bal de Sceaux, Le Père Goriot, Le Lys dans la Vallée, etc. Dans Les Secrets de la princesse de Cadignan, Diane de Maufrigneuse vient de vivre une retraite de trois ans à laquelle sa ruine l'a contrainte (ruine due à ses prodigalités, mais attribuée au renversement de la Monarchie de Juillet). En dépit de son passé chargé, elle réussit par une habile manœuvre à s'attacher Daniel d'Arthez, écrivain célèbre et député, qu'elle s'est mise à aimer. Elle connaîtra ainsi son premier amour véritable, puisque, en dépit de ses nombreuses liaisons, mêmes passionnelles, elle n'a jamais «rencontré l'amour» affirme-t-elle (op. cit., p. 957). Sa relation avec Lucien de Rubempré (cf. Splendeurs et misères des courtisanes) a pourtant été d'une nature telle qu'elle lui a envoyé des lettres d'amour brûlantes; ces lettres, par ailleurs, ont été jugées suffisammentcompromettantes par Carlos Herrera pour qu'il les conserve. Mais il semblerait qu'elle aspire à une forme d'amour différente, moins enflammée peut-être, mais fondée sur une estime et un respect réciproques. Cet amour sera également son dernier amour, dans la mesure où, selon la dure loi (caduque?) qui pèse sur la féminité au XIXe siècle, elle se rapproche de l'âge fatidique de quarante ans, âge de la retraite amoureuse - elle en a trente-six

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lorsqu'elle fait la connaissance de Daniel d'Arthez. D'Arthez représente par conséquent son ultime possibilité de vivre un amour partagé. Diane de Maufrigneusetombera amoureuse de Daniel d'Arthez qu'elle séduira. Ils s'aimerontet vivront heureux, loin des mondanités parisiennes.

Le texte de Balzac, qui évoque une mise en scène mensongère et le récit falsifié d'une vie à des fins sincères, fait surgir trois grandes interrogations: en premier lieu, quel rapport la réalité et le discours entretiennent-ils ou encore comment le discours exprime-t-il la vérité? C'est là le domaine théorique de la véridiction que nous aborderons, en tant que registre essentiel à la compréhension des obstacles que rencontre madame de Cadignan dans sa démarche. En second lieu, quelle est la nature du désir amoureux? Il s'agit d'un vaste champ d'investigation que nous nous contenterons d'approcher en prenant l'analyse qu'en propose René Girard comme point de départ. Les hypothèses de ce dernier éclairent-elles vraiment ce qui se joue dans le texte de Balzac entre Diane de Maufrigneuse et Daniel d'Arthez? En dernier lieu, quelle relation existe-t-il entre désir et véridition? Quelle dialectique le «dire-vrai» (ou faux) révèle-t-il? Comment la princesse de Cadignan parvient-elle à dire vrai et faux en même temps?

Nous considérerons ces trois grandes interrogations dans l'ordre que nous avons annoncé. Nous avons donné aux étapes de notre cheminement les titres suivants: «l'état des choses»; «la vérité du discours»; «désignation de l'objet d'amour? »; «une séduction»; «désir et véridiction»; et pour finir, «un texte parfait».

L'état des choses

Diane de Maufrigneuse a mené jusqu'à la Révolution de Juillet, pendant la Restauration, une vie de luxe et de plaisir. Elle a dilapidé sa fortune, a ruiné bien des admirateurs - Rastignac en avertit d'Arthez - et vit désormais seule avec son fils (le prince de Cadignan a suivi le roi Charles X en exil), dans une semi-retraite. Cette conduite exemplaire a été imposée à la princesse par la ruine qu'elle a subie. Elle lui a pourtant permis de se faire pardonner par ses pairs ses «erreurs» passées, au nom d'une indulgence à laquelle seule une grande dame a droit, et d'espérer pour son fils de dix-neuf ans un riche mariage avant cinq ans. La princesse de Cadignan ne dispose que d'un revenupersonnel très modeste que lui procurent deux membres de sa famille. Elle ne se repent pourtant pas de sa légèreté en matière amoureuse, puisqu'elleconserve, placé en évidence sur une table, un album contenant «des portraits parmi lesquels se trouvait une trentaine d'amis intimes que le monde avait appelés ses amants. Ce nombre était une calomnie; mais relativementà une dizaine, peut-être était-ce, disait la marquise d'Espard, de la belle et bonne médisance» (op. cit., p. 952) - la marquise d'Espard, qui ne manque ni d'esprit ni d'ambiguïté, est la seule amie proche qu'ait conservée

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la princesse. Madame de Cadignan a toutefois renoncé depuis trois ans à tout commerce amoureux, et cette femme autrefois désinvolte et frivole a adopté dans sa retraite un style de vie tout à fait différent de celui qu'elle a cultivé pendant les quinze années de la Restauration. Elle se consacre à son fils, Georges de Maufrigneuse, et est devenue une bonne mère. En outre, elle cultive son goût nouvellement acquis pour la littérature et pour la politique. Son intérêt pour les livres ne semble pourtant pas tout à fait dénué de calcul, puisque «en voyant venir la terrible faillite de l'amour, cet âge de quarante ans au-delà duquel il y a si peu de chose pour la femme, la princesse s'était jetée dans le royaume de la philosophie» (op. cit., p. 954). Elle est suffisammentcultivée et spirituelle pour qu'une invitation chez elle, faveur réservée à quelques intimes, soit considérée comme «un honneur suprême qui distinguaitprodigieusement la personne favorisée» (ibid.). Diane de Maufrigneuse,après avoir brillé par sa beauté, sa légèreté et sa prodigalité, brille désormais par sa culture, son esprit et sa conscience maternelle. Elle a ainsi été capable de jouer tous les rôles dévolus à une femme de la haute noblesse (femme à la mode, lionne, «egerie de deux ministres des Affaires étrangères» (op. cit., p. 966)) et en dépit des revers qu'elle a essuyés, de se livrer à une conversion qui suscite le respect. Il existe en effet un «art de passer mondainementd'un âge à l'autre» (Rose Fortassier, op. cit., p. 280), que de Marsay explique très bien à Paul de Manerville:

Le grand secret de l'alchimie sociale, mon cher, est de tirer tout le parti possible de chacun des âges par lesquels nous passons, d'avoir toutes ses feuilles au printemps, toutes ses fleurs en été, tous les fruits en automne (cité par Rose Fortassier, ibid.).

Et la princesse de Cadignan, mondaine accomplie, maîtrise tous les arts de
société, même celui de tirer parti de son âge.

Elle avoue d'ailleurs à la marquise d'Espard que les trois années de solitude qu'elle vient de vivre l'ont rendue heureuse, car elle était «blasée d'adorations, fatiguée sans plaisir, émue à la superficie sans que l'émotion (lui) traversât le cœur» (op. cit., p. 956). Les hommages masculins ont lassé cette conquérante, car les hommes qu'elle a connus étaient «petits, mesquins,superficiels; aucun d'eux ne (lui) a causé la plus légère surprise, ils étaient sans innocence, sans grandeur, sans délicatesse» (ibid.). Ces hommes étaient des faibles, tel le comte Victurnien d'Esgrignon qui, condamné par le tribunal pour exactions, sera sauvé de la prison et du déshonneur par l'interventionroyale; ou, comme la princesse elle-même, des mondains, des aristocratesparisiens affadis par la vie de cour et la quête de l'or et du plaisir, tel de Marsay. Personnages trop prévisibles, trop semblables ou trop familiers à la princesse qu'ils ne parviennent pas à surprendre, donc à séduire. Etres sans idéal et sans vigueur morale, selon les critères politiques ou esthétiques

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de l'univers balzacien, qui n'éveillent plus aucune curiosité chez elle, qui ne l'étonnent plus: «J'aurais voulu rencontrer quelqu'un qui m'eût imposé», ajoute-t-elle devant la marquise d'Espard (ibid.), révélant par là-même le regret qu'elle éprouve de n'avoir jamais pu admirer et estimer un homme au point de l'aimer véritablement. Car la princesse a la nostalgie de l'amour «véritable», c'est-à-dire partagé et défini implicitement comme suscité par la surprise et l'admiration (elle évoque l'amour qu'elle voudrait éprouver et non celui qu'elle pourrait susciter). La vie galante mouvementée qu'elle a connue n'a pas répondu à son attente, et elle porte en elle ce désir d'amour insatisfait:

Nous pouvons aimer sans être heureuses, nous pouvons être heureuses et ne
pas aimer; mais aimer et avoir du bonheur, réunir ces deux immenses jouissances
humaines, est un prodige. Ce prodige ne s'est pas accompli pour moi,
(reconnaît-elle devant son amie).
- Ni pour moi, dit madame d'Espard.
- Je suis poursuivie dans ma retraite par un regret affreux: je me suis amusée,
mais je n'ai pas aimé.
- Quel incroyable secret! s'écria la marquise.

(Op. cit., p. 957. C'est moi qui souligne)

La princesse définit là trois états affectifs qui impliquent les termes «aimer», et «être heureux» ou «avoir du bonheur» (ces deux dernières expressions semblent être synonymes dans le vocabulaire de la princesse). L'«amour», tel qu'il est évoqué par les propos de la princesse, est une dimension curieusementambiguë: elle semble prise entre deux registres extrêmes qui seraient d'une part une forme d'amour qui ne rend pas heureux, c'est-à-dire qui n'apporte pas de plénitude et de stabilité - il peut s'agir de la forme instable qu'est le plaisir -, d'autre part un amour qui donnerait du bonheur - on peut penser à un état affectif stable qui associerait sentiments et plaisir. Le troisièmeétat affectif auquel il est fait allusion serait un état neutre, intermédiaire - la stabilité sans plaisir - et correspond probablement à celui dans lequel se trouve la princesse au moment où s'ouvre le récit. Cette femme, qui fut si souvent cynique, rêve d'amour: elle qui a longtemps privilégié l'amusementamoureux, trop instable pour donner le bonheur, voudrait vivre un amour qui unisse profondeur de sentiments et volupté. Son être sentimental ne correspond pas à son être mondain, elle- est double et son cœur garde une part d'innocence, si son corps en est dépourvu: c'est en cela que consiste son «secret», incroyable, en effet, pour tous ceux qui l'ont connue et pour ceux qui ont partagé ses plaisirs. Si l'amour, dans la tradition courtoise qui est celle de l'Occident, est une mystique du don total de soi, dans la mesure où il tend à la fusion avec un autre être, qu'il entraîne un désir d'appartenance à l'autre, la princesse n'a «appartenu» à personne, elle est donc d'une certaine

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manière intacte. Balzac nous propose là une théologie dualiste de l'amour, qui suppose que l'âme, lieu de l'amour et siège du sentiment divin, puisse assurer la rédemption d'un être qui n'a prêté à la corruption que son corps, au lieu de s'y jeter corps et âme. Bien que Diane de Maufrigneuse soit une grande dame et non une prostituée, elle fait songer à Marie-Madeleine, délivrée par Jésus de l'emprise de «sept démons» (Luc 8, 2, Nouveau Testament,Trad. œcuménique), ou tout au moins à la figure de la pécheresse à qui ses péchés seront pardonnes, «parce qu'elle a montré beaucoup d'amour» (Luc, 7, 47, op. cit.). La princesse de Cadignan, quant à elle, après un passagepar le purgatoire de la solitude, une traversée de l'épreuve purificatrice, accédera au rachat, c'est-à-dire à l'amour. Mais la comédie reste humaine et la princesse ne va pas renoncer au monde pour autant: elle rentrera en amour comme on entre en religion, et c'est à un homme qu'elle offrira sa dévotion et non à Dieu.

Dans mon cœur vieilli, je sens une innocence qui n'a pas été entamée. Oui,
sous tant d'expérience gît un premier amour qu'on pourrait abuser. (Op. cit.,
p. 957. C'est moi qui souligne)

Et madame d'Espard de commenter:

Le monde nous fait l'extrême honneur de nous prendre pour des rouées
dignes de la cour du Régent, et nous sommes innocentes comme deux petites
pensionnaires (Op. cit., p. 958).

Doublement «innocentes», c'est-à-dire ignorantes sur le plan sentimental (comment font certaines femmes pour aimer durablement et pour susciter de «longs attachements»? se demandent les deux amies) et réellement vierges de cœur. Et c'est là que surgit le problème véridictoire de cet étrange texte: comment la vérité se manifeste-t-elle dans le langage? Comment le «direvrai»fonctionne-t-il? Comment la princesse parviendra-1-elle à faire croire à la sincérité de son être sentimental, puisque son secret est incroyablel. Car P«innocence» de cœur évoquée par la marquise ne peut être mise en doute: elle est présentée au lecteur dans un contexte de confidences entre deux femmes se dévoilant leur âme dans un jardin fleuri qui semble servir de caution naturelle à ces aveux. En effet, on ment dans un salon - ce que fera Diane plus tard, devant Daniel d'Arthez -, mais on ne ment pas dans un jardin. Pourtant cette innocence est tellement peu probable dans leur cas qu'elle sera impossible à faire admettre, tant au public malveillant qui constitueleurs relations mondaines qu'à un éventuel adorateur ignorant, qui serait rapidement averti de leur passé par des personnes charitables. La princesse de Cadignan et la marquise d'Espard sont prisonnières d'un «double-bind»: elles sont pures de cœur, mais leur réputation est flétrie; cette flétrissure les

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empêchant d'être perçues comme dignes d'amour, elles ne peuvent connaître
l'amour partagé auquel elles aspirent et qu'elles pourraient mériter:

Nous sommes encore assez belles pour inspirer une passion; mais nous ne
convaincrons jamais personne de notre innocence ni de notre vertu (déclare la
marquise, ibid.).

- Si c'était un mensonge, il serait bientôt orné de commentaires, servi avec les jolies préparations qui le rendent croyable et dévoré comme un fruit délicieux; mais faire croire à une vérité] Ah! les plus grands hommes y ont péri, ajouta la princesse... (Op. cit., p. 959. C'est moi qui souligne)

La princesse de Cadignan perçoit clairement ce qui fait obstacle à leur crédibilité: la nudité du fait véridique que constitue leur innocence de cœur, fait isolé dans un ensemble d'autres faits qui non seulement ne le confirment pas, mais le contredisent. Fait qui en outre est à peine un fait, mais plutôt une disposition d'esprit - elles voudraient aimer -, une aspiration à un état qui n'a pas encore existé - l'état amoureux -, dans la mesure où ces deux «libertines» n'ont pas aimé. Cette négation rend impossible toute démonstration positive, puisque ce dont parlent les deux amies est une virtualité et non une situation réalisée. Lorsqu'elle rencontrera Daniel d'Arthez, la princesse de Cadignan devra par conséquent convaincre ce dernier de la vérité de son être sentimental; il faudra également qu'elle lui fasse admettre que cet être sentimental est sinon plus vrai, du moins aussi vrai que son être mondain. C'est là un véritable défi véridictoire que la princesse devra relever!

La vérité du discours

La logique véridictoire, telle qu'elle a été décrite par A. J. Greimas, (voir bibliographie) ou, en d'autres termes, le fonctionnement du dire-vrai, supposetout d'abord un «croire-vrai», c'est-à-dire un «contrat de véridiction» entre l'énonciateur et Pénonciataire, car pour que la communication ait lieu entre les deux partenaires de l'échange verbal, il faut qu'existe entre eux une entente implicite sur les modalités veridicioires, c'est-à-dire sur les formes de manifestation, dans le discours, de ce qui est ou n'est pas. Cet accord implicitesur les modalités véridictoires varie selon les cultures, selon les formes de récit, selon l'interprétation que l'on donne de la vérité des signes euxmêmes:selon qu'il s'agit, en effet, d'après l'article de Greimas et de Courtes, d'une approche denotative (N. Chomsky) ou connotative (R. Barthes), l'on a affaire à «deux «mythologies» et (à) deux interprétations différentes de la relation reconnue entre le langage en tant que manifestation (ou, éventuellement,«représentation») et l'immanence (le réfèrent «vrai») qu'il manifeste: dans le premier cas, le langage est censé coller innocemment aux choses, dans le second il constitue un écran mensonger, destiné à cacher une réalité et une vérité sous-jacentes». {Sémiotique..., p. 418). A. J. Greimas et J. Courtésécartent

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tésécartentpar conséquent le point de vue qu'ils prêtent à N. Chomsky - le langage comme expression d'une cohérence absolue entre être et paraître -, et celui qu'ils attribuent à R. Barthes - le langage comme expression d'un paraître faux occultant un être vrai, ou encore comme pur paraître exprimant un non-être, et proposent une troisième analyse de la vérité dans le discours: il n'y a pas d'une part un discours et d'autre part une vérité qui lui serait extérieure, mais un discours «produisant un effet de sens «vérité»: de ce point de vue, la production de la vérité correspond à l'exercice d'un faire cognitif particulier, d'un faire paraître vrai que l'on peut appeler, sans aucune nuance péjorative, le faire persuasif», (ibid.)

L'énonciateur va chercher à convaincre l'énonciataire de la véracité de ses propos, à provoquer chez lui une adhésion «conditionnée par le faire interprétatif que celui-ci exerce à son tour» (ibid). En effet, l'interprétation que l'énonciataire fait des propos de l'énonciateur, selon le système de valeurs qui lui est propre et selon le système de valeurs qu'il attribue à l'énonciateur est un élément essentiel de la «construction du simulacre de vérité» (ibid. C'est moi qui souligne).

Madame de Cadignan semble penser, comme nous l'avons vu plus haut, qu'il est plus aisé de faire croire à un mensonge qu'à une vérité. On s'attendrait spontanément à l'inverse: y aurait-il des vérités plus faciles à croire que d'autres? Car il s'agit, comme nous allons le préciser plus loin, d'une vérité d'un genre particulier, dans la mesure où son contenu est affectif. Cette vérité d'ordre sentimental, privé, subjectif, ne peut être perçue comme vraie que si elle est corroborée par les faits qui l'entourent, par l'histoire et le contexte particuliers dans lesquels elle s'inscrit et sur lesquels un certain nombre de personnes peuvent apporter des témoignages concordants. La princesse de Cadignan et la marquise d'Espard ayant mené au vu et au su de tous une vie de plaisirs, il leur sera par conséquent difficile de nier publiquement le fait. Or, vie de plaisirs et usure du cœur semblant aller de pair, il leur sera également impossible de faire croire à leur innocence en matière de sentiments: dans leur cas, certains faits connus de tous s'opposent à la prise en considération d'une vérité aussi peu probable. En revanche, un mensonge, tout faux qu'il soit, pourrait recourir librement à une abondance de détails nécessairement faux eux aussi, mais qui donneraient au fait affectif mensonger un contexte invérifiable, une cohérence non sujette à caution, qui le rendraient crédible, à condition que le «contrat véridictoire», contrat de confiance entre les sujets, remplisse sa fonction. Un mensonge portant sur un état de choses subjectif pourrait donc être plus vraisemblable qu'une vérité du même ordre, trop en contradiction avec une interprétation commune de faits notoires. Mais comment faire croire à une vérité qui est un fait mental, et non physique, comme nous le verrons, contredit, qui plus est, par des faits historiques?

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L'exclamation de la princesse et le désir d'aimer qu'elle a exprimé plus haut soulèvent un problème particulier: celui de la nature des rapports qu'entretiennent le discours et la diversité du monde; en d'autres termes, celui des catégories d'interprétation (ou de représentation) du monde dans le discours et de la «manipulation» que l'on peut en faire, comme nous allons le voir, en proposant, à partir de cas précis, quatre catégories véridictoires:

Après avoir «évalué» son passé amoureux devant madame d'Espard en
termes mélancoliques, madame de Cadignan s'écrie:

Ah! je voudrais cependant bien ne pas quitter ce monde sans avoir connu les
plaisirs du véritable amour, (op. cit., p. 959)

Elle exprime, au cours de sa conversation avec madame d'Espard, plus une curiosité qu'un désir d'aimer: il semble s'agir d'un désir de connaissance d'ordre intellectuel, qui est encore sans objet précis, puisque la princesse n'a jamais rencontré d'homme susceptible d'éveiller en elle ce qu'elle s'imagine être «l'amour vrai», correspondant à la catégorie sentimentale qu'elle définit plus haut comme celle qui réunit les vocables «aimer et avoir du bonheur». Dans quelle catégorie véridictoire le souhait exprimé par la princesse se situe-t-il? Sa curiosité amoureuse s'exprime sous une forme vague et porte sur un phénomène plutôt que sur un objet pourvu d'identité. Ce phénomène peut éventuellement se produire dans un futur indéterminé. L'indétermination domine à la fois dans le discours et dans la réalité qu'il évoque: cette première catégorie est simplement optative (elle traduit une aspiration à quelque chose qui n'a encore ni existence ni vérité).

Ce discours optatif a été précédé, nous l'avons dit, d'une évaluation mélancolique des amours passées: la princesse de Cadignan se remémore ses aventures galantes, porte un jugement sur un passé qui a existé, l'interprète désormais en termes désenchantés. Peut-être interprétait-elle différemment ses années de jeunesse lorsqu'elle les vivait. Mais le recul que lui ont donné les trois années de solitude qu'elle vient de traverser, a fait naître en elle une autre représentation de la réalité passée: l'évaluation qu'elle en fait désormais a une tonalité désillusionnée. Cette seconde catégorie est évaluative : l'évaluation propose un discours changeant, modifiable, parce que subjectif, sur des faits précis, déterminés qui se sont produits. Cette catégorie est donc celle de la vie affective, pour laquelle la vérité a un statut dynamique. C'est d'elle que relèvent le souvenir, la mémoire, puisqu'ils construisent une représentation du monde sujette à oscillations (embellissement ou dépréciation).

Les témoignages concordants que l'on peut réunir sur la vie passée de la princesse ressortissent à une troisième catégorie, celle qui exprime des faits empiriques ou objectifs, décidables, dans un registre privé, et démontrables dans un registre scientifique: l'énoncé enregistre dans ce cas une réalité

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déterminée, précise dont l'existence est objectivement constatable et vérifiable.Ce
registre de véridiction est celui du constati/.

Une quatrième et dernière catégorie, enfin, est celle de l'énoncé qui fait surgir une réalité qui n'existe pas encore, mais qui engage précisément l'interlocuteur pour un futur encore vague, indéterminé, qu'il ne peut connaître, mais qu'il décide de rendre conforme à ses propos. Cette dernière catégorie est celle du performatif - l'acte de langage crée la réalité - et plus largement celle de la promesse, explicite ou implicite (au sujet des catégories de véridiction et au sujet de la promesse, cf. Qu'est-ce qu'une promesse?). Nous verrons plus loin comment la catégorie de la promesse se manifeste dans Les Secrets de la princesse de Cadignan.

Comment «faire croire à une vérité»? se demande la princesse. Madame de Cadignan pense à sa relative innocence sentimentale - celle qui conjugue plaisir et bonheur, du moins -, et son incertitude porte sur sa vie affective. Mais cette question peut être élargie, car l'expression «faire croire» nous entraîne sur un terrain théologique également: en effet, croire dans un fait vague en dépit de l'absence de preuves précises portant sur l'existence de ce fait, relève du même registre que la croyance en un Dieu dont l'existence est impossible à prouver. C'était d'ailleurs là l'argument favori de Diderot, quand il affirmait, en bon philosophe matérialiste, contre Descartes entre autres, qu'accepter comme point de départ de la connaissance scientifique l'existence d'un être qu'on ne pouvait situer ni dans le temps ni dans l'espace, qui était omniprésent et sans extension, en bref d'un être à la fois immanent et transcendant, offrait une opposition irréductible à l'esprit d'un scientifique, car cela ressortissait à l'acte de foi (cf. le début de l'Entretien entre d'Alembert et Diderot, par exemple): les catégories d'interprétation du discours religieux et du discours scientifique n'étant pas compatibles, le contrat véridictoire dont parlent A. J. Greimas et J. Courtes ne peut, dans le discours scientifique, soucieux d'énoncés constatables, être ratifié par l'un des partenaires, à savoir le scientifique.

La princesse se demande donc implicitement comment «faire paraître vraie» une innocence qui est vraie. En effet, faire croire à la vérité d'un énoncé portant sur un phénomène naturel (la pluie, la neige, la présence d'un arbre, par exemple) est infiniment plus simple que de faire croire à la vérité d'un énoncé affectif ou passionnel. L'existence d'un phénomène naturelpeut être constatée par la perception, par le témoignage des sens de l'énonciateur et de l'énonciataire, elle peut par conséquent faire l'objet d'une vérification opérée par les deux sujets impliqués (nous sommes là dans la troisième catégorie véridictoire évoquée ci-dessus). En revanche, «faire paraîtrevrai» un affect (douleur physique, souffrance sentimentale ou morale) suppose que cet affect invérifiable, relevant de la seconde catégorie véridictoire,soit présenté par l'énonciateur à l'énonciataire de manière convaincanteou

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canteoupersuasive, pour reprendre le terme employé par A. J. Greimas et J. Courtes. L'évocation d'un affect est éminemment dépendante de l'ensemble des faits qui entourent l'affect même, c'est-à-dire qu'elle est soumise à la cohérence qu'elle offre par rapport à un contexte. En effet un contexte qui contredirait trop une affirmation la frapperait de démenti: affirmer par exemple qu'on souffre d'un mal de dents insupportable en arborant une mine réjouie, susciterait probablement le doute quant à la véracité de cette affirmation.C'est donc une fois encore le rapport fiduciaire qu'entretiennent l'énonciateur et l'énonciataire qui est le fondement de la communication: pour qu'un affect, invérifiable pour autrui, soit saisi comme vrai, il faut égalementqu'il soit perçu comme vraisemblable, c'est-à-dire qu'il doit être rendu crédible pour être cru.

C'est d'ailleurs ce que la princesse et la marquise, qui n'ont pourtant pas connu l'amour, concluent à la fin de leur conversation dans le jardin: ce sentiment doit être fondé sur un croire et il doit également se satisfaire de ce croire au lieu d'exiger des preuves constatables. Le croire, en effet, relève du registre des vérités subjectives et par conséquent appartient aux domaines amoureux et religieux, alors que la preuve concerne le domaine objectif et scientifique.

Mais quel est donc l'homme qui pourrait croire à leur innocence, qui pourrait accepter une vérité pourtant incroyable sans exiger de preuves? Quel est cet homme capable d'un tel acte de foi, prêt à croire en une réalité invraisemblable pour les autres hommes et en la présence d'une part de pureté chez des femmes dont l'image publique est flétrie? Un homme pur lui-même, «un homme de génie», suggère la marquise, car «le génie seul a la foi de l'enfance, la religion de l'amour, et se laisse volontiers bander les yeux» (op. cit., p. 959. C'est moi qui souligne). Foi, religion, confiance prétendue aveugle: nous sommes bien dans le registre de la croyance et de la dévotion. Daniel d'Arthez sera ce génie prêt à croire: l'écrivain, le créateur de fictions sait lui qu'il existe des phénomènes qui échappent à la perception sensible, qui ne peuvent faire l'objet d'un constat ou d'une vérification, mais qui n'en sont pas moins vrais pour autant.

Mais avant d'approndir le caractère dynamique du mensonge perpétré
par madame de Cadignan, faisons un détour nécessaire et considérons la
nature du désir.

Désignation de l'objet d'amour?

La princesse voudrait bien «ne pas quitter ce monde sans avoir connu les plaisirs du véritable amour» (op. cit., p. 959), nous l'avons déjà dit. Toutefois madame d'Espard lui rétorque que «ce n'est rien de l'inspirer (...), il s'agit de l'éprouver». Elle doute en effet de la possibilité d'émotion d'un cœur que le plaisir a trop souvent fait battre. La princesse, quant à elle, a la preuve

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qu'elle peut se laisser émouvoir par un amour désintéressé, capable de cette constance, de cette stabilité qu'elle associe à l'idée de bonheur. Elle a été aimée à distance, mais passionnément, pendant quatre ans, par un homme qui, selon la typologie des valeurs balzaciennes, avait un idéal, puisqu'il était républicain. C'était un homme de cœur, puisqu'il a eu la générosité de sauver la vie du mari de la princesse lors des journées de la Révolution de Juillet, en détournant le canon d'un fusil qui visait le prince de Cadignan, alors que ce dernier se battait dans les rangs des légitimistes. Cet homme, qui a aimé la princesse de Cadignan en silence, a été tué pendant les émeutes de juin 1832, et il ne lui a laissé comme témoignage de l'amour qu'il lui portait qu'un billet, qu'il lui a fait remettre le jour de sa mort. La princesse ne veut pas révéler à madame d'Espard - et par là au lecteur - la teneur de cette ultime missive. Mais «cette lettre, courte et terrible, (lui) remue encore le cœur quand (elle) y songe» (p. 961). Son émotion, lorsqu'elle évoque cet épisode et la fidélité qu'elle manifeste au souvenir d'un homme qui l'a aimée permettent de penserqu'elle a fait indirectement l'expérience de l'amour, d'un sentiment suffisammentdésintéressé du moins, pour faire fi des différences d'appartenance politique, des différences sociales, de l'absence de possession et des rivalités personnelles. Michel Chrestien - tel est le nom de cet homme - a laissé entrevoir à la princesse de Cadignan ce que pouvait être l'amour, son intensité,son pouvoir d'émotion, sa stabilité, bien différents du plaisir et de l'excitationengendrés par les liaisons superficielles et bien souvent intéressées qu'elle a connues:

Cet homme mort me cause plus d'émotions que tous les vivants que j'ai
distingués, il revient dans ma pensée. (Op. cit., p. 961)

Ce républicain amoureux d'une légitimiste, mort sans avoir échangé la moindre parole avec la femme qu'il aimait, est un martyr, un ange messager et un rédempteur: il a en effet joué le rôle de témoin de la religion de l'amour; il a «annoncé» l'existence de l'amour véritable - inscrit dans la durée - à la princesse; enfin, ce «pur», par l'amour qu'il a porté à une femme qui avait mené une vie de plaisirs, a en partie racheté les fautes qu'elle avait commises, puisque «selon lui, l'amour, simple besoin des sens pour les êtres inférieurs, était, pour les êtres supérieurs, la création morale la plus immense et la plus attachante» (op. cit., p. 964. C'est moi qui souligne).

Or il a un ami, bien vivant celui-là, Daniel d'Arthez, «un des hommes rares qui de nos jours unissent un beau caractère à un beau talent» (op. cit., p. 962). Il est écrivain en effet - il est un des jeunes écrivains que le lecteur rencontre aux côtés de Lucien de Rubempré dans Illusions Perdues - et a longtemps été pauvre. Ses écrits l'ont rendu célèbre et bien que riche désormais,grâce à l'héritage que lui a légué un oncle, il n'a rien changé aux

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habitudes de travail et d'austérité qui ont toujours été les siennes. Il est en
outre député et siège du «côté droit».

Daniel d'Arthez est donc un personnage intègre, nourri par l'étude, qui, dans la galerie de portraits balzacienne, relève du type de «l'écrivain aimé des mondaines» (Rose Fortassier, op. cit., p. 144), un frère de l'auteur en quelque sorte, qui semble envoyer à travers son personnage un message à Madame Hanska et lui dire que: «l'homme de génie est simple et confiant...» (ibid.). Homme de génie, parce qu'écrivain reconnu, et homme à idéal, puisqu'il occupe un siège de député par conviction et non par ambition. Daniel d'Arthez est un personnage radicalement différent des doubles de la princesse de Cadignan, des mondains avec lesquels elle a toujours frayé et parmi lesquels elle a «distingué» certains. Il a pourtant un point commun avec elle: il n'a, lui non plus, jamais aimé: «S'il avait fui soigneusement l'amour jusqu'alors, il se connaissait bien, il savait par avance quel serait l'empire d'une passion sur lui» (op. cit., p. 963).

Etrange face à face: une grande dame libertine et un homme d'étude intègre et austère. Une femme qui a beaucoup vécu et un homme qui a peu vécu. Une femme qui veut non seulement aimer, ce qui est déjà difficile, mais encore être aimée selon ce qui est la vérité de son cœur, contraire à sa vie de plaisirs, ce qui est une gageure. La princesse de Cadignan affronte un double défi: aimer et se faire aimer en convaincant de la pureté de son cœur. Mais pourquoi aimer d'Arthez?

Daniel d'Arthez est désigné à la princesse par madame d'Espard, qui sait qu'il était l'ami de Michel Chrestien. Après la première rencontre entre Diane de Maufrigneuse et Daniel d'Arthez, la marquise d'Espard propose à son amie de «devenir sa rivale» (op. cit., p. 975) pour que les manœuvres séductives de la princesse n'amènent pas «un triomphe sans lutte» (ibid.). Une rivalité sourde existe entre ces deux femmes pourtant amies: elles ont toutes deux, à tour de rôle, été les reines de la mode parisienne et aucune d'elles, à l'approche de la maturité, n'a encore vraiment éprouvé cette forme d'amour qui donne le bonheur. La marquise d'Espard laissera clairement apparaître cet esprit de concurrence lorsqu'elle apprendra que Diane de Maufrigneuse est parvenue à s'attacher d'Arthez: elle cherchera alors à nuire à son «amie» au lieu de l'aider.

Daniel d'Arthez est introduit chez madame d'Espard par Blondet et Rastignac:ces trois personnages jouent le rôle d'entremetteurs, la marquise, parce qu'elle reçoit chez elle la princesse et d'Arthez, afin de les mettre en présence, en prétendant que «la princesse de Cadignan (a) un excessif désir de voir cet homme célèbre» (op. cit., p. 965); Blondet et Rastignac, parce qu'ils veulent arracher d'Arthez à «la plus vulgaire et la plus incompréhensibleliaison avec une femme assez belle, mais qui appartenait à la classe inférieure, sans aucune instruction, sans manières, et soigneusement cachée à

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tous les regards» (op. cit., p. 963-964) et lui faire connaître l'amour d'une
grande dame raffinée et cultivée.

... ils lui dirent en riant qu'il s'offrait pour lui la plus séduisante occasion de se décrasser le cœur et de connaître les suprêmes délices que donnait l'amour d'une grande dame parisienne. La princesse était positivement éprise de lui, il n'avait rien à craindre, il avait tout à gagner dans cette entrevue. (Op. cit., p. 966)

Blondet et Rastignac prêtent à la princesse des sentiments qu'elle n'éprouve pas encore pour rassurer d'Arthez dont «l'excessive timidité» risque de faire obstacle à cette rencontre: il n'aurait ainsi aucun effort de séduction à faire, puisque la princesse serait déjà séduite.

Blondet ni Rastignac ne virent aucun inconvénient à prêter cet amour à la princesse, elle pouvait porter à cette calomnie, elle dont le passé donnait lieu à tant d'anecdotes. Eun et l'autre, ils se mirent à raconter à d'Arthez les aventures de la duchesse de Maufrigneuse (ibid.).

Ces amis bien intentionnés, qui voudraient initier d'Arthez à un certain raffinement en amour, en le poussant à entamer une liaison avec une grande dame dont le savoir amoureux supposé n'est un mystère pour personne, lui font donc un récit complet des «légèretés» et des «inconséquences» de la duchesse de Maufrigneuse. La manœuvre de Blondet et de Rastignac a pour but d'amener d'Arthez à se laisser séduire sans faire de difficulté par une femme d'expérience, qui n'a pas besoin d'être particulièrement ménagée. Ils mettent toutefois d'Arthez plaisamment en garde contre la prodigalité ruineuse de cette dernière:

La belle Diane est une de ces dissipatrices qui ne coûtent pas un centime, et pour laquelle on dépense des millions. Donnez-vous corps et âme; mais gardez à la main votre monnaie, comme le vieux du Déluge de Girodet. (ibid.)

La manœuvre consiste à piquer la curiosité de d'Arthez et à lui ôter tout scrupule en lui désignant Diane de Maufrigneuse non pas comme objet d'amour,mais comme initiatrice idéale aux délicatesses de l'amour mondain, puisque lui-même «ignorait les exquises jouissances de la passion noble et délicate que certaines femmes bien nées et bien élevées inspiraient ou ressentaient»(op. cit., p. 964). Les deux comparses brossent un portrait de Diane de Maufrigneuse qui lui donne «la profondeur d'un abîme, la grâce d'une reine, la corruption des diplomates, le mystère d'une initiation, le danger d'une sirène» (op. cit., p. 967). Elle est présentée comme porteuse de tous les attributs d'une féminité dont l'excessif raffinement s'accompagne

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d'une duplicité dangereuse. Toutefois, Blondet et Rastignac ignorent que d'Arthez a entendu parler de la princesse de Cadignan en d'autres termes et que, «quoiqu'ils eussent raison, la femme qu'ils traitaient si légèrement était sainte et sacrée pour d'Arthez». (ibid.)

La rencontre de la princesse de Cadignan et du baron d'Arthez est, dans un premier temps, le résultat de deux médiations: celle d'une amie vivante et celle d'un ami mort. Ces deux médiations pourraient donner raison aux remarques que René Girard fait dans son ouvrage Mensonge romantique et vérité romanesque. Il y expose la thèse désormais bien connue du désir triangulaire ou mimétique: l'être humain, affirme René Girard, désirerait en fonction du désir de l'Autre, en d'autres termes son désir lui serait dicté par un tiers qu'il voudrait imiter ou avec qui il voudrait entrer en concurrence. Ce désir «selon l'Autre qui s'oppose au désir selon Soi» (op. cit., p. 13) et qui repose sur le principe de l'imitation ou du mimétisme serait, d'après René Girard, un désir non spontané, puisqu'il ne vient pas directement, originellement de soi, mais est dicté par un autre que l'on prend pour modèle. René Girard analyse le désir en termes à la fois existentialistes et religieux: il pose en effet implicitement l'existence d'un désir authentique et d'un désir inauthentique: le désir authentique est l'expression profonde du sujet, lui-même seule source du désir qu'il éprouve. Dans ce cas, le sujet tente de s'approprier le monde sans intermédiaire, il est alors dans la vérité; le désir inauthentique en revanche est un état pathologique, car il manifeste la présence d'un tiers aliénant entre le sujet et le monde, quelque chose comme un virus qui affecterait gravement les facultés de jugement du sujet. Ce dernier ne serait plus lui-même, mais un être diminué, plongé dans le faux. Emma Bovary désire selon un désir emprunté, Marcel, le narrateur de A la recherche du temps perdu également; quant à Julien Sorel, il passe finalement d'un désir d'emprunt, de «vanité», dirait Stendhal, à un désir vrai. La distinction entre le désir d'emprunt et le désir authentique peut être assurée par le renoncement au monde et la conversion religieuse qui ouvre les yeux aux héros romanesques à l'approche de la mort (Stépane Tropimovitch dans les Démons de Dostoïevski ou encore Julien Sorel et Don Quichotte, par exemple):

Le mensonge fait place à la vérité, l'angoisse au souvenir, l'agitation au
repos, la haine à l'amour, l'humiliation à l'humilité, le désir selon l'Autre au
désir selon Soi, la transcendance déviée à la transcendance verticale.

Il ne s'agit plus, cette fois, d'une fausse mais d'une véritable conversion.
Le héros triomphe dans la défaite; (Op. cit., p. 293)

Cette distinction peut également être assurée par la présence de la passion
qui, elle, ne déforme pas son objet, affirme René Girard:

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Lamour véritable, celui de Fabrice pour Clélia, celui que Julien finit par connaître avec Mme de Rénal, ne transfigure pas. Les qualités que cet amour découvre dans son objet, le bonheur qu'il en attend ne sont pas illusoires. L'amour-passion s'accompagne toujours d'estime, au sens cornélien de ce terme. Il se fonde sur un accord parfait entre la raison, la volonté et la sensibilité. La vraie Mme de Rénal est celle que désire Julien. La vraie Mathilde est celle qu'il ne désire pas. Dans le premier cas il s'agit de passion, dans le second de vanité. C'est donc bien la vanité qui métamorphose son objet. (Op. cit., p. 27. C'est moi qui souligne)

La figure omniprésente du désir triangulaire fonde implicitement une narratologie à finalité et à contenu existentiels et religieux dans la mesure où, pour René Girard, l'univers romanesque est le lieu où s'exprime un processus de transformation du désir, dans le sens de l'authenticité ou dans le sens de l'inauthenticité. Le texte de fiction pose dans tous les cas le problème du rapport entre ces deux formes de désir, de leurs variations et de leurs déplacements entre des constellations triangulaires formées de deux personnages et d'un médiateur. René Girard prétend ainsi dévoiler le sens profond sousjacent du texte romanesque en tant que quête, ce qui n'est pas nouveau, mais en tant que quête particulière, celle qu'effectue le héros pour trouver ou récupérer un désir authentique et renoncer à la vanité; le sens du texte romanesque peut être également l'inverse de la quête, ou son échec, à savoir la chute (du désir authentique au désir inauthentique). Le sujet-héros cherche, trouve ou perd sa vérité intrinsèque (inscrite quelque part, de toute éternité?).

L'ouvrage de René Girard date de 1961. Peut-être faut-il y voir une réaction contre les formes de discours qui dominaient la scène intellectuelle à l'époque et qui réservaient au sujet, en particulier au sujet psychique (pour ne pas parler du sujet éthique qui était relégué aux oubliettes de la réflexion philosophique), un sort bien triste: il n'existait pas en tant qu'être particulier, puisqu'il n'était que l'expression d'une classe sociale. Ce statut le privait par conséquent d'unicité et de responsabilité. Ou bien on peut lire la distinction qu'établit René Girard entre désir authentique et désir inauthentique comme une tentative de démystification critique, qui se situerait dans la lignée sartrienne et barthésienne, et annoncerait la pensée des années qui ont suivi 1968.

Quoi qu'il en soit, l'affirmation de souveraineté du sujet, dans sa quête ou dans sa chute, pour rafraîchissante qu'elle soit, ne va pas sans soulever quelquesquestions élémentaires: peut-on exister, en tant que sujet humain sans être nécessairement pris dans des réseaux d'influences mimétiques? Commentconcevoir un processus d'éducation, d'apprentissage, sans recours à l'imitation? Où commence la vérité du sujet? A quel moment le désir entre-tildans

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ildansle registre de la vanité et du faux? Si le sujet a la possibilité d'être dans le vrai, pourquoi est-il si souvent dans le faux? Est-ce le diable qui le pousse dans l'erreur? Est-ce Dieu qui le ramène dans la vérité? Pourquoi et à quel moment? Autant de questions auxquelles on ne peut apporter que des réponsesd'ordre théologique, dans la mesure où toute la problématique du désir est abordée en termes de vérité ou de vanité, d'authenticité ou d'inauthenticité.En effet, si le désir médiatisé, c'est-à-dire induit par des signes, est faux, alors qu'un désir supposé immédiat est vrai, l'intervention d'une tierce instance capable de juger le contenu du désir est inévitable. Qui peut évaluer la qualité du désir, qui peut décider que l'amour est bien un amour-passion et que l'estime qui est supposée devoir l'accompagner est bien de l'estime? Comment affirmer que la vérité d'un désir ne dépend aucunement du fait qu'on l'éprouve? René Girard pose arbitrairement la distinction entre désir authentique et désir inauthentique, sans percevoir, semble-t-il, qu'il recourt à des catégories existentielles implicites: il y aurait d'une part, selon la terminologiede Hjemslev, une vérité d'expression, qui serait en réalité fausse, d'autre part une vérité de contenu, qui serait réellement vraie; leur charge de vérité respective serait évaluée de l'extérieur et relèverait d'une «transcendanceverticale».

Cette logique extrêmement étroite exclut toute réflexion sur la nature structurelle du désir, c'est-à-dire, sur son fonctionnement objectif, ses composantes bizarres, ses agencements intersubjectifs, ses combinaisons, audelà d'une perception religieuse et finaliste qui l'enferme d'emblée dans une condamnation moralisatrice. Sans doute le désir de Julien Sorel pour Mathilde de La Mole est-il subordonné à son ambition. Mais son ambition est bien réelle en revanche, son désir d'ascension sociale aussi et son abandon à l'amour de madame de Rénal à l'approche de la mort ne signifie pas que son ambition et son intérêt pour Mathilde aient été faux dans la vie (faux par rapport à quoi? Nécessairement par rapport à un jugement extérieur capable de distinguer le valable et le non-valable ou par rapport à une vérité venant de l'au-delà et qui serait révélée au sujet). On peut penser tout simplement que l'ambition n'a plus de raison d'être, lorsqu'on s'apprête à quitter ce monde et que la proximité du néant suscite un désir d'abandon et de renoncement plus fort que le désir de lutte.

Enfin, dans le cas du désir médiatisé, l'auteur de Mensonge romantique et vérité romanesque distingue entre «médiation externe» et «médiation interne»:celle-ci suppose une distance suffisamment réduite entre le médiateuret le sujet «pour que les deux sphères pénètrent plus ou moins profondémentl'une dans l'autre» (op. cit., p. 18), c'est-à-dire que le médiateur est très proche du sujet et peut entrer en rivalité avec lui (c'est le cas dans les romans de Stendhal); celle-là suppose une distance «suffisante pour que les deux sphères de possibles dont le médiateur et le sujet occupent chacun le

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centre ne soient pas en contact» (ibid.). Le médiateur ne pèse pas sur le sujet, il est suffisamment éloigné de lui pour ne pouvoir entrer en rivalité avec lui, en dépit du rôle qu'il joue. C'est le cas des romans de Cervantes et de Flaubert. René Girard ajoute qu'il réserve donc «le terme romantique aux œuvres qui reflètent la présence du médiateur sans jamais la révéler et le terme romanesque aux oeuvres qui révèlent cette même présence» (op. cit., p. 25) et que son ouvrage ne porte que sur ces dernières (il s'agit en particulier des textes de Cervantes, de Stendhal, de Flaubert, de Proust, et de Dostoïevski).Cette définition manifeste en réalité une grande ambiguïté: si un médiateurapparaît dans une fiction, à partir de quel moment est-il «reflété» ou «révélé»! Cela signifie-t-il, en outre, qu'il est simplement montré au lecteur ou dénoncé comme coupable de présence illicite (ou peut-être sa présence est-elle licite si elle est dénoncée?)? Quoi qu'il en soit, il faut sans doute conclure de cette distinction entre «romantique» et «romanesque» ainsi que du titre que l'auteur a donné à son ouvrage que les textes où la médiation du désir n'est pas explicite - avec toutes les réserves que l'emploi de ce terme supposent ici - mentent, puisqu'ils cachent le paraître d'un être et que les autres disent la vérité, puisqu'ils révèlent le paraître de ce même être.

Une séduction

Nous avons relevé la présence de médiateurs dans Les Secrets de la princesse de Cadignan, mais quel rôle jouent-ils dans la narration balzacienne? René Girard, dans la mesure où il n'évoque aucun texte de Balzac, doit probablementconsidérer l'univers balzacien comme «romantique» et mensonger, c'est-à-dire comme habité par la présence d'un médiateur, qui n'est jamais «révélée». Mais qu'est-ce qui domine La Comédie humaine! Les passions, comme le disent les pages d'ouverture de La fille aux yeux d'or consacrées à Paris, celles de l'or et du plaisir, et on pourrait y ajouter celle du pouvoir: passions qui dévorent, qui tuent parfois, dans lesquelles est engagée toute l'énergie humaine, mais qui sont le moteur de cette humanité passionnée et désirante que Balzac met en scène. L'univers balzacien est chargé de désirs d'ordre divers. Georges Poulet affirme même que P«hégémonie du désir s'impose dans le monde balzacien avec une force irrésistible. Il règne dans les profondeurs de la pensée comme dans les replis du sentiment et jusque dans les réactions obscures de la vie physique. Toutes les activités humaines sont nécessairement dirigées par lui» {La pensée indéterminée, 11, «Balzac», p. 43, 1987). Mais qui sont les médiateurs de ces passions et de ces désirs? Qui a suggéré son ambition à Rastignac? Qui a inspiré la coquetterie et le goût de l'argent aux mondaines des «Scènes parisiennes»? Personne en particulieret de nombreuses personnes pourtant. Rastignac est noble, mais pauvre. Un noble ne se doit-il pas d'être riche? L'esprit de famille, la traditionnobiliaire, un désir de revanche ont donc inspiré à Rastignac son désir

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de conquête. Quant à la coquetterie féminine et au désir que les femmes ont de plaire, à l'aide parfois d'artifices onéreux (si le «désir de plaire» est réellement une forme de désir), ils ont probablement une origine explicable, mais ne relevant pas d'un médiateur identifiable. La médiation du désir, dans l'univers balzacien, est universelle, omniprésente, mais anonyme. Est-elle pour autant dissimulée?

Si nous revenons aux Secrets de la princessse de Cadignan dans la perspective qui est celle de René Girard, le texte offre de prime abord deux niveaux de médiation: tout d'abord, la princesse voudrait aimer quelqu'un, et d'Arthez, quant à lui, voudrait connaître l'amour d'une femme raffinée. Dans les deux cas, la volonté précède son objet. On pourrait par conséquent avancer, dans une logique girardienne, que l'amour qu'ils éprouveront l'un pour l'autre ne sera pas spontané, qu'il sera donc inauthentique. En outre, leur rencontre sera le résultat de deux médiations: l'une qui, d'interne, deviendra externe, puisque Michel Chrestien qui a aimé la princesse en silence, est mort (il peut donc désigner Diane de Maufrigneuse comme objet d'amour à d'Arthez, sans devenir le rival de l'écrivain); l'autre qui restera interne, puisque madame d'Espard est toujours vivante et entretient un rapport de rivalité avec madame de Cadignan. Ces deux niveaux de médiation font de ce texte de Balzac, toujours selon un registre girardien, un texte «romantique» tout d'abord: en effet, qui inspire le désir d'amour pour un homme de génie à Diane de Cadignan? Et pour une femme du monde à Daniel d'Arthez? D'où vient la réputation de l'un et de l'autre en matière amoureuse? Et à quel médiateur peut-on attribuer le désir d'amour en général? Dans ce cas, la présence du médiateur n'est pas révélée. Il s'agit également d'un texte «romanesque», puisque la médiation de Michel Chrestien et de madame d'Espard est explicitement mentionnée (bien que nous ne sachions pas si cette médiation est «reflétée» ou «révélée»...).

Mais en quoi cette mise en évidence d'un double registre de médiation nous permet-elle de mieux comprendre ce qui se joue dans Les Secrets de la princesse de Cadignan? En rien, de fait. D'une part, parce que toutes les relations humaines sont traversées de médiations de tous ordres, implicites ou explicites; la médiation est même souvent nécessaire pour qu'un désir surgisse et prenne forme, et il n'est pas possible d'établir d'emblée si un désir est vrai ou faux. Qu'est-ce en outre, comme nous l'avons déjà souligné, qu'un désir vrai et un désir faux? D'autre part, parce que l'amour que Diane de Maufrigneuse et Daniel d'Arthez éprouveront l'un pour l'autre n'est pas démenti par la présence d'un médiateur et qu'il ne sera pas moins sincère d'avoir été au départ suggéré par ce même médiateur, comme nous le verrons plus loin.

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En effet, ce qui va être déterminant dans l'énamoration de la princesse et de l'écrivain, c'est le moment de la séduction qui suivra la désignation médiatrice, moment radicalement absent de la narratologie amoureuse de René Girard. Car c'est alors que se jouera un moment de vérité. Madame d'Espard a rappelé à madame de Cadignan que leur beauté leur permettait toujours de séduire, mais que la difficulté résidait dans le fait d'aimer. Et si Diane de Maufrigneuse et Daniel d'Arthez ont été désignés l'un à l'autre, rien ne prouvait qu'ils pouvaient s'aimer. Or, ils vont tomber amoureux l'un de l'autre, ancrant par là-même la simple désignation dans un sentiment réciproque, profond et... durable, selon l'évaluation que le narrateur fait de leur liaison à la fin de la nouvelle:

Depuis ce jour, il n'a plus été question de la princesse de Cadignan, ni de d'Arthez. La princesse a hérité de sa mère quelque fortune, elle passe tous les étés à Genève dans une villa avec le grand écrivain, et revient pour quelques mois d'hiver à Paris. D'Arthez ne se montre qu'à la Chambre. Enfin, ses publications sont devenues excessivement rares. Est-ce un dénouement? Oui, pour les gens d'esprit; non, pour ceux qui veulent tout savoir, (op. cit. p. 1004-1005)

L'amour que la grande dame et l'écrivain se portent ne se voit pas assigner de fin par le narrateur. Peut-être la durée est-elle un critère de vérité plus fiable que l'absence de médiation en matière de désir? Toujours est-il que les deux personnages s'aimeront parce qu'ils se séduiront. La séduction peut prendre la forme que lui donne Jean Baudrillard dans son texte désormais classique De la séduction (1979) : elle est un défi qui mène hors des chemins familiers et l'on peut penser que ce défi agit dans le cas de l'écrivain qu'est d'Arthez, qui n'a suivi jusqu'alors qu'une route étroite, celle de l'étude et des amours fonctionnelles, dont il ne se satisfait plus. Dans le cas de madame de Cadignan, la séduction qu'elle subit semble être d'une autre nature. Jean Baudrillard, reprenant les thèses que Georges Bataille développe dans La part maudite (1949), thèses qui lui avaient été suggérées par les travaux de Marcel Mauss, en particulier par Y Essai sur le don (1923-24), étend dans son livre cette logique de la séduction à toutes les logiques de non-sens qui, dans la société, se dissimulent sous les logiques de sens. Ces logiques de non-sens ou logiques symboliques, cachées sous les logiques apparentes et fonctionnelles que sont la production, l'accumulation, la sexualité - logiques constructives -, révèlent chez l'être humain un désir de se perdre et de se détruire dans ce qu'il entreprend, inséparable du désir de se trouver et de s'édifier. La présence de cette logique de non-sens ne surprend pas dans l'univers balzacien, univers dans lequel Georges Poulet remarque que «le désir se révèle comme acharné à se priver de l'objet même sur lequel s'exerce <;a puissance» (op. cit.. p. 45).

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La séduction est un processus de rupture avec un état de choses mental ou social. Elle ne défend pas une vérité ou un acquis, mais joue sur la surprise, le défi: elle est une promesse sans forme et sans contenu précis ou bien une promesse dont le contenu n'est pas dévoilé.

Un destin ineffaçable pèse sur la séduction. Pour la religion, elle fut la stratégie du diable, qu'elle fût sorcière ou amoureuse. La séduction est toujours celle du mal. Ou celle du monde. C'est ['artifice du monde. (...) La séduction n'est jamais de l'ordre de la nature, mais de celui de l'artifice - jamais de l'ordre de l'énergie, mais de celui du signe et du rituel, (op. cit., p. 9-10)

Le caractère imprévisible de la séduction lui donne cette aura diabolique - dans le sens de coupante, de porteuse de séparation -, ce parfum maléfique qui l'accompagnent (ce qui expliquerait peut-être le silence de René Girard sur le sujet).

La séduction joue au moment où l'arbitraire, le non-fonctionnel surgissent, où toute nécessité causale cesse d'exister et où la personne «séduite», conduite hors du droit chemin, séparée d'elle-même, se laisse entraîner par une absence de finalité contraire à toutes les logiques productives et naturelles.

C'est là où séduction et féminité se confondent, se sont toujours confondues. Toute masculinité a toujours été hantée par cette soudaine réversibilité dans le féminin. Séduction et féminité sont inéluctables comme le revers même du sexe, du sens, du pouvoir, (op. cit. p. 10)

La séduction, en effet, est le triomphe de l'apparence - elle est par conséquent instable; elle met en jeu des signes qui, bien qu'ils structurent les rapports humains, n'ont pas de réfèrent stable: rituels de politesse, codes erotiques, religieux ou magiques.

Diane de Maufrigneuse et Daniel d'Arthez vont se séduire. Nous nous étonnions plus haut de l'étrange face à face que représentait la mise en présence d'une grande dame libertine, qui avait beaucoup vécu, et d'un homme d'étude austère, qui avait peu vécu. Quel genre de séduction deux êtres aussi différents peuvent-ils exercer l'un sur l'autre?

Nous savons que madame de Cadignan «voudrait aimer» un homme qui la surprenne. L'objet d'amour éventuel dont elle espère la venue est vide, sans identité, et son caractère ouvert permet la médiation que vont exercer ses amis. Daniel d'Arthez, désigné par madame d'Espard et ami de Michel Chrestien, fait d'abord l'objet d'une attention qui ne s'adresse pas réellement à lui. En tant qu'ami d'un mort qui aurait pu être aimé, il suscite un intérêt de caractère métonymique. Pourtant, qui peut davantage surprendre Diane de Maufrigneuse qu'un écrivain dénué de toute frivolité, menant une vie studieuseet

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dieuseetretirée? L'écrivain-député incarne un univers de significations, qui, pour la princesse, est d'une nouveauté radicale: travail intellectuel, engagementpolitique dû à la conviction et non à l'ambition, indifférence face à l'argent, méconnaissance des femmes. Cet homme, bien que proche de la maturité - il a trente-huit ans -, a la fraîcheur sentimentale d'un jeune homme («c'est un adorable enfant, il sort du maillot», s'exclame la princesse après leur première rencontre (op. cit., p. 975)): régner sur un cœur qui n'a pas connu l'usure des amours successives, le dominer par le biais d'un premieret unique amour est un défi d'importance pour cette femme de tête qui n'a connu que des amours changeantes. Mais Daniel d'Arthez n'incarne pas seulement la fraîcheur d'âme, rare dans le monde parisien chez un homme de son âge. Il incarne également le génie, l'intelligence, le goût du savoir. Ces propriétés définissent un rapport au monde fondé sur la concentration des facultés intellectuelles, en opposition radicale avec le principe de dissipation qui a dominé jusqu'à sa retraite la vie de la princesse.

Elle avait donc enfin rencontré cet homme supérieur que toutes les femmes désirent, ne fût-ce que pour le jouer; cette puissance à laquelle elles consentent à obéir, ne fût-ce que pour avoir le plaisir de la maîtriser; elle trouvait enfin les grandeurs de l'intelligence unies à la naïveté du cœur, au neuf de la passion; puis elle voyait, par un bonheur inouï', toutes ces richesses contenues dans une forme qui lui plaisait. D'Arthez lui semblait beau, peut-être l'était-il. (op. cit., p. 977-978. C'est moi qui souligne)

Madame de Cadignan a immédiatement reconnu cet «homme de génie» qu'elle souhaitait rencontrer, c'est-à-dire un personnage qui, éloigné du pragmatisme mondain, est capable de «crédulité» créatrice, dans la mesure où il vit dans un univers d'écriture et de fiction. Elle est «séduite» d'emblée, et sent qu'elle parvient enfin à aimer! Alors qu'elle a vainement cherché l'amour à travers une vie de plaisirs, elle le trouve lorsqu'elle a renoncé à ce qui a constitué le principe directeur de son existence, à savoir le monde, le plaisir, la dispersion ou encore le non-sens. La rouée qu'elle fut, la «sirène» au savoir profond en matière de jeux mondains et amoureux, trouve l'amour dans l'abandon à un univers d'intelligence créatrice et de naïveté - signe du génie. Daniel d'Arthez ravit, littéralement, Diane de Maufrigneuse, il l'arrache à elle-même et l'enchante par la nouveauté du monde de préoccupations intellectuelles qu'il lui laisse entrevoir et par l'absence même de savoir amoureux qu'il manifeste.

La séduction que d'Arthez exerce sur la princesse de Cadignan relève d'un autre principe que celui du non-sens. La princesse a vécu des années dominées par un principe de dissipation. Elle se heurte maintenant à un univers strictement structuré par un sens prégnant, celui de la création artistique.C'est ce sens qui l'attire, c'est le désir de se mesurer à une force

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constituant un pôle d'attraction opposé, «ne fût-ce que pour avoir le plaisir de la maîtriser». Or, la maîtrise diffère radicalement de la perte qui accompagnela séduction telle que la définit Jean Baudrillard. C'est une dynamiqued'émulation qui éveille l'intérêt de la princesse et non un désir d'anéantissementde la conscience.

La féminité conquérante de la princesse n'est pas sans évoquer celle de la
«très-chère», chantée par Baudelaire dans Les Bijoux et dont le poète,
«comme un tigre dompté», contemple la nudité mise en scène:

(...)
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S'avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s'était assise.

Bien que Balzac décrive en termes moins erotiques que Baudelaire la joute qui se produit entre l'univers de la féminité séductrice incarnée par la princesse et celui de la masculinité créatrice incarnée par d'Arthez, le propos est le même: la femme trouble le repos contemplatif de l'artiste et fait pénétrer ce dernier dans un monde de non-maîtrise. L'univers sémantique de Daniel d'Arthez est celui de la création. La mise à l'écart des femmes et du monde a été le prix à payer pour qu'une œuvre se fasse. Le principe directeur d'un tel univers est la fermeture, celle de la contention d'esprit exigée par le génie que la création accapare. Ni misanthrope ni vraiment misogyne, Daniel d'Arthez

Inexistence de Daniel d'Arthez est entièrement consacrée au travail, il ne voit
la société que par échappées, elle est pour lui comme un rêve. Sa maison est
un couvent où il mène la vie d'un Bénédiciin. (op. cit., p. 963)

La rigueur de cette vie monacale, toute de discipline et de solitude, s'accompagne d'une rigueur morale exemplaire: après avoir hérité d'un oncle riche, «il continua ses travaux avec une simplicité digne des temps antiques» (op. cit., p. 962).

Cette figure d'homme digne de Caton par certains côtés n'est pourtant pas
aussi monolithique qu'elle pourrait le laisser croire de prime abord.

D'Arthez est un de ces êtres privilégiés chez lesquels la finesse de l'esprit,
l'étendue des qualités du cerveau, n'excluent ni la force ni la grandeur des
sentiments, (op. cit., p. 963)

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Ce génie qui se méfie des femmes et qui n'a jamais aimé n'est pourtant pas insensible. Mais son œuvre lui semble incompatible avec l'amour. L'amour ou plutôt Vabandon au sentiment amoureux fait appel à un principe de fonctionnement radicalement opposé à celui qui a dominé la vie de Daniel d'Arthez jusqu'à sa rencontre avec Diane de Maufrigneuse, car la passion exerce un «empire» sur l'esprit, elle est une perte de maîtrise, un non-sens majeur. A la règle implicite - celle de l'étude, de l'œuvre, comparable à la règle de la vie monacale - qui dirigeait la vie de d'Arthez, succédera effectivement un dérèglement, une perte de repères, que l'écrivain, de manière prémonitoire, redoutait. Cet homme qui vivait «trop peu», puisqu'il vivait essentiellement dans le monde de l'intelligence et se refusait au monde de l'affect amoureux, sera «arraché à lui-même» par l'intrusion de la passion dans son existence. Le dérèglement engendré par la soumission à une logique passionnelle brisera le noyau de sa solitude, l'ouvrira au monde et à la féminité. L'inversion du principe de fonctionnement qui a dominé jusque-là la vie de cet homme de presque quarante ans est le fruit d'une séduction.

Cette séduction est exercée par une personne bien particulière, Diane de Maufrigneuse, qui a été une des reines de la vie parisienne, une «sirène»; belle femme du monde raffinée, maîtrisant l'art de la toilette («La princesse passe encore aujourd'hui pour une des plus fortes sur la toilette, qui, pour les femmes, est le premier des arts. » Op. cit., p. 968), de la séduction amoureuse et du jeu intellectuel et mondain, elle incarne un modèle de féminité que l'artifice élève au rang d'un art: féminité entièrement construite, élaborée, calculée, elle est une intervention artistique sur la matière brute de la nature, et la femme qui est capable de l'exercer est une artiste:

Eamour, réduit à ce que le faisait la Nature, était à leurs yeux [il s'agit de Blondet et de Rastignac] la plus sotte chose du monde. Eune des gloires de la Société, c'est d'avoir créé la femme là où la Nature a fait une femelle; d'avoir créé la perpétuité du désir là où la Nature n'a pensé qu'à la perpétuité de l'Espèce; d'avoir enfin inventé l'amour, la plus belle religion humaine, (op. cit., p. 964)

L'écrivain qu'est d'Arthez, qui a consacré sa vie à la création, n'a connu dans le domaine amoureux que la trivialité de la nature. Il ne sait rien «des charmantes délicatesses de langage, rien des preuves d'affection incessamment données par l'âme et l'esprit, rien de ces désirs annoblis par les manières, rien de ces formes angéliques prêtées aux choses les plus grossières par les femmes comme il faut. // connaissait peut-être la femme, mais il ignorait la divinité» (ibid., p. 964-965. C'est moi qui souligne). Les accents de Balzac, décrivant la féminité comme une conquête de l'humanité sur la bestialité, évoquent, une fois encore, ceux de Baudelaire faisant cette fois l'éloge du maquillage:

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La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s'appliquant à paraître magique et surnaturelle; il'faut qu'elle étonne, qu'elle charme; idole, elle doit se dorer pour être adorée. («Hloge du maquillage» in Curiosités esthétiques, p. 492, Editions Garnier Frères, 1962)

L'invention de la féminité, toute d'artifice et de composition, est le fruit d'une mise en scène que madame de Cadignan dirigera savamment, lors de sa première rencontre avec Daniel d'Arthez et lors de leurs rencontres suivantes. A aucun moment, la princesse ne sera «naturelle». Cette comédienne achevée, à qui la maîtrise de son art féminin permet d'être successivement «folâtre, enfant, innocente à désespérer; ou fine, sérieuse et profonde à donner de l'inquiétude», incarne le caractère réversible et changeant de la séduction faite femme, de la féminité comme surprise et raffinement, telle que Blondet et Rastignac la promettent à d'Arthez.

Le face-à-face de madame de Cadignan qui a trop vécu et de Daniel d'Arthez qui trop peu vécu surprend par l'opposition des principes directeurs que ces deux existences offrent. Pourtant, si la séduction, comme principe de non-sens opère, comme elle le fait dans le cas de la séduction que la princesse exerce sur d'Arthez, c'est probablement en raison de la part de mort - de dépense, au sens que Georges Bataille attribuait au terme -, et par là, dans cette logique, de fascination que le style d'existence incarné par madame de Cadignan contient. Diane de Maufrigneuse introduit Daniel d'Arthez à un réel trop extensif pour n'être pas dangereux: elle a ruiné des hommes; l'ami mort de l'écrivain s'est consumé d'amour pour elle pendant quatre ans. Le monde, comme principe incarné par la princesse, entraîne une dépense de soi difficile à maîtriser, celle-là même contre laquelle l'antiquaire de La peau de chagrin met Raphaël en garde. La princesse, comme la duchesse de Langeais, est bien une «sirène», son chant séducteur peut être fatal.

Daniel d'Arthez, quant à lui, n'est pas sans évoquer ce même antiquaire qui fait l'éloge, devant Raphaël, de l'économie de soi et de la vie par procuration: il est moins dangereux de vivre ses émotions à travers les livres que dans la réalité. Le désir est destructeur. Il entraîne une usure irréversible de l'énergie vitale, il est une dépense mortelle. La vie d'étude à laquelle l'écrivain s'est consacré jusqu'à la soirée chez madame d'Espard contient bien en partie ce même principe de rétention prôné par le vieillard.

En deux mots, j'ai placé ma vie, non dans le cœur qui se brise, non dans les sens qui s'émoussent, mais dans le cerveau qui ne s'use pas et qui survit à tout. Rien d'excessif n'a froissé ni mon âme ni mon corps. (La peau de chagrin, Pléiade, p. 85-86. C'est moi qui souligne)

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Toutefois, bien que la voie ascétique du «savoir» permette seule, d'après le vieillard, d'échapper au dilemme déchirant et destructeur du «vouloir» et du «pouvoir» - dilemme dont Raphaël, dans La peau de chagrin, sera la victime -, se couper du monde, «s'enterrer», comme le dit la langue populaire, serait-ce au nom du savoir, est une fuite hors du temps, une anticipation de l'immobilité mortelle. Daniel d'Arthez, en dépit de son âge, n'a pas encore mûri, il reste prisonnier de l'enfance:

Quoiqu'il arrivât à l'âge grave de l'homme, à trente-huit ans, il conservait une fleur de jeunesse due à la vie sobre et chaste qu'il avait menée (...). A cette noble simplicité qui décorait sa tête impériale, d'Arthez joignait une expression naïve, le naturel des enfants, et une bienveillance touchante, (op. cit., p. 978)

La source du désir qui surgit entre la princesse et l'écrivain n'est pas à trouver dans la désignation des médiateurs. Ce qui séduit madame de Cadignan, c'est l'attrait pour l'enjeu que représentent la maîtrise et la possession d'un homme aussi «chargé de sens» que l'est d'Arthez; ce qui fascine ce dernier, c'est le noyau invisible de destruction dont la princesse est porteuse, cette aura de perte et de non-sens qui l'entoure. Ces deux formes de séduction sont également la vérité du désir qui les réunit, puisque le narrateur nous laisse entendre, à la fin de la nouvelle, que «depuis ce jour» où Diane de Maufrigneuse et Daniel d'Arthez commencent à vivre un amour partagé, un futur illimité leur appartient. Il suggère également que l'écrivain Daniel d'Arthez a quitté son «rocher de cristal» et a presque renoncé à l'écriture pour l'amour de Diane de Maufrigneuse.

Désir et véridiction

Mais reste un détour à préciser: comment le narrateur parvient-il à faire accepter au lecteur les mensonges éhontés de la princesse? Par quel miracle véridictoire le bonheur des personnages, confirmé par le narrateur et accepté par le lecteur, ne paraît-il pas en définitive sinon immoral, du moins légèrement indécent?

Lorsqu'elle comprend qu'elle aime d'Arthez et qu'elle l'a séduit, la princesse n'est pas encore entièrement maîtresse de la situation. Il lui reste un obstacle à franchir. Elle doit convaincre l'homme qu'elle a commencé à aimer qu'elle mérite l'amour qu'il éprouve déjà pour elle, en dépit de la réputation de légèreté qui la suit dans le monde parisien:

Elle voulut être digne de cet amour, le perpétuer, se l'approprier à jamais, et finir doucement sa vie de jolie femme dans le paradis qu'elle entrevoyait. {Les Secrets de la princesse de Cadignan, op. cit., p. 979. C'est moi qui souligne)

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II ne s'agit pas de jouer les prudes ni de se livrer à des agaceries de coquette - «Quant à la résistance, à se chicaner, à coqueter, elle n'y pensa même pas» (ibid.). Diane de Maufrigneuse a saisi le sens de la rencontre qu'elle vient de faire: elle ne jouera pas à se refuser à d'Arthez. Mais il y va de son bonheur, elle va engager le restant de ses jours. Elle doit être habile. La timidité de d'Arthez lui laissera le temps de se composer un personnage crédible pour un homme aimant. Car tel est l'enjeu de la comédie que madame de Cadignan va jouer à Daniel d'Arthez: être crue, être perçue comme pure, c'est-à-dire comme fiable dans les sentiments qu'elle prétend éprouver; en effet, si l'écrivain accepte la version mondaine de la vie de la princesse, à savoir qu'elle aimait le plaisir et le luxe et que ses liaisons, connues de tous, ont été autant d'engagements passionnels (elle a aimé sans être heureuse, selon les distinctions terminologiques auxquelles elle se livre lors de sa conversation avec madame d'Espard), comment croire que le commerce amoureux qu'elle accepterait avec d'Arthez différerait radicalement de ses liaisons précédentes? Pourquoi devrait-il la croire capable de constance quand elle a été si souvent inconstante? La princesse ne peut nier ce dont trop de personnes peuvent témoigner, à savoir qu'elle s'est compromise. En revanche, elle peut tenter de modifier l'interprétation communément acceptée que l'on donne du contenu de ces liaisons et de leur raison d'être. En d'autres termes, Diane de Maufrigneuse doit rendre vraisemblable et par conséquent crédible l'interprétation qu'elle donnera de son être mondain passé, afin que son être sentimental présent et futur soit lui aussi crédible.

La princesse de Cadignan va entamer devant d'Arthez une nouvelle étape séductive qui relève uniquement du discours: à partir de prémisses impossibles à nier - sa réputation est notoire -, elle va proposer une nouvelle évaluation de son passé, propre à la laver de tout soupçon de légèreté. Elle n'a jamais confié la vérité de sa vie à personne, prétend-elle, mais elle veut honorer l'«amitié» de Daniel d'Arthez par cet acte de confiance:

L'heure était venue, Diane allait entortiller ce grand homme dans les lianes inextricables d'un roman préparé de longue main, et qu'il allait écouter comme un néophyte des beaux jours de la foi chrétienne écoutait l'épître d'un apôtre, (op. cit., p. 989. C'est moi qui souligne)

La conquérante qu'elle est offrira à l'écrivain, au professionnel de la fiction, un «roman» dans lequel elle se présentera comme une victime, une innocentequi est tombée dans le piège de la duplicité mondaine. Sa mère et son mari - dont le lecteur sait qu'ils ont fait preuve de la plus grande complaisanceenvers elle - seront présentés comme des êtres corrompus et sans cœur, qui se sont servis de sa jeunesse et de sa méconnaissance du monde pour mieux poursuivre la liaison qu'ils entretenaient (le mensonge est ici la variante quantitative d'une structure qualitative, puisque cette liaison a été

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bien réelle, mais elle était terminée depuis longtemps lorsque la duchesse d'Uxelles avait décidé de donner sa fille en mariage au duc de Maufrigneuse).C'est pour cette raison, continuera la princesse, qu'elle a cherché à se venger de sa mère et de son mari, en s'exhibant avec des hommes dont le monde, perfide, a fait ses amants; elle s'est rendu compte trop tard qu'elle s'était compromise et que sa vengeance l'atteignait autant qu'elle atteignait sa mère et son mari.

Cet «aveu» est séductif pour plusieurs raisons. La princesse «distingue» tout d'abord d'Arthez en prétendant faire de lui son confident unique, après avoir apparemment hésité pendant deux mois, hésitation qui ne donne que plus de prix au récit qu'elle va lui faire. Elle manifeste ainsi l'estime exceptionnelle qu'elle lui porte et l'enferme dans une logique de potlatch fiduciaire: il ne peut répondre à l'extrême marque de confiance que lui fait cette femme dont il est épris que par des marques de confiance sinon plus grandes, du moins aussi grandes, marques de confiance d'une telle ampleur qu'elles relèvent de la foi aveugle. La princesse, avant de livrer le prétendu secret de sa vie, a par conséquent créé de toutes pièces le climat nécessaire à toute communication fiable, elle a énoncé les termes d'un «contrat véridictoire» propre à tout faire accepter à Daniel d'Arthez. Le personnage d'innocente victime qu'elle composera ensuite, pur mensonge, produira pourtant un «effet de sens 'vérité'» et paraîtra vrai: d'Arthez la croira et ira même jusqu'à la venger, en paraissant approuver son attitude devant la compagnie de ses anciens amants. Si, comme le disent A. J. Greimas et J. Courtes, le «dire-vrai» repose sur un «croire-vrai», tout rapport véridictoire est un rapport de séduction - on se laisse «entraîner» à croire un énoncé - et toute relation d'amour est également véridictoire, dans la mesure où parler, tenir un discours de représentation du monde entre à part entière dans la construction de l'amour.

La princesse de Cadignan est non seulement capable de manifester la ruse du plus fin politique - elle s'est d'ailleurs jouée de de Marsay à l'occasion -, mais elle est aussi une fine ironiste et une fine dialecticienne. Ironiste, parce qu'elle prétend vouloir dévoiler à d'Arthez la vérité qui se cache derrière les apparences, comme le fait, par exemple, le philosophe de Diderot dans VHistoire de Madame de la Carlière (cf. notre article, «Diderot: hésitations autour de la promesse ...»): le jugement public croit le chevalier Desroches coupable, mais le philosophe, lui, va rétablir la vérité des faits. Diderot est sans ironie aucune et croit réellement au bien fondé de la morale naturelle qui lui sert de prémisse argumentative. Madame de Cadignan, en revanche, utilise cette prétention de vérité pour forger un «roman» qui va remplacer par un mensonge les prétendues apparences, qui sont, elles, la vérité! Elle joue là sur le consensus implicite portant sur la présence d'une vérité absolue derrière les apparences.

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Mais elle va plus loin, et c'est en cela qu'elle est aussi dialecticienne: en proposant une évaluation mensongère de son passé, elle crée, par son discours, une situation qui rend crédible l'expression d'une vérité affective et qui la communique. Elle amène en effet l'homme qu'elle aime à croire à l'amour qu'elle lui porte et à la vérité pourtant incroyable de son être sentimental. Elle fait surgir par là une nouvelle réalité qui engage son avenir, puisque cette réalité est porteuse d'une promesse implicite de fidélité. Elle prend le risque de perdre Daniel d'Arthez pour le gagner définitivement, lorsqu'elle l'envoie subir, non pas le jugement de Dieu, mais une ordalie mondaine, et joue alors le tout pour le tout: ou bien elle assurera son bonheur et celui de d'Arthez, ou bien elle brisera deux vies.

Pour la première fois de sa vie, cette femme souffrait dans son cœur et suait dans sa robe. Elle ne savait quel parti prendre au cas où d'Arthez croirait le monde qui dirait vrai, au lieu de la croire, elle qui mentait; car jamais un caractère si beau, un homme si complet, une âme si pure, une conscience si ingénue ne s'étaient mis sous sa main. Si elle avait ourdi de si cruels mensonges, elle y avait été poussée par le désir de connaître le véritable amour. (...) Quand elle entendit le pas de Daniel dans la salle à manger, elle éprouva une commotion, un tressaillement qui l'agita jusque dans les principes de sa vie. Ce mouvement, qu'elle n'avait jamais eu pendant l'existence la plus aventureuse pour une femme de son rang, lui apprit alors qu'elle avait joué son bonheur, (op. cit., p. 1004)

La princesse a menti, elle a trompé d'Arthez sciemment pour créer une réalité fiable. Le désir qui les a poussés l'un vers l'autre n'en est pas pour autant «inauthentique», puisque le narrateur précise l'issue heureuse et durable de cette comédie mensongère. En fait, ce texte nous dit d'une part que la vérité dans le discours relève de catégories parfois instables, mais dont l'instabilité est inévitable, puisque le monde ne peut jamais être perçu dans sa totalité, mais à travers des phrases qui le découpent et le délimitent. Cela permet différents registres de discours, dont celui de l'évaluation subjective et par là, peut-être, mensongère. Mais ce texte nous dit d'autre part que l'être même de l'amour, contrairement à ce que croit René Girard, ne peut être envisagé dans la perspective d'un désir authentique qui s'opposerait à un désir inauthentique: l'amour est en effet le fruit d'une séduction, c'est-à-dire d'un mensonge (il suffit de penser à Cendrillon séduisant le prince dans une robe «prêtée» par la fée sa marraine) et d'un non-sens; il est également l'expression d'une communication: il se forme - il prend une forme - dans la déformation que lui inflige son expression langagière.

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Un texte parfait

Nous pouvons pour finir proposer une interprétation du jugement porté par
Nathalie Sarraute sur le texte de Balzac.

Ce texte a mis en scène, essentiellement, deux personnages, la princesse de Cadignan, d'une part, grande dame libertine qui se sait porteuse d'un «incroyable secret», celui de l'écart que présentent la vérité de son cœur - subjective - et la vérité de sa vie mondaine - objective - et qui parvient, en recourant à un «roman», c'est-à-dire à un mensonge, à faire croire à l'homme qu'elle veut s'attacher, que ces deux vérités pourtant inconciliables pour toute personne extérieure, n'en font qu'une; Daniel d'Arthez, d'autre part, auteur célèbre qui, jusqu'à sa rencontre avec madame de Cadignan, a vécu dans un univers exclusif de création littéraire, c'est-à-dire de fiction, et qui sait par conséquent, parce qu'il est écrivain, que des vérités peuvent exister, même si elles n'ont pas eu le temps ou la possibilité de prendre une forme accessible à la perception sensible. Il sait également que ces vérités, si elles relèvent d'un registre subjectif, peuvent contredire des faits objectifs, dont le constat fait l'unanimité. Il croira la version des faits passés que lui proposera madame de Cadignan, et rendra ainsi vrai le seul rôle que veut jouer désormais la princesse, celui de la femme qui aime et est heureuse.

Ces deux personnages si radicalement différents ont été séduits par des principes de sens qui leur ont permis de changer de route, à l'aube de la maturité: ils opèrent ainsi un chiasme entre sens et non-sens, dans la mesure où celui qui avait vécu dans la dissipation et le non-sens - la princesse - jette son dévolu sur un créateur, porteur de sens, et que celui qui avait vécu dans la contention et le sens - d'Arthez — se laisse emporter par l'artifice de la féminité, de la séduction et du mensonge. Il renonce en partie à l'écriture pour s'abandonner à un amour partagé avec la princesse.

Le lien que l'on peut établir entre le «roman» de la princesse et la séduction que les deux personnages exercent l'un sur l'autre est à chercher dans la véridiction, telle qu'elle a été définie, dans son principe initial, par A. J. Greimas et J. Courtes. La princesse recourt à un mensonge pour jeter les bases d'un futur fiable. Son mensonge est en réalité la condition de la communication d'un sentiment qui, s'il n'était pas purifié des connotations passées qui pèsent sur lui, ne pourrait pas être perçu comme vrai, alors qu 'il est vrai. Le mensonge de la princesse a pour fonction de neutraliser les constats objectifs, mais parasites, qui empêchent une vérité subjective de voir le jour et d'être perçue par la personne intéressée.

Contrairement à ce que pense René Girard, la vérité du désir n'est pas dans son essence individuelle, mais dans le jeu qui se produit entre deux interlocuteurs, tant au niveau de la séduction qu'au niveau de la communication - nous sommes là danj> la seconde catégorie veridictoire que nous avons

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évoquée plus haut, à savoir celle du domaine subjectif et du genre évaluatif. Or, ce domaine subjectif auquel ressortit en particulier la vérité amoureuse, est strictement subordonné aux conditions de communication qui l'entourent: l'être d'un amour - son intensité, sa durée - dépendent en effet de son destin, de la possibilité qui lui est offerte d'être communiqué, et de la manièredont il est communiqué. Il existe en partie dans la confrontation avec autrui.

Si Les Secrets de la princesse de Cadignan sont «une réussite totale», comme le prétend Nathalie Sarraute, n'est-ce pas en raison des liens étroits qu'ils dévoilent entre vérité et mensonge, dans la communication, et d'un procédé bien particulier qui transparaît dans le texte de Balzac, à savoir celui du blason? Il ne s'agit pas de ce procédé au sens où l'entendait Gide, lorsqu'il introduisait au cœur des Faux-Monnayeurs une scène qui faisait fonction de méta-discours, scène dans laquelle les personnages réfléchissaient aux problèmes du roman en général et du roman que sont Les Faux-Monnayeurs en particulier: cette mise en abyme est essentiellement formelle et technique. La mise en abyme à laquelle Balzac procède est thématique et philosophique ou sémiotique. Si l'on veut résumer en une phrase un peu longue Les Secrets de la princesse de Cadignan, on peut dire que ce court roman, récit de fiction, relate l'énorme mensonge auquel se livre une grande dame, reine de l'artifice, pour séduire un écrivain, c'est-à-dire un spécialiste lui aussi de Vaffabulation, et pour se l'attacher grâce à un amour véritable.

Le mensonge comme facteur de vérité est Pabyme de ce texte, le centre de l'écu qu'est le roman, non pas comme lieu de réflexion sur des techniques d'écriture, mais comme mise en scène fictionnelle, acceptée comme telle, d'une fable trompeuse, servie par une femme qui, pour dire la vérité, ment à un homme qui ment lui aussi à sa manière, lorsqu'il s'adonne à son activité de romancier.

Le «roman» de la princesse, ce mensonge créateur de vérité suggère en termes fictionnels tout le registre de l'interprétation du réel par le langage, c'est-à-dire celui de la véridiction. Il suggère également, par effet d'écho, l'artifice de la féminité et ia séduction qu'elle exerce: le modèle de féminité incarné par Diane de Maufrigneuse, considéré par le narrateur comme le triomphe de la création culturelle sur la brutalité naturelle, est un comble de facticité et d'élaboration. La féminité, en effet, est un leurre: elle s'exprime par le dédoublement, la métamorphose, la théâtralité. Mais si la quintessence de féminité qu'incarne la princesse de Cadignan séduit, c'est précisément, semble dire le narrateur, parce que la fiction culturelle qu'elle représente fait surgir une réalité, est créatrice de vérité elle aussi, comme le mensonge de la princesse. La promesse implicite d'«exquises jouissances» engendrées par «la passion noble et délicate», que la princesse fait à d'Arthez, sera tenue. Le narrateur s'en porte garant.

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Fiction qui met en scène le mensonge qu'est la féminité et le mensonge perpétré par une femme, Les Secrets de la princesse de Cadignan sont eux aussi un mensonge. Rousseau savait bien que les romans sont dangereux: ils mentent, en effet, ils introduisent entre le créateur et sa créature des signes artificiels qui font obstacle à tout contact direct et séduisent leurs lecteurs en leur faisant croire à la vérité du faux. C'est là en fait l'idée que reprend, en d'autres termes, René Girard: dans son cas, la fiction, à travers les personnages qu'elle met en scène, doit reconnaître explicitement qu'elle opère avec des signes médiateurs pour ne pas induire en erreur (en mensonge). Elle doit montrer patte blanche, se blanchir du soupçon de mensonge en faisant ressortir ses subterfuges. Mais si l'on accepte, dans la logique de la véridiction, que la littérature romanesque, en tant qu'activité relevant de l'écriture, est nécessairement un univers mensonger, dans lequel on «raconte des histoires» à l'aide des signes du langage, le roman devient alors une fiction qui, à l'aide du mensonge, interprète le monde et ses signes, fait apparaître des vérités et des significations multiples. Vaste parabole, conte sans fin, elle est une fable qui pense et dit le monde, grâce au mensonge.

La réussite totale des Secrets de la princesse de Cadignan tient à la profonde cohérence des registres esthétique, thématique et sémiotique entrelacés par l'auteur. Mensonge, féminité et fiction romanesque se répondent, se reflètent l'un dans l'autre, s'enchâssant harmonieusement sous l'œil bienveillant du narrateur, cautionnant pour le lecteur l'issue heureuse de ce mensonge dans une fiction.

Maryse Laffitte

Université de Copenhague

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Résumé

Les secrets de la princesse de Cadignan sont le récit d'une séduction recourant au mensonge pour faire croire à une vérité. Madame de Cadignan, grande dame qui fut autrefois mondaine et légère, tombe amoureuse de Daniel d'Arthez, un écrivain austère et vivant loin du monde: elle doit le convaincre, en dépit de sa réputation, de sa fiabilité en matière de sentiments. Balzac dévoile dans ce court roman les liens étroits existant, dans la communication, entre vérité et mensonge, et se livre implicitement, avant la lettre, à une véritable analyse du «dire-vrai» et du «croire-vrai» (selon la logique véridictoire décrite par A. J. Greimas), qui infirme radicalement les réflexions de René Girard sur l'authenticité et l'inauthenticité du désir. La cohérence singulière qu'offrent en outre Les secrets de la princesse de Cadignan provient de l'écho que se font les registres de la féminité, de la vérité et de la fiction romanesque dans un texte qui met en scène une mondaine, reine de l'artifice et un écrivain, spécialiste de l'affabulation fictionnelle.

Bibliographie

Balzac, Honoré de:

- Les secrets de la princesse de Cadignan, Bibliothèque de la Pléiade. T. VI,
Gallimard, 1977.

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