Revue Romane, Bind 28 (1993) 2

Dorothea Klenke: Herr und Diener in der französischen Komödie des 17. und 18. Jahrhunderts. Peter Lang, Frankfurt 1992. 394 p.

John Pedersen

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Voici une thèse sur un sujet bien connu, semble-t-il, mais pour lequel l'auteur a
cherché une nouvelle optique, qui est annoncée dans le sous-titre Eine ideologiekritische

Fidèle à cette promesse, l'auteur ouvre son étude par un chapitre qui, à travers de courts extraits de documents de l'époque et d'ouvrages socio-historiques, nous situe dans le contexte social de ces deux siècles. Le tableau ainsi brossé donne au lecteur une idée des rapports ambigus entre maître et valet. Sont soulignées, à la fois, la dépendance et la liberté relatives du valet, ainsi que sa situation financière, valet privé de fortune, mais ayant des possibilités non négligeables de s'enrichir au détriment du maître. Malgré la concision relative de ce chapitre, l'auteur parvient à illustrer aussi le développement des rapports durant les deux siècles étudiés jusqu'à l'heure fatale de la Révolution.

Le chapitre suivant a pour but d'examiner certaines positions philosophiques ou religieuses face au dualisme maître - valet. Lensemble du chapitre montre qu'il est plus souvent question de chercher une légitimation de ce rapport que de s'approcher d'une vraie émancipation. Comme cela était à prévoir, l'attitude du clergé vis-à-vis des valets est plutôt de les considérer comme des subalternes qui ne méritent guère

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d'égards particuliers. Mais on constate également que ['Encyclopédie n'offre pas d'élémentsqui prônent une émancipation radicale. A part des articles de Jaucourt reflétantson idéalisme, on y trouve plutôt la confirmation d'un paternalisme bien traditionnel. Cette image se transforme pourtant dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, mais là non plus, l'auteur ne transforme pas les vérités solidement établies dans ce domaine. Disons que «ce que l'on savait déjà, on le saura, à partir de ce chapitre, un peu mieux».

Dans son troisième mouvement contournant le sujet, l'auteur examine brièvement la tradition dramaturgique depuis les modèles antiques (Ménandre, Tërence et, surtout, Plaute) par la commedia dell'arte et la comedia espagnole jusqu'à la comédie française avant Molière. En peu de pages, l'auteur nous offre ainsi un solide aperçu de la tradition avant d'aborder véritablement son sujet dans le chapitre central sur «maître et valet dans la comédie française de Molière à Beaumarchais».

Dans la première partie de ce chapitre, vouée à Molière, les deux pôles de l'analyse sont Scapin et le Sganarelle du Dom Juan. Le premier, avec une citation de Garapon, est caractérisé comme un «Figaro avant la lettre», alors que le second est surtout étudié pour la complexité de son caractère aussi bien que de ses fonctions dramaturgiques. C'est avec Sganarelle, selon l'auteur, que nous nous approchons d'un 'réalisme' qui ouvre sur des réflexions sociales franchement critiques.

Les pages suivantes, intitulées «De Lambert à Champmeslé», constituent un chapitre du plus grand intérêt. Ce qui montre, une fois de plus, que ce n'est pas forcément avec les sommets littéraires que l'on fait les analyses les plus informatives. Parions que bien des chercheurs trouveront dans cette mine d'inattendues matières à réflexion.

Pour ce qui est de Marivaux et de ses contemporains, l'auteur étudie surtout la figure d'Arlequin et sa valorisation croissante durant la première partie de la carrière de Marivaux; mais ces pages contiennent aussi de belles analyses des Fausses Confidences et de L'lle des esclaves, dans laquelle est soulignée la différence des conditions sociales comme une «épreuve des dieux». L'attitude humaniste d'un Marivaux ne laisse guère de place aux velléités révolutionnaires.

Les études proprement dramaturgiques se terminent par un chapitre assez bref sur Beaumarchais et ses contemporains. Il y est montré comment la nouvelle esthétique d'un Diderot ou d'un Chamfort réduit considérablement l'espace réservé aux agissements du valet fourbe. Lheure de la comédie sérieuse a sonné, et elle durera jusqu'au moment, en 1773, où ressurgit ledit valet dans les habits de Figaro. On sait l'importance de ce Barbier promu valet de chambre et «concierge du château» cinq ans plus tard, lors de son Mariage. Dans ces pages, l'auteur met justement en valeur les points culminants de ses matériaux pour montrer à quel point la problématique maître - valet prend ici des dimensions authentiquement sociales. On regrette seulement que son excellente analyse ne soit suivie que de deux ou trois lignes sur La Mère coupable, qui, dans le contexte choisi, aurait mérité mieux.

Dans les remarques finales, l'auteur résume sa démonstration des continuités et
discontinuités d'une structure dramaturgique particulièrement fructueuse et d'une
remarquable importance aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Cependant, le lecteur est en droit de se demander dans quelle mesure l'auteur de
ce travail très solide est resté fidèle à sa promesse de donner «eine ideologiekritische
Studio à travers son étude. Les chapitres sur !a réalité socio-historique et sur les

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positions philosophiques servent-ils réellement comme fondement du travail analytique?Il nous semble permis d'en douter. Par ailleurs, on aurait aimé trouver, dans un ouvrage de ce caractère, une réflexion approfondie sur la différence entre intention et effet dans le contexte du théâtre. Il est vrai, par exemple, que la critique de Marivaux n'est pas une critique politique. Mais l'effet à terme d'avoir montré et d'avoir fait dire certaines choses depuis la scène, ainsi que l'accueil immédiat qu'on leur a fait dans les salles surchauffées, ne sont pas faciles à mesurer.

Quoi qu'il en soit, avec son travail consciencieux et bien soigné, Dorothea Klenke a
le mérite d'avoir élargi nos connaissances dans un domaine qu'on aurait pu croire
déjà suffisamment étudié.

Université de Copenhague