Revue Romane, Bind 28 (1993) 1

Gaston Gross: Les constructions converses du français. Langue et Culture 22. Librairie Droz, Genève-Paris, 1989. 513 p.

Susanne Nøhr Pedersen

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Cet ouvrage s'inscrit dans le cadre de l'étude du lexique-grammaire du français menée au LAD.L. Le travail est consacré aux substantifs prédicatifs et motivé par le fait qu'en dehors des verbes et des adjectifs, un grand nombre de noms peuvent constituer le noyau d'une phrase, ce qui est le cas quand un substantif est construit avec un verbe support comme dans:

Luc a de l'admiration pour cette attitude

Le rôle du verbe support (ici: avoir) est d'attribuer à la phrase les marques de temps,
de personne et de nombre: «le verbe support sert à conjuguer les N prédicatifs» (p.
38).

Un substantif prédicatif peut être relié à un verbe, mais ce lien morphologique est
loin d'être la règle. Gaston Gross (G.G.) répartit ces substantifs en quatre groupes:

1) ceux qui sont morphologiquement reiiés à un verbe (V-n) (gifle, autorisation);
2) ceux qui ne sont pas reliés à un verbe ni à un adjectif (N) (besogne, directive);
3) ceux qui sont composés (carte blanche); et finalement

4) le type un coup de N (coup de fil). Au total, il s'agit d'environ 1.200 substantifs qui
figurent dans des tables qu'on trouvera en annexe.

Il semble commode de diviser l'ouvrage de G.G. en trois parties, bien que cette division ne soit pas établie par l'auteur lui-même. La première partie (chap. 1-7) est consacrée à l'étude des constructions à verbe support en général, et à verbe support donner en particulier, comme dans l'exemple:

Paul donnera une gifle à Luc

La seconde partie de l'ouvrage (chap. 8-10) traite des constructions converses qui
mettent en jeu les supports recevoir et subir. Par exemple:

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Luc recevra une gifle de Paul
Luc a subi des critiques de la part de Max

La troisième partie (chap. 11) est consacrée à l'étude des relations entre le passif et
les constructions converses:

Luc a été giflé (par Max)
Luc a reçu une gifle (de la part de Max)

Revenons au chapitre 1-7, où, sur la base de propriétés sémantiques et syntaxiques,
G.G. fait une distinction entre une construction à verbe ordinaire et une construction
à verbe support:

Luc a donné une pendule à Max (verbe ordinaire)
Luc a donné un démenti à Max (verbe support)

Comme cela est illustré par les exemples ci-dessus, un verbe suppport ne constitue
généralement qu'un des multiples emplois d'un verbe donné. Souvent les verbes
supports sont l'objet d'une homonymie.

Selon l'auteur, les verbes supports ne se construisent qu'avec des substantifs prédicatifs, qui sont des noms abstraits, alors que les verbes ordinaires acceptent des substantifs concrets. Mais, comme il le dit prudemment : «II n'est pas facile de délimiter la notion de concret» (p. 22). Plus loin, G.G. fait remarquer que «les notions de concret et de prédicatif ne peuvent être définies que dans le cadre d'une phrase, en fonction des autres éléments de cette phrase» (p. 39), vu qu'un substantif peut avoir à la fois un emploi concret et abstrait.

Concernant des propriétés syntaxiques, il s'agit de propriétés comme par exemple
l'interrogation en que:

Que donne Luc à Max?
(Une pendule + *un démenti)

et l'extraction. Ce qui est nouveau dans ce contexte, c'est l'observation que, tandis que
l'extraction est un phénomène très régulier avec les verbes support faire et avoir, la
situation de donner est différente. Il y a des cas qui ne posent pas de problèmes:

Luc a donné une réponse à cette interrogation
C'est une réponse à cette interrogation que Luc a donnée
C'est une réponse que Luc a donnée à cette interrogation

et des cas où l'extraction n'est pas acceptable:

Les soldats ont donné la charge à l'ennemi
* C'est la charge à l'ennemi que les soldats ont donnée
* C'est la charge que les soldats ont donnée à l'ennemi

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Les verbes supports ne s'opposent pas seulement aux verbes ordinaires, mais aussi
aux verbes opérateurs (Vop) qui sont caractérisés par une valeur causative. Ex.:

Max a des complexes (verbe support)
Luc a donné des complexes à Max (Vop)

Dans la construction à verbe opérateur, Luc ne fait pas partie de la structure argumentielle
de complexe. Un argument a été ajouté grâce au verbe causatif. Très souvent
donner est une variante causative du verbe support avoir.

Le chapitre 7 porte sur l'existence des différentes variantes du support. Par variante G.G. entend un synonyme lexical qui partage les propriétés syntaxiques du verbe support - c'est-à-dire: 1) les mêmes arguments, 2) la même distribution des déterminants, 3) l'impossibilité d'être décomposé à la manière des Vop (voir p. 171):

Luc a (donné + accordé) à Max l'autorisation de partir

Aussi rencontre-t-on fréquemment des variantes aspectuelles (inchoatives, par exemple
entamer, duratives, par exemple continuer, ou terminatives, par exemple terminer)
avec les verbes supports avoir ou faire:

Luc (fait + entame + termine) un travail sur l'opéra

Mais «avec le support donner les variantes de ce genre n'existent pas» (p. 177). Cette observation me paraît fort intéressante. L'hypothèse de G.G. est que «les variantes inchoatives et terminatives impliquent un support qui forme avec le substantif prédicatif un procès d'une certaine durée» (p. 178), ce qui n'est pas le cas des noms prédicatifs construits avec le support donner. Une preuve de cette caractéristique est l'impossibilité d'adjoindre un complément de durée:

* Max a donné un conseil à Luc pendant une journée

l'étude des constructions converses (commençant au chap. 8) se distingue par le fait qu'elle aborde un sujet jusqu'ici négligé en français. «Une phrase à verbe support est la converse d'une autre (également à support) si: 1) elle a le même substantif prédicatif; 2) les déterminants de ce substantif ont la même distribution; 3) les arguments de ce prédicat sont identiques et ont la même extension; 4) ces arguments sont inverses» (p. 191), par exemple:

Max a donné (une + des + quelques) claque(s) à Luc
Luc a reçu (une + des + quelques) claque(s) de Max

G.G. étudie très attentivement la relation converse exprimée par des paires comme donner - recevoir, faire - recevoir, faire - subir, infliger - subir, etc. De plus, il analyse les différences de propriétés qui caractérisent le support converse recevoir par rapport au verbe subir. Comme les supports donner et faire, les supports converses peuvent avoir des variantes (ou des extensions). Les tables montrent «que la construction converse est une propriété des substantifs prédicatifs et qu'il n'existe pas de règles

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sémantiques qui permettent de prédire de façon compacte les substantifs qui ont cette propriété» (p. 324). Cette étude des constructions converses se recommande par la richesse des exemples rassemblés et surtout par les nombreuses observations pertinentes.

Le but de G.G. au chapitre 11 est de montrer des relations qui existent entre les constructions converses et le passif, lequel, par bien des aspects, peut s'en rapprocher. Comme il s'agit d'un domaine négligé, l'auteur a recours aux verbes déponents du latin «qui ont la particularité d'avoir une morphologie passive mais un sens actif» (p. 305). Pour exprimer le passif il faut recourir au verbe habere suivi d'un déverbal:

Marcus admiratur Paulum
Paulus habet admirationem Marci

Cette synonymie entre le passif et les constructions à support converse se signale par
des propriétés identiques, par exemple une inversion d'arguments par rapport au
prédicat:

Max a giflé Luc
Luc a été giflé (par Max)

Max a donné une gifle à Luc
Luc a reçu une gifle (de la part de Max)

ainsi que la possibilité d'un complément agentif optionnel.

D'autres propriétés communes comme l'interprétation statique (p. 110), la transformation
impersonnelle (p. 111) sont aussi mentionnées.

Malgré les nombreuses similitudes, G.G. nous prévient contre la confusion entre
les deux constructions. En effet, il y a des cas où les deux structures sont différentes,
ce qui est illustré par des phrases comme:

Max a lu ce livre
=: Ce livre a été lu par Max

et

Luc a donné son aval à ce projet
=: Ce projet a reçu l'aval de Luc

Dans la première paire de phrases, l'objet direct (livre) devient le sujet de la phrase passive, tandis que dans la dernière paire à support, le sujet du support converse (projet) correspond à un datif. D'autres différences portent sur la valeur aspectuelle. ¿auteur conclut en disant que «le passif et les constructions converses ... forment des ensembles dont l'intersection est constituée par des prédicats verbaux passivables susceptibles de nominalisation à l'aide de supports établissant entre eux une relation de conversion» (p. 324).

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On aura compris qu'il s'agit d'une étude consciencieuse, qui nous fait comprendre les mécanismes qui sont déterminants pour les constructions converses. G.G. a, avant tout, le mérite d'avoir décrit le support donner et d'avoir introduit la notion de support converse en français. Les remarques critiques qui vont suivre n'enlèvent rien à l'utilité de l'ouvrage.

1) Les chapitres 1-7 traitant des constructions à verbe support en général, et à verbe support donner en particulier s'étendent sur près de 188 pages. Leur intérêt n'est pas discutable, mais ils paraissent trop copieux au lecteur qui s'attend, d'après le titre, à une étude des diverses constructions converses du français, même si l'introduction tente de justifier cette organisation. La description des constructions converses ne commence qu'à partir du Bème chapitre. De ce fait, l'organisation et le contenu de cet ouvrage suggèrent plutôt un titre plus large comme, par exemple, «Les constructions à verbe support (donner) et les constructions converses».

2) La table DR2 comprend des substantifs prédicatifs non reliés à un verbe. Bien que quelques modifications (cf. chap. 5.2.) soient apportées à cet énoncé, il semble difficile de justifier la présence d'un nom comme par exemple traitement (il y en a d'autres aussi) dans cette table:

Le médecin a donné un bon traitement au malade
Le médecin a bien traité le malade

3) On ne saisit pas très bien pourquoi, au chapitre 7.4., G.G. utilise la terminologie 'variante itérative', alors qu'auparavant (chap 7.3.) il avait parlé des variantes aspectuelles (inchoatives, duratives, terminatives). Est-ce que la variante itérative n'est pas à considérer comme une variante aspectuelle?

Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Copenhague