Revue Romane, Bind 28 (1993) 1

Actes du onzième congrès des romanistes Scandinaves. Trondheim 13-17 août 1990. Ed. Odile Halmøy, Arne Halvorsen et Lise Lorentzen. Trondheim, Norvège, s. d., 572 p.

John Pedersen

Une des images de marque des romanistes Scandinaves est leur penchant pour la polyvalence, leur volonté de relever les défis tous azimuts. Tous les trois ans, lors des traditionnels congrès, on a l'occasion de constater le maintien de ce caractère presque universel des efforts, aussi bien que la bonne santé, en général, des études romanes dans les régions le plus au nord de l'Europe.

Les actes du congrès de Trondheim (1990) ne vont nullement à rencontre de cette tradition. Les nombreuses communications ont été présentées tant par de «jeunes espoirs» que par des chercheurs réputés et solidement expérimentés, et elles entament à la fois les terrains de la philologie traditionnelle, la syntaxe moderne dans tous ses aspects, les études pragmatiques et littéraires et même, innovation notable, les aspects pédagogiques de l'enseignement des langues étrangères.

Il n'est évidemment pas possible, dans le cadre d'un bref compte rendu, de présenter convenablement les 46 communications, parfois de très grande valeur. En revanche, et en dépit du style lapidaire que nous impose une telle gageure, il nous paraît utile d'indiquer la variété et l'étendue des sujets abordés. Conformément aux traditions de ces congrès, les articles sont rédigés (avec une seule exception) en langue romane, notamment en espagnol, français ou italien. Le recueil, d'ailleurs, se termine par cinq résumés présentant les thèmes les plus importants qui ont été débattus lors des tables rondes du congrès.

Dans le domaine philologique, J. Ahokas se penche sur l'étymologie de quelques mots français relevant du langage familier. G. Boysen examine mœàmus dans les langues romanes, alors que A. Sakari présente un romaniste finlandais de la deuxième moitié du siècle passé. F. Jensen discute les variations proportionnelles en gallo-roman médiéval (du type con plus le vit, Amours plus l'embrasa), alors que H. Kronning présente une étude étayée sur l'évolution sémantique de debere ¡devoir. P. Spore étudie la structure du mot français, et H. Hâyrynen réfléchit sur le choix du manuscrit de base pour une édition critique du Traité de conseil de l'évêque de Tournai Guillaume Fulastre.

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Les études syntaxiques se nourrissent, dans ces cercles, de deux sources: la très solide tradition scandinave (Sandfeld, Blinkenberg, Hasselroth, Togeby et tant d'autres) et les réflexions pilotes des milieux linguistiques internationaux. La simple énumération des sujets abordés ne pourra donner qu'une idée très faible de la richesse des matières présentées.

K. J. Danell cherche une solution au problème que posent les synonymes an - année; H. Dorum réfléchit sur l'hypothèse de l'inaccusatif dans un article qui, entre autres choses, nous offre un aperçu de l'évolution des auxiliaires aspectuels dans les langues romanes. B. Elgenius discute l'emploi des conjonctifs concessifs dans l'italien contemporain, tandis que O. Eriksson présente des remarques pertinentes sur «la relative narrative en français». M. Forsgren utilise le corpus informatisé d'Umeâ-Upsal-Stockholm pour examiner les connecteurs concessifs au niveau infrastique; Ch. Heldner aborde la quantification négative en français en démontrant des différences distributionnelles entre aucun et pas de; M. Herslund étudie la généricité, trouvant dans l'emploi générique «un emploi intensionnel du syntagme nominal. . ». Toujours dans le domaine syntaxique, M. Hobaek Haff reprend le thème de l'inversion en français, ici la soi-disante inversion finale, tandis que H. Korzen et H. Nolke présentent leur projet pour une théorie des emplois du conditionnel. Nojgaard s'attaque à quelques compléments adverbiaux polyphoniques en français, E. Suornela-Hârma" étudie l'adverbe italien anzi, et I. SOhrman nous initie à l'usage des prépositions de direction et de position en sursilvain contemporain. Finalement, O. V^likangas, grâce à une étude des verbes français, nous permet de passer dans le domaine de la linguistique contrastive et, donc, de la pédagogie des langues étrangères.

Dans ce même domaine, I. Bartning nous fait part de quelques expériences concernant l'interlangue française des apprenants universitaires en Suède; T. Henriksen examine les dialogues des manuels de français d'aujourd'hui et d'autrefois; finalement, S. M. Sanne, dans une étude rédigée en norvégien, discute l'utilisation, pour l'enseignement de l'italien, de la vidéo, selon la méthode interactive. Ajoutons, toujours dans ce groupe, la communication de G. Engwall sur Strindberg, traducteur français! Sont utilisés ici des exemples des Créanciers, texte traduit en français par le grand dramaturge suédois lui-même.

Plusieurs communications focalisent sur des problèmes pragmatiques. C'est le cas, par exemple, de l'étude de K. Jonasson sur les noms propres dans un emploi métaphorique, et du travail d'A. E. Nielsen sur l'analyse argumentative du discours de la publicité accessoire. R. Verbraeken choisit l'optique lexicographique pour étudier «un curieux passage chez Agrippa d'Aubigné», de fait un extrait des Avantures du Baron de Fœneste. F. Frandsen esquisse une théorie du paratexte journalistique, et J. Ha"rmâ, de son côté, trouve les problèmes pragmatiques dans les constructions disloquées de l'ancien français. Finalement, P. Mânttâri réfléchit sur des problèmes méthodologiques pour l'étude du langage dans la Vita de Cellini.

Reste la section littéraire, qui semble gagner du terrain dans tous les pays Scandinaves.Ch. Angelfors étudie le mode de narration dans Les belles images de Simone de Beauvoir, tout comme J. Moestrup examine la figure du narrateur dans les romans d'Eisa Morante, et I. Mákinen-Schwanck la subjectivité de la même instance dans La Chartreuse de Parme. L. De Anna étudie, chez Emilio Salgari, la terminologie de caractère arctique, alors que L. Beiu-Paladi procède à une confrontation de Minai Eminescu et du suédois J. T. Oxenstierna, et que J-M. Defay présente une étude

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sémiotique sur un texte (Le charron) d'Alphonse Allais. I. Enkvist étudie la réception â'Historia de Mayta de Vargas Llosa, tout comme S. Infante, dans sa lecture de Yo el Supremo de Roa Bastos, se concentre sur le champ sémantique de «la falsedad». Le vocabulaire de Molière est étudié par B-M. Kylander, tandis que le style de l'écrivain guiñeen Cámara Laye est examiné par I. Skattum. Michel Olsen s'attaque au drame bourgeois, V. Outzen à l'œuvre de Robert Merle, alors que, respectivement, N. Soelberget M. Swaïdenheim abordent divers aspects des deux géants Proust et Balzac. Proust se retrouve dans une étude d'A. Sahuquillo recherchant les traces de l'écrivain dans l'œuvre de Garcia Lorca.

On l'aura déjà constaté: les études romanes en Scandinavie font preuve d'un grand pluralisme. Espérons qu'une diversité si impressionante pourra continuer à se développer dans un milieu qui maintient les rapports avec son histoire, restant fidèle à ses racines philologiques.

Université de Copenhague