Revue Romane, Bind 28 (1993) 1

Birte Stengaard: Vida y Muerte de un Campo Semántico - Un estudio de la evolución semántica de los verbos latinos stare, sedere e iacere del latín al romance del s. XIII. (Beiheft 234 zur Zeitschrift für romanische Philologie), Max Niemayer Verlag, Tübingen 1991, 414 p.

Arne-Johan Henrichsen

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La thèse de Birte Stengaard (par la suite B. S.), soutenue à l'Université d'Oslo en 1988, est un ouvrage qui fera date. Soulignons d'abord qu'il témoigne de la renaissance de l'intérêt qu'on peut constater depuis quelques années pour ce que j'appellerais la romanistique classique, à savoir celle qui s'occupe surtout des problèmes historiques et comparatifs ayant trait au développement du latin et à son évolution jusqu'aux diverses langues romanes. Un autre mérite du livre, c'est que la manière dont est traité le sujet permet la discussion d'un certain nombre de questions de principe - j'y reviendrai plus tard. Enee qui concerne le sujet, je cite ce que l'auteur dit de ses intentions : «Lo que pretendo hacer aquí es trazar la historia semántica de los verbos de posición durante unos 1500 años, desde los textos plautinos hasta entrado el s. XTV» (p. 2). Il n'y a pas de doute que B. S., par l'ampleur des matériaux mis à contribution comme par la minutie et la profondeur des raisonnements, a réussi à accomplir sa tâche, et que ce volume restera longtemps indispensable pour quiconque essayera d'apporter du neuf à l'étude de ce sujet.

Le livre de B. S. commence par une citation bien choisie de J. Marouzcau, Aspects du Français, p. 211-212 : «le français dit : «l'arbre est sur la colline; le livre est sur la table; l'oiseau est sur la branche», tandis que l'allemand précisera: «der Baum steht auf dem Berg; das Buch liegt auf dem Tisch; der Vogel sitzt auf dem Zweig». Est-ce si grand avantage?» Et voici le début de son commentaire de cette citation : «La observación del estudioso francés sintetiza la problemática de este trabajo.» C'est qu'en latin il y avait trois verbes de position - stare, sedere et lacere - qui correspondent aux trois verbes allemands mentionnés par Marouzeau, à savoir stehen, sitzen et liegen. C'est justement le sort ultérieur de ces trois verbes latins dans les diverses langues romanes qui occupe l'auteur, et dans le petit chapitre intitulé Esbozo de la problemática, elle

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fait des réflexions générales sur les recherches qu'elle va entreprendre. Comme elle ne croit guère à la possibilité d'expliquer pourquoi, en opposition avec le latin, les langues romanes dans l'ensemble utilisent très peu les verbes de position, elle conclut: «En el presente estudio, por consiguiente, mi ambición no ha sido explicar por qué, sino que he querido acercarme a la explicación de cómo» (p. 2). Et un peu plus loin elle parle des deux questions principales qu'elle s'est posées : «Las dos cuestiones principales que me he planteado han sido, por tanto ¿de qué manera ha surgido esta situación? y ¿hasta qué punto se trata de evoluciones aisladas en las lenguas o de tendencias pan-románicas? (p. 3).

Pour répondre à ces questions, B. S. traite tour à tour toutes les langues en commençant par le portugais à l'ouest pour terminer avec l'italien à l'est - manquent seulement le rhéto-roman, le sarde et le roumain, et cela parce que pour ces langues, pendant la période qui nous intéresse, la documentation est inexistante ou insuffisante.

Avant d'entrer dans la description concrète de l'évolution, l'auteur établit un modèle et une terminologie (voir surtout p. 12-15). Pour elle, les trois verbes stare, sedere et ¿acere constituent un campo semántico ideal qui s'organise à l'aide de trois traits ou notions sémantiques, à savoir posición - qui peut être verticale, moyenne (sedere) ou horizontale -, localización et duración. Selon la manière dont ces trois sèmes se combinent, et selon l'accentuation qu'ils reçoivent (dans la terminologie de B. S. foco, notion qui pour elle équivaut à «lo más prominente»), les emplois concrets des verbes en question peuvent se grouper selon trois niveaux, chacun avec deux niveaux secondaires. Au premier niveau, on trouve les traits posición et localización, au deuxième niveau s'y ajoute celui de duración et au troisième niveau on a affaire aux traits localización et duración (voir surtout p. 20-22 et les deux schémas p. 22).

Il s'avère par la suite que le modèle et la terminologie de B. S. sont parfaitement aptes à décrire l'évolution de nos trois verbes dans le sens d'un rapprochement et parfois d'une fusion avec le verbe latin esse (voir ci-dessus la citation de Marouzeau) avec le résultat que «es tipicamente románica la baja frecuencia de la indicación de la posición estática (à savoir à l'aide de verbes de position) (p. 3). Le sort de stare est un peu spécial : dans la plupart des langues romanes, il a perdu sa fonction de verbe de position, mais d'autre part il a eu un grand avenir comme verbe auxiliaire ou copule (it. sto cantando, esp. el pájaro está cubierto de plumas).

Dans un bref compte rendu, il est impossible de présenter l'exposé de B. S. dans »ous scs uâwvGîiS — je me corne u rccommunvjcr iu iCCiurc vjC i OuvrsgC cniicr. i,uuicur ci d'ailleurs beaucoup fait pour faciliter la tâche du lecteur en donnant, après la présentation de chaque langue, un résumé des résultats auxquels elle est arrivée, et à la fin du volume (p. 360-373) on trouve un chapitre intitulé Resumenes y conclusiones, sur la base duquel je vais discuter quelques questions de principe.

J'ai déjà mentionné que B. S. s'est posé la question suivante : «Est-ce qu'il s'agit, en ce qui concerne l'histoire des verbes de position, de tendances panromanes ou de développements isolés dans les diverses langues?» Sa conclusion est qu'il s'agit d'une combinaison des deux, et pour cette raison elle s'est servie de deux modèles de description (p. 363). Le premier modèle, qui souligne le point de vue panroman, présente un centre, l'occitan, où le champ sémantique s'est presque désintégré, tandis que vers la périphérie on constate un conservatisme qui se renforce à mesure qu'on s'éloigne du centre. Le second modèle, basé sur la distribution géographique des

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phénomènes en partant de l'ouest pour arriver à l'est, montre les variations qu'on constate en passant d'une région à l'autre, avec certaines zones de transition. On constate ainsi, comme le dit l'auteur, qu'on est en présence de ce qu'elle appelle «una combinación entre lo pan-románico y lo «dialectal»» (p. 370), cf., à la page suivante, cette formulation pittoresque : «Vistos en sus manifestaciones individuales, los hechos se presentan como teselas, cada una con sus propias características. Vistos en conjunto,se nos presenta un mosaico donde cada pormenor forma parte de una imagen coherente.»

Comme nous sommes en présence d'une étude qui s'occupe de la plupart des langues romanes, on pourrait s'attendre à ce qu'elle jette de la lumière sur le problème qu'avec Walther von Wartburg on peut nommer «Die Ausgliederung der romanischen Sprachrâume». Dans ce contexte, le catalan a toujours causé des difficultés. Déjà en 1925, Meyer-Lübke dans son livre Dos Katalanische, avec le sous-titre Seine Stellung zum Spanischen unà Provenzalischen, si pu constater que le catalan se rapproche plutôt de l'occitan, surtout en ce qui concerne la phonétique. En m'occupant de la syntaxe de l'ancien occitan, j'ai moi-même souvent trouvé des concordances entre l'occitan et le catalan, et, qui plus est, il s'agit dans la plupart des cas de traits qui distinguent ces langues de l'espagnol (et du portugais) (pour un résumé, voir mon article dans Actes du premier congrès international de l'Association Internationale d'Etudes occitanes, Londres 1987, p. 9-10). Ajoutons que Pierre Bec a même (dans Manuel pratique de philologie romane, 1.1, p. 468) établi un groupe occitano-roman, comprenant l'occitan, le catalan et le gascon. En effet, les résultats de B. S. semblent confirmer l'avis de ceux qui distinguent le catalan de l'espagnol et le classent plutôt avec l'occitan - qu'on se reporte, par exemple, aux pages 158, 278, 294, 344 et 367. Ceci se reflète également dans sa terminologie : elle réserve le terme ibéro-roman aux langues «que representan en su tratamiento de nuestros verbos, un grupo tipológico desde el siguiente punto de vista : Hay sincretismos entre los verbos «sedere» y «esse» en las lenguas medievales, y se conserva el verbo estar como verbo de localización general, como cópula y como auxiliar. Como tales, los verbos de posición hoy han desaparecido» (p. 24), et il ressort de la suite que ces langues sont le portugais et l'espagnol. Et à propos de Las lenguas de «oc», elle dit : «Este grupo comprende el catalán y los dialectos occitanos del territorio francés» et encore: «El catalán presenta una situación distinta de la del iberorrománico» (p. 25). Tout ceci est approfondi à la page 278.

Evidemment je n'accepte pas tous les raisonnements de B. S. Voici quelques points où l'on pourrait formuler des objections. Elle soutient que «la tarea de explicar la causa de los cambios lingüísticos se puede considerar como una empresa imposible» (p. 2). Néanmoins, elle donne, au cours des premières pages de son étude et aussi dans le sous-chapitre Estudios sobre los verbos de posición en latín y en. las lenguas románicas (p. 4-9) des exemples d'explications qui, à mon avis, ont un certain poids. On pourrait également renvoyer au livre de Charles Bally, Linguistique générale et linguistique française, où l'auteur s'occupe des différences entre le français et l'allemand, qu'il s'efforce non seulement de décrire mais d'expliquer et où (§ 574) il traite justement les problèmes qui sont au centre de la présente étude.

A la page 366, B. S. écrit : «En el campo de nuestros verbos existe una verdadera
frontera lingüística entre la lengua de oïl y la del sur de Francia», et elle qualifie ce fait
de «curioso». Personnellement je trouve ceci tout à fait normal, étant donné qu'il

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existe une frontière linguistique très prononcée entre la langue d'oc et la langue d'oïl, qu'on veuille attribuer cela à la frontière ethnique entre d'un côté les Francs et les Burgondes et de l'autre côté les Wisigoths, comme le fait Walther von Wartburg (voir Die Ausgliederung..., p. 74-110), ou que l'on remonte, avec Auguste Brun, au temps des Gaulois et même plus loin dans le passé (voir Revue de Linguistique Romane, t. XII, p. 165-251).

Pour conclure, je dirai tout simplement que cette étude est si riche en perspectives
qu'elle fait tout le temps réfléchir le lecteur, et qu'elle défend brillamment sa place
dans l'illustre série des Beihefte.

Université de Bergen