Revue Romane, Bind 28 (1993) 1

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement : la valeur de ce qu- dans les relatives nominalisées.

par

Michel Pierrard

A l'instar de son homologue celui, ce introducteur de relative aura un statut fort controversé. Nous formulerons l'hypothèse que ce + relative1 ne peut pleinement être appréhendé qu'en complémentarité avec celui qu-, comme un élément intégré dans le système général de la relative nominalisée :

(1) a) Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.
b) Celui qui a conçu cette machine a sûrement fait fortune.

Dans un premier temps, nous montrerons combien ce et celui présentent un
comportement similaire,2 que nous identifierons au moyen des deux traits
suivants, partagés par les deux morphèmes :

- l'abandon de toute fonction 'pronominale';

- l'absence de toute valeur 'démonstrative' ou 'phorique'.

Dans un deuxième temps, nous mettrons en évidence un fonctionnement
parallèle et complémentaire des deux constructions, qui souligne et confirme
leur intégration dans un système propositionnel cohérent.

1. Ce ProN ?

Depuis J. Damourette et E. Pichón (1911-1914. IV, § 1276 : 154-155), G. Guillaume (1973) ou G. Gougenheim (1965), de nombreux linguistes français appréhendent celui et ce non plus comme des pronoms mais comme des éléments jouant le rôle d'«article» devant une proposition. Souvent, c'est sur le fonctionnement de ce que qu'ils fondent leur conviction : «C'est cette opération réalisatrice que dénonce le mot ce dans lequel il y a lieu de voir un article spécial, réservé au nom de discours là où celui-ci fait l'objet d'une

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réalisation forte. On sait que la fonction propre de l'article est de réaliser le
nom, de l'actualiser» (Guillaume. 1973 : 165).

Quant aux partisans d'une appréhension pronominale, s'ils étayent leur hypothèse sur celui d'une série impressionnante d'arguments, ceux-ci prennent souvent une forme purement analogique lorsqu'ils traitent de ce : «Bien que ce ne soit jamais un «pronom représentant», nous analyserons ce qui de la même façon que celui qui, à cette différence près toutefois que, sans qu'on puisse vraiment parler d'amalgame, ce et qui forment au niveau des signifiants une unité quasiment inséparable, (...). Mais malgré cette cohésion morphologique, l'élément ce qui introduit une relative est, à notre avis, un pronom antécédent» (Touratier. 1980 : 135).

Ceci amène de nombreuses études récentes à séparer le traitement de ce
de la saisie pronominale de celui (cf. Gross. 1977 : 147 ; Huot. 1979 : 141-142),
un fonctionnement syntaxique que l'on reconnaît proche.

Les arguments, avancés dans le but de justifier pour ce aussi un traitement
sous forme de ProN, peuvent être regroupés en trois catégories. Nous les
détaillerons dans les points suivants.

1.1.

R. Veland estime que ce prouve dans d'autres emplois qu'il peut fonctionner comme pronom représentant : «en effet, il est hors de doute que ce peut, devant un verbe copule, fonctionner comme représentant» (1990 : 20, note 10).

(2) Considère avant tout le monde comme une récréation passagère (...) s'il est le
plus précieux des accessoires, ce n'est qu'un accessoire. (Sandfeld ; cité par
Veland. 1990: 21, note 10.)

Ce y opère comme pronom représentant d'autant plus qu'il y est dans une relation coréférentielle avec il. En réalité, il est abusif d'assimiler cet emploi à celui de ce + relative car ce dernier présente des caractéristiques radicalement différentes des formes pronominales. D'ailleurs, pour ce type d'emplois, il a été remplacé par ceci/cela/ça :

(3) a) Je veux ça/cela/ceci (*ce).
b) Ça/cela/ceci (*ce) vaut le coup.

En outre, ce devant une relative ne peut jamais, comme il le peut dans le type
d'exemples relevé par R. Veland où il sera considéré comme une forme
atone de ça, commuter avec les formes ça/cela :

(4) a) Ce/ça n'est pas intéressant.
b) Ce/*ça que tu dis ne m'intéresse pas.

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II ne s'agira pas non plus de la forme clitique du pronom ça 3 puisque, si c'était le cas, c'est la forme non clitique qui aurait dû normalement s'imposer dans l'emploi pronominal devant une relative. Or, celle-ci est agrammaticale (sb):

(5) a) Toi/*te qui parles, tu devrais savoir qu'il ya des choses qu'il vaut mieux ne
pas dire,
b) Ce/*ça qui est arrivé était prévisible.

1.2.

O. Eriksson prétend voir en ce un véritable antécédent puisque les combinaisons ce qui et ceci qui «s'analysent au même titre comme formées d'un antécédent et d'un pronom relatif» (1982 : 11). L'auteur nous présente une série d'énoncés où, d'après lui, le syntagme prépositionnel ne peut que se rapporter à ce :

(6) a) Ce qui l'inquiétait toujours dans ce grenier venait d'ailleurs.
b) de chaque jour résulte d'un accord entre ce qu'il reçoit de la
veille et ce qu'il instaure de neuf.

En conséquence, ce «garde donc toute son indépendance syntaxique en tant que pivot à la fois de la détermination par syntagme (...) et de celle par relative (...)» (Ibid.). Or, ces SPrép ne peuvent jamais suivre immédiatement ce (*ce dans ce grenier qui/ *ce de neuf qui), alors que les énoncés suivants sont parfaitement acceptables :

(6) c) Ce qui, dans ce grenier, l'inquiétait toujours venait d'ailleurs,
d) Nous pouvons vous communiquer ceci/quelque chose de neuf.

Ces exemples montrent d'une part que ce ne peut être déterminé seul par un SPrép, contrairement aux formes pronominales correspondantes (6d), et d'autre part, que ces SPrép définissent la proposition nominalisée dans sa totalité (6c). De toute façon, même si l'argument avait été recevable, nous avons déjà souligné ailleurs (cf. Pierrard. 1991a : 75-77) combien il était spécieux pour démontrer la valeur pronominale de celui/ce au-.

1.3.

Un dernier argument souvent avancé pour démontrer la valeur pronominale de ce est la possibilité de remplacer l'introducteur de la relative par «la chose» ou «quelque chose» : « (...) exactement comme celui, il peut commuter avec un nom ou un pronom» (Touratier. 1980 : 135); «ce peut être remplacé par chose et il apparaît alors comme un antécédent à statut nominal de que» (Léard. 1986b : 10).

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Sur le plan syntaxique, nous avons déjà mis en évidence en d'autres occasions
les caractéristiques importantes qui opposent ce à ces GN ou ProGN
antécédents :

(7) a) J'ai apprécié ce que tu m'as donné.
b) *J'ai apprécié ce, même si tu me l'as donné à contrecœur.

(8) a) J'ai apprécié la chose que tu m'as donnée.
b) J'ai apprécié la chose, même si tu me l'as donnée à contrecoeur.

(9) a) J'apprécie toujours quelque chose qui m'est offert du fond du cœur.
b) J'apprécie toujours quelque chose, surtout si cela m'est offert du fond du
cœur.

D'un point de vue sémantique, on peut remarquer que la substitution se fait moins avec ces (Pro)GN qu'avec le N qui se rapproche le plus du point de vue de son extension de la notion de [-humain]. En témoignent les exemples suivants où la spécification et le nombre du GN de la paraphrase en Dét + chose pourront varier :

(10) a) J'ai apprécié ce que tu as dit.
(la chose, *quelque chose)
b) La solidarité chaleureuse de tous ceux qui «en étaient», la méfiance et,
même, l'aversion à l'égard de l'administratif, du régulier, de l'officiel, enfin
un désir obstiné de l'épuration, voilà ce qui les hantait et, à l'occasion
les unissait en d'ardentes démonstrations.
(De Gaulle, Mémoires de guerre. L'unité, p. 152.)
(*la chose, les choses)
c) Je fais ce qui me plaît.
(? la chose, ? une chose, ? toutes les choses, ? quelque chose)

Dans d'autres cas, c'est la paraphrase même par «chose» qui se révèle être
peu adéquate (cf. aussi 3. 2.):

(11) a) Je dépense ce que tu dépenses. (*la chose, la quantité (d'argent)) b) Ça durera ce que ça durera. (*la chose, le temps)

1.4.

Ce ne possède donc en aucune manière l'autonomie syntaxique et les expansionscaractérisatrices qui marquent la catégorie pronominale (Pierrard. 1991a : 71). Cette conclusion ressort nettement des énoncés (7) à (9). Si les GN de (7a), (8a) et (9a) se comportent de façon identique alors que leurs «antécédents» ont un comportement divergent ((7b) vs (8b) et (9b)), il en découle logiquement aussi que les relatives ne remplissent pas précisément le même rôle dans les divers énoncés. Les rapports entre les composantes au

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sein des GN différeront par conséquent sensiblement. Ce constat oppose
plus spécifiquement ce à cela, ceci ou ça :

(12) a) Dans le discours du ministre, les journalistes n'ont pas relevé ceci/cela,
b) Dans le discours du ministre, les journalistes n'ont pas relevé ceci/cela
d'étonnant.

(13) a) *Dans le discours du ministre, les journalistes n'ont pas relevé ce.
b) Dans le discours du ministre, les journalistes n'ont pas relevé ce qu'il a
dit d'étonnant (*ce d'étonnant).

(14) a) C'est cela que les journalistes n'ont pas relevé.
b) Et peut-être un jour pourrons-nous diminuer les cotisations de sécurité
sociale. C'est ça que je souhaite. (M. Rocard sur TFI, 5/10/90.)

(15) a) *C'est ce qu'ils n'ont pas relevé. (* comme clivée)
b) C'est ce qu'il a dit d'important qu'ils n'ont pas relevé.

Contrairement au pronom cela/ça, qui ne subit jamais une obligation générale de caractérisation (12a et b) car cela remettrait en cause sa nature essentielle de GN synthétique, ce est nécessairement caractérisé (13a et b) : il est incapable de constituer seul, sans caractérisation, un GN. Par contre, diverses constructions soulignent le parallélisme entre le ProN cela et le GN complexe ce qu-P ((12b) et (13b); (14) et (15b)). Corblin (1987 : 84-86) relève d'ailleurs que cela paraît bien plus naturel comme reprise de ce qu-P que d'un GN strict et confirme ainsi que le ProGN correspond du point de vue de sa fonction syntaxique moins à ce qu'au GN complexe ce qu-P :

(16) a) Si vous n'avez pas d'orange, prenez ce qui vous tombe sous la main, et
disposez un zeste de cela sur le plat pour décorer,
b) ? Prenez l'orange ; mettez un zeste de cela dans le plat.

En plus de la propriété [+/- ProGN], ce et cela {ceci/ça) s'opposent également
par leur aptitude à exprimer la phoricité.

2. Ce (dé)monstratif ?

On s'accorde très généralement pour reconnaître que ce n'a plus ici de
valeur «démonstrative» au sens de la grammaire traditionnelle (cf. e. a.
Léard. 1986b : 4).

(17) a) II veut ce livre.
b) II veut cela/*ce.
c) II veut ce que tu as caché derrière l'armoire.

L'énoncé (17c) confirme que le renvoi au contexte situationnel ou même
simplement l'appel à une interprétation situationnelle n'est pas assuré par ce
mais plutôt par une série d'indices descriptifs ou déictiques au sein même de

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la relative qu'il introduit. Contrairement aux autres formes «démonstratives»
(ce + N, ceci/cela), ce ne dégage pas la moindre puissance monstrative.

Cette caractéristique n'est d'ailleurs pas propre à ce introducteur de relatives. Dans le cas du premier élément du tour apodictique introduisant les clivées (c'est... qui)4 (cf. Pierrard. 1986), l'impossibilité de remplacer et même de combiner ce avec ça, cela ou ceci a également été démontrée (cf. Moreau. 1976 :18-20) :

(18) a) Ce n'est pas un crime qu'il a commis.
b) ? ? Ça n'est pas un crime qu'il a commis.
c) *Ça, c'est un crime qu'il a commis.
d) Cela/ceci n'est pas un crime qu'il a commis.5

M.-L. Moreau en concluait «que le pronom démonstratif devant être peut posséder des propriétés déictiques dans les phrases avec détachement, mais qu'il est d'une autre nature dans les phrases pseudo-clivées et clivées» (1976 : 20).

2.1.

Mais peut-on également dénier toute phoricité à ce devant une relative ?
Dans certains cas en effet, il semble bien renvoyer à un interprétant dans le
contexte pour arriver à fixer son emploi référentiel.

(19) Au nom de la France, je déclare formellement ce qui suit : (...). (De Gaulle,
Mémoires de guerre. L'appel, p. 268.)

Cela implique-t-il que, contrairement à ce que nous avancions en introduction,
ce serait ici cataphorique?6 En vérité, il ne l'est pas plus qu'il sera
anaphorique dans (19'):

(19') C'est bien le Général De Gaulle qui a déclaré ce qui précède.

La spécification de ces emplois ne provient nullement d'une quelconque phoricité du morphème ce mais des caractéristiques sémantiques du prédicat du GN complexe (cf. Kesik. 1989 : 150). Lorsque le sens même de la relative nominalisée est moins explicite, c'est le co(n)texte qui imposera une éventuelle coréférence :

(20) a) La nostalgie du repos et de la paix doit elle-même être repoussée; elle coïncide avec l'acceptation de l'iniquité. Ceux qui pleurent après les sociétés heureuses qu'ils rencontrent dans l'histoire avouent ce qu'ils désirent : non pas l'allégement de la misère, mais son silence. (Camus, L'homme révolté, p. 305.)

Dans (20a), les deux points qui suivent immédiatement la relative introduite
par ce, déclenchent un rapport coréférentiel entre ce + relative et le segmentsubséquent
(son silence < «le silence à propos de la misère» >). Pourtant,la

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tant,lacoréférence avec un segment précédent, comme par exemple l'acceptationde
l'iniquité, serait parfaitement concevable au prix d'une légère modificationdu

(20) b) La nostalgie (...); elle coïncide avec l'acceptation de l'iniquité. Ceux qui
pleurent après les sociétés heureuses qu'ils rencontrèrent dans l'histoire
avouent ainsi clairement ce qu'ils désirent.

De toute façon, la modification d'éléments au sein de la proposition nominalisée
pourra toujours changer le rapport référentiel :

(20) c) Ceux qui pleurent après les sociétés heureuses qu'ils rencontrèrent dans
l'histoire avouent ce qu'ils craignent : (...).

Suite au changement du verbe de la relative, ce qu-P en (20c) ne pourra
établir un rapport coréférentiel qu'avec un segment tel que l'allégement de la
misère.

Ces diverses manipulations confirment à suffisance que c'est bien l'apport sémantique de la proposition nominalisée qui déclenche éventuellement un lien référentiel, et que, en conséquence, ce devant une relative n'a plus aucune puissance phorique.

2.2.

«Ce, représentant une proposition entière, s'emploie parfois comme apposition» constatait déjà M. Grevisse (1964 : §§ 528, 458). Effectivement, ce, dans les énoncés (21), semble bien renvoyer à un antécédent phrastique. Cette observation remettrait au moins partiellement en question la conclusion tirée en 2.1., puisqu'il faudrait attribuer malgré tout au morphème une phoricité «atténuée».

(21) a) Le lendemain, Mme Bartier se leva, bien avant le jour, ce qui ne lui était
pas arrivé depuis des années. (Silvestre ; in Grevisse. 1964 : §§ 528, 458.)
b) Le vieillard, ce qui ne lui était jamais arrivé, leva les mains et fit mine de
le chasser. (Queffélec ; in Ibid.)
c) II est parti, ce que je n'ai pas apprécié. (Léard. 1986b : 10.)

En y regardant de plus près, on constate toutefois qu'un GN reprenant le
contenu sémantique de l'interprétant phrastique ne peut guère être substitué
à ce, sans modifier du moins le sens général de l'énoncé .

(21) a') *Elle se leva, bien avant le jour, action de se lever bien avant le jour qui
ne lui était pas arrivée depuis des années,
c') *I1 est parti, un départ que je n'ai pas apprécié.

D'autre part, le rapport référentiel avec un énoncé du cotexte n'est pas
déclenché par ce mais par la place de ce + relative, comme l'illustre l'opposition
entre (21b) et (21b'),

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(21) b') Le vieillard leva les mains et fit mine de le chasser, ce quineine lui était jamais
arrivé.

ou encore par le sémantisme même de la relative nominalisée :

(22) a) II a égaré son argent, ce que je lui avais donné pour ses vacances,
b) II a égaré son argent, ce que son père ne lui a pas pardonné.

Ce ne peut donc être considéré dans ces emplois comme un anaphorique, même de type phrastique. Le fait qu'il puisse uniquement être paraphrasé par un terme général («chose», «action», «acte», etc.) souligne une fois de plus qu'il sert bien de marqueur du [-humain]. En outre, ce qu-P est commutable dans ces cas-là avec un GN sans déterminant (cf. déjà Léard. 1986b : 10) et ceci confirme la fonction appositive de toute la proposition nominalisée en GN complexe, dans la mesure où il est courant de retrouver des GN sans déterminant, rattachés en apposition à une proposition :

(23) Et là je vis, spectacle étrange, (...) passer des spectres en plein jour.
(Gautier ; in Grevisse. 1964 : §§ 212, 153.)

Nous trouvons une confirmation de l'interprétation non phorique de ce dans
des emplois où l'auteur tient à souligner la nécessité de passer par un segment
interprétant sans avoir recours toutefois à cela:

(24) a) Qui ne sent le mépris que respirent pour cette forme de pensée des lignes
comme celles-ci : «c'est bien là ce qui importe à l'esprit français : définir.
Sur une bonne définition il s'apaise, et parfois il s'endort».
(Benda, La France byzantine, p. 20.)
(? C'est bien ce qui importe... / C'est bien cela qui importe...)
b) Elle est miraculeusement calme. Elle est, tout à coup, très grande madame,
et c'est là ce qui donne à la scène son caractère étonnant.
(Duhamel, La chronique des Pasquier, p. 9.)
(C'est bien ce qui donne à la scène... / C'est bien cela qui donne à la
scène...)

Dans (24b), la structure phrastique en c'est impose de toute façon un rapport de type prédicatif entre la relative nominalisée et un segment repris par c\ Le mot là y ajoute explicitement un pointage phorique de telle sorte que là + ce corresponde, du point de vue de l'interprétation référentielle, en réalité à cela.

3. L'homogénéité de la construction ce+qu-.

Si ce n'est ni un pronom, ni un démonstratif et s'il n'exprime aucune puissancephorique, il nous faut alors tenter de préciser quel est son statut dans les constructions considérées. Mais avant cela, il nous reste à démontrer que l'ensemble des constructions retenues par notre étude constitue bien un

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champ homogène et donc que tous les tours retenus en ce qu-P sont bien des
relatives nominalisées.7 Le développement d'une argumentation dans ce sens
devrait d'ailleurs nous permettre de préciser les spécificités du statut de ce.

3.1.

Dans sa description des emplois de ce que, J. -M. Léard (1986b : 9-14) sépare
(25), où «ce peut être remplacé par chose et il apparaît alors comme un
antécédent à statut nominal de que» (1986b : 10), de l'emploi (26) :

(25) a) J'ai apprécié ce que tu m'as dit.
b) Je pense à ce à quoi tu fais allusion. (*à ce que)

(26) a) Je crois ce que tu crois.
b) Je pense à ce que tu penses, (à ce à quoi)

Les «relatives indéfinies» sous (26) auraient «certaines propriétés qui permettent de les caractériser sur le plan sémantique, mais aussi sur le plan syntaxique en raison du parallélisme des fonctions : l'antécédent a la même fonction que le relatif» (1986b : 12).

En y regardant de plus près, on constatera que ce qui caractérise (26) n'est ni le parallélisme des fonctions (puisque dans (25) également, nous retrouvons le même parallélisme : (25a) : objet/objet; (25b) : à+ compì/ à + compì), ni le «statut nominal» de ce (dans les deux cas, on paraphrasera par «chose»), mais un phénomène bien circonscrit (26b) qui

- concerne uniquement le relatif et encore dans quelques emplois particuliers
(Prép + quoi);

- nécessite une identité lexicale des verbes intégrant et intégré (cf.
(25b) vs (26b)). Notons également que ces verbes permettent à la
fois la construction directe et indirecte (penser quelque chose I à
quelque chose -penser que P /penser à GN)\
-

reste de toute façon facultatif, la construction Prép ce prép qu- éiant
en tout cas la seule non ambiguë ((26b): «à ce à quoi tu penses» ou
«à ce que tu imagines»).

Dès lors, nous voyons mal quels arguments syntaxiques et sémantiques justifieraient une distinction entre deux types de relatives introduites par ce et une appréhension séparée de leur introducteur. Léard concède d'ailleurs que «l'enjeu pour nous est de toute façon inexistant» (1986b : 13).

Pourtant, cela ne signifie nullement que les faits relevés soient insignifiants. Ils soulignent en effet combien ce est lié à la proposition nominalisée, et ceci plus étroitement que celui, ce qui s'explique - comme Léard le montre aussi - par une meilleure résistance de qui [ + humain] sans antécédent. Ainsi, celui n'autorise une structure de type (26b) que dans le cas de l'ellipse du verbe principal de la relative :

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(27) Tu t'adresseras à celui que tu veux. (= «à celui à qui tu veux t'adresser»)

Mais qui va encore plus loin que ce qu-, puisqu'il peut gérer sous la même
préposition deux verbes différents à construction identique :

(28) a) Demande à qui tu voudras. (= «à celui à qui tu voudras <demander >»
cf. (27))
b) Je le dis pour qui je dois le dire. (= «pour celui pour qui» + identité lexicale
: cf. (26b))
c) J'ai donné ce livre à qui tu avais fait allusion. (= «à celui à qui» + nonidentité

3.2. Ce que [ + qualitatif] ou ce que [ + quantitatif].

A côté d'un ce que quantitatif exclamatif {Ce que c'est clairl ; ce que je dis de bêtises/comme bêtises aujourd'hui.), qui ne concerne pas directement notre étude, J. -M. Léard (A paraître), suivant en cela l'opinion de D. Gaatone (1986),8 relève aussi un ce que quantitatif non exclamatif dans les énoncés suivants :

(29) On a dépensé plus que ce qu'on avait prévu.

(30) Je dépense en nourriture ce que tu dépenses en boisson.

(31) J'ai utilisé ce que j'avais de connaissances/comme connaissances pour rédiger
.9

Ce que y aura successivement une valeur d'anaphore quantitative ((29) : ce que = «combien»), de comparatif d'égalité ((30): ce que = «autant que») ou même de «quantificateur nominal indéfini» (Cf. (31) : Léard. A paraître : 5). J. -M. Léard argumente donc en faveur d'un élargissement du domaine de ce que quantitatif en dehors de l'exclamation (Ibid. : 2) et sépare un ce que quantitatif non exclamatif du ce que relatif (Ibid. : 9). Examinons cas par cas les tours avancés pour soutenir l'hypothèse d'un ce que quantifi(cat)eur, c'est-à-dire d'un terme présentant les mêmes propriétés de base que des mots comme combien, (au)tant, comment, beaucoup oupeu.

3.2.1.

En considérant l'exemple (29), diverses observations s'imposent d'emblée.
Tout d'abord, ce que permet ici les variations inhérentes aux formes pronominales
relatives :

(29) a) On a dépensé plus que ce qu'on avait prévu.
b) II a dépensé plus que ce qui avait été convenu.
c) Ils ont dépensé moins que ce dont il avait été question la dernière fois.

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D'autre part, il y a toujours une position d'argument du verbe à saturer (ce qui n'est pas nécessairement le cas pour les exclamatives : cf. Gaatone. 1986 : 427), même si la non reprise du verbe principal en (29a) masque en partie ce fait 10 et favorise dès lors en surface l'interprétation de Léard.

(29) a') On avait prévu [de dépenser] une certaine quantité.
b') Une certaine quantité avait été convenue,
c') II avait été question d'une certaine quantité.

Le passage de (29a) à (29d) montre qu'il ne va absolument pas de soi que ce
que reprenne uniquement ici la quantité du N plutôt que l'ensemble d'un GN
[N / 4- quantité/ [de N]] (la quantité (d'argent)) :

(29) a) On a dépensé plus que ce qu'on avait prévu/qu'on ne l'avait prévu.
d) Ils ont dépensé plus d'énergie que ce qu'on avait prévu/qu'on ne l'avait
prévu.

La remarque gagne encore en pertinence si l'on considère que, dans (29a) comme dans (29d) d'ailleurs, ce que peut être précédé de tout déterminant, qui n'a pas la propriété d'introduire un quantificateur (*tout combien, *tout beaucoup : cf. Gross 1977 : 245).

(32) a) Us ont dépensé plus que tout ce qu'on avait prévu.
(= «l'intégralité de la masse prévue»)
b) Us ont dépensé plus d'énergie que tout ce qu'on avait prévu.

Il semble donc plus cohérent de conclure que la relative nominalisée introduite par ce voit son trait de base [-humain] réduit en extension au trait [ + quantité] par le biais d'une série de contraintes contextuelles, ce qui se traduit par le glissement de la paraphrase en 'chose' vers une paraphrase au moyen de termes comme 'quantité', 'masse', voire 'somme', d'après la précision de l'apport contextuel. L'interprétation proposée rend bien compte d'autres tours présentant des problèmes similaires :

(33) a^ Ce nu ii aa°nait nar mois ne suffisait nas à nav?r icur nn3rîcmçn'.
(= «la somme», «le montant»)

b) Ce qu'ils avaient gagné à la kermesse trônait sur le buffet.
(= «les choses», «les objets»)

Enfin, la suppression du contexte quantitatif confirme une fois de plus l'impact déterminant de celui-ci. L'exemple (29) perd en effet son 'sens' quantitatif pour une valeur qualitative lorsqu'on remplace le verbe dépenser et surtout l'adverbe de quantité :

(34) a) II résiste mieux que ce qu'on avait prévu.
b) Nous savons que l'homme vaut mieux que ce qu'il est et (...).
(Lacroix, Marxisme et Existentialisme, p. 27.)

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A ce moment-là, on s'aperçoit que l'incompatibilité de ce que avec le comparatif
de l'adjectif ou avec comme, constatée par Léard (A paraître : 4), n'est
pas absolue :

(35) a) Comme tout ce qui est propre à l'homme extérieur, l'amour doit être surmonté,
mais pas par la peur. (Abellio, Heureux les pacifiques, p. 198.)
b) Ce sapin est plus grand que tout ce qui pousse dans cette forêt.

3.2.2.

L'exemple (30) nous amène tout d'abord à formuler des observations
proches de celles du cas précédent. Ce que y présente toujours les variations
propres aux relatives :

(30) a) Je dépense en nourriture ce que tu dépenses en boisson.
a') II dépense en nourriture ce que tu lui envoies pour acheter ses livres.
b) II dépense en boisson ce qui est dépensé par d'autres pour s'acheter de
quoi survivre.
b') II dépense en boisson ce qui lui est envoyé pour payer ses études.
c) II a dépensé en boisson ce dont tu lui avais fait cadeau.

Dans les cinq énoncés, ce qu- est paraphrasable par «le même montant que», à côté bien sûr de l'interprétation relative «classique» «la somme/l'argent que», mais en (30a) seulement, l'introducteur ce peut être remplacé par autant, alors que dans les autres cas, autant que sera nécessairement introduit devant ce qu- {autant que ce qu-), ce qui ramène le tour à celui étudié en 3. 2. 1.. D'autre part, toute comparaison d'égalité ne peut pas être rendue par un tour «quantitatif» en ce que :

(36) a) Je t'aime autant que (*ce que) tu m'aimes.
b) II parle autant que (*ceque n) tu parles.
c) Paul s'agite autant que (*ce que) Pierre se repose.

L'impossibilité de saturation (36b) ou la saturation préalable des arguments
des verbes interdisent dans ces cas-là la construction en ce que.

Trois conditions essentielles doivent par conséquent être remplies conjointement pour permettre l'attribution à ce que d'une valeur de quantification comparative : 1) une nomologie des constructions propositionnelles mises en rapport (30a); 2) une comparaison portant dans les deux phrases sur l'expansion du verbe; 3) un verbe doté d'une structure predicative double V + Objet / V + CAdv de quantité {dépenser la somme ¡dépenser cent francs). A nouveau, il paraît plus cohérent d'appréhender cet emploi comme un 'effet de sens', contextuellement marqué, de ce + relative.

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3.2.3.

Reste donc à examiner l'énoncé (31) où la fonction de quantificateur d'un N non adjacent [Quant de N] paraît la moins contestable. Ainsi, le rapport entre (31a) ou (37a) d'une part, et (31b) ou (37b) de l'autre, semble souligner que le renvoi en fin de syntagme du N laisse à ce que uniquement la valeur de quantification. La relation entre les emplois a et b est par ailleurs attestée en (38b), où il y a coordination des deux constructions :

(31) a) J'ai utilisé ce que j'avais de connaissances (comme connaissances) pour
rédiger,
b) J'ai utilisé les connaissances que j'avais pour rédiger.

(37) a) Avec ce que j'ai de pommes, je peux faire un dessert,
b) Avec les pommes que j'ai, je peux faire un dessert.

Trois observations nuancent d'office le constat : que peut présenter les diverses formes du relatif (38), ce qu- sera souvent précédé de tout, normalement incompatible avec un quantificateur, ((38a), (38b), (39a)) et le nom non adjacent a également la faculté d'être accompagné de certains déterminants (39), contrairement à l'affirmation que ce que quantificateur ne se combinerait qu'avec de (cf. e. a. Gaatone. 1986 : 421) :

(38) a) Tout ce que nous possédions d'aviation allait voler àla bataille.
(De Gaulle, Mémoires de guerre. La victoire, p. 134.)
b) Je lui fis envoyer d'Angleterre tout ce qui y restait de cadres, ainsi que
tout le matériel approprié que les Anglais consentaient à fournir.
(De Gaulle, Mémoires de guerre. L'appel, p. 152.)

(39) a Je venais de lire tout ce qui était alors paru de la correspondance de
Rousseau dans la belle édition établie par Théophile Dufour.
(Guéhenno, Jean-Jacques. Tl, p. 7.)
b) Je venais de lire ce qui était alors paru des trois tomes de la correspondance
de Rousseau.

En outre, la faculté de pouvoir substituer une forme pronominale (en) au N non adjacent est une propriété essentielle de la scission Quant/N. Or, ce que ne possède pas cette faculté dans les tours considérés (40f), contrairement à ce que exclamatif (40d) :

(40) a) J'ai deux enfants mais il en a trois. (= «trois enfants»)
b) Plusieurs amis, dont je ne sais lequel viendra, m'ont proposé leur aide.
(= «lequel des amis»)
c) J'ai bu trois verres de vin et il en a bu autant. (= «autant de verres»)
d) Ce que j'en dis aujourd'hui, des bêtises ! ( = «que de bêtises»)
e) Combien est-ce que l'en diras aujourd'hui, des bêtises ?
(= «combien de bêtises»)
f) *J'ai utilisé ce que j'en avais, de(s) connaissances, pour rédiger.12

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Remarquons encore qu'on peut rapprocher le tour (31) d'exemples, difficiles à paraphraser par une tournure en N antécédent + relatif, mais qu'il est possible de dériver à partir d'un énoncé avec un ProN de quantité indéfinie suivi d'un complément partitif {quelque chose de + adjectif) :

(42) a) Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la
princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à
une destinée eminente et exceptionnelle.
(De Gaulle, Mémoires de guerre. L'appel, p. 1.)
(< «II y a quelque chose d'affectif en moi»)

b) Ton nom que j'inscris ici a contenu pour moi, durant ces noires années, tout
ce qui subsistait en France d'héroïque et de pur.
(Mauriac, Les mal aimés, p. 151.)
(< «II subsistait en France quelque chose d'héroïque et de pur»)

Aussi, peut-on parfaitement postuler comme origine de (31a) une construction [GNI /+ quantification indéfinie/3 de GN2], où ce que nominaliserait tout simplement le premier GN ( «les connaissances que j'avais» > < (31a) «la masse I la somme de connaissances que j'avais»; (37a).

Enfin, un parallélisme intéressant sera établi avec le tour en celui +
complément de définition (cf. Pierrard. 1991a : 76) :

(43) a) Parfois des soldats s'opposèrent «manu militari» à ceux de leurs officiers qui
entendaient se battre jusqu'au bout.

Dans (31a) comme dans (43a), le complément de définition fournit un ensemble ((31a) : «les connaissances»; (43a) : «leurs officiers») au sein duquel le déterminant {celui ou ce) délimite et introduit un sous-ensemble (référence d'inclusion : cf. Gross. 1977 : 125), ce qui explique par la même occasion l'interprétation quantifiante de ce. De plus, comme (31a) (cf. (40f)), (43a) n'autorise pas la pronominalisation du complément au moyen de en :

(43) b) *Les soldats en éliminèrent ceux qui entendaient se battre jusqu'au bout.

3.3. Ce quantificateur.

Résumons-nous : on ne peut attribuer à ce que dans les trois cas concernés la valeur de base de quantification dans la mesure même où, à aucun moment, un lien exclusif et biunivoque avec la quantification dans son acception stricte n'a pu être relevé, contrairement bien sûr à combien ou à autant avec lesquels il peut permuter dans certains contextes.

Si une valeur quantitative se dégage bien de certains emplois, cela est lié d'une part à la pression d'éléments co (n)textuels et d'autre part au caractère peu compact du trait de catégorisation typologique [-humain], rendu par le morphème ce .

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La quantification n'est d'ailleurs pas le seul effet de sens produit par les énoncés enee qu- : il y a non seulement la valeur qualitative de manière ((44) : ce que = comment, comme), déjà relevée par Léard (A paraître : 9), mais aussi la valeur temporelle (45) :

(44) a) II résiste mieux que ce qu'on avait prévu. (= 'comment')
b) Je pense ce que tu penses. (= 'de la même manière que' -- 'comme')

(45) a) Ça durera ce que ça durera, ('le temps que')
b) Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, ('le temps que')

La manipulation des éléments quantitatifs ou temporels dans l'exemple (29)
souligne leur impact dans la détermination de la valeur quantitative ou temporelle
dans le discours :

(29) On a dépensé plus que ce qu'on avait prévu. [+ quantitatif]

(34) a) II résiste mieux que ce qu'on avait prévu. [- quantitatif]

(34) a') II résiste plus longtemps que ce qu'on avait prévu. [ + temporel]

En fin de compte, si ce doit être rapporté de quelque manière à la quantification, cela se fera dans le cadre plus large de la détermination du GN où ce pourra être défini comme un indicateur d'extensité ou 'quantifiant' du GN complexe que constitue la relative nominalisée (cf. Wilmet. 1986 :73).14

4.

Définir ce comme un déterminant propositionnel de type quantifiant (marquant Pextensité du GN et non pas son extension) permet à la fois de rendre compte de son fonctionnement non pronominal et d'appréhender de façon unifiée ses différents emplois, alors que l'analyse persistant à voir en ce, introducteur de relative, «une tête nominale indéfinie» (Léard. A paraître : 4) permet difficilement d'interpréter toute une série d'emplois plus orientés vers la quantification que vers la reprise ou la représentation pure et simple. d'unN/

Dans son étude typologique de la relative, basée sur l'analyse des données dans 83 langues, C. Lehmann définit la relative sans antécédent ('Relativsatz ohne Bezugsnomen') comme «eine Konstruktion die, àhnlich wie der bisher behandelte RS mit Bezugsnomen, auf der Basis eines offenen Satzes einen kompleksen Begriff bildet, ohne dass jedoch ein lexikalisch besetztes Nominal vorhanden wàre, das ais Nukleus die eròffnete Leerstelle semantisch einnàhme» (Lehmann. 1984 : 293). Dans ce cadre, il distinguera les relatives sans N antécédent ou le nucléus lui-même a été effacé (type 45b) et les relatives 'indéfinies' qui maintiennent un 'antécédent postiche' ('Bezugnomen-Attrappe') lexicalement non spécifié en tant que nucléus, afin de marquer la détermination et la fonction syntaxique du N absent (type 46) :

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(45) a) Der Herr, den wir gestern beim Consul trafen, ist Kanalarbeiter.
b) Der, den wir gestern beim Consul trafen, ist Kanalarbeiter.

(46) He who pays the piper calis the tune.

La construction française ce + relative s'impose dans ce contexte comme un tour transitoire. A l'origine, elle appartenait sans doute à la seconde catégorie (cf. Pierrard. 1990a). Aujourd'hui, nous avons montré qu'elle doit incontestablement être répertoriée parmi les relatives nominalisées. Le français produit ainsi, sous une forme originale, un type de construction qui apparaît couramment et sous des concrétisations variées dans la typologie générale de la relative («... in alien RStypen gibt es eine Variante ohne Nukleus» (Lehmann, 1984: 297)).

En outre, à partir de l'analyse du fonctionnement de ce qu- dans les tours relatifs, notre contribution a pu mettre en évidence des propriétés syntaxosémantiques parallèles à celles de l'introducteur celui qu-. Une prochaine étude devra dégager le fonctionnement complémentaire de ces constructions, ce qui permettra de fonder la cohérence du système propositionnel dans lequel ces introducteurs sont intégrés et de souligner en fin de compte leur valeur originale.

Michel Pierrard

Vrije Universiteit, Bruxelles



Notes

1. Nous ne traiterons ici que l'introducteur des relatives, tout en convenant bien sûr que, sur un plan morpho-syntaxique, il est indispensable d'évaluer le degré de cohérence et d'unité des divers emplois de ce que, dans le prolongement du débat sur l'unicité du morphème (cf. les contributions de Léard (1986b, à paraître) ou de Le Flem (1989)). D'autre part, il est tout aussi nécessaire d'insérer et d'évaluer ces emplois dans leur contexte propositionnel sans confondre les deux plans.

2. Pour celui : cf. Pierrard, 1991a.

3. «Soit donc d'abord le pronom ce que nous considérerons en faisant abstraction des différences qui peuvent exister entre les formes ce/celaf ça, l'opposition entre ce d'une part et cela/ça de l'autre se laissant exprimer, pour l'essentiel du moins, en termes de pronoms clitiques vs non clitiques» (Kleiber, 1984: 69).

4. En GGT, on a d'ailleurs souvent proposé des procédures générant les clivées à partir de constructions en ce que (Moreau, 1976 : 172 et sq.). D'autres auteurs confirment l'analyse non pronominale : « ce, sujet formel apodictique et est, verbe-prédicat, incident à ce sujet formel et, autant que possible, à lui seul» (Guillaume, 1973 : 190). Quant à Léard (1986a), il appréhende clairement la forme c'est qu- comme un seul morphème.

5. Les énoncés (18c) et (18d) sont bien sûr uniquement agrammaticaux en tant que phrases clivées.

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6. Dans le prolongement de notre définition de l'anaphore (Pierrard. 1990b : 198), la notion de cataphore correspond ici à celle de cataphore au sens strict chez Kesik (1989, 47-48) dans la mesure où elle implique la nécessité de passer par un interprétant pour l'identification du réfèrent. La coréférence avec un segment apposé ou avec tout élément subséquent (cataphore au sens large chez Kesik) ne sera pas considéré comme une expression d'un lien cataphorique.

7. Nous excluons de cette étude les interrogatives en ce qui / ce que. Ces formes semblent, sur un plan morpho-syntaxique, directement liées à celles que nous examinons ici. Comment ne pas établir un rapprochement en effet, dans deux systèmes aux oppositions morpho-sémantiques originelles fort similaires (le relatif «sans antécédent» et l'interrogatif indirect), entre la conservation du qui [+ humain], l'incapacité de la forme que [- humain] à se maintenir et son remplacement par ce qui/que ? Ceci étant établi, il faut toutefois reconnaître que les systèmes propositionnels dans lesquels elles s'insèrent respectivement sont sensiblement différents (cf. Pierrard, 1991b).

8. «Le ce que particulier (...) que j'appellerai désormais 'quantifieur' se distingue de ce que intensif d'abord par le fait qu'il apparaît dans des phrases non exclamatives. Il semble cependant plus proche de l'intensif que des emplois de ce que en relative ou en interrogative indirecte» (Gaatone, 1986 : 419).

9. Les énoncés (29), (30) et (31) sont tirés de Léard (A paraître : 1 ; 5). L'énoncé (31) est du même type que ceux contenant un ce que «quantifieur» chez Gaatone (1986:417-419).

10. La possibilité de reprise par le proN anaphorique neutre le (cf. (29a) et (29d) : le = «qu'on dépenserait») confirme l'ellipse du verbe principal.

11. La phrase avec ce que devient pleinement grammaticale, lorsqu'elle est située dans un autre contexte, sans rapport avec la quantité : (a)-Quelle langue utilisons-nous ? -Mais, je parlerai ce que tu parleras.

12. Dans l'exemple suivant, l'opposition semble moins nette. Ceci pourrait être lié à l'autonomie syntaxique et à la possibilité d'une lecture à intonation exclamative du complément en avec ce que, qui peut d'ailleurs être énoncé de façon indépendante. Sa valeur sera alors nettement exclamative. Un phénomène identique peut être relevé avec le tour en ce: pour que (a) 1) Ah ! cette année, ce que j'en ai, des pommes ! 2)? Avec ce que j'en ai, de(s) pommes, je peux faire un dessert. 3)Avec ce que j'en ai, de (s) pommes ! 4)Pour ce qu'il en a, d (e l)'intelligence !

13. Produit du trait /- humain/ avec une réduction d'extension contextuelle au trait /+ quantification/.

14. «Lextensité d'un substantif ou d'un syntagme nominal désigne la quantité d'êtres ou d'objets auxquels ce substantif ou ce syntagme nominal sont appliqués» (Wilmet, 1986: 47).

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Résumé

A l'instar de son homologue celui, ce introducteur de relative a un statut fort controversé.
Or, ces deux morphèmes présentent une série de comportements convergents,
que nous pouvons résumer par les deux traits suivants:

- l'abandon de toute fonction 'pronominale';

- l'absence de toute valeur 'démonstrative' ou 'phorique'.

Définir ce comme un déterminant propositionnel de type quantifiant permet à la fois de rendre compte de son fonctionnement non pronominal et d'appréhender de façon unifiée ses différents emplois, alors que l'analyse persistant à voir en ce, introducteur de relative, «une tête nominale indéfinie» permet difficilement d'interpréter toute une série d'emplois plus orientés vers la quantification que vers la reprise ou la représentation pure et simple d'un N.

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