Revue Romane, Bind 28 (1993) 1

Vigny et Shakespeare: une thématique du sacrifice

par

Maj-Britt Mosegaard Hansen

Entre 1828 et 1830, Alfred de Vigny traduisit deux pièces de Shakespeare, Le More de Venise, c'est-à-dire Othello, et Shylock, c'est-à-dire Le Marchand de Venise. Le More de Venise fut présenté pour la première fois le 24 octobre 1829 au Théâtre-Français. La pièce connut, entre cette date et février 1830, 17 représentations, et elle n'obtint jamais de succès retentissant. Le texte fut imprimé en janvier 1830, mais Vigny pratiqua, lors d'une réédition en 1851, quelques changements, rajoutant notamment quelques scènes coupées au nom de la bienséance. Shylock fut reçu en mars 1830 à PAmbigu-Comique, mais comme la censure interdisait la représentation de toute pièce en vers hors du Français ou de l'Odèon, la pièce ne fut jamais jouée, et elle ne fut imprimée qu'en 1839.

- Entre 1827 et 1828, Vigny acheva également, en collaboration avec son ami Emile Deschamps, la traduction de Roméo et Juliette, œuvre qui fut reçue au Français le 15 avril 1828, mais qui était, elle aussi, destinée à ne jamais connaître de première. Comme l'idée de traduire cette pièce vint de Deschamps, et que Vigny n'en fit qu'une partie du quatrième et du cinquième actes, elle ne nous occupera plus. -

Nous avons traité ailleurs la conception de l'être sacrificiel dans l'œuvre de Vigny,1 étudiant la dialectique des victimes et des bourreaux, qui est fondamentale dans la pensée du poète, et il nous semble que les deux pièces du dramaturge anglais s'insèrent éminemment bien dans cette thématique. C'est ce que nous essayerons de montrer dans le présent essai. Par contre, la qualité des traductions en tant que telles ne nous concernera pas, d'autant plus que d'autres s'en sont déjà occupés.2

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Pour décrire ce thème du sacrifice humain, nous nous sommes basée en partie sur les théories exposées par René Girard dans son ouvrage La Violence et le sacré? Très brièvement, la violence réciproque est pour Girard une réalité fondamentale partout où des êtres humains entrent en contact. Néanmoins, le déchaînement de la violence rend la vie communautaire impossible et il est donc impératif pour toute société de trouver un moyen de l'endiguer. Ce moyen est le sacrifice, qui canalise la violence et la tourne vers une seule «victime (ou bouc) émissaire». Ce qui est d'une importance capitale pour la pensée de Girard, c'est l'idée d'une «crise sacrificielle» qui s'installe inévitablement quand les différences préétablies entre les êtres s'effacent pour une raison ou une autre. L'effacement des différences entraîne chez les êtres de statut «inférieur» (à défaut d'un meilleur terme) le désir et la volonté d'accéder aux privilèges de leurs «supérieurs». Ces derniers sont susceptibles de prendre peur et de se défendre en attaquant. Comme toute violence est contagieuse par nature, et comme les distinctions entre faible et fort n'existent plus et ne peuvent donc plus l'arrêter, nous sommes donc en pleine crise sacrificielle. Alors, une victime émissaire est requise. Celle-ci sera immolée à l'unanimité de tous les autres membres de la communauté, et c'est cette unanimité qui permet le rétablissement de l'ordre.

Il existe dans l'œuvre de Vigny deux sortes de sacrifices: la première, et la plus évidente, est le sacrifice d'un être humain par d'autres, ou, de toute façon, par des forces extérieures à lui-même qui le vouent à la mort ou à l'infortune. Cet être est très souvent perçu comme un «bouc émissaire», largement innocent. Par contre, la notion d'expiation d'une faute est assez rare.

La deuxième sorte de sacrifice est le sacrifice volontaire de soi, où l'être renonce à sa vie ou à son bonheur personnel afin de servir un principe ou un être aimé. C'est ce sacrifice de soi qui est de loin le plus important dans l'œuvre de l'âge mûr. Pourtant, il faut remarquer que les deux catégories peuvent très bien se confondre, c'est-à-dire qu'il y a une complicité plus ou moins explicite entre la victime et ses bourreaux: celle-là ne fait, en effet, qu'achever l'œuvre commencée par ceux-ci.

Nous avons montré dans Hansen (1991) qu'il y a plusieurs catégories de victimes, qui ont toutes ceci en commun que ce sont des êtres abandonnés. Il est tout à fait évident pour qui connaît un peu l'œuvre et la vie de Vigny que les catégories qui sont le plus en évidence sont constituées par des «doubles» de l'auteur, à savoir le Noble, le Poète, le Soldat et l'Amant trahi. Tous sont décrits comme des êtres de «qualité» et d'«exception», c'est-à-dire en quelquesorte marginalisés. Mais la définition des catégories «sacrifiables» s'élargitconsidérablement - surtout dans la dernière moitié de l'œuvre - parce qu'elle comprend en fait toute l'humanité, conçue comme victime d'un Dieu

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indifférent qui refuse de donner un sens à sa création et qui permet à un
Destin pervers de se jouer de nous comme des pantins.

Comme c'est le cas pour les victimes, l'apparence des bourreaux trahit d'abord une inspiration étroitement personnelle, mais revêt par la suite une forme de plus en plus universelle. Il s'agit d'abord des hommes d'action et d'une société égoïstes et matérialistes, ensuite d'un pouvoir insondable et abstrait qui victimise à la fois ses fidèles et ses adversaires, et contre lequel toute révolte est d'avance vouée à l'échec. Le plus perfide des bourreaux est peut-être la femme, qui, tout en partageant l'impuissance fondamentale de l'homme vis-à-vis des autre forces victimisantes, choisit le plus souvent de se rallier à celles qui écrasent son partenaire. En dernier lieu, nous avons, comme nous l'avons déjà laissé entendre, Dieu et la Destinée qui nous tiennent dans un éternel esclavage dû à notre ignorance et à l'union entre la matière et l'esprit, c'est-à-dire l'incarnation, vécue par Vigny comme une torture.

Cette dialectique entre victimes et bourreaux se résoud dans les deux notions complémentaires de la Pitié et de l'Honneur - principes féminin et masculin, respectivement. Ces notions constituent le sens du sacrifice, car les victimes sont dans l'ensemble amenées à les incarner. En partie parce que ce sont là des étapes fondamentales du perfectionnement du moi, et en partie parce qu'elles contribuent au progrès collectif de la race humaine. Les victimes aideront ainsi par leur exemple à frayer le chemin vers le règne de l'Esprit tant préconisé par Vigny, et elles enseigneront aux hommes l'importance de la solidarité face à l'inhumain.

Dans les deux pièces qui nous intéressent ici, Shakespeare nous montre une Venise qui par certains côtés peut ressembler, non seulement à l'Angleterre élizabéthaine, mais aussi à la France du 19e siècle. Stendhal remarque dans son Racine et Shakespeare* que Shakespeare plaisait à ses contemporains précisément parce qu'il leur montrait sur scène tous les faits de société caractéristiques de l'époque. Vue la ressemblance que nous venons de poser, ce pourrait être là une des raisons pour lesquelles il a tant plû aux Romantiquesfrançais. Notamment, il s'agit dans les deux époques d'une société capitalisteet mercenaire, où régnent l'ambition et l'amour du gain, et où la loyauté envers les principes abstraits de la République (ou, dans le cas de l'Angleterre, du «commonwealth») et de la Justice a remplacé la loyauté personnelle et l'amour pour le souverain. Comme l'Angleterre du 16e siècle, la France de Vigny avait connu des guerres et des trahisons, l'écroulement du système féodal et un essor capitaliste qui avaient bouleversé l'une et l'autre. Vigny, pour sa part, trouvait ces changements sociaux profondément inquiétants.Il montre dans Cinq-Mars (1826) comment la disparition de la féodalité et la centralisation du pouvoir ont victimise toute une classe sociale, à savoir

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l'ancienne noblesse héréditaire, et ont entraîné, en dernier lieu, la Révolution française. Dans Stello (1832) et Chatterton (1834), il peint le triste sort du poète dans une société matérialiste qui méprise toute spiritualité. Dans Servitudeet grandeur militaires (1835), finalement, nous sommes invités à réfléchir sur la condition du soldat moderne, être dévoué luttant pour les idées des autres, risquant sa vie, sacrifiant son bonheur et souvent sa conscience, tout en restant méconnu et étranger à la communauté environnante.

C'est ce dernier que nous retrouvons dans le personnage d'Othello. Celuici est le type même de la victime vignyenne. Comme le remarque W. H. Auden,5 il ya dans une société capitaliste comme la République vénitienne deux espèces de liens interhumains: des liens de nature économique et d'autres qui sont de nature personnelle. On distingue ainsi entre ceux qui sont des «frères» et les autres. Othello, en tant que général d'une armée permanente et soldée, appartient à ces derniers: ses liens avec la communauté vénitienne sont purement économiques. Néanmoins, Othello est, à l'instar des héros de Vigny, dévoué corps et âme au principe de l'état qu'il sert. A tel point, en fait, que ses dernières paroles ne sont pas pour la femme qu'il a injustement assassinée, mais pour Venise:

And say besides, that in Aleppo once, Where a malignant and a turban'd Turk Beat a Venitian and traduced thè state I took by the throat the circumcis'd dog, And smote him - thus (Vii, 11. 353-357)6

II convient de remarquer, cependant, que Vigny atténue quelque peu l'impact
de cette tirade en traduisant:

... puis racontez encore,
Que dans Alep un jour, dérobant un trésor,
Un Turc au turban vert profanait une église,
Insultait un chrétien; le More de Venise
Arrêta; vainement il demanda merci,
// le prit à la gorge en le frappant - ainsi

(Viv, 11.2393-2398)7

II enlève ainsi la référence explicite qui fait d'Othello le défenseur de Venise.

- Par contre, il en ajoute une à la condition fondamentalement étrangère du protagoniste - étranger à la fois à l'Etat et à lui-même, ce que montrent l'épithète de la ligne 2396 et le pronom à la 3e personne de la ligne 2398 auxquels rien ne correspond dans l'original.

Othello se complaît pourtant à se croire un «frère» à part entière:

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My services which I have done thè signiory
Shall out-tongue his complaints (lii, 11. 18-19)

My parts, my title, and my perfect soûl
Shall manifest me rightly (lii, 11. 31-32)

Ceci est justifié par le fait que (toujours selon Auden (p. 214)) dans une société non-féodale où la guerre n'est plus une expérience familière et quelque peu banale, le métier des armes et surtout un rang élevé peuvent être teintés d'une certaine gloire et d'un certain mystère. Et il n'y a aucun doute que G. Wilson Knight8 a raison quand il observe que, pour Shakespeare, la guerre a en général une valeur positive: le fait d'être soldat devient presque une condition de noblesse. Pour Othello, donc, son mariage avec Desdemona est le symbole de son intégration plénière dans la communauté.9 Qu'il n'en est rien, il l'apprend pourtant très vite et de façon très claire:

... Whether a maid so tender, fair, and happy, So opposite to marriage that she shunn'd The wealthy curled darlings ofour nation, Would ever have, t'incur a general mock, Run from her guardage to the sooty bosom Ofsuch a thing as thou - to fear, not to delight!

(lii, 11. 66-71)10

Par sa profession et par la couleur de sa peau, le héros est donc séparé de la communauté, destiné à la marginalité. En fait Vigny accentue le sentiment de son aliénation en choisissant pour sa traduction le sous-titre de la pièce de Shakespeare: c'est-à-dire non pas le simple nom du protagoniste, mais l'épithète du «More de Venise».

Comme le Noble, le Poète et le Soldat, il est à proprement parler un paria
(en tout cas, nous oserons affirmer que Vigny l'a vu comme Lei):

Je vis que les Nobles étaient en France comme les hommes de couleur en
Amérique, poursuivis jusqu'à la vingtième génération et au-delà11

Je désire ardemment, pour le bien que je vous souhaite, que vous ne soyez pas né dans cette caste de Parias, jadis Brahmes, que l'on nommait Noblesse, et que l'on a flétrie d'autres noms; classe toujours dévouée à la France et lui donnant ses plus belles gloires, achetant de son sang le plus pur le droit de la défendre en se dépouillant de ses biens pièce à pièce et de père en fils; grande famille pipée, trompée, sapée par ses plus grands Rois, sortis d'elle; hachée par quelques-uns et les servant sans cesse, et leur parlant haut et

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franc; traquée, exilée, plus que décimée, et toujours dévouée tantôt au
Prince qui la ruine, ou l'abandonne, tantôt au Peuple qui la méconnaît et la
massacre. (St., 747)

Ehomme soldé, le Soldat, est un pauvre glorieux, victime et bourreau, bouc émissaire journellement sacrifié à son peuple et pour son peuple, qui se joue de lui; c'est un martyr féroce et humble tout ensemble, que se rejettent le Pouvoir et la Nation toujours en désaccord. (SGM, 530)

Ainsi est-il, selon René Girard, une victime tout à fait évidente:

Si les catégories sacrifiables sont souvent constituées de créatures qui n'appartiennent pas et n'ont jamais appartenu à la communauté, c'est parce que la victime émissaire appartient d'abord au sacré. La communauté émerge au contraire du sacré. [...] Il ne faut pourtant pas conclure de ce qui précède que la victime émissaire doit être perçue comme simplement étrangère à la communauté. Elle ne fait qu'une avec le double monstrueux. Elle a abordé toutes les différences, et notamment, la différence entre le dedans et le dehors; elle passe pour circuler librement de l'intérieur à l'extérieur. Elle constitue donc, entre la communauté et le sacré, à la fois un trait d'union et de séparation. Pour être à même de représenter cette victime extraordinaire, la victime rituelle, idéalement, devrait appartenir à la fois à la communauté et au sacré.12

Et il est sans doute significatif qu'il finit par s'identifier complètement aux
Turcs, l'ennemi étranger contre lequel il est censé protéger l'ordre vénitien
(voir Viv, 11. 2393-98, citées ci-dessus).

A côté du personnage principal, nous avons sa femme, Desdemona. Desdemona est un parfait exemple de ce que nous avons appelé à propos de l'œuvre originale de Vigny, les «victimes des victimes».13 Elle s'apparente ainsi à des personnages comme De Thou, Kitty Bell et Laurette. Là où les victimes «principales» jouissent, sinon d'une entière liberté, du moins de la liberté de dire non - à la compromission ou à ce qui est contraire à leurs idéaux - ces autres victimes sont entraînées par des conflits qu'elles n'avaient aucun moyen de prévoir et qui ne les concernent qu'indirectement, par la seule force de leur amour pour la victime principale. En fin de compte, ce sont peut-être elles les vraies victimes innocentes (cela est certainement vrai pour l'héroïne de Shakespeare).

Et si ce n'était pas assez de la ressemblance entre Othello et les héros de Vigny, l'attrait de cette pièce pour son traducteur a dû être d'autant plus grand que Desdemona semble correspondre étroitement à l'idéal féminin du poète français. Premièrement, elle ne résiste absolument pas à cette fusion

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du couple amoureux que Vigny chercha toute sa vie14 et que les femmes-Dalilas'obstinèrent à lui refuser. Au contraire, tout en faisant le premier pas vers leur union (bien qu'elle doive savoir qu'elle se révolte ainsi contre la volonté de son père, et qu'elle sera peut-être obligée de couper tout lien avec le passé):

She wish'd she had not heard it, yet she wish'd
That heaven had made her such a man. She thank'd me,
And bade me, if I had a friend that lov'd her,
I should but teach him how to tell my story,
And that would woo her (liii, 11. 162-166)

elle reste soumise et loyale envers son mari, jusque dans la mort:

D: A guiltless death I die E: O, who hath done this deed? D: Nobody; I myself. Farewell! Commend me to my kind lord (Vii, 11. 122. 125)15

Ce trait, en fait, est souligné dans la traduction de Vigny, qui lui fait dire:

Tuée injustement... innocente, et je l'aime
(Viii, 12287)16

Deuxièmement, c'est sa pitié (la vertu féminine par excellence) pour le More
qui attire celui-ci vers elle:

She lov'd me for the dangers I had pass'd
And I lov'd her that she did pity them
(liii, 11.167-168)

et c'est sa pitié pour Cassio, dégradé et déshonoré, qui la perd auprès de son mari. Il y a ici un parallélisme assez net entre elle et une Eloa, qui, attirée par le côté paria de Satan, se perd dans sa tentative pour le sauver. La même chose vaut d'ailleurs pour KJtty Bell dans ses rapports avec Chatterton.

Et l'on crut qu'Eloa le maudirait; mais non,
EEffroi n'altéra point son paisible visage,
Et ce fut pour le ciel un alarmant présage.
Son premier mouvement ne fut pas de frémir,
Mais plutôt d'approcher comme pour secourir
(Eloa 1,11. 126-130)
(cf. Othello, lii, 11. 66-71 citées ci-dessus).

On peut également la rapprocher d'une Eva, avec qui elle partage non seulement
la pitié:

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Mais aussi tu n'as rien de nos lâches prudences,
Ton coeur vibre et résonne au cri de l'opprimé
(M. du 8., 111, 11.253-254)

- mais aussi l'obstination et le courage d'une enfant:

Ta parole joyeuse a des mots despotiques
(111, 1. 239)

D: Good love, call him back.
O: Not now, sweet Desdemona, some other time.
D: But shall't be shortly?
O: The sooner, sweet, foryou.
D: Shall't be tonight at supper? ... etc.
(Illiii, 11. 54-57)

- ainsi que l'ascendant qu'elle a sur son partenaire:

C'est afin que tu sois son juge et son esclave
Et règnes sur sa vie en vivant sous sa loi
(M. du 8., 111, 11. 237-238)

Prithee no more; let him come when he will,
I will deny thee nothing (Illiii, 11. 75-76)

She that I spake of [Desdemona], our great captain's captain
(Ili, 1.74)

Un aspect intéressant du rapport entre les deux époux, par rapport à notre thématique, c'est le fait qu'Othello parle de «sacrifice» au moment de tuer Desdemona (Vii, 1. 65): la victime se prend donc pour un bourreau. Vigny attire d'ailleurs lui-même l'attention sur ce fait dans une note de bas de page.17 On peut dans une certaine mesure retrouver ce motif dans l'œuvre de Vigny, dont les victimes font souvent le pas décisif vers leur propre immolation,c'est-à-dire qu'il y a, comme nous l'avons déjà remarqué, une espèce de complicité entre elles et leurs bourreaux. La différence est cependant que les victimes vignyennes (telles que Chatterton, Gilbert, Cinq-Mars, Julien, ...) ne sont pas dupes comme Othello: leur auto-destruction constitue en partie un reproche envers les «vrais» bourreaux, qui leur ont rendu la vie insupportable.Encore plus remarquable, cependant, est l'usage que Vigny fait du terme «sacrifice» dans le passage en question: Chez lui, c'est Desdemona qui s'en sert la première, en parlant de son amour pour Othello comme d'un sacrifice pour lequel elle est punie (Vii, 1. 2228). Rien dans l'original ne correspond à

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cette idée. Deuxièmement, Vigny change de manière révélatrice le sens de la
réplique où Othello utilise le mot. Le passage:

O perjur'd woman, thou dost stone my heart, And mak'st me call what I intend to do A murther, which I thought a sacrifice (Vii, 11. 63-65)

devient

Ce mot seul rend mon cœur de fer. Mon sacrifice
De ta vie, à présent je le nomme justice
(Vii, 11.2251-2252)

C'est-à-dire que chez Shakespeare, le mot «sacrifice» a des connotations religieuses, rituelles, qui confèrent dans la pensée d'Othello une certaine dignité à son acte, tandis que, chez Vigny, ce mot est opposé à «justice», ce qui lui donne des connotations uniquement négatives.

Que Desdemona se sente «punie» peut fort bien être lié au fait qu'en se mariant avec Othello, elle s'est révoltée contre son père. Les tentatives de révolte sont, pour Vigny, souvent liées à l'amour, et, en effet, prédestinées à l'échec. Les grands révoltés de Vigny sont toujours poussés par l'amour d'un être ou d'une idée à s'insurger contre l'autorité. C'est l'amour pour Marie qui inspire Cinq-Mars; Satan puise son audace dans son amour pour l'espèce humaine; Julien se perd par amour de la Vérité. Mais le Pouvoir, étant inhumain, non seulement ne peut pas aimer, mais interdit encore aux hommes d'aimer. Cela n'a au fond rien d'étonnant, puisque l'amour conduit à la réflexion, et que celle-ci est contraire à l'obéissance aveugle («Du moment où l'on pense, qu'est-ce que cela? Aimer, oui, car l'amour est une impérissable source de réflexion» -/. 1833, 986). Mais pour Vigny, c'est là la pire tyrannie de toutes et la plus dure à supporter. En même temps, notre poète a besoin du Juge, tout en se plaignant de son implacabilité,18 et, comme le note A. Jarry, «[les torts de Desdemona à l'égard de son père] sont évoqués [à trois reprises dans Le More de Venise] sans que ces allusions aient aucun répondant dans le texte anglais».19 Il s'agit des vers 1909-1910, 1923-1926, 2052-2056.

Le dernier personnage central est Yago, le destructeur de l'ordre. S'il y avait de fortes ressemblances entre les êtres sacrificiels des deux poètes, il y en a d'aussi grandes entre les bourreaux. Comme le montre la célèbre remarque de S. Coleridge sur sa «malignité sans motif» («motiveless malignity»),20 les actions de Yago ne semblent pas plus explicables, ni plus justifiées que celles des bourreaux de Vigny. Ironiquement, il réussit à mener l'action de la pièce

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presque jusqu'à son point culminant sans agir directement: il contrôle la suite
des événements par sa seule parole

E: And your reports hâve set the murder on
(Vii, 1187)21

en faisant agir les autres, tandis que ceux-ci choisissent dans une large mesure de ne pas communiquer leur point de vue avant la fin (Iliii, 1. 189, 11. 198-199; IHiii, 11. 27-28). Et pourtant, quand vient le moment des explications, il se renferme dans un silence implacable:

Demand me nothing; what you know, you know:
From this time forth I never will speak word
(Vii, 11.303-304)

Significativement, le Pouvoir, chez Vigny, se cache toujours derrière un tel
silence:

Silencieux devant son armée en silence
Le Czar, en mesurant la cuirasse et la lance.

Passera sa revue et toujours se taira.
(Wanda, 11.166-168)

On peut légitimement se demander si Yago se fait lui-même une idée très claire des raisons pour lesquelles il met en branle toute cette machinerie de la destruction. Il est vrai qu'il dit haïr Othello, d'abord parce que celui-ci lui a refusé la promotion qu'il sollicitait (li, 11. 6-11), deuxièmement, parce qu'il soupçonne sa femme de l'avoir trompé avec le More (liii, 11. 386-388), et troisièmement, parce qu'il est amoureux de Desdemona (Ili, 11. 291-294). Cependant, toutes ces raisons ont, dans le contexte, un air de rationalisation, et en tout cas, elles ne justifient en aucune façon les conséquences qui en découlent. En fait, nous dirions que Yago n'a jamais bien mesuré l'étendue de ces conséquences. On a l'impression que ce n'est qu'au moment où Othello demande, en le menaçant, des preuves irréfutables de ses accusations contre Desdemona (Illiii, 11. 364-366), qu'il songe à provoquer, pour se sauver, la mort de Desdemona et de Cassio. Jusque là, il semblerait qu'il s'est plutôt amusé à improviser chaque épisode de l'intrigue, se fiant à l'inspiration du moment, dans le seul but de rendre Othello ridicule:

Make the Moor thank me, love me, and reward me,
For making him egregiously an ass
And practicing upon his peace and quiet
Even to madness. Tis hère, but yet confus'd

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Knavery's plain face is never seen till us'd
(Ili, 11. 308-312)

Mais il faut dire aussi qu'à cet endroit la traduction de Vigny penche pour
une interprétation opposée, puisqu'elle fait dire à Yago que:

Je l'amène à chercher, récompenser, chérir
Celui qui le rendra triste au point de mourir,
Au point de déchirer ses entrailles de More.
Tout est ici, mais tout est bien confus encore.
Pensons. Que notre projet, médité sagement,
Ne se dévoile pas avant le dénouement.
(Ilvii, 11. 679-684)

Si notre interprétation est correcte, Yago se rapproche par là des hommes
d'action de Vigny: ce sont en général des gens éloignés de la réflexion profonde
qui ne sont pas tenus de savoir ni ce qu'ils font, ni pourquoi ils le font:

Je renverse l'entourage du trône. Si, sans le savoir, je sapais ses fondements
et hâtais sa chute! (CM, 163)22

Moi, il faut que j'aille et que je fasse aller. Si je sais où, je veux être pendu,
par exemple. (SGM, 634)á

A l'instar des hommes d'action, Yago professe une philosophie matérialiste,
dont la seule «divinité» est l'intérêt personnel et qui relègue l'homme au rang
des bêtes en niant l'existence de l'amour.

Were I the Moor, I would not be lago
In following him, I follow but myself;
Heaven is my judge, not I for love and duty,
But seeming so, for my peculiar end (li, 11. 57-60)

But we hâve reason to cool our raging motions, our carnal stings, our unbit
ted lusts; whereof I takc this that you call love to be but a sect or scion
(liii, 11. 329-332)

- cf. les paroles d'un Bonaparte ou d'un Père Joseph:

Que voulez-vous? Il faut vivre. Il faut trouver sa place et faire son trou. Moi, j'ai fait le mien comme un boulet de canon. Tant pis pour ceux qui étaient devant moi[...] Je vous le dis Saint-Père; il n'y a au monde que deux classes d'hommes: ceux qui ont et ceux qui gagnent (SGM, 635-636).

«Il n'y a point de bienfaits en politique, il y a des intérêts, et voilà tout [...]
Quand on veut rester pur, il ne faut pas se mêler d'agir sur les hommes, ou

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plutôt ce qu'il y a de plus raisonnable est de voir ce qui est, et de se dire comme moi: «II est possible que l'âme n'existe pas, nous sommes les fils du hasard; mais, relativement aux autres hommes, nous avons des passions qu'il faut satisfaire.» (CM, 336-337)

Notons ici que, comme nous l'avons déjà signalé plus haut, le Pouvoir-bourreau,
étant inhumain ne peut ni aimer, ni permettre aux autres de s'aimer:

If sanctimony and a frail vow betwixt an erring barbarian and a supersubtle
Venetian be not too hard for my wits and ail the tribe of hell, thou shalt enjoy
her. (lui, 11. 355-358)

Conformément à ceci, l'on trouve vers la fin de la pièce la suggestion d'une
certaine inhumanité chez Yago:

O: I look down towards his feet; but that's a fable.
If thou be'st a devii, I cannot kill thee [... ]
I: I bleed, Sir, but not kill'd. (Vii, 11. 286-288)

Quant aux vers 57-60 de li, cités ci-dessus, la traduction de Vigny va encore une fois plus loin que le texte original en faisant de Yago un bourreau type, qui non seulement cherche à atteindre ses buts personnels, mais encore à détruire ses supérieurs:

Mais d'autres, plus soumis en apparence encor,
Dérobent à leur maître et le pouvoir et l'or,
Et sous ses pieds creusent leur lente et sourde mine,
Pour s'élever plus haut montent sur sa ruine
(li, 11.45-49)

L'image de la taupe creusant une mine sous les pieds d'un ennemi qui ne se doute de rien se retrouve d'ailleurs plus tard dans les Mémoires inédites de Vigny, cette fois à propos de la bourgeoisie perfide qui a contribué à la chute de l'ancienne noblesse pour la seule raison qu'elle s'est sentie inférieure vis-à-vis de celle-ci (p. 62-64).

Un tel sentiment d'infériorité est souvent caractéristique des bourreaux, et il ne manque pas à notre ami vénitien non plus. S'il y a une véritable raison à sa haine, c'est cela, à notre avis: Yago envie aux autres leur beauté physique et morale et l'harmonie de leurs rapports, choses qu'il ne retrouve pas dans sa propre vie et qu'il éprouve donc le besoin d'anéantir:

O, you are well tun'd now!
But Fil set down the pegs that make this music
(Hi, 199-200)

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On peut noter ici que selon F. Germain,24 la musique est toujours liée chez
Vigny aux victimes et à l'amour.

So will I turn her virtue into pitch,
And out of her own goodness make the net
That shall enmesh them ail (Iliii, 360-362)

If Cassio do remain,
He hath a daily beauty in his life
That makes me ugly (Vi, 11. 18-20)

II faut donc, pour qu'il soit content, qu'il réduise autrui à l'état de marionnette - c'est-à-dire qu'il veut créer un monde entièrement à son image. W. H. Auden parle de Yago comme d'un «mystificateur» («practical joker»),25 mais il serait à notre avis plus juste de dire que c'est un artiste manqué.

C'est là un trait qui n'est pas étranger aux bourreaux vignyens non plus. Bien que les hommes d'action se montrent en général indifférents, voire hostiles envers les penseurs, on en trouve qui sont eux-mêmes des penseurs manques. Tels Robespierre, Saint-Just ou Richelieu qui se sont tous mêlés un peu de littérature, sans succès durable:

«Au fait, me dit [Joseph Chénier], j'ai connu dans ma vie des Poètes à qui il
ne manquait pour l'être qu'une chose, c'était la Poésie.»
Robespierre cassa une plume dans ses doigts et prit un journal, comme
n'ayant pas entendu (St., 711).26

Comme ils n'arrivent pas à faire d'immortelles œuvres artistiques, ils se contentent d'agir dans le domaine temporel pour s'y façonner une société à leur propre image. Pourtant, comme c'est notamment le cas de Robespierre, l'envie ne cesse de les ronger et les pousse à détruire ceux qui possèdent le vrai don créateur.

Ce qui facilite la tâche de Yago, c'est le fait que Chypre se trouve dans une situation très voisine de celle de «crise sacrificielle» selon l'expression de R. Girard. Comme le montre A. Kernan,27 la géographie est d'une importance capitale dans cette pièce. Nous avons d'une part Venise, qui pour Kernan est une image intemporelle de la Ville, symbolisant ordre et civilisation.28 - Pour F. Kermode,29 Venise représente bien la richesse, le pouvoir et la justice, mais est en même temps un monde déchu.30 Ces deux façons de voir la ville ne sont pas forcément incompatibles, et elles s'accordent bien, comme nous allons le voir, avec la conception qu'a Vigny de la société. - D'autre part et tout autour, il y a l'empire des Turcs, les infidèles, représentant la barbarie et la force de la nature. Et entre les deux, à la frontière entre l'ordre et le chaos, il y a Chypre, dont Othello, l'étranger, est seul à assurer la défense. A Venise,

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la société est trop bien consolidée pour que Yago puisse réussir à ébranler l'ordre, mais à Chypre, les forces anarchiques qu'il représente arrivent peu à peu à avoir libre cours et toutes les valeurs vénitiennes, telles que la hiérarchiemilitaire, le mariage, la loi et la justice, s'écroulent. Comme le montre Kernan,31 il n'y a plus de différence entre supérieur et inférieur, entre ami et ennemi (Iliii, 11. 213-215), entre épouse et prostituée (IVii, 1. 73), ou entre accusateur, juge et bourreau (Vii, 11. 1-6, 64-65). Les défenseurs de l'île commencent à ressembler à l'ennemi: cf. Iliii, 1.170, Vii, 11.353-356.

Ce rapport entre le chaos et tout ce qui n'est pas façonné par l'homme, c'est-à-dire la nature, se retrouve de façon très nette chez Vigny. Il est lié à sa conception particulière de l'incarnation, une des instances victimisantes comme nous l'avons vu plus haut. Vigny sent que la matière est plus forte que l'esprit et c'est pour cela qu'il craint et déteste la nature. Elle représente pour lui la matière brute, complètement indifférente aux souffrances de l'homme dont elle insulte la fragilité. Elle est une tombe où s'ensevelissent les idées:

Je n'entends ni vos cris ni vos soupirs; à peine Je sens passer sur moi la comédie humaine [...]On me dit une mère et je suis une tombe (M. du B, 11. 285-286,292).

Par contre, pour Vigny comme d'ailleurs pour Ballanche {La Vision d'Hébal, 1831) et pour J. de Maistre {Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821), la société, bien qu'elle soit tout entachée de fautes et de mensonges, est un moyen d'endiguer les pulsions violentes de l'homme:

«Souffre et abstiens-toi, « dit Epictète demi-chrétien.
Le christianisme et la philosophie sentent que nos plus fortes inclinations
tendent à la destruction de la Société.
La loi chrétienne surtout fait de cette victoire continuelle sur nous un principe

Dans l'individu est reconnu l'ennemi né de la Société s'il ne se contrefait ou
ne se réforme avec effort. Donc la Société est contraire aux penchants naturels
de l'homme, mais l'espèce se détruit sans la société. (/. 1843,1196)

Vigny est au fond un homme d'ordre. L'anarchie des révolutions le trouble
profondément; il a besoin de valeurs, et l'ordre que représente le Pouvoir,
même s'il est mauvais, est à préférer au nihilisme:

II ne peut rien construire où tout est abattu.
(Paris, 1.118)

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D'où l'apparente contradiction de La Sauvage, où, pour une fois, notre poète
exalte la force civilisatrice de la société:

La Loi d'Europe est lourde, impassible et robuste,
Mais son cercle est divin, car au centre est le Juste.
[...] «Vous m'appelez la Loi, je suis la Liberté».
(11. 161-162,168)

Mais il faut remarquer qu'il s'agit ici d'une société nouvelle, en laquelle on peut encore espérer; un ordre fondé, non sur la tyrannie, mais sur l'idée abstraite de la liberté de l'individu. La société américaine représente la liberté unie à l'intelligence:

Mais, sous un cristal pur, orné d'un noir feston,
Un billet en dix mots qu'écrivait Washington,
Quelques livres rangés, dont le premier, Shakespeare.
(11. 115-117)

Elle représente, par sa conquête d'un terrain inculte, la victoire de l'esprit
sur la matière, et ce que prône Vigny c'est en fait l'arrivée tant attendue de la
suprématie de l'intelligence:

Tout le travail de l'humanité qui fermente est le combat de l'ordre contre la
liberté. Elle marche vers leur accord.

Le désir de l'être isolé est la liberté, le désir de l'être social est l'ordre par besoin de protection. Lempire toujours croissant de l'intelligence amènera la société à ce point que nul désir de liberté ne soit gêné et que l'ordre l'assure invariablement. (/.1828, 888)

- Il convient de mentionner ici le fait que, dans la terminologie de F. Germain, Vigny conçoit systématiquement I'«Enfer extérieur» et le «Paradis intérieur» comme étant séparés par un cercle32 - tout à fait comme Venise est encerclée par la barbarie de ses ennemis turcs.

La Venise de Shakespeare n'a peut-être pas tout à fait atteint ce stade rêvé de civilisation, (nous avons déjà vu, et c'est le cas aussi dans Shylock, que tous les membres de cette communauté ne sont pas sur le même pied d'égalité - En fin de compte, c'est le cas de la «Sauvage» aussi), mais le Sénat réussit tout de même à assurer un ordre si fiable et si impartial que les citoyens ne peuvent guère concevoir un autre état des choses:

What tell'st thou me of robbing? This is Venice;
My house is not a grange (li, 11105-105)

Par contre, Chypre, située à la périphérie du cercle de la Loi, ne succombe
que trop facilement à la barbarie.

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Dans l'interprétation de Kernan, la dénouement de la pièce consiste en un rétablissement de l'ordre, et en un retour à la ville, les deux au prix d'un certain nombre de vies sacrifiées. Ce qui constitue le sens de ces sacrifices, c'est d'une part la défaite de l'ennemi turc, et d'autre part la prise de conscience du héros. Desdemona et Yago représenteraient ainsi deux manières de voir l'existence, l'Amour et la Haine, et le fait qu'Othello finit par choisir le premier, signifie que la Ville mythique de la Vérité et de la Justice peut continuer à exister.33 De cette manière, les victimes shakespeariennes ont apporté, comme leurs homologues vignyens, leur contribution au progrès de l'humanité vers le Pur Esprit.

Nous espérons avoir montré que la constellation des personnages dans la pièce de Shakespeare est fortement parallèle à celles qu'on trouve dans les œuvres de Vigny, et que la tragédie d'Othello met en scène le même type de conflit dans des circonstances qui y sont particulièrement favorables.

Nous allons maintenant tourner notre attention vers Shylock. Le Marchand de Venise est une pièce bien plus complexe qu'Othello, et les critiques se sont beaucoup disputés sur son sens. Il n'est donc guère étonnant qu'elle s'insère de façon moins évidente dans la thématique qui est la nôtre. Il nous semble néanmoins que ce n'est pas par hasard que Vigny ait choisi de traduire cette pièce plutôt qu'une autre, car on y retrouve un certain nombre de traits qui caractérisent son œuvre personnelle.

Shakespeare appela la pièce une «comédie», mais le courant tragique y est tellement fort et la distinction entre les «bons» et les «méchants» tellement floue que la critique a plutôt tendance à la ranger parmi les «pièces à problème» («problem plays»). Vigny, qui avait dès le début, paraît-il,34 l'intention d'en faire une adaptation et non pas une traduction à proprement parler, la fait pencher nettement vers la tragédie en retranchant les personnages comiques et en changeant l'ordre de quelques scènes afin de simplifier l'action (au prix, il est vrai, de quelques invraisemblances).

Contrairement à Othello, Le Marchand de Venise comporte deux intrigues, celle de Venise et celle de Belmont, qui ne sont réunies qu'à la fin. Là où le titre original indique un lien entre les deux (le billet d'Antonio le Marchand étant ce qui rend possible le mariage de son ami avec la dame de Belmont), le titre qu'a choisi Vigny reflète à la fois le fait que le 19e siècle avait cru découvrir dans la figure du Juif le véritable personnage principal, et qu'on commençait pour la première fois, grâce à l'interprétation d'Edmund Kean, à éprouver de la sympathie pour lui,35 mais aussi une sorte de classement quant à l'importance des deux intrigues. Dans l'optique du sacrifice, ce «classement» paraît assez raisonnable, car le thème sacrificiel est bien plus fortement présent dans les scènes qui se déroulent à Venise.

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Shylock est une pièce où victimes et bourreaux se confondent de manière inquiétante. Antonio faillit être immolé pour satisfaire aux conditions implacables imposées par le billet de l'usurier, et, bien que sauvé par l'interprétation qu'en donne Portia, il finit néanmoins victime de sa propre nature, qui ne lui permet pas d'entrer à Belmont. Comme en plus il se considère comme «thetainted wether of the flock/Meetest for death» (IVi, 11.114-115), c'est lui qui s'apparente le plus aux victimes types de Vigny. Pourtant, il revêt en même temps certaines caractéristiques d'un bourreau, dans la mesure où il se comporte au début de façon particulièrement violente envers le Juif, qui ne lui a jusque là fait aucun tort, provoquant ainsi sa propre victimisation:

S: You call me misbeliever, cut-throat dog,
And spet upon my Jewish gabardine [... ]
A: I am as like to call thee so again,
To spet on thee again, to spurn thee too
(liii, 11. 111-112, 130-131)

Vigny, en fait, accentue ce trait en ajoutant quelques répliques qui ne se
trouvent pas dans le texte original:

A:... je suis ennemi de ta race [... ]
S: - Je voudrais oublier vos injures.
A: Et moi,
Je veux me souvenir de mon mépris pour toi [... ]
- Garde bien ton trésor,
Car de chez moi mon pied te chasserait encor
(Iv, 11. 225, 231-232, 235-236)

II est quelque peu difficile de savoir comment il faut interpréter ces vers: Vigny cherche-t-il à brouiller davantage la distinction entre victime et bourreau, ou bien, étant donné son aversion bien connue pour le Judaïsme (qui symbolise pour lui la voie profondément matérialiste dans laquelle s'est engagée toute la civilisation occidentale avec le rationalisme, et qui représente une négation des valeurs spirituelles et morales du Christianisme), saisit-il l'occasion de laisser s'exprimer librement une victime qui serait ordinairement obligée de souffrir en silence?

Petia, pour sa part, faillit être victime d'un père despotique, qui lui interdit le libre choix amoureux (ce qui rappelle l'opposition père-fille d'Othello), mais finit par devenir le bourreau de Shylock, envers qui elle fait preuve de la même rigueur que lui envers Antonio.

Shylock, finalement, est d'abord présenté, à l'instar d'Othello, comme victime d'un certain ostracisme de la part de la communauté vénitienne. (Il se distingue d'Othello par le fait que, comme l'observe W. H. Auden,36 il rejette les Vénitiens aussi fermement qu'eux le rejettent). Il accède ensuite

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au statut de bourreau, pour retomber à la fin sous un anathème encore plus
complet.

Plusieurs critiques37 ont remarqué la ressemblance frappante qu'il y a entre Antonio et Shylock, et qui tend à faire d'eux des «doubles». Ceci est sans doute voulu par Shakespeare, qui fait dire à Portia entrant dans la salle d'audience:

Which is the merchant hère? and which the Jew? (IVi, 1.174)

- comme s'il n'y avait aucune différence perceptible. Ceci n'est pas aussi contraire aux idées de Vigny que cela puisse paraître. Nous pensons, et nous allons tâcher de le démontrer, qu'en fin de compte c'est bien Antonio la victime et Shylock le bourreau, mais la pitié et la compréhension de Vigny s'étendent souvent jusqu'aux bourreaux. Dans Stello, il dresse l'apologie des Terroristes (p. 641), dans Cinq-Mars, c'est la psychologie d'un Richelieu (p. 163) et dans Servitude et grandeur militaires, celle d'un Napoléon qui sont analysées et défendues (p. 634). En fait, même Dieu, le bourreau par excellence, peut à l'occasion faire l'objet de sa pitié:

... nous gémissons du poids de la destinée qui nous opprime; mais savonsnous
si Dicune gémit pas de notre continuelle action et n'en souffre pas?
(/, 1838,1107)

Nous nous trouvons ainsi forcément en désaccord avec F. Germain, quand il
dit que Vigny n'a de pitié que pour ses semblables.38

Quoi qu'il en soit, il nous semble qu'on pourrait ainsi parler d'une mini«crise sacrificielle» ici; d'autant plus que les barrières sociales entre Juifs et Chrétiens sont supprimées quand la fille de Shylock, Jessica, s'enfuit avec Lorenzo, l'ami de Bassanio, et que certains interdits d'ordre moral sont peut-être enfreints par l'affection excessive qu'éprouve Antonio pour Bassanio .39

Quelle est donc la nature du conflit mis en scène par Shakespeare, et pourquoi
a-t-il pu exercer un attrait particulier sur l'esprit de Vigny?

Pour certains critiques,40 le thème principal de la pièce serait la confrontation symbolique - dans la scène du jugement - entre l'Ancien et le Nouveau Testament, ou en d'autres termes, entre la Justice et la Grâce. La première est bien sûr représentée par Shylock insistant sur la lettre de la Loi (représentée par son billet), tandis que Portia plaide pour la Grâce et la Pitié en exhortant le Juif à en suivre plutôt l'esprit. Cette même opposition se trouve aussi et de façon très nette dans l'œuvre de Vigny. Ici, c'est Jésus-Christ, le Fils de l'Homme (bien plus que de Dieu) qui incarne partout la Pitié:

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Si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet Dont le gémissement sans repos m'appelait C'était pour y laisser deux anges à ma place De qui la race humaine aurait baisé la trace, La Certitude heureuse et l'Espoir confiant. (M. des 0., 11. 77-81)

- alors qu'au Père ce trait est étranger. Ceci se voit, dans Le Mont des Oliviers (1862), dans son refus de «laver l'avenir», mais aussi ailleurs, par exemple dans Le Déluge (1823) ou La Fille de Jephté (1820). Dans ces deux poèmes, un Dieu injuste et implacable refuse de faire grâce aux innocents. Même imploré par son propre fils (M. des O.) ou par un ange intercesseur (Dél.), ce Dieu implacable reste aveugle et sourd aux misères humaines: cette divinité ne parle que pour réclamer le sang:

Seigneur, vous êtes bien le Dieu de la vengeance: En échange du crime il vous faut l'innocence. C'est la vapeur du sang qui plaît au Dieu jaloux! (F. de J., 11.51-53)

Dieu est par définition inhumain, et il ne peut donc y avoir de dialogue entre
lui et nous. Il en est de même pour Shylock:

I*ll hâve my bond; I will not hear thee speak (Illiii, 1. 12)

A stony adversary, an inhuman wretch,
Uncapable of pity, void and empty
From any dream of mercy (IVi, 11.4-6)

Le dieu de Vigny est d'autant plus pervers qu'il refuse de s'expliquer à ses
victimes, comme c'est souvent le cas des bourreaux. Là encore, Shylock suit
son exemple:

JUGEMENT DERNIER. - Dieu, uii le Saint, viendra se justifier ce jour-ià, et
nous expliquer pourquoi il a créé le mal et le péché. (/. 1850,1277)

So I can give no reason, nor I will not [... ] This is no answer, thou unfeeling man, To excuse the current of thy cruelty (IVi, 11. 59,63-64)

- notez surtout la traduction de Vigny:

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Est-ce justifier ton projet, juif cruel,
Homme insensible à tout, sanguinaire !
(Illiv, IL 854-855)41

Mais si Dieu reste silencieux sur ses intentions, ce n'est pas parce qu'il n'en a pas: les obstacles incompréhensibles auxquels se heurte notre volonté le prouvent bien. Tout est encore écrit, comme dans l'Antiquité. En effet, l'épigraphe du recueil des Destinées est justement «C'était écrit!». C'est pourquoi il est intéressant de voir que le Shylock de Vigny diffère de la pièce originale en soulignant, entre autres, le fait que le billet est écrit (Illii, 1. 770; lIIv, 1. 942; Illvi, 11. 1035-1036). Il introduit en outre les termes de «bourreau» et de «victime» (innocente), qui ne sont pas de Shakespeare (IHvi, 11. 965, 998, 1002). Bien plus, les vers sur «thè tainted weather of thè f10ck...» cités ci-dessus, deviennent chez Vigny:

Tous veulent parfois qu 'un seul meure pour eux
Je suis l'agneau qu'on marque et le bouc émissaire
(lIIv, 11. 914-915)42

Si l'on accepte les idées de Girard, c'est là l'aboutissement naturel de la crise des différences que nous avons signalée plus haut. Pourtant, cette crise-ci n'est pas résolue par le sacrifice de la victime désignée, mais se retourne au dernier moment contre celui qui se voulait bourreau. Nous allons tâcher de montrer que ce qui rend possible un tel renversement est justement le fait que les victimes choisissent une attitude de soumission très proche de celle qui est tant prônée par Vigny.

S. Burckhardt a montré43 que l'intrigue du Marchand de Venise est circulaire, dans ce sens que, pour permettre à Bassanio d'épouser Portia, Antonio est obligé de se soumettre aux conditions du billet que l'on sait, tandis que, pour que Portia puisse l'y soustraire, il faut d'abord qu'elle et Bassanio se soumettent à la volonté de son père en ce qui concerne le choix entre les trois coffrets. Donc, l'abnégation de l'un rend possible le bonheur et la délivrance de l'autre. Cette circularité est renforcée dans la pièce originale quand l'épisode final des anneaux est résolu par Antonio engageant cette fois son âme pour assurer le bonheur conjugal de son ami:

I dare be bound again My soûl upon the forfeit, that your lord Will never more break faith advisedly (Vi, 11.251-253)

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Chez Vigny, cet épisode est changé et la fin vire quelque peu au marivaudage, mais il n'en reste pas moins le lien entre les deux intrigues principales, dont une similarité significative réside dans le fait que le contrat doit, en chaque cas, être correctement interprété pour pouvoir connaître une solution heureuse. La parole est ainsi d'une importance fondamentale.

Dans les deux cas, ce sont l'obéissance aveugle et complète, le sacrifice entier de Pamour-propre et le stoïcisme face à une situation vous enlevant toute autonomie qui se révèlent en fin de compte libérateurs. Antonio et Portia ont tous les deux compris que la révolte ne servira à rien, et à sa place ils choisissent, lui, ce qui chez Vigny s'appellerait l'Honneur et elle, la Pitié. Ces deux notions sont pour le poète français d'un caractère quasi-religieux. L'homme d'Honneur se soumet à son destin et obéit au devoir qu'on lui impose, mais il choisit en même temps l'indépendance et la dignité face à ses bourreaux, car il ne répond en fait qu'à sa propre conscience. Il s'élèvera donc spirituellement, car, si l'on admet avec Vigny que l'Abnégation et l'Obéissance vont contre les instincts humains (/. 1850, 1272), il s'ensuit que l'Honneur est une victoire sur la nature, sur la matière et par là sur la condition humaine. C'est bien là l'essentiel du comportement d'Antonio:

... I do oppose My patience to his fury, and am arm'd To suffer, with a quietness of spirit, The very tyranny and rage of his (IVi, 11. 10-13)

Nous avons dit que Portia, de son côté, incarne la Pitié. Cette qualité est composée à la fois de générosité, de compassion et d'un désir actif du bonheur d'autrui. Elle est aussi éminemment humaine: ni Dieu ni la Nature ne sont capables de l'éprouver (et même parmi les hommes, elle est réservée à un petit nombre d'êtres supérieurs). Portia se donne elle-même, et elle donne son argent, sans réserve. A Belmont, le don d'argent a une valeur spirituelle, il est symbole de l'Amour, tandis qu'à Venise, et pour Shylock en particulier, l'argent est une fin en soi, d'une nature à cent pour cent matérielle. Il est caractéristique que ce soit Portia qui la première pousse Bassanio à repartir pour Venise, en promettant de l'aider financièrement, quand il reçoit la nouvelle de la mauvaise fortune d'Antonio (Illii, 11. 298ff), et la grande tirade sur la clémence (IVi, 11. 184ff) ne pouvait être prononcée que par elle.

Mais si Venise, symbole de la Loi, peut profiter du contact avec Belmont, symbole de l'Amour, la relation n'est pas, comme le montre Burckhardt (et Auden, op. cit., p. 239), à sens unique. Une communauté comme celle de Belmont relève par trop des contes de fées pour pouvoir constituer à elle seule un idéal réalisable. Comme nous l'avons déjà vu à propos d'Othello, la société idéale naît pour Vigny de l'interaction entre la liberté de l'individu et

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un ordre fondé sur l'intelligence. Ici, la liberté de Belmont agit sur l'ordre rigide de Venise et lui infuse un peu de l'humanité qui lui manquait, mais en même temps Portia est obligée, pour être efficace, de se plier à la lettre de la loi vénitienne et d'agir à l'intérieur de celle-ci. C'est ainsi seulement qu'elle peut instaurer un dialogue avec un Shylock qui «réclame la loi/Et [se] renfermeen elle» (IHvi, 11. 990-991), en refusant, comme tous les bourreaux, d'entendre quoi que ce soit.

Dans une optique vignyenne, l'on peut ainsi voir dans la comédie de Shakespeare une justification de la philosophie adoptée par le poète français. C'est donc bien là la voie de la délivrance et du bonheur, et c'est peut-être pour cela que Vigny choisit de retrancher de son adaptation le «contrat final» d'Antonio, contrat qui accentue sa solitude et son manque d'intégration dans l'heureuse communauté belmontienne, composée entièrement de couples amoureux, et qui fait que la pièce originale se termine sur une note un peu mélangée.

Bien que nous n'ayons pu qu'esquisser ici la complexité de la pensée de Vigny, nous espérons avoir justifié notre conviction que Vigny choisit de traduire ces deux pièces parmi les trente-huit que Shakespeare a écrites, non pas uniquement parce qu'elles étaient populaires à son époque et qu'il a pu les voir jouer par les troupes anglaises qui vinrent à Paris en 1822 et en 1828, non plus uniquement parce qu'Othello est sans doute celle des tragédies de Shakespeare qui se rapproche le plus des trois unités tant chéries par le théâtre classique français, mais surtout parce qu'elles répondent assez étroitement aux préoccupations qui furent les siennes tout au long de sa vie et qui se reflètent partout dans son œuvre personnelle.

Maj-Britt Mosegaard Hansen

Université de Copenhague



Notes

1. Maj-Britt Mosegaard Hansen: La Conception de l'être sacrificiel dans l'œuvre d'Alfred de Vigny (Mémoire non publié, Université de Copenhague, 1991)

2. A. Jarry: "Vigny traducteur de Shakespeare" in A. de Vigny, œuvres complètes, t. 1, éd. A. Jarry/F. Germain (Gallimard, Bibl. de la Pléiade, Paris, 1986), p. 1347-1368. B. V. Daniels: Shakespeare à la Romantique, in Revue de la Société d'Histoire du Théâtre, t. 1, 1975, p. 125-155. M. Gilman: Othello in French (Champion, Paris, 1925). A Sessely: L'lnfluence de Shakespeare sur Alfred de Vigny (Ed. du Chandelier, Berne, 1928).

3. (Grasset, Paris, éd. Pluriel, 1972). Il convient de signaler que Girard a lui-même publié un livre sur l'œuvre de Shakespeare (trad. française Shakespeare: Les feux de l'envie, Grasset, Paris, 1990). Nous nous sommes pourtant peu appuyée sur cet ouvrage dans ce qui suivra.

4. in Œuvres Complètes, t. 16 (P. Larrive. Paris. 1954). p. 28

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5. «The Joker in thè Pack» in The Dyer's Hand (1963), réimprimé dans Othello. A Casebook, ed. J. Wain (Macmillan, London, 1971, p. 199-223), p. 214.

6. C'est nous qui soulignons. Toutes les citations renvoient au Riverside Shakespeare, éd. G. Blakemore et al. (Houghton Mifflin, Boston, 1974).

7. C'est nous qui soulignons. Toutes les références renvoient, si rien d'autre n'est indiqué, aux oeuvres complètes, t. I-11, éd. F. Baldensperger (Gallimard, Bibl. de la Pléiade, Paris, 1950).

8. «The Othello Music» in The Wheel ofFire (1930), réimprime dans Wain, op. cit. p. 72-97, p. 82.

9. W. H. Auden, op. cit., p. 217.

10. C'est nous qui soulignons.

11. Mémoires inédites, éd. J. Sangnier (Gallimard, Paris, 1958), p. 56.

12. Girard (1972), p. 403-404.

13. Hansen (1991), p. 19.

14. cf. F. Germain: L'lmagination d'Alfred de Vigny (Corti, Paris, 1962) pp. 357,364.

15. C'est nous qui soulignons.

16. idem.

17. PI. I, éd. Jarry/Germain, p. 534-535.

18. cf. F. Germain, op. cit., p. 336.

19. op. cit., p. 1365.

20. «Marginalia on Othello» in Shakespearean Criticism, éd. T. M. Raysor; 2nd éd. (Everyman, London, 1960), p. 44.

21. c'est nous qui soulignons.

22. C'est Richelieu qui parle.

23. C'est Napoléon qui parle.

24. op. cit., p. 127.

25. op. cit., p. 205.

26. C'est le Docteur Noir qui raconte.

27. "Othello. An Introduction" in Shakespeare. The Tragédies, éd. A. Harbage (prentice-Hall, New Jersey, 1964), p. 75-84.

28. ibid., p. 77.

29. Introduction à Othello dans The Riverside Shakespeare, p. 1198-1202.

30. ibid., p. 1200.

31. op. cit., p. 79.

32. op. cit., p. 231.

33. op. cit., pp. 78,81.

34. cf. A. Sessely, op. cit., p6l.

35. J. Russell Brown: Introduction à l'édition Arden de la pièce (Methuen, London, 1955), p. xxxiii-xxxiv.

36. «Brothers and Others» in The Dyer's Hand, réimprimé dans The Merchant of Vertice. A Casebook, éd. J. Wilders (Macmillan, London, 1969), p. 232.

37. Par exemple A. Barton, Introduction à la pièce dans The Riverside Shakespeare, p. 250-253, p. 253. R. Girard (1990) op. cit., p. 302-303. W. H. Auden, op. cit., pp. 231-232, 234, 238.

38. op. cit., p. 417.

39. cf. G. Midgley: The Merchant of Venice. A Reconsideration, in Essays in Criticism, X (1960), p. 119-133; réimprimé dans Wilders, éd. (1969), p. 193-207.

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Résumé

Alfred de Vigny traduisit dans sa jeunesse quelques pièces de Shakespeare - traductions que la critique s'est le plus souvent contentée de traiter d'un point de vue stylistique ou dramaturgique, en négligeant l'aspect thématique. Nous nous proposons dans cet article de les insérer dans une conception plus globale des écrits de Vigny, en les étudiants dans le cadre d'une dialectique sacrificielle qui nous semble fondamentale pour la compréhension de sa pensée. Nous essayons ainsi de montrer que ces traductions ne sont pas des travaux périphériques, mais qu'elles font, au contraire, partie intégrante de l'œuvre du poète français.



40. N. Coghill The Governing Idea in Shakespeare Quarterly, I (London 1948), p. 9-17. M. C. Bradbrook Moral Thème and Romantic Story in Shakespeare and EUzabethan Poetry (1965), réimp. dans Wilders, éd. (1969), p. 132-141.

41. C'est nous qui soulignons.

42. idem.

43. The Merchant of Venise: The Gentle Bond, Journal of English Literary History, XXIX, Sept. 1962,239 - réimp. dans Wilders, éd. (1969), p. 208-223.